Il y a déjà plus de quinze ans que Rebecca Horn exposait à Grenoble. Catherine de Buzon a donné récemment l’occasion aux amis du musée de se rafraichir la mémoire, et en ce qui me concerne de prendre la mesure de la diversité d’une œuvre qui m’avait intriguée alors. Maintenant, j’en perçois mieux l’intensité et le poids douloureux qui n’exclut pas la poésie.
Soignée pour des problèmes pulmonaires, l’artiste allemande va d’abord chercher comment aider un corps blessé avec tout un appareillage à allure orthopédique faisant écho aux aveugles de Bruegel, à Narcisse du Caravage, à la mémoire des gueules cassées des guerres du siècle. Elle veut étendre son corps jusqu’à toucher simultanément les deux murs d’une pièce avec des doigts agrandis tels ceux de personnages de Tim Burton.
Rebecca Horn, filme pendant 12 heures une femme portant une très longue coiffe, sa licorne.
Elle va aussi entraver des corps dans des bandages qui évoquent le bondage et des figures sado-maso: de grands moignons en tissus empêchent la marche, un masque porte des crayons, elle transporte telle une relique moyenâgeuse un dispositif reliant ses seins et sa bouche. Un réseau de tiges horizontales garde la mémoire de la silhouette d’un corps qui y fut mesuré. Des éventails à taille humaine permettent de se protéger, de se recroqueviller, ainsi des écrins de plumes comme des chrysalides. « La veuve du paradis » ou « la fiancée chinoise »-enfin une artiste qui ne renonce pas à titrer ses œuvres-fournissent des expériences étonnantes dont une avec une boite dont les portes se referment lentement sur le visiteur d’abord résigné dans l’obscurité puis retournant brusquement au monde par l’ouverture brutale de cet espace étriqué. Un modèle porte un manteau de tuyaux où circule du sang.
Si Otto Dix, Beuys peuvent être évoqués pour cette période créative, les machines de
Vinci sont sollicitées dès qu’il y a de la mécanique. Son paon métallique qui fait une roue à la demande n’est pas soumis aux cycles de la nature, mais les machines ne sont pas éternelles, elles perdent de l’huile, éclaboussent les murs et sa machine à peindre déverse ses encres sur des châssis sans toile.
Ses installations entrent en résonance avec les lieux : celui du théâtre de l’hôpital psychiatrique du Steinhoff à Vienne, avec une pyramide de pigment effleurée par un pendule ; au bord d’un baquet rempli d’une eau noire, deux aiguilles forment par intermittence des vaguelettes.
Dans une maison de passe à Barcelone, elle installe « la rivière de la lune » avec la chambre de la terre, où le lit entre à moitié dans le mur. Dans une chambre différente, celle de l’eau, le lit est au plafond et des draps s’égouttent dans des récipients, dans une autre, une pointe griffe un cercle. Sept violons jouent sur d’autres murs, l’air a son espace, de même que « la destruction réciproque » ou le feu avec des flashs qui éjaculent. Souvenirs, peurs, plénitude, unité, vigueur.
A Munster elle voulait investir une tour que la municipalité refusait de lui octroyer, c’est qu’il y avait un secret terrible dans ce lieu. Ancienne prison, elle avait servi aux jeunesses nazies de lieu de torture sur des russes et des roumains ; elle va y disposer de petites bougies, des marteaux qui frappent sans cesse, un œuf sur une tige pour l’espérance. A Murnau, des cendres seront recueillies dans de grandes caisses de verre et un chariot détruit petit à petit des instruments de musique posés sur des rails. Et quand il percute une paroi des flashs se déclenchent symbolisant ici les âmes de ceux qui ont disparus. Ses références littéraires sont variées : Kafka avec une valise volante, Wilde et ses chaussures, Virginia Wolf. Ses chœurs de sauterelles : 36 machines à écrire ou dans la version 2 : 4000 verres à pied qui s’entrechoquent sous l’effet des lattes du plancher qui jouent. Le mercure, les papillons, les plumes, des éventails de pinceaux, des creusets de liquide ; ses machines ne sont pas célibataires : même les marteaux se rencontrent, ou les scarabées. Sur une place de Naples, 333 cranes sortent du pavé et des auréoles s’éclairent dans la nuit.
Chez elle, des plumes peuvent évoquer la mort, et de froides tiges métalliques s’approcher d’une façon ténue des vibrations de la vie.
J'admire le travail de Rebecca Horn et trouve que votre article rend très bien compte de la poésie qui se dégage de son oeuvre.
RépondreSupprimerJean-Yves