a du choisir son titre comme elle pèse chaque mot tout au
long des 112 pages,
mais « A l’établi », qu’elle emploie volontiers
pour évoquer son travail, aurait mieux convenu, à mon goût, qui dit bien la
minutie et l’œuvre solitaire.
« Ma place est à
l'établi, où ça fermente, où je fomente »
La grammairienne vient de la campagne, d’un monde disparu.
« Le père est
lancinant. Il répète on est les derniers on est périmé. Il sait que le monde
devient mauderne, il le voit à la télévision ; le journal, les papiers de
la banque et de la chambre d’agriculture le disent. C’est le tout début des
années soixante-dix, il est content d’avoir un tracteur et des machines
efficaces qui épargnent la fatigue, il n’est pas dressé contre les choses mais
il sent qu’elles échappent, ça lui échappe. »
Et revient sur les mots, leur redonne couleurs.
« La fille, cette
fille, a étudié le latin et le grec. Elle a appris l'étymologie de humilié.
Elle sait que humilié, étymologiquement, veut dire qui est au sol, à terre,
humus le sol en latin, comme dans inhumer et exhumer, et posthume; au sol, sur
la terre, dans la terre, planté dans la terre comme un arbre. »
C’est le premier livre que j’arrive à reprendre après les
tueries de novembre, et de tels rappels aux subtilités de la langue accusent la
fin d’un autre monde au moment où le collège se déforme.
Si la trajectoire qui mène de la ferme à cette exigence dans
le travail d’écrivain peut être familière, je n’ai pas assez de connaissances
de Claude Simon auquel un chapitre est consacré pour apprécier intimement son
approche, mais la musique générale me va.
« Je vois la
phrase, elle s’incarne, c’est la clôture de barbelés que les hommes tendent
entre deux piquets de châtaignier ou de chêne fortement équarris ; les
enfants sont là, ils aident, ils assistent, ils fournissent le marteau, les
tenailles, les crampillons, ils portent, ils transportent, ils galopent ;
et ils voient, ils pourraient voir la phrase se tendre entre deux piquets de
châtaignier comme entre la majuscule et
le point... »
Une intime.
Ça fait vachement envie. Même que... je crois que je vais me l'acheter. Merci de me l'avoir fait découvrir, Guy.
RépondreSupprimerElle doit venir à la librairie du Square prochainement.
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