Entre vie silencieuse et poésie.
Bien que les catégories en littérature et en peinture soient différentes, les objets ayant une existence propre, le dialogue peut se nouer pour conclure avec Alain Guyot le cycle de conférences à eux consacré pour les amis du musée.
Le bouclier d’Achille dans l’Iliade est l’œuvre d’un dieu ; le roman fait œuvre d’art en dépeignant des œuvres d’art.
Philostrate de Lemnos décrit une galerie de tableaux rares à cette époque.
Au moyen âge aucun objet à signaler, par contre Rabelais va les accumuler en festin de mots.
Scarron dit du Sirus de madame de Scudéry qu’il est « le roman le mieux meublé », il est déjà le plus long de la littérature française.
De Saint Amant, poète baroque :
« C'est un melon, où la nature,
Par une admirable structure,
A voulu graver à l'entour
Mille plaisants chiffres d'amour,
Pour claire marque à tout le monde
Que, d'une amitié sans seconde,
Elle chérit ce doux manger »
Le style est haut pour un bas registre, et le créatif interprète le message de la nature.
Le siècle des lumières est riche en descriptions chez Restif de la Bretonne ou dans des contes érotiques chez Jacques Rochette de La Morlière, libertin grenoblois.
« les bougies placées derrière des rideaux de taffetas vert, qui semblaient être faits pour rompre la trop grande clarté, et qui ne laissaient que ce demi-jour qui paraissait avoir été inventé pour éclairer les entreprises de l'amour, ou pour ensevelir la défaite de la vertu. »
Au XIX° siècle les ustensiles révèlent une position sociale avec la redingote du « père Goriot »,
l’intensité d’une passion amoureuse se tient dans un bouquet du « Lys dans la vallée »,
les marchandises sont abondantes chez la Sarriette, vendeuse de fruits du « Ventre de Paris »
où les cerises « ressemblaient à des lèvres trop étroites de Chinoise qui souriaient ».
Théophile Gautier va faire un tour au delà des barrières du côté de Montfaucon.
« nous sommes dans une fabrique de poudrette : femmes, enfants, garçons et petites filles, vannent, blutent, tamisent la précieuse poudre [d’excréments humains] qui a la couleur, mais non le parfum du tabac d’Espagne… Tout est passé avec un soin minutieux, car il paraît que l’on trouve là dedans de l’argent, de l’or, des montres et autres objets précieux. »
La franchise de l’horreur est aussi dans la charogne de Baudelaire.
Tout l’art n’est-il pas de trouver des pépites dans la plus noire des merdes ?
« Une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile. » C’est la casquette de Charles Bovary.
Dans le genre citation à la Audiard où « un con qui marche va plus loin que dix intellectuels assis » :
« une carotte bien peinte vaut mieux qu’une madone mal peinte. »
Au XX°, après guerre, l’homme divorce avec son passé, alors ressurgissent les choses qui occupent toute la place.
Qui marche ? « Les chaussures légères à semelles de caoutchouc ne font aucun bruit sur le carrelage du couloir ».Robbe Grillet.
J’ai bien aimé l’expression du conférencier qui évoque « le langage qui se retend » chez Ponge redynamisant les choses dont il prend le parti.
« L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos. A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords. »
Guillevic par la parole délivre-t-il les objets de leur gangue diabolique ?
« L'eau que tu bois a connu la mer. »
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