Pour sa 30° édition, nous avons été ravis bien que le choix soit
toujours difficile entre tant d’écrivains majeurs présents à l’hippodrome de
Parilly.
Alexis Jenni, l’écrivain prof de sciences et
l’historien Benjamin
Stora ont écrit ensemble « Les
mémoires dangereuses »; le prix Goncourt avait lu le livre du
président du conseil d’orientation de la cité de l’histoire de l’immigration,
« Le transfert de mémoire ».
Le thème de leur dialogue s’intitulait : « Qu’est
ce qu’on a en commun ? » l’Algérie et nous.
Un FN aussi intégriste que le FIS a nourri un « Sudisme
à la française » dans son rapport brutal ou paternaliste aux autres et aux
institutions.
L’Algérie n’était pas une colonie mais un département
français ; un sentiment de revanche a perduré parmi certains «
pieds noirs » depuis le sentiment d’avoir été cerné là bas par les arabes
colonisant à leur tour la métropole d’un empire rétracté. Le souvenir d’une
grandeur perdue masqué un moment par la figure du général De Gaulle, dont Alger
fut capitale de la France Libre, tourne dans les années 80 à une envie de
retour en arrière, autrement dit l’option réactionnaire.
L’histoire des mots est éclairante et paradoxale :
« intégration » fut inventé par Soustelle alors que dans les années
30, l’ « assimilation » était la revendication d’un Ferhat Abbas.
Entre le million et demi d’appelés, le million d’Européens
d’Algérie, les immigrés algériens dont le nombre a doublé en France pendant la
guerre, les « pieds rouges », les harkis, les algériens d’Algérie
pour qui se fut aussi une guerre civile, les mémoires sont cloisonnées.
La France a été
modifiée par cette guerre reconnue seulement comme telle depuis peu.
Et le 19 mars
en tant que date de fin du conflit ne
fait toujours pas l’unanimité : c’est sans fin, d’autant plus que tout débat commence par la fin en 1962 et non le début
en 1830.
Les deux complices sont en désaccord sur le film auréolé de
ses interdictions de jadis : « La bataille d’Alger » de Pontecorvo ; seraient-ils d’accord sur
celui qui reste à faire autour d’Abd el-Kader, franc-maçon et
mystique, héros de l’indépendance, dont le destin exceptionnel pourrait nourrir
un grand récit qui n’a été entrepris ni d’un côté de la Méditerranée ni de
l’autre ?
Nous avions été
attirés à La table ronde suivante par la présence de Maylis de Kérangal mais Alexandre
Bergamini et Hélène Gaudy
furent à la hauteur par la grâce d’une animatrice qui fit magnifiquement
partager les émotions, les finesses des paroles développant le thème de
« L’esprit des lieux ».
Si aucun ne fait
apparaître le nom d’un lieu dans le titre de son ouvrage, Hélène Gaudy dans « Une
île, une forteresse », se consacre à la ville de garnison en forme
d’étoile, Terezin, présentée dans des films de propagande nazis comme un
conservatoire de la culture juive où 140 000
personnes furent déportées.
« Le travail des derniers témoins des
derniers témoins » à propos de la Shoah est aussi celui d’Alexandre
Bergamini qui traite du camp de transit de Westerbork destiné aux juifs Hollandais dans son livre « Quelques roses sauvages ».
Aujourd’hui une station scientifique s’élève à proximité comme dans le désert
d’Atacama où un observatoire des étoiles a été construit parmi les pierres et
les os des suppliciés de Pinochet. Le poète qui a commencé son récit à partir
d’une photographie de survivants se voit comme un écrivain et non comme un
romancier, au terme d’une écriture au long cours où il estime s’être perdu,
happé au bord d’un trou noir. Il ne veut parler pour personne d’autre que
lui-même : « à ma place ». Il nous livre en passant
l’information que des tonnes d’or volées aux juifs auraient transité de la
Suisse vers l’Espagne.
Dans « A ce
stade de la nuit », Maylis de Kerangal, à front renversé avec les deux
autres auteurs pour lesquels les photographies ou les dessins sont fondateurs,
fait venir les images à partir des sonorités du mot Lampedusa : nom de
l’auteur du « Guépard » et de l’île où depuis 25 ans des migrants
essaient d’accoster.
Autant de chambres d’échos pour des mémoires qui ne se traitent
pas comme un devoir.
«Sacraliser
la mémoire est une autre manière de la rendre stérile»
Tzvetan Todorov
Ayant fait le tour du dicible, ces jeunes écrivains savent
aussi les limites du lisible, et dans le carroyage (= quadrillage, mais
j’aimais bien la consonance de ce mot que je viens d’apprendre) des espaces, la
métaphore d’un point aveugle au centre de nos vies, évoquée par le monsieur
minoritaire sur l’estrade, éveille nos curiosités.
Séduits par toutes ces intelligences, nous avons envie de nous
nourrir de leurs ouvrages, c’est alors qu’ils se mettent d’accord pour nous inciter
de surcroit à découvrir encore un autre écrivain Allemand mort en Angleterre,
Sebalt :
« Les souvenirs sont comme les ombres de
la réalité »
Tout a tourné autour
de la mémoire soudée à un présent qui contiendrait tous les temps, se difractant
et s’incarnant magnifiquement avec ces auteurs dont la quête personnelle dit
bien un moment de nos incertaines recherches.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire