mercredi 7 septembre 2022

Blois #1

Lors de notre arrivée dans le chef-lieu du Loir-et-Cher nous ne commençons pas par l’incontournable château.
Après nous être rendus à l’Office du tourisme (au pied du magnifique bâtiment), nous nous dirigeons vers l’escalier Denis Papin.
Construit dans le prolongement  d’une artère donnant sur le pont J. Gabriel, il en impose avec ses 120 marches et offre une vue dégagée sur la basse ville et les environs.
Depuis quelques temps, des artistes le personnalisent en tapissant les contremarches afin d’obtenir une œuvre visible de loin.
Ainsi, après une reproduction de la Joconde qui eut beaucoup de succès, cette année, des mots « musique » ou « arts »s’étalent en créant une illusion d’optique en fonction de l’emplacement du spectateur.
Ils rendent hommage à la Fondation du doute (musée d’art contemporain multimédia). Une statue de Denis Papin, inventeur de la machine à vapeur, contemple du sommet les gens qui s’activent.
Une fois les marches gravies,
nous poursuivons vers la Cathédrale Saint Louis
et la roseraie de l’évêché d’où nous jouissons d’une belle vue.
La Mairie avec ses plantations aromatiques accolées marque l’entrée d’une esplanade ombragée au-dessus du jardin aux roses en fin de floraison. Nous arrivons trop tard pour y déambuler mais pouvons l’apprécier de l’esplanade.
Nous redescendons vers la place Louis XII, le quartier des arts.
Puis nous marchons sur la rive le long de la Loire jusqu’au pont Jacques Gabriel.
Cet ouvrage a subi depuis sa création en 1716 les aléas de l’histoire de Blois. Plusieurs fois détruit, plusieurs fois reconstruit, il reste le dernier pont à dos d’âne à chevaucher la Loire.
Après avoir dîné dans une brasserie  (Les Arcades) place Louis XII, nous revenons flâner sur les berges tranquilles où trainent quelques hommes esseulés ou en petits groupes.
La lumière est douce, l’air léger, le fleuve s’écoule doucement.
D’un pas nonchalant nous remontons vers le château assister au son et  lumière.
Il est projeté sur quatre bâtiments d’époques différentes dans une magnifique cour intérieure.
Le public positionné  au centre bénéficie
d’une représentation à 360°.
Tout d’abord l’emblème de François 1er,  une salamandre, parcourt les murs, apparaissant, disparaissant se jouant des fenêtres et des reliefs des façades. 
Et quand enfin la nuit enveloppe suffisamment les lieux, le spectacle débute. Il nous raconte l’histoire du château depuis son 1er seigneur en passant par Jeanne d’Arc,
Louis XII (emblème : le hérisson) et Anne de Bretagne, 
François 1er, Henri III, Catherine de Médicis, l’assassinat du Duc de Guise, Louis XIII sans oublier Ronsard et Villon emprisonné dans les parages dont Wikisource nous dit:
"Dont les dens a plus longues que rasteaux.
Après pain sec, non pas après gasteaux,
En ses boyaux verse eau a gros bouillon ;
Bas en terre, table n’a ne tresteaux :
Le laisserez la, le povre Villon ?"
 
Bien que prisonnier de l’évêque, il bénéficie de la grâce du roi Charles VII, pour lequel il souhaite le bonheur de Jacob, la gloire de Salomon, la longévité de Mathusalem.
Comme si les murs nous parlaient de ce qu’ils avaient vu…
Notre chaumière plus modeste nous attend à Saint Gervais La forêt, bien situé et confortable.

 

mardi 6 septembre 2022

Moi, ce que j’aime, c’est les monstres. Emil Ferris.

Il serait temps, à mon âge, que je fasse connaissance avec les monstres ; le graphisme de ce volume mis en évidence à la bibliothèque Barnave m’a permis d’approcher cet univers.
A lire la biographie de l’auteure, devenue un « monstre sacré de la BD », je ne sais qui de la réalité ou de la fiction est le plus hors du commun.
Les dessins au stylo bille sont extraordinaires dans le style de Crumb pour le rendu des volumes, Sendak pour l’atmosphère familière qui met à distance l’horreur. Celle-ci se trouve moins dans les grimaces des fantômes et autres zombies que dans les sourires des gardiens des camps de concentration pour rassurer les enfants séparés de leurs parents.
Une petite fille raconte dans son journal intime sa vie avec sa mère et de son frère au sous-sol d’un immeuble de Chicago, au moment des assassinats de Kennedy et Luther King.
Comme elle entretient des relations difficiles avec ses camarades de classe, elle s’invente un univers foisonnant qui la détourne de la violence qui l’entoure. Elle découvre quelques vérités et se construit une identité à travers un rôle de détective. Les films d’épouvante et les magazines qui font peur l’inspirent comme les tableaux du musée fournissant au lecteur des points de vue originaux. 
La virtuosité du trait permet de surmonter les difficultés d’une lecture pas toujours facile pour dépeindre une réalité féroce. Cet épais roman graphique est étonnant.

lundi 5 septembre 2022

La nuit du 12. Dominik Moll.

Sur 800 enquêtes menées chaque année par la police, 20 % n’aboutissent pas (cold case).
Que ce récit policier soit tiré d’une histoire réelle n’importe pas vraiment, tant le propos amène à des considérations plus générales avec une efficacité dépassant la déploration evidente concernant les féminicides.
Le fait de ne pas trouver le coupable parmi tant de suspects interroge sur la responsabilité collective des mâles tout en montrant combien les hommes sont fragiles y compris parmi l’institution policière essentiellement masculine percutée par la violence faite aux femmes.
Le scénario nous tient en haleine, le casting vraiment au point nous fait croire à une immersion en milieu PJ sans superman, ni exclusivement « bourrin » : de quoi passer un bon moment de cinéma sans laisser au fond du sachet à pop corn toute sa tête. 
« Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.»

dimanche 4 septembre 2022

« Au bonheur des Mômes » 2022.

Le festival international du Grand Bornand consacré au jeune public fêtait ses 30 ans.
Familière de cet évènement depuis 2014, ma petite fille m’accompagne cette année de ses comptes rendus. 
Revenue de vacances en Bretagne, « Un Océan d’amour » ne pouvait la dépayser. Même si aucun mot n’est prononcé comme dans la BD dont la compagnie de la Salamandre s’est inspirée, le récit maritime farci de bruitages est limpide. 
Deux hommes plient des bateaux en papier et racontent l’histoire d’un couple qui vit en Bretagne. Le mari est pêcheur et un jour il ne rentre pas, donc sa femme commence à s’inquiéter, elle part à sa recherche vers Cuba… 
Ces petites embarcations fragiles mènent loin quand l’amour est là et se frayent leur chemin parmi les trainées sanguinolentes laissées par la pêche industrielle et les traces noires des porte-conteneurs.
« L’île au trésor ». Jim tient une petite auberge et rencontre un pirate qui a un coffre. Finalement celui-ci meurt à cause du rhum. Le moussaillon prend le coffre et là : Surprise ! Une carte au trésor ! Donc il part à l’aventure avec un équipage dont il est le mousse et il y a de nombreux périls, des trahisons etc… 
Un comédien et un violoncelliste font revivre à eux seuls l’épopée de Stevenson, pleine de bruit et de fureur, à hauteur d’enfant : quelques paires de bottes et une jambe de bois suffisent avec une gaillarde inventivité pour évoquer des aventures pourtant réputées compliquées.
«  Sage comme un orage ». La mère d’une enfant handicapée est morte. Un jour son père rencontre une nouvelle femme qui a un fils, et du coup la fille doit partager sa chambre avec son demi frère qu’elle n’a pas choisi… et finalement elle l’aime bien. 
Il faut du temps pour que deux êtres s’apprivoisent surtout que l’une attachée à sa lune, son handicap, semble tenir à sa solitude. Les mots, l’imagination, la bienveillance, vont permettre de surmonter les colères, les incompréhensions.
« Né quelque part »
Un jeune garçon Syrien vivait tranquille et là, PAF ! La guerre, la terrible guerre a éclaté, donc il a dû fuir son pays, traverser la mer en tout petit radeau à 30... et toutes sortes d’atrocités. 
Le garçon et sa famille arrivent sains et saufs dans un foyer à Paris ... 
Un contrebassiste met en scène des enfants avec leurs blagues, leurs souffrances et leur vitalité avec la chanson de Le Forestier comme fil conducteur. Le sujet dramatique est présenté simplement, clairement, sans pathos, sa représentation a obtenu un succès mérité.
«  Mines de rien » 
: Un jeune gars muet. Ses parents trouvent ça tellement étrange qu’ils l’envoient chez de  nombreux médecins mais : RIEN ! Ils l’emmènent donc dans un centre pour les enfants handicapés et leur enfant adore les livres. A la fin, ils découvrent qu’il n’y a rien à faire pour leur fils, qu’il suffit de l’aimer. 
La thématique du handicap est très présente dans ce festival. « La fabrique des petites utopies » aux talentueuses actrices avec marionnettes, masques, livres qui se déplient, belles inventions, raconte comment un enfant s’échappe du malheur, établissant un éloge des éducateurs bienvenu après tant de détresse, d’épreuves, de preuves d’amour pas gagnées d’avance. 
 « Comme une étincelle »
C'est un spectacle de magie en vidéo. Il y a plusieurs tours différents avec des ombres chinoises (fausses): homme canon, acrobates, danseuse, etc... et des tours réels , les cartes, les mouchoirs, les lumières...🎪
Pour « Le cirque des étoiles », la précision du soliste permet de faire jouer toute une ribambelle de circassiens de rêve. Il offre une pause parmi tant de problèmes abordés  par beaucoup de compagnies. Sa poésie entre réel et imaginaire n’est pas sans enjeu. Maintenant que le cirque et ses figures traditionnelles sont remis en cause, que la taille des équipes de comédiens se réduit, il est réjouissant de voir se perpétuer la virtuosité des funambules et l’inventivité des montreurs d’ombres.
Au fil des années le public enfantin de ce festival m’a semblé mûrir,  accessible d’emblée aux symboliques, répondant aux rites théâtraux, pressentant les silences, les ruptures, les conclusions. Si je me lance dans un éloge général des attitudes des enfants, je regrette que quelques  parents se fassent remarquer par leur exclusivité alors que d’autres regardent en l’air en cas de conflit.
Le succès de ce festival tient à la diversité des propositions des 87 compagnies assurant 588 représentations mais il n’est pas utile au créateur de ce rendez- vous proclamé « le plus tendre de l’été » de rabâcher des propos bien peu tendres envers ceux dont il ne respecte pas « la différence ». Des rassemblements, avec une telle densité nous étourdissent de bruits et de sollicitations. Ils n’échappent pas aux travers d’une modernité zappeuse où les éclats d’une fanfare peuvent perturber des moments ténus de grâce approchés par d’autres représentations où s’apprennent le silence et la lenteur.
«  Quels enfants laisserons-nous à la planète ? » est le joli titre du colloque tenu pendant ce temps par la psychanalyste Sophie Marinopoulos qui alerte sur « la malnutrition culturelle et le manque de liens qui menacent les plus jeunes ». La réponse à ces questions fondamentales, se gagne justement sous les chapiteaux multiples qui ont poussé là cette semaine, où s'activent les acteurs dont l'appellation tombe à pic. Une plus grande confiance en soi et en l’autre adviendra peut être depuis ces spectacles vivants, ces occasions d'activités ludiques. 
Cependant ces diagnostics pertinents risquent de se perdre sous quelques verbiages : « relation d’aimance à tout ce qui vit ». Et l'on peut se demander si les enfants du numérique seront détournés de leurs écrans, au-delà de ce séjour estival enchanté. 
Pour savoir que « le monde n’est pas à posséder mais à habiter », j’ai constaté aussi que des années d’éducation civique n’ont pas éradiqué les violences. Depuis que le mot « liberté » est brandi par ceux qui l’ont compris comme «  tout pour ma gueule », le catéchisme laïque que je me suis efforcé de servir connaît les dévoiements de ses ambitions quand il tourne à l’abandon avec « chacun fait ce qui lui plait ». Égoïsme et indifférence. L’éclosion d’une «  génération capable de colorer autrement notre avenir et le rendre enviable » ne se fera pas sans contradictions. 

samedi 3 septembre 2022

En été. Karl Ove Knausgård.

A l’orée de la saison où les livres, surtout avec un tel titre, s’invitent à l’ombre, l’évocation de Francis Ponge à propos de l’auteur scandinave à succès m’a décidé. Je ne regrette pas mon choix, même si des chapitres évoquant « les coccinelles » ou « les arroseurs automatiques » me rappellent davantage Philippe Delerm que le poète minutieux auteur du « Parti pris des choses ».
Il faut bien 410 pages pour apprécier la diversité d’une écriture cherchant l’intégrité.
La chronique quotidienne d’une vie à la campagne nous rend familière sa famille où jamais l’émerveillement face au monde ne s’affranchit de la réalité, quand la fragilité d’un bouleau se remarque « juste à côté de l’endroit où je gare ma voiture ».
Son humour m’épate : après avoir refusé une deuxième glace à ses enfants, il va s’en acheter une pour lui tout seul.
L’observation des « groseilles » ou des « moustiques » l’amène à des considérations aussi évidentes que : 
« Ce n’est pas parce qu’un idiot habite en Norvège que la Norvège est un pays idiot ».
Une histoire d’amour aussi discrète que violente amène du romanesque dans cette recherche des mots justes nés du quotidien.
Et ce spécialiste du peintre Edvard Munch peut nous embarquer loin, sans pontifier, lorsqu’il nous fait connaître «  Baptême à l’église » d’Harriet Backer : 
« Le nouveau né qui fait encore partie de la nature mais qui bientôt intégrera la culture, n’est pas non plus ce à quoi je pense quand je regarde ce tableau, bien que cette notion soit bien sûr présente… »  
J’aime l’incertitude, les nuances.
Entre deux chapitres  consacrés à « la pluie d’été » ou au « batteur électrique », au « cynisme » ou aux « répétitions », les aquarelles d’Anselm Kiefer, que j’ai connu plus noir et monumental, viennent aérer un volume à la fois riche et léger. 
Je vais rechercher les trois autres saisons puisqu’il s’agit du dernier volume d’un quatuor.

vendredi 2 septembre 2022

Éléments de langage

« Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé »
:
les avertissements publicitaires venant contredire leur message initial, peuvent lasser tant ils sont répétitifs : après de nombreuses incitations à acheter une voiture (électrique), il est recommandé de ne pas l’utiliser : 
«  Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo »,
l’alcool, bien sûr, est « à consommer avec modération », 
par ailleurs « Jouer avec excès comporte des risques » 
et le pire est promis aux fumeurs dans le monde entier.
Tant d’évidences deviennent un fond sonore que nous ne percevons plus, elles participent  à nos « troubles dissociatifs de l’identité » et pour le moins aux hypocrisies régnantes.
Dans le domaine politique, si bavard où toute parole soupçonnée de n’être qu’« élément de langage » a du mal à se faire entendre, les silences tonitruants concernant l’agression dont a été victime Salman Rushdie apparaissent dans toute leur lâcheté.
Pour revenir sur un petit fait de campagne électorale qui m’a paru grave car se trouve affaiblie la parole anti-raciste quand elle est mise à toutes les sauces. Il s’agit de la polémique où apparait Clémentine Autain vis-à-vis de Taha Bouhafs. Celle là pour couvrir les accusations d'agressions sexuelles de celui-ci, amené à renoncer à sa candidature, avance l’argument d’une campagne raciste : c’est déplorable ! Quand ceux qui se proclament les meilleurs défenseurs des opprimé.e.s contribuent ainsi sans vergogne à affaiblir la parole publique, notre regard concernant notre société ne peut que s’assombrir.
Dans ce tableau pessimiste où l’outrance et la dérision n’arrivent pas à détourner les nuages des incendies allumés par nos semblables en Gironde, en Ukraine, au Mali, bien dérisoires peuvent apparaître les contradictions de ceux qui ne veulent pas « perdre leur vie à la gagner » tout en ne cessant de mesurer la qualité d’un travail à sa rémunération. 
« Il y a un temps pour tout, un temps de pleurer, un temps de rire, un temps à se lamenter et un temps de danser. » L’Ecclésiaste
Pour se la jouer plus solennel, j’élargirais la perversité et la faiblesse aux hommes en général quand ils dévoient les religions en machines à interdire la moindre mèche de cheveux et les sourires à leur égard.
Les avis des enfants parfois portés à bout de bras devant les fusils ennemis ou montés sur un piédestal, semblent désormais venir de cieux incontestables tant les vieux ont abandonné leur rôle de transmission.
Le passé s’est effondré, et dans les couinements de nos fours impérieux, de nos horloges pressantes, le temps s’accélère. 
« Pendant que je parle, le temps fuit. » Cadran solaire
Les deux dessins proviennent du journal "Le Point".
 

jeudi 1 septembre 2022

Eva Jospin. Nisa Chevènement.

Cet été nous avons apprécié les œuvres  de deux sculptrices, l’une fille de Lionel J., l’autre femme de Jean-Pierre C. Les convictions de ces deux personnalités s'étaient affirmées jadis bien
loin des vociférations des perroquets et autres roquets populistes de 2022.
Au domaine de la Garenne-Lemot à Clisson à côté de Nantes, Eva Jospin expose ses cartons  jusqu’au 18 septembre 2022.
Ses travaux au Louvre et au musée de la Chasse à Paris ont installé une notoriété méritée par l’originalité des matériaux utilisés à une échelle monumentale et ses choix esthétiques qui renvoient aux mythologies des forêts.
Le banal carton d’emballage  devient décor mystérieux 
où des architectures subsistent parmi des arbres rêveurs.
L’imagination de la créatrice nous enchante.
La nature ne s’oppose pas à la culture et ici la minutie du travail rapproche l’artisanat de l’art.
Nisa Chevènement
était accueillie au château de La Rochefoucault 
en Angoumois (Charente).
La renommée de la native du Caire a dépassé nos frontières 
bien que ses amas informes d’où émergent des formes humaines aient déjà été vus.
Pourtant sous les voutes séculaires la vitalité des sculptures de bronze 
surgit de l’engourdissement, la finesse s’extirpe de la grossièreté.
C’est encore meilleur quand le hasard met sur notre route des occasions 
qui nous mènent à la découverte de personnalités nouvelles.