dimanche 21 novembre 2021

Oblomov. Ivan Gontcharov. Robin Renucci.

Devant le public de l’Hexagone de Meylan resté après le spectacle de 2h ½, Robin Renucci, directeur des tréteaux de France, plaçait l'adaptation de l’œuvre du russe au début d’une nouvelle trilogie consacrée au temps après avoir traité précédemment du travail et de l’argent à partir de textes du milieu du XIX° siècle.  
Le personnage principal sorte d’ « Alexandre Le Bienheureux », pas heureux, représente tellement un archétype que l’ « oblomovisme » est devenu un terme dans le monde slave désignant la paresse, l’inertie, comme on dit « donjuanisme ».
Le dispositif scénique est joliment éclairé et le découpage des scènes intéressant. Il conclut vivement une existence tellement passive que c’est difficile de l’interpréter comme une critique de l’affolement contemporain ou de l’avidité capitaliste.
Oblomov, le propriétaire terrien se soucie exclusivement de lui-même et les femmes penchées sur sa couche sont réduites à des rôles subalternes d’infirmière des âmes ou de pourvoyeuse de tourtes; quant à l’enfant, une ombre, il est confié à une autre mère.
Cette histoire d’un grabataire volontaire est peut être un signe des temps mais « On arrête tout, on réfléchit (et c'est pas triste) » daté des années 70 me semble hors de propos, alors que tant d’individus fatigués avant d’avoir travaillé ne voient plus leur lien à la société, ni de vocation personnelle. Il était commun d’envisager d’être pompier pour les enfants de jadis, maintenant qu’ils se font caillasser, il vaut mieux se tenir derrière son écran ... de fumée.

 

samedi 20 novembre 2021

Les enfants sont rois. Delphine de Vigan.

En général l’expression « enfant roi » a vocation à être incluse dans une phrase dénonçant ce statut. Mais le titre de la dernière livraison de la sensible romancière
provient d’une mère de bonne volonté exposant ses enfants sur YouTube. 
« Acheter, déballer, manger sont les principales activités des enfants...Toutes ces vidéos obéissent au même ressort dramaturgique : la satisfaction immédiate du désir. » 
Lorsqu’au milieu des 350 pages, j’ai fait part de mon étonnement face à ce que je croyais une licence romanesque décrivant le quotidien d’enfants filmés sans arrêt et les bénéfices incroyables générés, je me suis vu objecter que je venais d’un autre temps. 
« Cette année, le youtubeur qui a gagné le plus d’argent au monde est un petit Américain de huit ans. Il s’appelle Ryan et il est filmé par ses parents depuis ses quatre ans. Rien que pour 2019, le magazine Forbes a estimé ses revenus à vingt-six millions de dollars. » 
Oui les réseaux sociaux nous submergent et bouleversent nos vies, ils marquent au fer rouge les enfants. Quand le «  voyeurisme » excite à ce point l’ « exhibitionnisme », ces mots ne paraissent que  comme poussière d’un monde en voie de disparition, quand l’intimité est bafouée, les personnalités broyées.
Une enquête menée par une policière, fille de profs, occupant le poste de procédurière, sert de fil conducteur à une description fouillée des ravages des réseaux sociaux.  
« Ils croyaient que Big Brother s’incarnerait dans une puissance extérieure, totalitaire, autoritaire, contre laquelle il faudrait s’insurger. Mais Big Brother n’avait pas eu besoin de s’imposer. Big Brother avait été accueilli les bras ouverts et le cœur affamé de likes, et chacun avait accepté d’être son propre bourreau. »
La frontière entre le réel et la dystopie est ténue :
« De plus en plus nombreux, de jeunes adultes ne sortent plus de chez eux. Ils travaillent à distance, où ne travaillent plus, ils ne vont plus au théâtre ou au cinéma, ni même au supermarché ; ils consomment des produits (alimentaires, cosmétiques, électroménagers, culturels…) à domicile et communiquent à travers des interfaces ou des jeux vidéo, de plus en plus sophistiqués. A ce prix ils se sentent en sécurité. » 
Bien des jeunes aujourd’hui souhaitent devenir influenceur sur le net de préférence à ingénieur ou professeur. 
« Chacun était devenu l'administrateur de sa propre exhibition, et celle-ci était devenue un élément indispensable à la réalisation de soi. »

vendredi 19 novembre 2021

Lobbies.

Quand à longueur d’antenne sont dénoncés des groupes de pressions qui grenouillent dans  les allées des pouvoirs, je discerne d’autres influenceurs à l’œuvre dans les colonnes et sur les ondes, pétition quotidienne à portée de clic. Le vert est dans le poste que ça en deviendrait une lubie. Dans ce jeu de société, chacun y va de ses convictions ou de ses intérêts comptant sur le rapport de force.
De la même façon ceux qui reprochent au président d’être en campagne, sont en campagne depuis leur défaite de 2017. Alors comme disait Sartre « c’est l’antisémitisme qui fait le juif », l’anti-macronisme systématique me rend encore plus légitimiste, Macroniste.
Je respecte en même temps Piolle et Macron, les électeurs les ont voulus.
Dès qu’une mesure est prise, le micro est toujours tendu vers ceux qui trouvent que c’est insuffisant. Le jour où Olivier Véran annonce près de deux milliards pour les hôpitaux de la région, « Le Monde » titrait : « l’hôpital oublié de la campagne ». Entre ceux qui crient aux dépenses inconsidérées et ceux qui ne savent pas que les travailleurs hospitaliers ont obtenu une rallonge de 180 €, peut-on dire que nous sommes surinformés ? Sans parler de ceux qui continuent à se shooter à l’hydroxychloroquine et gémissent d’être exclu d’un monde dont ils se sont mis en marge. Avec mon pass, je suis libre ! 
Des œuvres sont restituées au Bénin, c’est alors qu’un chef coutumier signale qu’il manque un objet ou deux devant les caméras coloniales. Le lieu qui doit les accueillir a des « retards » dans la construction : rien n’est sorti de terre. Liesse pour le retour des statues et jeunesse qui part en canot.
Il y a quelques jours, des milliers de masques, de statues ont été détruits dans l'incendie d'un musée en République Démocratique du Congo et je n’ai même pas vu de variation autour de la formule pour journaliste paresseux : « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle », parce que là, il y en a des cramés et des morts, mais les photogéniques peluches des banquises impriment mieux au pays des nounours.
On peut entendre causer depuis tous les coins de la terre, mais nos aires se rétrécissent dans un rayon à portée de trottinette. Les rapports de force s’inversent : des cyclistes peuvent devenir aussi malotrus que certains conducteurs de 4X4 et un amateur de tartare être aussi mal considéré que ne le fut jadis celle qui ne mangeait pas de gibelotte.
De bons docteurs veulent nous débarrasser des mythes pour mieux en installer d’autres, cultivant tout ce qui flattera nos pulsions négatives, refusant d’apprendre du passé, éloignant la complexité. Sans roman que vaudraient nos vies ?
Il sera bien difficile de revenir à la transmission quand ployant sous sa couronne de roi, un mioche est censé savoir tout dès le départ. L’adulte doit se taire : place aux gènes. L’opposition entre l’inné et l’acquis ne fait plus partie des débats. « L’ainé est à qui ? » demanderait Tournesol. Et je ne sais plus où j’ai trouvé la formule, elle est tranchante : le maître doit rendre gorge.
Ho Chi Minh avait appris la liberté dans les universités françaises, et nous avons essayé de développer l’esprit critique de nos élèves mais c’est la chicane qui est devenue le moteur des fake news. Alors quelques enfants de ma génération « il est interdit d’interdire » en appellent à la censure, ayant oublié que c’est le meilleur moyen de valoriser celui qu’ils redoutent. 
« Si l'on ne croit pas à la liberté d'expression pour les gens qu'on méprise, on n'y croit pas du tout. »  Noam Chomsky.

jeudi 18 novembre 2021

Louis Joseph Jay et la création du musée de Grenoble. Béatrice Besse.

Avec cette conférence des amis du musée de Grenoble, je pensais en savoir un peu plus sur celui dont je croyais qu’il avait donné son nom à un quai des bords de l’Isère, mais il s’agit d’un autre : Stéphane Jay, maire de Grenoble de 1896 à 1904 qui avait organisé le réseau électrique de la ville. Louis Joseph a aussi sa rue et tout au long de sa biographie, nous pourrons aussi avoir une idée plus précise d’autres noms familiers aux rôles oubliés sous leurs plaques de tôle.
Le premier conservateur du Musée de Grenoble est né à Saint Hilaire de la Côte en 1755, il est mort à Vienne en 1836.
Fervent jacobin, il avait peint une « Liberté », tableau dont on n’a pas retrouvé trace, mais c’est surtout comme professeur qu’il est reconnu d’abord à Montpellier où il se lie à Jacques Augustin Catherine Pajou qui a réalisé le portrait en tête de ce compte-rendu.
Champollion fut son élève, ainsi que Stendhal :
« M. Jay, ce grand hâbleur, qui avait si peu de talent comme peintre, en avait un fort grand pour allumer l'émulation dans nos cœurs, et à mes yeux maintenant, c'est là le premier talent d'un professeur. »
En ces années de révolutions, il revient à Grenoble dont le maire est Joseph Marie de Barral impliqué dans « La journée des tuiles » qui avec Joseph Chanrion évita les excès de la Terreur, place Grenette où ne tombèrent dans la sciure que deux têtes.
C’est en ces moments de saccages que l’abbé Grégoire utilise pour la première fois le terme de « vandalisme » après avoir regretté les destructions d’
« objets nationaux, qui, n’étant à personne, sont la propriété de tous. » 
Le terme de « patrimoine » fait aussi son apparition, Alexandre Lenoir, crée le Musée des monuments français, le deuxième musée, après le Louvre où sont présentées des sculptures qui ont pu échapper aux dévastations. 
« Les barbares et les esclaves détestent les sciences et détruisent les monuments des arts, les hommes libres les aiment et les conservent. »
Louis-Joseph Jay, nommé professeur à l’école centrale de Grenoble, établissement remplaçant depuis 1795 les collèges religieux de l’ancien régime, est bien accueilli. En 1796, il est nommé commissaire chargé d'inventorier les objets d'art du dépôt de La Tour du Pin. 
Il va à Paris pour acheter avec des assignats de peu de valeur, des moulages de plâtre et des œuvres à imiter pour ses élèves car l’éducation citoyenne se fondait sur l’Antique, l’étude des bosses (le relief) et l’anatomie.
L’« Apollon du Belvédère » peut représenter ce « Bel idéal » d’alors théorisé par Winkelmann, quand l’artiste doit représenter plutôt la perfection du créateur que les imperfections de ses créatures. Ses conférences ouvertes connaissent le succès. A la suite de Bonaparte, il va en Italie acheter des tableaux et des dessins. « Dans ses voyages, il emporte des bouteilles de ratafia de Camille Teissere pouvant servir de monnaie d'échange contre des objets d'art! »
Son « Etude d’arbres près de Voiron » est classique
et le portrait de son collègue « Gaspard Dubois Fontanelle », professeur de belles lettres, bien vivant avec son regard pétillant et son sourire malicieux.
Il lance deux pétitions pour la création d’un muséum dont il deviendra la conservateur en 1798 « Plaque des fondateurs du musée située dans l'ancien Musée bibliothèque de Grenoble ». Déboires et tracasseries vont faire subir plusieurs déménagements aux objets d'art recueillis (177 tableaux, 80 dessins, 45 sculptures). Installés d’abord à l’Ancien évêché, avec le Concordat, un repli doit être effectué au deuxième étage de l'École centrale (maintenant lycée Stendhal).
Le préfet Joseph Fourier s’était montré plus accommodant que son prédécesseur Ricard. Devenu receveur principal des « droits réunis » (contributions indirectes) grâce à son ami François de Nantes, Jay est envoyé en mission en Italie d’où il reviendra avec un « Recueil de lettres sur la peinture, la sculpture, et l'architecture » qui lui assurera une certaine reconnaissance, bien qu’il paye son engagement républicain d’une destitution de son poste de conservateur en 1815, sous la Restauration. Le stendhalien Victor Del Litto  avait écrit « Un dauphinois méconnu : Louis-Joseph Jay », la conférencière lui a consacré un roman historique : « Guidé par le beau idéal, Louis-Joseph Jay »

mercredi 17 novembre 2021

Ronchamp.

Nous réglons l’addition, tout à fait raisonnable, détendus et ravis de cette halte « authentique »
et  nous nous rendons à RONCHAMP à quelques kilomètres de là où se trouve la chapelle Notre-Dame du haut, œuvre de Le Corbusier classée au patrimoine mondial de l’Unesco.
Perdu dans la verdure et au-dessus du village, le site choisi pour son isolement marque la fin de la route.
Il existait à cet endroit une église plusieurs fois reconstruite et détruite en 1944 par des bombardements.
La volonté du clergé fut d’édifier à la place un bâtiment moderne, adapté aux fidèles et moins enkysté dans le passé. Le Corbusier, pourtant peu croyant mais séduit par le paysage, remporte le marché. Il réactualise ce lieu de pèlerinage effectué le 8 septembre dédié à la Sainte Vierge, date de la naissance de Marie, et  construit trois édifices en 1955
- L’abri des pèlerins au départ maison des ouvriers servait à loger les croyants de façon spartiate. Il est équipé de 2 dortoirs, d’un WC  d’un réfectoire occupé par des tables communes et de 2 petites  salles avec lavabos style pensionnat.
Le mobilier et  les sols en tesselles multicolores, de grands aplats de teintes  vives  contrebalancent  l’austérité du béton brut. Aujourd’hui, ce bâtiment ne répond plus aux normes de sécurité et d’hygiène et ne reçoit plus les fidèles.
- La chapelle peinte en blanc et coiffée d’un toit de béton incurvé domine le promontoire.
Côté Est un chœur est prévu pour célébrer la messe en extérieur, lors des pèlerinages,  sous la protection du toit.
La paroi est percée d’une vitrine destinée à  mettre en valeur une vierge visible de l’extérieur  comme de l’intérieur, nimbée de lumière selon les heures.
Cette statue rescapée provient de l’ancienne église, elle date du XVIII° siècle.
L’intérieur se décline en 3 chapelles, servant de puits de lumière dans ce décor en béton sombre éclairé seulement par la niche de la vierge
et quelques carreaux de verre coloré recouvert d’une phrase, « étoile du matin »  ou « Marie, brillante comme le soleil » par exemple.
Un bouquet de cierges complète l’impression de recueillement et de mysticisme du  lieu. Quant au plafond et au sol ils refusent les plans plats au profit des formes plus arrondies, vallonnées.
- Le 3éme édifice, la maison du chapelain ne se visite pas, étant habitée par le prêtre attaché à la chapelle.
- Avec les pierres de l’ancienne église, Le Corbusier érige la pyramide de la paix à la demande des anciens combattants de Ronchamp qui veulent rendre hommage à leurs camarades bombardés et morts en 1944. Elle ressemble à celles des Incas ou des Aztèques en miniature, sauf qu’une plaque et une petite colombe rappellent le sacrifice des soldats français. Son ascension est autorisée, et n’est pas considérée comme une offense ou un sacrilège, surtout lors d’évènements religieux en extérieur.D’autres architectes Jean Prouvé et Renzo Piano vont intervenir sur le site :
- Jean  Prouvé  réalisera le campanile en 1975.  Il ressemble à un portique japonais et supporte 3 cloches. Deux appartenaient à l’ancienne chapelle, mais la 3ème cassée lors de sa chute fut refaite en 1975 ; elle ne possède pas la même finesse dans les décorations.
- Renzo Piano concevra pour sa part en 2011 le monastère des Clarisses et la Porterie sous forme de longères en verre semi enterrées, intégrées discrètement dans le paysage. Le monastère comprend un oratoire, un atelier pour la dizaine de Sœurs qui confectionnent les habits sacerdotaux des prêtres, et leurs logements.
Aujourd’hui, le site dépend d’une association financée par une souscription et le prix des entrées. Durant la visite, nous avons apprécié la présence et les commentaires bien ciblés du guide mis à notre disposition. Il nous apprend aussi que le mot acolyte n’est pas obligatoirement péjoratif, c'est celui qui sert le prêtre.

mardi 16 novembre 2021

Senso. Alfred.

Oui « senso » se traduit : « sens » comme dans sensuel, 
mais aussi avec « far senso »: « répugner ». 
Cette histoire d’un égaré arrivant dans un hôtel dont plus une chambre n’est libre au bout d’une longue marche sous une chaleur accablante réunit les deux sens. 
Ce titre évoquait aussi pour moi le film de Visconti dont je retrouve un qualificatif qui pourrait presque convenir à cette BD de 160 pages : « incontestable réussite esthétique » mais ce serait exagéré. Et il n'est d'ailleurs pas question d’officier « lâche » et « amoral » mais seulement d'une rencontre fortuite entre un homme maladroit à la dérive et une femme également perdue. 
Nous ne sommes plus au moment de l’élan du « Risorgimento » mais dans une société lasse, la nôtre : rendez-vous manqués, trains en retard, échos de fête, vieux copain volubile et lourd, bavard vitupérant. Statues dans les allées et orage attendu, la dame se met nue au cours d’une balade nocturne en barque, des notations variées composent un récit agréable où apparaissent dans un rêve alangui, des identités sans que subsistent des traits mémorables.

lundi 15 novembre 2021

French dispatch. Wes Anderson.

Tourné à Angoulême et en studio ce regard d’un américain sur la France des années dépassées est très BD avec des clins d’œil dans les coins pour chaque vignette soigneusement cadrée.
Amélie Poulain est de retour, tellement vitaminée qu’on éprouve parfois le besoin de revenir voir ce film de 103 minutes, de peur d’avoir oublié quelque détail poétique jubilatoire sous une voix off fluviatile et des sous titre se chevauchant. 
On ne s’ennuie pas un instant à Ennui-sur-Blasé parmi tant d’inventivité baroque, divertissante et nostalgique. 
Chapitré comme le journal  The French Dispatch, (La Dépêche française) nous passons d’une chronique fait divers aux pages artistiques et politiques pour terminer par un sketch policier qui n’oublie pas les cuisines puisqu’il s’agit à travers des clichés d’évoquer un amour de notre pays, réconfortant. Léger, décalé, nous pouvons nous interroger aussi sur le rôle des journalistes d’antan, la jeunesse et ses révoltes jouées comme aux échecs, les discours autour de l’art.
Quelques liens sur ce blog pour se souvenir d’autres productions de ce réalisateur: 
et d’une actrice Frances Louise McDormand