Il est question de chez nous. En introduction :
« Si un pays, ce pays, est tellement lui-même, au fond nous ne le savons pas. Ce qui s’impose dès lors c’est d’aller y voir, c’est de comprendre quelle peut être la texture de ce qui lui donne une existence, c’est-à-dire des propriétés, des singularités, et de sonder ce qui l’a formé, informé, déformé. C’est justement parce que certains croient que cela existe comme une entité fixe ou une essence, et se permettent en conséquence de décerner des certificats ou d’exclure (dans le temps d’écriture de ce livre sera apparu un « ministère de l’Identité nationale », aberration qui entraînerait, on allait le voir, tout un train de mesures strictement xénophobes), qu’il est nécessaire d’aller par les chemins et de vérifier sur place ce qu’il en est »
J’ai tellement apprécié ce livre que j’en ai dégusté jusqu’aux remerciements qui illustrent les scrupules de l’auteur, sa minutie, pour continuer d’accompagner les mouvements d’une pensée dont l’honnêteté est à mes yeux le trait principal.
Malgré les multiples références qui appartiennent à l’histoire, à la littérature, à l’architecture, aux sciences de la terre, nous le suivons avec plaisir sur le bord des rivières, dans les rimes d’une comptine :
« Beaugency, Notre dame de Cléry, Vendôme, Vendôme… », sur les escaliers de Fontainebleau, aux alentours de la gare de Culoz, comparant Tarascon et Beaucaire, sillonnant la France en tous sens. Les vaches dans le paysage, les publicités pour la Suze (anagramme de Zeus), les arbres ;
si bien qu’aucun lieu ne peut se réduire à « nulle part » dès qu’une main écarte un rideau, entrainant les réflexions de l’ancien collaborateur de Lavaudant dont l’écriture poétique n’est pas un ornement gratuit mais accoucheuse de sens, d’inventions.
Est-ce que des séquoias ont été plantés dans un quartier de Bourges comme le suggérait un ingénieur du paysage de ses élèves, pariant sur l’avenir en proposant la construction d’un lieu aussi remarquable que la cathédrale du centre de la ville ?
A l’heure où la gauche n’a pas le courage - c’est là son défaut premier- d’affronter l’idée d’identité nationale, cet ouvrage est une mine d’observations, de réflexions qui ne se résume pas seulement dans le joli mot qu’il invente : « bariol ». Il ne méprise pas les nostalgiques, sait reconnaître les énergies qui existent dans les banlieues, tout en se gardant de l’angélisme : la coexistence serait déjà un beau projet avant de tartiner de mots creux qui à force d’être mis en ondes n’articulent que du vent.
Au bout des 400 pages :
« Ainsi d’un bord à l’autre du pays, les fils décousus d’une trame irrégulière où parfois les fils conducteurs s’interrompent tandis que de petites pelotes finissent par former des nœuds, réseau de synapses semblable à celui d’une carte que la mémoire parcourrait du doigt, comme un enfant suivant les lignes d’un livre ou un aveugle le fin grenage de l’écriture braille »
Débats d’aujourd’hui et révisions avec nos yeux d’avant : quand l’histoire rejoint la géo
s’envisagent des perspectives à long terme, du sentiment intime d’appartenance à une approche humaniste des autres en leurs lieux.
Le paysage est éminemment politique.
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