dimanche 26 juin 2022

Une histoire de foot.

Ci-dessous, le discours que j'ai prononcé lors de la fête de l'association sportive de mon village natal, Le Pin dans l'Isère.   
« Le peu de morale que je sais, je l'ai appris sur les scènes de théâtre et dans les stades de football, qui resteront mes vraies universités.» 
Je ressors la formule de Camus dont j’ai usé dans des milieux où il était de bon ton de prendre les footeux de haut, réduisant ce divertissement pour « manchots » à « des smicards qui applaudissent des millionnaires ».
Pourtant le sport le plus universel demeure un des espaces où s’exprime naturellement la diversité.
Le temps d’une troisième mi-temps, en 1998, notre pays s’est aimé en « black, blanc, beur ».
Depuis tant de dimanches, nous savions les bienfaits de porter les mêmes couleurs : paysans, maçons, bouchers, étudiants, ouvriers, employés …Le ballon rond fournit bien souvent un lieu commun de discussion, de distinction, d’amusement.
Nous savons bien ce qu’est un « petit pont » et que les « balais » ne sont pas réservés aux techniciens de surface, surtout quand celle-ci est de réparation.
Les terrains soignés derrière leur limites de sciure, mais souvent bosselés, boueux, gelés, semés de pierres, nous ont confirmé où se situaient les Terres Froides, mais quand la saison des tournois de sixtes arrivait, le printemps en était renforcé.
La seule légitimité qui me permet de m’exprimer devant vous vient de mon père qui consacra une partie de sa vie à l’ASP, parce que le foot c’est aussi une affaire de transmission.
Les générations parlent un même langage autour de la pelouse, retrouvant une part d’enfance quand la joie ou la peine s’en donnent à cœur joie.
Je me souviens des tuiles en carton qui avaient été vendues pour financer la construction des vestiaires du stade du Vernay, bien que dans notre ingrate jeunesse nous avions été  fatigués des rappels héroïques qui se tassaient dans « la camionnette à Boulord », premier moyen de transport dans les années 40. Nous chérissons aujourd’hui ces souvenirs.
L’ASP était un lieu où les Jurassiens de la laiterie se faisaient connaître, où un Gascon pouvait se faire entendre. On a même vu des Savoyards ou des natifs de Montferrat prendre place autour de la main courante du coquet stade du Vernay.
Rêver de Kopa, Platini, vous pousse aussi à grandir.
Nos indignations envers des subjectivités arbitrales ne pouvaient se cacher derrière des écrans désormais peu avares d’AVAR. L’injustice, donc la justice, était humaine.
Depuis que des poteaux carrés sont venus se mettre en travers de nos verts espoirs, nous avons pu apprendre les caprices du destin et cultiver un brin d’humour.
Le foot est  bien entendu un révélateur des mécanismes économiques de la société et une caricature de nos fonctionnements quand plusieurs millions de sélectionneurs sont persuadés de détenir la bonne formule.
Le foot fut dans mon métier, au-delà des connivences et des métaphores, un outil pédagogique dont j’ai usé auprès des élèves et je me suis fait tout petit, quand j’ai pu saluer dans une travée de stade au Cameroun, Salif Keita dit « la perle noire » dont l’histoire valut un livre et un film : « Le ballon d’or ». Arrivé à Orly, il avait commandé un taxi pour Saint Etienne comme on commande un taxi de brousse : le prix de la course a pu être amorti.
Ce ballon si lourd quand il était gorgé d’eau, offre l’occasion de mesurer les évolutions de ce qui fonde la notoriété. La salle des fêtes de Le Pin pouvait recevoir Albert Batteux qui fut un des entraineurs des plus célèbres d’Europe : le corner à la rémoise, les relances à la main de Dominique Colonna…
Alors que la société sportive de Le Pin fut montée par des militants de l’éducation populaire pour éloigner la jeunesse des bistrots présents à la sortie de la guerre dans chaque hameau, le rassemblement d’aujourd’hui ne manquera pas de nous faire trinquer à nos retrouvailles.
Je transmets le micro, façon de célébrer le geste décisif de la passe, en sautant par-dessus les années qui nous ont parfois séparés pour refaire le match. 
J'avais marqué mon admiration pour le travail de Michel Chavand, Jean Jacques Chollat, Dominique Ratel, Pierrot Monnet, Françoise Vittoz, Daniel Revol qui depuis deux ans ont mis tout leur dévouement, leur obstination, leur créativité dans une organisation de pro pour assurer le succès de ces retrouvailles et  apprécié les photos de Robert Guillaud et les talents d'animateur de Jacques Prieur.

samedi 25 juin 2022

Noir. Sylvain Tesson.

Le volume noir est épais, 290 pages, le sujet incontournable : la mort. 
« La mort est l’aphrodisiaque de la vie » 
L’auteur médiatique a recueilli quelques citations qu’Internet peut fournir à la pelle : 
« Ni le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement. » La Rochefoucault
En introduction quelques images par écrit sont plus jolies que ses croquis de pendus et de désespérés, le pistolet sur la tempe qui tiennent les 5/6 du livre. 
J’avais commis ce genre de croquis à une époque de ma vie, je les avais jetés ; j’ai voulu voir les siens, il aurait pu faire de même. 
« Le pendu est le fil à plomb de la mort […] il pend parallèle au tronc. 
L’arbre pleure alors une larme humaine. » 
Des cordes de pendus vibrionnent tels des spermatozoïdes,
une vendeuse dans un magasin devant une corde demande : «  C’est pour offrir ? »
Sous ses parents pendus une petite fille implore : « Et moi ? » 
Quant à certains jeux avec les mots autour de corde, arbre, au-delà de la platitude, ils enlèvent de l’épaisseur au propos : 
« Mettre les pendus à l’heure », «  vous voulez vous inscrire dans quelle branche ? » ou « il avait des attaches dans la région ».
 Il n’y a pas de quoi faire comme l’auteur de « Vive la vie » qui s’apprête à se suicider en découvrant les chiffres de vente de son livre, mais il me semble que le meilleur était dans le dessin de couverture et que tout ce qui vient après tient du remplissage risquant de détourner des lecteurs d’autres productions plus roboratives.

vendredi 24 juin 2022

Réactions.

Je vais essayer d’éviter de régurgiter des analyses politiques estimées dans la période conformistes et répétitives bien que recherchées en de sources variées.
Alors que beaucoup de pronostics ont été déjoués, le même aplomb journalistique est de mise, hormis au détour d’une discrète autocritique d’un chroniqueur faisant part après coup de réflexions entendues lors de la campagne des législatives. Les propos concernaient les détrousseurs de supporters lors des incidents du stade de France, minimisés par le ministre de l’intérieur et les médias.
« Le populisme » s’est tellement installé dans le paysage qu’il n’est même plus nommé, alors que le terme de « macronie », aux connotations  dédaigneuses, répété à l’envie, sort de la description neutre d’un groupe : « Ensemble ! » Les « mélenchonistes » font partie du lexique mais le terme « mélenchonie » est absent alors que gendre et compagne sont dans le casting et les anciens trotskistes lambertistes influents.
Je ne vais pourtant pas crier au complot médiatique au moment où mes favoris sont défaits et ne renierai pas mon respect du verdict des urnes que les bénéficiaires d’aujourd’hui ont pendant des années foulé au pied en contestant tout au long du mandat précédent la légitimité des élus.Tous les médias ne suivent pas les vents dominants et n’atteignent pas les sommets locaux où télé, web et quotidien papier répercutent essentiellement la voix du maître de l’heure jusqu’à vanter l’action contre les tags d’une municipalité qui visiblement les encouragerait plutôt.
Lors de son essor, Emmanuel Macron a bénéficié de la vague du « dégagisme » qui atteint aujourd’hui ses partisans, essorés. Olivier Véran a certes été réélu mais bien des électeurs désireux d’oublier les épisodes COVID n’ont pas été reconnaissants de ses capacités à impulser une réponse satisfaisante à la pandémie.
La frénésie déconfinée affronte tous les travailleurs derrière un guichet, l’impatience décomplexée devient endémique, les masqués excités des réseaux submergent nos mémoires. La tendance à prendre leurs propres perceptions pour la réalité n’est pas qu’un symptôme poutinien.
Des positions du président de la République prouvant une certaine souplesse ont suscité des oppositions zigzagantes indéfectiblement contre, ne pouvant être qu'antinomiques à leur tour. Le « Quoi qu’il en coûte » n’a pas rien coûté.
Les contradictions commencées avec les gilets jaunes réclamant à la fois moins de taxes et plus de service se dupliquent chez les promoteurs d’une essence moins chère qui professent par ailleurs la sobriété énergétique. Un signe égal apposé entre le président de la République et l’héritière Le Pen confirmait la banalisation de celle-ci et la diabolisation de celui-là.
L’habitude de battre sa coulpe sur le dos des autres signe un manque de courage et de lucidité, de plus elle érode toute crédibilité. Les succès de l’extrême droite sont dus à leur propre habileté et aux insuffisances de leurs opposants cantonnés dans la déploration ou l’invective.
Les internationalistes devenus souverainistes savent bien qu’en dehors de nos frontières «  la bête immonde » se porte de mieux en mieux. 
« Comme nous ne sommes pas sûrs de notre courage, nous ne voulons pas avoir l'air de douter du courage d'autrui. » Jules Renard.
Il y a parfois plus à prendre dans des conversations de bistrots qu’aux comptoirs éditoriaux.
Je ne savais pas que bien des fêtes, mariages se tiennent désormais sans enfants ; est-ce la proximité géographique du lieu où la petite Maëlys a été tuée qui installe de nouvelles modalités dans les festivités du bas Dauphiné ? 
Au-delà d’une perte de convivialité, une distance plus grande s’installe entre générations, et même si les repas peuvent paraître interminables, c’est encore moins de transmission. On en viendrait à chérir l’ennui enfantin lors de ces journées d’été où pouvaient se saisir des mystères adultes. J’allais faire l’éloge des reptations sous les tables, quand j’ai vu se profiler d’équivoques images, l’innocence s’est enfuie. 
« Toutes les choses vraiment atroces démarrent dans l’innocence. » Ernest Hemingway

jeudi 23 juin 2022

Albert V de Bavière. Daniel Soulié.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble nous a fait connaître le duc de Bavière qui régna de 1550 à 1579, souverain et collectionneur.
Ses portraits à 17 ans puis à 27 ans sont peints par Hans Mielich.
Sa famille Wittelsbach, celle de Sissi, régna avec constance pendant 750 ans, jusqu’en 1918. Les princes aux pouvoirs régaliens se passaient de l’autorité impériale dans le Saint Empire Romain Germanique. Division des territoires, réunifications se succédèrent et au moment des héritages, il convenait de distinguer duc de Bavière et duc en Bavière.
Guillaume IV, son père, avait réunifié la haute et la basse Bavière;
Munich était plus provinciale que la cité de Landshut, lieu de résidence
où fut  construit le premier château renaissance au Nord des Alpes.
Albert V
dit « Albert le Magnifique » voyage beaucoup et fait un beau mariage avec Anne de Habsbourg dite Anne d'Autriche (à ne pas confondre avec la femme de notre Louis XIII), la fille du « roi des Romains », frère de Charles Quint. 
« Albert V et sa femme Anne jouant aux échecs » par Hans Mielich.
La paix d'Augsbourg en 1555 avait renvoyé chaque région à la religion de son prince.
« Duc Albert V de Bavière avec sa famille » Hans Mielich 
Résolument catholique, Albrecht V renforce la puissance de son duché sur le plan économique, politique, artistique.
Dans la résidence de Munich, il fait construire l’Antiquarium (66 m de longueur) pour recevoir 800 sculptures antiques, le plus grand cabinet de cette catégorie après les collections papales, dont les bustes constituent une majestueuse galerie des ancêtres.
Les décorations imitées de l’antique par des motifs de grotesques, qui ne sont pas ce que l’on croit, vinrent plus tard. 
Il initia la plus importante bibliothèque d’Europe après celle de France, 10 millions de volumes aujourd’hui, à partir de ceux du banquier Fugger.
Une collection de pièces de monnaie, de médailles, comprend actuellement 300 000 objets.
L'Alte Münze (Ancienne Cour des Monnaies) servant à l'origine pour les écuries ducales a gardé ses arcades renaissance.
Des services provenant de Faenza (faïence) en majolique (Majorque), bijoux, orfèvrerie, constituent le trésor inaliénable de La Résidence de Munich composée de 130 salles autour de 10 cours.
Ayant subi de nombreux incendies, bombardée pendant la seconde guerre, les restaurations se poursuivent, des œuvres avaient été préservées.
La riche statue de Saint-Georges porte les lions présents sur les armoiries bavaroises.
La Bataille d'Alexandre
qui eut lieu dans le delta du Nil d'Albrecht Altdorfer (1529) est exposée à la Pinacothèque de Munich.
Avant que les guerres de religions (guerre de 30 ans) mettent en sommeil la création artistique jusqu’au XVIII° siècle, Hans Mielich avait peint 90 tableaux constituant le rétable d’Ingolstadt affirmant l’importance des universités où enseignaient les jésuites.
Une miniature montrant, «  le prince de la musique » d’alors, Roland de Lassus présentant sa chapelle de musique au duc Albert V de Bavière, renseigne bien sur les formations musicales de la Renaissance.
Honoré par le pape, sollicité par toutes les cours, le wallon disait : 
« Je ne veux pas quitter ma maison, mon jardin, et les autres bonnes choses à Munich »

mercredi 22 juin 2022

Go West, young man. Tiburce Auger.

Le sujet se prêtait bien à l'idée de réunir 16 dessinateurs autour d’un scénario qui conte les histoires des possesseurs successifs d’une montre : 
 ils nous entrainent des grands lacs au désert du Nouveau Mexique, en chariot ou en bateau à aube, à cheval avec flèches ou pistolet.
Guerre de Sécession, guerres indiennes,  trappeurs, bandits et prostituées, fermier et messager du Pony express, Géronimo et Pancho Villa : tout est en place pour une fresque épique ressuscitant le western.
Sont aussi évoqués misère, épidémies, racisme, génocide indien, condition des femmes.  
Mais la cavalerie arrive à point nommé comme quelques notes d’humour bienvenues entre deux fusillades, le temps que retombe la poussière.
Une révision dynamique en 111 pages pour 175 ans d’histoires : c’est cadeau !

mardi 21 juin 2022

Des vivants. Raphaël Meltz Louise Moaty Simon Roussin.

Il s'agit d'une reconstitution historique de l’activité du « réseau du musée de l'Homme », l’un des premiers à entrer en résistance dès juin 1940, en cohérence avec les valeurs de ce lieu destiné au grand public : 
« pour prendre conscience de la vaste communauté mondiale, si diverse et pourtant une ». 
Les textes de la bande dessinée aux couleurs lilas, amande et orange sont rédigés à partir de lettres, souvenirs des protagonistes. 
« Il y avait encore des français, oui. Alors qu'il n'y avait plus de France. » 
Anatole Lewitsky et Boris Vladimirovitch Vildé feront partie des 7 fusillés au Mont Valérien en 42, ils ont été dénoncés.
L’originalité de ces 260 pages nous fait partager la sidération initiale des personnages, et comprendre progressivement les activités de ce groupe : évasion de prisonniers, propagande, renseignements. Si la partie dessinée peut paraître parfois énigmatique, des notes très précises et développées en fin de volume pourront satisfaire les plus curieux qui retrouveront des écrits  de la célèbre ethnologue, Germaine Tillon, aujourd’hui au Panthéon, qui avait survécu aux camps comme la bibliothécaire Yvonne Oddon déterminante dans cette aventure.
Habile et forte contribution à des réflexions d’actualité. 

lundi 20 juin 2022

Caravaggio. Derek Jarman.

Triangle amoureux autour du peintre de la Renaissance génial et mauvais garçon en 1h ½.
Pour mieux connaître l’œuvre de Michelangelo Merisi da Caravaggio mieux valent des conférences aux amis du Musée de Grenoble où était projetée cette "proposition artistique". 
Quant aux interprétations, une BD même un peu lisse est plus belle 
que ce film expérimental  sorti en 1986 après sept ans de gestation.
Rien ne vieillit plus rapidement que les touche - à - tout - avant - gardistes pouvant toujours se réfugier devant la maigreur des moyens alloués, bien que dans la catégorie «  films fauchés » certains aient pu se hausser sous la contrainte. Dans le genre expression personnelle sur fond historique, une séquence de Kamelot recèle plus de finesse, d’originalité et bien sûr d’humour que cette pochade arty.
Au moment où les biopics deviennent un genre hégémonique; le film datant de 1986, un retour 40 ans en arrière aurait pu avoir ses charmes. Mais aucune vérité historique n’est suggérée sous une avalanche d’anachronismes, quand homosexualité ou soucis économiques des artistes sont accaparés par le réalisateur pour parler de lui. Comme le compagnon muet du peintre appelé Jerusaleme, nous en restons cois. 
Le texte aux prétentions poétiques accentue l’artificialité du jeu des acteurs dignes de tourner dans quelque télé film érotique, sans charme et d’une audace apprêtée. 
Des reconstitutions de tableau qui égayent le film peuvent se voir en brochettes de mèmes bien plus dynamiques sur nos téléphones. 
Pour cet épisode romain d’une vie qu’il vaut mieux imaginer plus passionnée car ici elle est sans émotion, d’autant plus que les acteurs anglais parlent leur langue, enfermés dans un entrepôt, ténébreux. Il fallait bien ça pour parler du père du « ténébrisme ».