Mitterrand, 20 ans. Nous avions été heureux quand la gauche
avait gagné, mais faut-il avouer que nous préférions Rocard surtout quand tout
le monde s’incline aujourd’hui ? Le bref culte qui est rendu à Tonton
souligne l’état loqueteux dans lequel nous sommes tombés.
Sans plus m’arrêter parmi ces paysages effacés, je vais
essayer de revenir sur quelques mots bourdonnant autour d’un lieu que j’ai
déserté depuis 10 ans : l’école.
Pour avoir fréquenté, admiré des maîtres Freinet, mais ne
pouvant prétendre à une quelconque expertise en la matière, je suis assez
étonné quand même de la fortune de certains des mots de l’instit de Vence, inversement
proportionnelle à la perte du sens des démarches qui ont fait naître tant de
propositions qui élevaient les élèves.
Des conseillers fuyant les classes et des colloqueurs
universitaires ont mis en circulaire des
préconisations extraites de réflexions issues d’un mouvement militant qui partait de l’échange
de pratiques sur le terrain et non de reportages télévisés ou de constructions
hors sol.
Les avidités individuelles réduites à des plans de carrière ont
siphonné ceux qui avaient des ambitions pour les enfants, pour l’école, des
plans de travail et une organisation coopérative fraternelle en « béton »
ou plutôt chantourné au filicoupeur pour permettre aux petits d’accéder à la
liberté, aux savoirs. Ceux qui ont mis ces fonctionnements en place
n’attendaient pas qu’on leur explique ce qu’est la laïcité, leurs convictions
forgées dans le débat et l’entraide étaient rétives à tout ordre tombant des
ministères : tout le contraire d’aujourd’hui où un caporalisme de pacotille
revient au galop. La critique de l’enseignement frontal depuis les chaires
prête à sourire.
Ainsi les mots : « projets »,
« compétences », « enfant au centre », « équipe »,
ont ponctué les clips, incitations, BD pour les nuls, injonctions du ministère par
ses petits marquis, dénaturant les intuitions, réflexions collectives, audaces
de pédagogues qui ont alimenté les « bibliothèques du travail » et
tant d’outils amoureusement construits à partir des réalités diverses analysées
par des praticiens.
Comment sommes-nous passés de démarches visant à
l’émancipation, aux mots de l’entreprise ? De l’école Mao aux rotatives de
Grenelle pour parodier un titre qui a marqué la fin d’une époque : « Lettre
ouverte à ceux qui sont passé du col Mao au Rotary ».
Comment sommes-nous passés de « L’école moderne »,
marque déposée par le mouvement pédagogique pour lequel liberté et démocratie
ne sont pas seulement des mots mais des actes, aux heures mornes des nouveaux
rythmes scolaires qui ont signé la fin d’une école « maitre du
temps » ? Les familles éclatées, les maitresses ne pouvant plus payer
des loyers parisiens ont accompagné avec soulagement la transformation :
les enfants sont davantage fatigués.
Ces engagements pédagogiques, ceux d’une vie entière,
allaient avec des convictions politiques et syndicales. En me désolant des
orientations présentes, en particulier au collège, défendues par le syndicat
CFDT pour lequel j’ai consacré jadis tant d’heures, j’aurai le sentiment de
trahir mes idéaux de jeunesse, si l’éditorialiste Jacques Julliard, un des
piliers de « la deuxième gauche » n’était devenu un défenseur assidu
de l’exigence en matière scolaire :
« l’effort n’est
pas de droite, l’excellence n’est pas de droite, la conservation de notre
patrimoine culturel n’est pas de droite. »
Je le rejoins comme opposant déterminé non pas
à Najat Valaud Belkasem qui n’est qu’une porte-parole en mal de notes pour
prompteur sur la notation, mais à son ministère qui alimenta Chatel comme
Peillon ou le fugace Hamon pour nous faire prendre les vessies économiques pour
des lanternes égalitaires.
Bon...
RépondreSupprimerDerrière cet empressement d'ouvrir grand les vannes (de la liberté, de la liberté ?) à l'entreprendre, à l'initiative, à.. l'individu, il y a un phénomène politique qu'on passe sous silence : l'Amérique progresse dans les têtes françaises. Le colon ? (qu'en l'occurrence les Québécois préféraient au colon anglais, pendant qu'on y est) est colonisé, et embrasse même sa colonisation, la prenant pour une émancipation.
Mémoire oblige ? Nous sommes si près (dans la mémoire...) des guerres du XXème siècle, où celui qui était venu à la rescousse était perçu comme un libérateur.
Le passé ne cesse jamais de s'écrire dans le présent. Et tant pis si les individus n'ont pas de mémoire, et n'en veulent plus ; le passé continuera à s'inscrire dans le présent.
Le fait de le.. "savoir", nous libère-t-il ?
Pas totalement. On peut même dire que le fait de le savoir nous rend... plus tristes, moins.. inconscients ? du poids de l'histoire collective dans nos vies individuelles.
Mais je tiens à ma tristesse, et à ma conscience, comme étant une ...preuve ? de ma perception de ce qu'est l'humain.
Remarquablement écrit, Guy. Un vrai plaisir à te lire. Merci.