dimanche 7 mars 2021

Tous les marins sont des chanteurs. François Morel.

J’ai tant aimé le chroniqueur du vendredi, et bien que je ne sois plus guère fidèle au poste, je gardais le chanteur en haute estime
alors je mes suis précipité sur ce CD d’autant plus qu’il s’agit de chants de marins susceptibles de me rappeler de bons moments de classe de mer.
A cette occasion, j’aimais bien jouer sur les mythologies bretonnes avec trésors engloutis, bateaux à voiles, forêts à druides et embruns. Alors pourquoi je n’ai pas adhéré au récit, repris dans les mêmes termes par les commentateurs, d’une découverte dans un vide-grenier d’un auteur oublié : Yves Marie Le Guilvinec, dreyfusard, marié à une métisse, mort en mer à trente ans en 1900, imbibé d’alcool ?
La veine parodique habillée en Kway, multipliant les clichés, se parfume à l’air de notre temps, la chanson « La Cancalaise » imitant « La Paimpolaise » de Botrel qui lui était antidreyfusard. 
« Elle est toujours ma Cancalaise
Celle que je croisais le soir
A la pointe des Roches noires
J’avais quinze ans peut être seize »
 L’hommage à la Bretagne sur des musiques poignantes de nostalgie, n’est pas si évident avec en première chanson « A l’Espérance », du nom d’un bistrot où matelot rime avec poivrot. 
Lavilliers participe au morceau « Tous les marins sont des chanteurs » 
«  Pour espérer un jour revoir
Toutes les filles de La Rochelle » 
« Le petit moussaillon » travaille sous les ordres d’un capitaine pourri et d’une andouille de chef d’escadre, lui est « mignon comme un chaton », heureusement le dernier couplet réserve une surprise.
Les valeurs des hommes de mer sont célébrées «  Quand un homme » tombe à la mer : 
« Tu lui donnes la main »
Les ports sont les lieux des départs : « Adieu Brest ».
Pourtant il n’est pas question d’aller à « La pêche à la morue »  
« Sans avoir courtisé Lulu. » 
La famille de « Fanche de Pontivy » a connu bien des malheurs avec l’alcool jouant encore son rôle mais aussi la météo incertaine comme il se doit :  
« On sait plus comment s’habiller ». 
Et même dans « Le ventre de la baleine » le solitaire qui n’avait  
« Comme maîtresse qu’une sirène au fond d’un verre »« épousé  une bouteille ».
Le duo « Mer et fils » est délectable, entre Juliette grandiloquente :
«  A terre tu peux trouver du taff
Paraît qu’ils embauchent chez Henaff »
et son fils séraphique :
« Maman
Moi j’aime les navires
Le vent
Qui souffle et qu’on respire » 
« La petite Edith » prend à contre-pied les images des femmes de marins attendant sur la digue, elle prend son pied :   
« Mais en attendant allez viens
Elle est si courte la vie » 
Avant la locale chorale finale « Kenavo Brest » 
le rappel qu’« Un jour il n’y aura plus un poisson » « Plus rien que le sel » aurait pu être nuancé, car la situation des réserves halieutiques est en voie d’être améliorée : 
« En dix ans, la part des poissons jugés « en bon état écologique » est passée de 18 % à 43 % et la proportion de poissons en situation de surpêche a fortement diminué, passant de 33 % à 23 % sur une décennie. »

 

samedi 6 mars 2021

Le pays des autres. Leïla Slimani.

Un marocain qui était dans l’armée française revient marié à une jeune alsacienne pour mettre en valeur la ferme de son père du côté de Meknès. Le titre exprime bien les difficultés, les contradictions de cette famille destinée à s’agrandir au début des années 50, veille de l’indépendance. 
«  N’avaient-ils pas une vraie existence, tous ceux qui travaillaient dans les champs de son père ? Ça ne comptait pas, cette façon qu’ils avaient de chanter, cette tendresse avec laquelle ils accueillaient Aïcha pour leur pique-nique à l’ombre des oliviers ? » 
A deux reprises, la fête de Noël, en des scènes marquantes, apparaît comme un moment de vérité.
La belle autrice, inspirée par l’histoire de ses grands-parents, fait évoluer ses personnages : la jeune mère a perdu de sa légèreté et le père de sa confiance. 
La limpidité de l’écriture ne donne jamais dans la caricature, sa ligne claire a déjà convenu à la bande dessinée. 
La tension monte au cours des 360 pages, sur fond d’une misère évoquée sans insistance à l’image de Mathilde préservée par son innocence, traversant des moments d’ennui et de solitude n’abandonnant pas. Pas de burn out sous le burnou.
Après des plaisirs lumineux exceptionnels au bord de l’océan, les flammes : 
« ...nos ennemis ou ceux qui devraient l’être, nous vivons avec eux depuis longtemps. Certains sont nos amis, nos voisins, notre famille. Ils ont grandi avec nous et quand je les regarde, je ne vois pas un ennemi à abattre, non je vois un enfant. »

vendredi 5 mars 2021

Déconstruire dit-elle.

Comment ne pas prendre un air sombre quand on constate que tant d’agriculteurs quittent leur territoire, quand ce n’est pas le monde tout court, en bout de corde ?
Pourtant il conviendrait d'esquisser un sourire quand des médias s’extasient devant ceux qu‘ils croisent, partant de la ville pour aller à l’herbe.
En déplorant semaine après semaine les pertes de considération de bien des métiers, je persiste dans le registre passéiste où hier on aurait payé pour devenir instit’, alors qu’aujourd’hui le discours dominant porte sur l’insuffisance des salaires des profs des écoles.
La perplexité à l’égard des scientifiques et la défiance envers toute connaissance forment la partie bruyante d’une société dont les savoir-faire de ses ingénieurs sont en voie de disparition, avec une relève pas très allante.
La sous-traitance a été la réponse aux corporations ne voulant plus se salir les mains à nettoyer les fonds de cuves nucléaires. Les employés de mairie de leur côté ne montant plus sur les escabeaux pour laver les vitres ont été remplacés par quelques précaires tout heureux. Qui met encore la main à la pâte quand des livreurs, pourvu qu’ils soient en vélo, font l’affaire ? Les bobos, dont je suis un spécimen lessivé, jugent de tout pour chacun et se rapprochent parfois de zozos inconséquents.
Les querelles dérisoires étouffent les grandes souffrances et les insistances à propos d’affaires subalternes supplantent les questions de fond.  D'ailleurs pour échapper aux redites de l'actualité et aux angoisses qui les accompagnent, je m'intéresse parfois davantage à la destinée d’Arkadiusz Milic qu’aux mérites de l’ARN.
Une main sur l’épaule d’une élève en pleurs de la part d’un prof compatissant peut agiter une communauté éducative, lorsqu’une des camarades de la collégienne y a vu un moyen de participer à une actualité scandaleuse, minimisant par là d’autres graves agressions.
L’insignifiant tient toute la place alors que « Pas-de-vague » submerge tous ceux se dispensant de lancer des alertes.
Mon antienne de la conscience professionnelle en voie de perdition gagne une strophe avec l’envahissement dans les colonnes des journaux du terme « déconstruction », aux airs plus ordonnés que « destruction », alors qu’il s’agit de la même énergie fourvoyée. Les rageux préfèrent salir les murs plutôt que les construire,  s’adosser au lieu d’oser, s’opposer plutôt que proposer. Les « toujours contre » vont participer à la remise en cause des belles intentions de cultiver l’esprit critique, voire contraindre à imposer des conditions à l’exercice de la liberté. Les délinquants ont beaucoup a œuvré pour l’industrie de la sécurité.
Je date l’apparition du mot « déconstruction » du  démontage du Macdo de Millau tout en ne sachant pas son étendue en philosophie. Mais à fréquenter surtout des journalistes  promoteurs de la mode « intersectionnelle » et autre «  inclusive » manière, je ne sais voir qu’une humanité qui après avoir exterminé des peuples à tire larigot, affectionne les lieux dévastés, et préfère dégager les acteurs que promouvoir des bâtisseurs. 
« Les châteaux en Espagne qui ne coûtent rien à construire sont ruineux à démolir.» Mauriac

jeudi 4 mars 2021

Ici pour aller ailleurs. Geoff Dyer.

« Humour anglais » : l’auteur contesterait ce lieu commun, lui qui s’applique à démentir les clichés depuis la Norvège et ses aurores boréales pas forcément au rendez-vous, jusqu’à la tombe de « Naopua A Puufaifiau, soldat : mort pour la France 1914-1918 » se révélant bien plus riche de sens que celle de Gauguin qu’il était venu voir à Tahiti.
Depuis qu’une de ses tantes lui avait envoyé des cartes postales de lieux prestigieux,  « l’escogriffe ­anglais », comme le surnomme Emmanuel Carrère, était partant pour voyager : 
« Tous ces paysages, je les avais entraperçus dans des westerns, mais le fait que quelqu’un que je connaissais y soit allé - ait prouvé qu’ils étaient réels - me fit prendre conscience pour la première fois qu’il existait un ailleurs : un ailleurs qui semblait le contraire de partout et de tout ce que je connaissais » 
La Cité Interdite est plus décevante pour lui que l’amie de sa guide, mais d’autres sites décrits d’une façon souvent primesautière comme « Le champ des orages » au Nouveau Mexique, ou « La jetée en spirale » dans l’Utah, lieux de land art, peuvent lui permettre de glisser des citations plus solennelles : 
«  Quand le grand empire romain n’a  plus été que ruines fumantes […] ceux dont l’âme était encore vivante se retirèrent et peu à peu construisirent des monastères, et ces monastères et ces couvents, ces petites communautés du courage et du travail paisible, isolées, dénuées de tout mais pour autant jamais défaites en un monde soumis à la dévastation, ces communautés furent seules à préserver l’esprit humain de la désagrégation, de la noirceur de ces temps obscurs. D.H. Lawrence » 
Son regard décalé est révélateur, et original comme celui du « photographe retardataire », Antoine Wilson « prenant en photo divers endroits où les stars de cinéma se sont assises, sont restées un moment ou sont passées quelques minutes après qu’elles aient quitté les lieux. » 
Ce recueil d’articles de 200 pages est agréable à lire : que ce soit le récit de ses déboires de santé, sa vie à Los Angeles bien que ses pèlerinages soient souvent décevants, et même la rencontre avec un auto-stoppeur où il ne se montre pas à son avantage. Sa sincérité permettra le pardon.
 Les photographies sont de Martin Parr.

mercredi 3 mars 2021

Sur la route de Reims.

Les bovins ont meuglé toute la nuit.
Nous commençons la journée par un solide petit déjeuner en compagnie de J. toujours aussi communicative et nous quittons Givry en empruntant des petites routes, au milieu de grands champs moissonnés. En passant dans une zone industrielle, nous payons à la voiture un bon lavage pour la débarrasser de sa couche gluante de sève, cadeau des tilleuls de Vézelay.
Nous atteignons Dicy sous le soleil un peu avant 11h. C’est là que se trouve le fabuleux musée d’art singulier: La Fabuloserie, .  
Deux heures de route en gros nous séparent de REIMS. Nous passons progressivement dans la Marne où les paysages de vignes remplacent  les grandes terres agricoles moissonnées. (Les photographies de paysages viennent de la toile).
L’habitat se modifie aussi, nous croisons des bâtiments du patrimoine que nous ignorons par manque de temps.
Notre hôte que nous contactons, nous rejoint boulevard Pommery. Il nous remet clés et consignes, plans, renseignements. La passation bien que conviviale est rapide et efficace. Nous nous installons dans notre studio anciennement chambre d’étudiant dont l’espace a été bien optimisé au rez-de-chaussée d’un immeuble cossu à deux pas des bâtiments de la veuve Pommery rachetés par la maison
Vranken. 
Les caves, en haut de l’avenue, ressemblent à un château de Walt Disney, Il faut prendre la voiture cependant pour accéder au centre-ville.
Nous avons la chance de trouver à nous garer dans une petite rue près de la Mairie. 
Nous nous promenons  en direction de la cathédrale, impressionnante vue de l’extérieur sous la  lumière flatteuse  du couchant. 

L’ange est là, il sourit. 
Nous reviendrons demain pour mieux nous attarder sur d’autres statues comme ces deux monstres jumeaux, les gargouilles, les personnages et les scènes bibliques de pierre qui donnent envie d’être décryptées.
Pour l’heure, nous partons en quête d’un restaurant, surpris d’en trouver autant  de fermés le lundi. 
Nous interrogeons plusieurs personnes, finalement une femme noire nous prend par la main gentiment et nous oriente vers le bon quartier en se détournant de sa propre direction. Nous choisissons l’établissement  « Côté cuisine » dans un jardin à l’abri du vent ébouriffant sous les 32°. Après avoir été attirés par une formule alléchante valable seulement à midi, nous sommes invités à consulter le menu par téléphone et QR code à cause du Covid. Heureusement le patron compatissant nous épaule pour télécharger l’application.
Guy commande  des raviolis fourrés aux asperges, je me rabats sur le suprême de volaille aux légumes provençaux (une ratatouille), et nous buvons un pichet de blanc avant de craquer pour un café gourmand intéressant. 
Après être retourné au restaurant juste avant sa fermeture pour cause de smartphone oublié,  nous apprécions par cette chaleur le ventilateur apporté sur les conseils de sa femme par M., notre beau gosse à la décapotable.

mardi 2 mars 2021

Le secret de l’espadon. Tome 1. Edgar-P Jacobs.

Je ne peux pas me piquer d’être un amateur de bandes dessinées et persister à ne pas être allé plus loin que « By jove ! » du professeur Mortimer, toujours avec sa pipe après trois jours sans vivres dans le désert. Tous les personnages sont imperturbables comme son ami officier Blake et indestructibles, de même que leur ennemi le méchant Olrik.
Les morts s’amoncellent : 
« - Pris au piège comme des rats, mon cher, et cela si près du but !...
- Ah ! C'est trop bête... Mais avant, j'en descendrai bien quelques-uns.  
J’ai lu au second degré ce premier album qui a mon âge (70), sinon tant de stéréotypes seraient insupportables, les situations périlleuses toujours résolues par un nuage bienvenu ou des interventions miraculeuses seraient lassantes et jusqu’aux dessins sur fond de coucher de soleil rayonnants décidément datés.
Le dictateur qui dirige l’« l'Empire jaune » depuis le Thibet vient d’engager « la plus effroyable et la plus criminelle des guerres » contre le reste du monde : 
« Allô ! Allô ! Aux dernières nouvelles, nous apprenons que Rome, la ville éternelle, vient d'être rayée de la carte du Monde !!! Vingt-cinq siècles de civilisation anéantis en un instant ! La sauvagerie bestiale de cet acte odieux ne manquera pas de dresser contre ces hordes barbares tous les défenseurs de la culture occidentale !!! ... » 
Des relations avec la situation mondiale actuelle pourraient s’établir si le scénario n’était pas aussi manichéen. J’aime plus que de raison les tournures écrites anciennes, mais les adjectifs sont surabondants et des cartouches très explicatifs font double emploi avec des dessins très rigides. Lorsque je regretterai parfois le côté trop allusif des albums d’aujourd’hui je m’éviterai de penser : « c’était mieux avant! ».

lundi 1 mars 2021

Dictionnaire amoureux du festival de Cannes. Gilles Jacob.

J’ai connu un jeune homme qui venait chaque jour au centre culturel  français de Douala au Cameroun pour lire page à page « Le Dictionnaire » comme si c’était un roman.
Je suis venu à bout des 800 pages de ce dictionnaire amoureux 
consacré au festival de Cannes avec la même intention de saisir le monde ou du moins son reflet à travers le cinéma, son histoire, ses évolutions : 
« Il fait toujours rêver, même si les séries s’ingénient à le rendre obsolète, au besoin en offrant à de grands réalisateurs, pour les tourner, des sommes faramineuses que refusent par avance ceux à qui on ne les propose pas. »  
J’ai vérifié que peu d’entrées m’étaient totalement étrangères, car si le nom d’Axel Gabriel ne me dit plus rien, ma mémoire n’est pas détériorée au point d’avoir oublié son film « Le festin de Babeth ». 
Par contre je ne sais rien de Degemark Pia dont le portrait à la plume pas plus que d’autres dessins rabougris dispersés ça et là n’ajoutent  grand chose à une collection pourtant séduisante.
Même si quelques listes érudites peuvent être intimidantes, à travers le croisement des acteurs, des réalisateurs, il y de quoi nourrir le regret de ne pas avoir vu par exemple «  Two lovers » que l’ancien délégué général du Festival résume avec efficacité, se rappelant son ancien métier de critique.
L’essayiste  sait parler de « La Nouvelle vague » à propos de Truffaut : 
« Il ne voulait pas ressembler à Godard qui l’aida dans son combat contre les ainés réalisateurs. Et ils vont le gagner, eux et d’autres, avec leurs munitions qui tuent. Ces munitions sont les pellicules sensibles, les caméras légères, le son direct, le refus de tourner en studio, l’improvisation pour Godard, le frémissement pour Truffaut, les digressions pour les deux. C’est le temps de l’autobiographie et des intuitions » 
Le réalisateur donne envie de voir le film à sketches « Chacun son cinéma » dont la séquence de Kaurismäki en particulier nous appâte : 
« où l’on voit une dizaine d’ouvriers métallurgistes profiter de la pause de midi pour venir mâcher un sandwich devant la projection de « La sortie de l’usine Lumière à Lyon » » 
L’on aimerait savoir ce qu’on pu répondre les confrères de Wenders à la question : 
« Est-ce que le cinéma est un langage sur le point de disparaître ou un art sur le point de mourir ? »
Mais la réponse de Christine Pascal à Piccoli dans « Les enfants gâtés » nous entraine loin : 
«- Quelle est la plus belle scène d’amour du cinéma mondial ?
 - Quand Hardy demande à Laurel : 
«  Qu’est ce que tu préfères ? Moi ou la tarte aux pommes?
Laurel regarde Hardy, regarde le public et se met à pleurer. » 
La diversité des films présentés sur la croisette et alentours m’a toujours ravi avec l’intention ambitieuse :  
« Saluer les maîtres, conforter des cinéastes déjà reconnus, découvrir les futurs grands» 
réalisée chaque année, même s’il sait reconnaître les hauts et les bas de la programmation.
Si l’influence du directeur a été déterminante pour faire du festival un évènement considérable, le ton de l’écrivain, tempéré par des habitudes diplomatiques a ses attraits, même s’il a tendance à se donner le beau rôle comme son successeur Thierry Frémaux qui avait écrit sur le même sujet.