De digresser plus qu’à mon tour ne m’empêche pas de
remarquer que beaucoup d’autres bavards choisissent de répondre de plus en plus
souvent à côté des questions.
Je n’évoque pas les politiques malmenés par les journalistes
qui contournent l’interrogatoire, ne voulant pas dire ce que les procureurs
veulent leur faire dire de bon matin.
Je ne développerai pas non plus à propos des trolls des
réseaux sociaux, trop faciles à débusquer, qui rendent cependant plus lisibles
d’autres plus subtils et plus corsé l’air du temps.
Exemples : le Rwanda se déplace en Algérie, Piolle en
gard’av et voilà Carignon ressortant de sa tôle, le Pass culture pour les
jeunes : mais que fait-on pour les vieux ? Il pleut : c’est la
faute à Macron, pour la canicule annoncée pas difficile de trouver le coupable
à venir.
On a beau dire que tout ce qui excessif est insignifiant,
une telle indigence augmentée d’une abyssale mauvaise foi devrait appeler le
sourire mais c’est l’accablement qui survient. Des nappes de gaz nocifs stagnent
pour longtemps dans nos lieux communs.
L’autre jour, une féministe s’insurgeait avec justesse
contre l’expression « post » accolée à « me too ». Dès
qu’un phénomène apparaît, la semaine suivante il passe à la trappe.
L’histoire de l’art est un terrain de jeux distrayant pour
jouer avec les préfixes approximatifs : des « néo
impressionnistes » ont surgi après les « préraphaélites »
(venus bien après Raphaël) pour précéder les « post modernes ». Mais
dans d’autres matières où les déconstructivistes sévissent aussi, les tenants de
la « post-vérité » ont encore de beaux jours devant eux.
Trump a disparu du paysage, pourtant les adeptes des
« vérités alternatives » continuent d’œuvrer patiemment et pas
seulement depuis des officines russes, ils imposent leurs sujets : les
vautours se gavent des viscères de nos fondamentaux républicains abimés, de nos
espoirs fatigués.
Si j’abuse d’images, c’est que je ne distingue pas vraiment
les coupables et les nombreux profiteurs aux rôles amovibles. Sur ce tableau
noir où j’usais de la craie jadis, je pourrais ajouter que la langue qui
devrait nous unir n’en finit plus de s’effacer. Nous n’en sommes pas encore à
l’étape « langue morte » telle celles évoquées la semaine dernière,
Dans le tram, souvent je ne sais distinguer le langage qui me fut familier,
même si une répétitive et désinvolte obsession autour des parties génitales
masculines m’indique qu’il s’agit de langue française, débitée à la
mitraillette.
Les populistes ne répondent pas à côté de la plaque, c’est
eux qui forgent de nouveaux thèmes. Et les « idiots utiles » leur
amènent sur un plateau matière à petits agacements qui nourriront les grands
fleuves impassibles des rancœurs. Est qualifié de « présumé
coupable » celui qui vient d’être pris le coupe-coupe encore plein du sang
de ses victimes, alors que les mêmes organes de presse vont livrer sans
vergogne la moindre confidence compromettante envers le dernier des apparus à
la fenêtre.
Les inquiétudes sécuritaires sont exacerbées et même si les
compétences des départements et des régions sont restreintes en ce domaine, les
déclarations ne manquent pas. Mais quelles sont les propositions à ce sujet
dans le canton 2 de Grenoble? Les tracts départementaux rivalisent dans les
nuances de vert avec promesses proches. Le RN déroule les barbelés de la rue
Auguste-Prudhomme à Sarcenas, il se distingue en s’autocaricaturant. Mais un
avis opposé de plus ne convaincra pas un chat, pas plus qu’une inscription à la
bombe vue dans le quartier Saint Bruno « Alors Eric (Piolle) on cède à
l’extrême droite ! » sans doute à propos de la semaine « décononiale »
n’incitera le propriétaire de ce mur fraîchement repeint ni un quelconque
passant à rejoindre les indigénistes.
« La création, comme la vie, est par
définition un processus hors équilibre qui nécessite un certain degré de
confinement. » Pierre Joliot-Curie
Je pense qu'on dirait facilement de moi que je réponds à côté des questions. C'est vrai que je suis exaspérée de sentir une pression permanente sur moi de parler, de répondre comme un SMS, et ça ne me fait pas plaisir du tout. En plus, je crois que le format des smartphones, des liseuses, etc, est adapté à une pensée... crue ? directe, brutale, sans nuances, et sans la moindre fantaisie. Et bien sûr, il faut que ça aille très vite, tout en étant immédiatement compréhensible pour un enfant de 3 ans. C'est usant.
RépondreSupprimerC'est vrai aussi que je ressens la pression venant de personnes dans le monde du travail (pauvres travailleurs...) qui, pressées comme des citrons, ne peuvent ou ne veulent pas prendre le temps de parler, ou de répondre autrement que comme des SMS. C'est tout aussi vrai que cela suscite en moi une.. folle résistance à l'idée d'être réduite à un SMS simple, directe, atomique... pauvre, forcément pauvre, comme nous sommes tous censé nous comporter à l'heure actuelle, me semble-t-il. Alors... oui, je suis égoïste. Je ne veux pas en arriver là, et je peux comprendre mon prochain très loin qui, lui non plus, ne veut pas en arriver là. Encore une fois, tragique condition de l'Homme... quand il ne se réduit pas lui-même à l'insignifiance.
Pour le français... oui, j'ai de grands soucis pour le français. Cela fait plus de 10 ans que je vois dans les yeux des Français autour de moi des étoiles quand ils apprennent que ma langue maternelle est l'anglais. La plupart d'entre eux se mettent à baragouiner quelques mots d'anglais... avec les étoiles dans les yeux. C'est infiniment triste, tu sais ?
C'est le moment de s'approcher sur la pointe des pieds de ces abîmes où on peut perdre sa raison, pour constater que ce qui nous donne les limites structurantes nécessaires pour vivre, c'est avant toute chose, la langue elle-même. Sa... grammaire. Si la grammaire s'effondre, NOUS passons entre les très grosses mailles du filet, mais nous avons un mal fou à sentir cela. Peut-être faut-il être.. étranger ? au moins bilingue ? pour appréhender ces choses, et encore. Ça reste l'abîme...
Quand je suis arrivée en France il y a 40 ans, j'avais appris plein de choses qui sont devenues désuètes maintenant, comme l'imparfait du subjonctif, les finesses du français. Qu'en reste-t-il ? Et que penser maintenant que les auteurs (homme ou femme) se contentent de baragouiner comme l'homme de la rue, en adoptant un style tenue de jogging ?
Triste, infiniment triste...
Un grand linguiste dont je ne retrouve pas le nom s'est alarmé il y a quelques années devant son constat que le français ne se portait pas bien, et risquait... de mourir ? Et nous, alors ? On va tous baragouiner ma langue maternelle ?? O, horreur...