samedi 5 février 2022

Depuis que je vous ai lu je vous admire. Catherine Sauvat.

« Ah les écrivains !
On s’interrogerait presque sur la persistance du pouvoir d’attraction qu’ils exercent encore à notre époque, si impatiente, où la brièveté et l’immédiateté du message priment sur sa qualité et sa densité. Et pourtant, il suffit de voir les files devant certains auteurs en signature pour en comprendre le phénomène, comme si les approcher permettait de sentir sur soi les lueurs de leur renommée. »
 
Le titre était prometteur, quand hors tournées de promotion, nous sommes tellement sevrés d’exercices d’admiration.
« Gide a visité Verlaine. Qui a visité Hugo. Qui a visité Chateaubriand. Tant qu’il y aura des écrivains, leurs émules chercheront à entrouvrir leur porte. Qui sait si un jour, s’étant à leur tour rendu admirables, d’autres n’entrouvriront pas la leur ? » 
Les critiques du « Masque et la plume » nous avaient mis en appétit. Mais comme parfois tout m’a semblé contenu dans la bande annonce qui avait tout dit de la diversité de ces rencontres. 
«  On cherche l’adoubement dans le regard du grand homme. Un battement de cils suffit pour se sentir élu. La phrase la plus anodine est à graver dans le marbre. Parfois la magie opère pour de bon. Henry Miller envoie son livre à Cendrars, qui le lit sur-le-champ, et sonne directement chez son auteur. Entre Truman Capote et Colette, alors âgée et alitée, l’entente est immédiate. Françoise Sagan, témoin de la tendre amitié qui lie Tennessee Williams à Carson McCullers, n’en croit pas sa chance. » 
La biographe appuyée sur une documentation solide multiplie les chapitres pimentés d’anecdotes, mais je n’avais pas assez d’éléments concernant les auteurs anglo-saxons pour apprécier totalement les récits de l’entrevue de Christopher Isherwood et E.M. Forster, comme j’ai pu savourer la rencontre de Casanova et Voltaire : 
«  Etes vous venu ici pour me parler, ou pour que je vous parle ? » 
Les différences d’âge peuvent accentuer les déceptions mais ne pas faire obstacle à des collaborations voire des amitiés.

vendredi 4 février 2022

Trop.

Je peux regretter la violence des temps et ne pas hésiter à lancer quelques coups de patte épistolaire plus souvent qu’à mon tour. Je râle constamment contre les analystes de pacotille qui ne soupçonnent que de noirs desseins derrière toute décision, pour plonger aussi sec dans la généralisation hâtive.
Lister ainsi ces contradictions vise à mettre le masque de la lucidité, de l’honnêteté à des faiblesses qui appellent l’indulgence de mes semblables. Je satisfais mon  appétit des paradoxes et une propension au « en même temps » qui se donne les illusions de maîtrise tous azimuts dans un monde ayant perdu le Nord. Noire est la nature humaine et mes mains ne sont pas propres.
Les prophètes du « monde d’après » qui ont prêché par écrans interposés n’ont pas vu que sous leurs yeux le numérique avait permis d’avancer pour contrer le virus avec le pass sanitaire et permis à l’économie de moins souffrir avec le télé travail, les services en ligne, culturels, éducatifs, marchands, d’information, sanitaires, à foison. Ces outils numériques sont devenus tellement ordinaires qu’on en oublierait qu’ils ont permis aussi une réponse éclair à la pandémie seulement freinée par des superstitions séculaires. L’intelligence côtoie la bêtise, la générosité, la bassesse. Ainsi loin des intentions généreuses des babas de la Silicon Valley, Internet est devenu le lieu des fake news et un moyen de diminuer, harceler son prochain.
Et que dire de nos compatriotes qui ne supportent ni éoliennes ni mines pour extraire les produits nécessaires aux voitures propres qui leur sont proposées ?
Par nos indignations de W à Z vis-à-vis de Woke ou Zemour, n’avons-nous pas contribué à leur notoriété même si le déni par rapport à leurs succès esquive toute réponse ? De près ou de loin, d’aucun ne veulent voir les avantages du « quoi qu’il en coûte » et ne retenir que les périodes d’esclavage pour les pays qui l’ont aboli. Ils n’envisagent pas ce qui est ponctionné à la sécurité sociale, pas plus qu’ils ne reconnaissent les avancées de la condition des femmes alors qu’ils excusent leur mise sous l’éteignoir sous prétexte de religiosité.
J’avais assisté, il y a cinquante ans de cela à l’arrivée depuis l’Afrique noire de l’expression « trop » à la place de « très » et ne voyais là qu’une couleur sympathique de plus dans nos façons de parler. Aujourd’hui nous exagérons, dramatisons, et nos échanges s’avèrent difficiles: « Castex assassin ! », Mélenchon se « bigarise», un graffeur mélange tout et insulte les déportés... 
Dans la boite à consoler, je cherche quelques mots pour triturer leurs racines et en extraire quelque huile essentielle adoucissante : « délié » dont j’aime les arabesques suivies de quelque « plein » pourrait nous fournir une idée de fluidité dans les rapports sociaux, mais va vite vers la rupture, le délitement. De tels contrastes tiennent au fil d’une plume joliment mais peuvent tout autant faire tache.
Il est des mots plus exigeants, mais plus inaccessibles que jamais : la confiance. J’écoute mon médecin, mon garagiste, mes proches, j’ai les amis que je mérite et la nation à laquelle j’appartiens a choisi, ses chefs : de l’état, son maire, et avec mes voisins un syndic de copropriété… 
Qui suis-je pour juger ce prof qui exerce en 2022 alors que je fus de la partie jusqu’en 2005 ? Je ne m’empêche pas quand même de mettre mon grain de sel tout au long des semaines pour livres et films, regrettant pour les spectacles vivants le conformisme reproducteur ad nauseam des éléments de langage de services de presse. Facebook est le repaire de ces copieur/colleur qui entre deux binettes hilares ou dégueulantes ne s’expriment  dans les commentaires que par jets brefs.

jeudi 3 février 2022

Chaïm Soutine. Marie Ozerova.

La conférencière devant les amis du musée de Grenoble 
a donné d’emblée quelques précisions à partir d’un premier « Autoportrait » de l’inclassable artiste né près de Minsk (Biélorussie) en 1883 ou 84. La présence d’un personnage au dos de la toile rappelle les difficultés de Soutine à accepter que quelqu’un le regarde travailler et d’autre part la grande misère qui le conduisit à peindre sur des toiles déjà utilisées.Il est le dixième enfant d’une famille de onze très pratiquante dont le père était ravaudeur. La religion juive interdisant toute figuration, il est roué de coups quand il représente un rabbin.
« L’homme au chapeau » n’est pas le portrait en question, car il ne reste aucune trace de ses travaux de jeunesse, mais ce témoin d’une religion exigeante, aux mains puissantes, garde aussi en fond les dorures des icônes orthodoxes. 
Sa vie est aussi difficile à Vilnius (Lituanie), où ses parents lui fournissent un pain par semaine, qu’à ses débuts à Paris.
Les fourchettes se tendent avidement vers les poissons dans  « Nature morte aux harengs ». Il arrive en terre promise, dans le quartier du Montparnasse qui vient de supplanter Montmartre,  soutenu par Chagall et celui qui deviendra son ami, Modigliani.
Il fréquente les musées, « Le bœuf écorché » de Rembrandt le fascine. 
Sous le même nom il produit une série, elle le fâche avec ceux qui l’hébergent, quand il entrepose des carcasses impropres à la consommation arrosées de sang frais. 
Ses natures mortes insistent sur l’issue de la vie et reflètent sa pauvreté.
« Les Perdrix au volet vert »
Les
 « Glaïeuls » finissent fanés. 
Il détruit de nombreuses toiles. Il signe parfois mais ne date pas ses portraits qu’il nomme « figurines ». Il est en phase avec Picasso , tous deux considèrent Cézanne comme leur père à tous et pense que l’art n’est pas fait pour décorer.
Il ne se ménage pas dans un autre « Autoportrait »
pas plus qu'il ne ménage un de ses hôtes
« Portrait du sculpteur Oscar Miestchaninoff » bien calé dans son fauteuil.
« La femme folle » entrevoit un monde au-delà de notre vie quotidienne.
Au bord de la Méditerranée, il multiplie les paysages :
« La maison blanche ».
L’
« Arbre au vent » possède des racines solides et des branches énergiques.
Les maisons sont fragiles prises dans le mouvement circulaire de la nature
 
« Paysage avec maison et arbre ».
Devant «  Le petit pâtissier » (1922/23) le collectionneur Barnes a un coup de foudre.
A partir de ce moment là, « le peintre maudit » voit le prix de ses œuvres multiplié par dix.
Le « Portrait de Madeleine Castaing » (1929) une de ses mécènes,
parait presque sage en regard de «  La déchéance » (1920/21),
alors que l’ « Enfant de chœur » (1927/28) exprime la sérénité du croyant.
« La colline à Céret »
se cabre, la terre est houleuse. 
Il meurt en 1943 miné par un ulcère à l’estomac.
Des historiens de l’art discernent chez l’ « emmuré vivant dans la peinture » un précurseur de l’expressionnisme.
« Le marchand Sborowski rapporte de Soutine : « Savez-vous comment il peint ? Il s’en va par la campagne où il vit comme un misérable, dans une sorte d’étable à cochons. Il se lève à trois heures du matin, fait vingt kilomètres à pied chargé de toiles et de couleurs pour trouver un site qui lui plaise et rentre se coucher en oubliant de manger… C’est la lumière d’avant l’aube que cherche Soutine. L’instant où la nuit bascule dans le jour comme basculent les éléments de ses tableaux. Il ne trouve le regard juste, la juste maîtrise de sa main, de son pinceau, qu’au terme d’une immense fatigue physique, comme certains mystiques ne trouvent la révélation et la jouissance qu’au terme d’une souffrance extrême  »

mercredi 2 février 2022

Rouffach. Neuf Brisach.

Nous renonçons à la visite du château d’Isenbourg,
excentré et actuellement  hôtel restaurant de charme.
Par contre nous longeons les remparts et le parc des cigognes. Sa création fut décidée pour enrayer leur disparition dans les années 70. Cette pouponnière, voire asile, recueille les oiseaux sous des filets protecteurs où les pensionnaires disposent de nids sur des mâts plus ou moins hauts et d’espace pour voler.
Leur captivité est  temporaire, ils sont destinés une fois relâchés à assurer la propagation de l’espèce en Alsace, et même à se sédentariser.
Toutes les caractéristiques de la région sont finalement réunies à Rouffach : 
urbanisme avec bâtiments religieux et sociaux dans la même sphère, architecture (moins de colombages cependant), oriels,  présence d’une synagogue, cigognes, importance de la vigne, traditions... 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2022/01/eguisheim.html
La visite du village terminée et avant de quitter les lieux, nous déjeunons à la « Table saisonnière » sur les recommandations de notre logeuse. 
L’établissement est tenu par sa sœur. A peine installés sur la petite terrasse dans la ruelle, une pluie inattendue et drue se déverse sur nous, les parasols ne parviennent pas à contenir le déluge de l’orage. Le repli pour tous à l’intérieur s’impose dans la bonne humeur. Nous choisissons une salade au munster chaud  pour l’un, une salade de magret et foie gras  pour l’autre version entrée, les mêmes assiettes proposées en plat disposent de portions trop copieuses pour nos appétits. En dessert, je teste la glace vosgienne confectionnée de myrtilles tièdes, de glace à la vanille, de meringue et de chantilly  Guy se contente d’une crème brûlée. La maison offre le café, grâce à L.
Durant le repas, l’orage s’est éloigné et si le soleil n’apparait pas, nous pouvons maintenant circuler sans parapluie pour retrouver la voiture. Nous programmons le GPS pour la prochaine étape : NEUF-BRISACH à une distance assez proche.
Nous parvenons sans difficulté à stationner en plein centre, place de la Mairie.
Cette ville militaire et frontalière construite par Vauban a obtenu son classement  au patrimoine mondial de l’Unesco en 2008. Son célèbre concepteur l’a équipée de remparts en éperons défensifs disposés en cercle, soit 16 pointes qui hébergent des abris pour les canons. 
Seules des photos de vue aérienne donnent une idée des contours originaux  de cette enceinte. A l’intérieur des murailles, un quadrillage strict des rues  partage l’espace de la forteresse. Une place d’armes centrale accueillait les parades militaires mais aussi les marchés. Quant à la statue de cigogne qui l’occupe aujourd’hui elle n’exprime rien de belliqueux.
Le MAUSA (Musée d’Art Urbain et de Street Art) installé dans les galeries sous les remparts mélange sa modernité à ce lieu d’histoire.
Des artistes urbains de renommée internationale s’y succèdent régulièrement pour peindre les murs souterrains.
Bien que méfiants, ce que nous voyons nous surprend agréablement, loin des gribouillis et des tags dénaturant habituellement les villes.

Des graffs habilement dessinés dans des styles et des univers très variés s’adaptent  aux configurations des salles sombres et des galeries fraiches qui les relient. Pour nous renseigner, un personnel enthousiaste et compétent sait transmettre sa motivation notamment aux plus jeunes. En résumé, nous ne regrettons ni notre temps ni notre argent !
Lorsque nous sortons,  trois gouttes tombent et la pluie menace sérieusement à nouveau.
La météo aura oscillé toute la journée entre soleil nuages et averses. Nous nous accordons un petit repos au AirB&B.
Puis nous hésitons à plusieurs reprises à  nous engager dehors à cause de la pluie qui tombe par intermittence avec un malin plaisir.
Elle finit par se lasser et nous laisse découvrir à pied, au sec, la rue des Américains dans le quartier chic en direction du centre-ville.
Nos pas nous conduisent  jusqu’au Schwendi  où nous arrivons de bonne heure, assurés ainsi de trouver une table libre. 
Si je ne résiste pas à recommander un roesti forestier,
Guy innove avec un Bibeleska (collet de porc fromage blanc pommes de terre), arrosé d’un quart de Riesling : que du local !
Sur le chemin du retour, nous avons droit à de jolis cieux  avec des nuages délicatement colorés de rose et de gris doux, d’une grande sérénité.

mardi 1 février 2022

Le choix du chômage. Collombat. Cuvelier.

Entre la préface de Ken Loach : 
« Aujourd’hui la question est celle-ci : le socialisme ou la mort ? » 
et la conclusion de Barbara Stiegler, à propos du « traverser la rue » d’Emmanuel Macron : 
« S’il n’y a pas de place dans ce secteur, eh bien ayez donc une autre activité…
C’est extrêmement brutal » 
l’approche de cette BD didactique ne donne pas dans la subtilité. 
Je me permets de ne pas être d’accord avec la philosophe ayant revêtu un gilet jaune. 
alors que mon incompétence en matière économique me laisse sans voix quand  Coralie Delaume explique: 
« En 2012, il y a le programme OMT (Outright Monetary Transactions), un programme de rachat potentiel de dettes souveraines attaquées sur les marchés financiers » 
La récente baisse du chômage  aurait pu permettre quelques nuances, de même que le déblocage de crédits conséquents par la BCE pendant la pandémie alors que l’union européenne est présentée essentiellement comme la source de tous les maux. 
Si la parole est donnée à Pascal Lamy ou Michel Camdessus : 
«  on ne crée pas d’emploi avec des déficits budgétaires », 
Frédéric Lordon et les référents univoques de Médiapart sont chez eux.
Le déroulé historique et ses cheminements longs est intéressant, la rencontre avec d’anciens conseillers de Bérégovoy ou de Mauroy instructive, des anecdotes éclairantes. Ces 285 pages sont l’occasion de mesurer les bouleversements dans nos approches ou pour d’autres la permanence de leurs convictions. Des acteurs aujourd’hui retirés des affaires sont retrouvés, mais je découvre des personnalités décisives comme Robert Marjolin ou Tomaso Padoa Schioppa père de l’€uro:   
« Cent ou cent cinquante ans plus tôt le travail était une nécessité ; 
la bonne santé un don de Dieu, 
la prise en charge des personnes âgés, une action relavant de la piété familiale, 
la promotion de carrière une reconnaissance du mérite, 
le diplôme et l’apprentissage le résultat d’un métier et un investissement coûteux.
La confrontation de l’homme avec la difficulté de la vie était ressentie depuis les temps antiques, comme la preuve de l’habilité et de la chance.
Cette confrontation appartient désormais au domaine de la solidarité des individus envers l’individu besogneux et ici réside la grandeur du modèle européen.
Mais celui-ci a dégénéré dans un ensemble de droits, qu’un individu paresseux sans devoirs ni mérite revendique auprès de l’État. » Merci pour ce contre point.