jeudi 21 janvier 2021

6 mois. N°20. Automne 20/Hiver 21.

Toujours aussi passionnant 
le recueil de photographies sur 300 pages est un des phares de l’information avec sa périodicité permettant d’aller à l’essentiel, où la virtuosité des artistes photographes est au service de nobles causes.
Je croyais tout savoir de la situation des noirs en Amérique et je ne recherchais  pas d’informations supplémentaires après la vague « Black Lives Mater » qui s’était polarisée sur les violences policières et pourtant il y a de quoi apprendre avec trois reportages sous le titre «  Goodbye América » nous rappelant :
- la misère dans 46 états,
- la peur et le combat de femmes noires dans le sud 
« Une femme noire sur cinq est une survivante de viol »,
- l’histoire d’une mexicaine devant franchir à nouveau la frontière.
22 photographes se réinventent lors du premier confinement : la diversité de leurs propositions prouve que la créativité peut être stimulée par la contrainte.
Cette fois c’est le photographe Reza, qui est mis en évidence : de Sarajevo à l’Afghanistan, au cours d’une vie où il a connu la torture et la prison, l’exil, l'Iranien propose des images essentielles.
Les « kumaris »  petites déesses  au Népal ne sont plus vénérées lorsqu’elles ont leurs premières règles : symbole exacerbé de la condition féminine où les menstruations sont un tabou honteux.
Les établissements de l’ancienne URSS dits « sanatoriums » où les travailleurs profitaient des bords de la mer noire ont du charme.
Par contre les portraits d’athlètes aux visages cachés ayant subi des violences sexuelles sont d’une efficacité qui amène à s’interroger sur la similitude des scénarios où le moniteur devenu ami de la famille : « Balance ton sport ».
Y a-t-il pires conditions que celle de ces africains coincés en Libye ?
Aung San Suu Kyi est descendue de son piédestal 
et l’existence d’une jeune femme trisomique en Allemagne est joliment mise en lumière,
dans la favella de Bello Horizonte apparaissent plutôt les moments festifs que la misère et le crime.
Le décor de l’album d’une famille en Ecosse est plus lisse mais la dignité ne masque pas complètement la précarité.  

 

mercredi 20 janvier 2021

Le Forez.

Une fois la voiture chargée, nous prenons le temps d’un brin de causette sympa avec la jeune logeuse dont nous avions rencontré la mère hier lors de la passation des clés.
Puis le GPS programmé sans péage ni autoroute nous conduit en direction de Roanne/ Le Creusot à travers les Monts du Forez et de jolis paysages de collines, paysages qui se transforment et deviennent moins vallonnés.
Nous bifurquons vers MONTBRISON sous préfecture du département de la Loire (23 000 habitants). Garés place Grenette, sans parcmètre à payer  et en plein centre, avec pour seule contrainte le disque bleu valable 1h 30, nous obtenons à l’Office du tourisme, une brochure contenant un circuit pédestre et des explications sur les principaux sites historiques. Nous nous offrons un petit café  sur la place avant de nous lancer dans les rues, plan en main.
Nous commençons par la rue du marché, intéressante pour l’ancienne maison Jean Papon puis nous marchons vers la Salle Héraldique ouverte malheureusement uniquement l’après-midi, nous nous contenterons d’en admirer la façade gothique de dimensions modestes.
Le parcours passe ensuite par la Collégiale Notre Dame d’Espérance, construite sous Guy IV comte du Forez (XIII°). Une fresque montre Sainte Catherine d’Alexandrie terrassant le dragon.
Les caractéristiques du gothique pas encore flamboyant se révèlent dans les vitraux, les voûtes en ogives, les colonnes et colonnettes sur les piliers surmontés de chapiteaux floraux. L’église est dotée d’un orgue fabriqué par le réputé facteur alsacien Callinet.
Nous revenons sur nos pas, à la découverte de la rue Martin Bernard bordée par des demeures des notables du XV au XVIII°.
Sont signalées plus particulièrement  par des panneaux  d’informations historiques  la maison Robertet et la maison aux lions en vis-à-vis. Une dame s’attarde devant les explications récemment installées et nous explique que, petite, on lui a raconté que les lions tiraient  la langue à la maison Robertet, suite à un différend qui opposait les 2 familles. Mais les lions… n’ont pas de langue !
Nous regagnons la voiture et cheminons vers Le Creusot  par des petites routes désertes au milieu de terres agricoles, de troupeaux de Charolais, 
contraints à quelques déviations pour cause de travaux.
Pour déjeuner, nous faisons halte à POMMIERS EN FOREZ au restaurant le Salvigny. Nous commandons une salade César ou un filet mignon au thym inscrit au menu et des tartelettes au citron que nous  consommons sous les platanes de l’autre côté de la rue, ce qui complique le travail de la serveuse. 
Nous sommes au pied  d’un curieux bâtiment fortifié qui nous intrigue et nous attire :
Il s’agit d’un Château Prieuré moyenâgeux  entouré d’anciennes dépendances, reconverties aujourd’hui en habitations.
L’ensemble forme un vrai petit bourg protégé derrière l’enceinte du lieu religieux, incluant  une église romane dédiée à Saint Julien et de libre accès.
Pour visiter le prieuré clunisien, il faut passer par une visite guidée.
Rehaussé au fil des siècles, bien rénové, l’édifice a connu plusieurs strates. Le monument  offre une façade originale flanquée de trois tours. Elles furent  rajoutées après la guerre de cent ans contre le réfectoire, tant dans un but  défensif que dans un but de consolidation. François 1er désigne des prieurs laïcs pour surveiller les prieurs, et ils en profitent pour grignoter à leur profit les possessions religieuses.
Au XVIII° siècle, la bâtisse est aménagée en s’inspirant de la façon de vivre des Laïcs : pièces plus confortables, plus lumineuses, avec des sols en « tapis » (tommettes carrées en pourtour et quadrilobes au centre), et surtout, des cheminées.
Après la seconde guerre mondiale, une riche et dévote bourgeoise l’achète puis la lègue aux vieux religieux comme maison de retraite. 
L’étage est divisé en cellules individuelles proches d’une chapelle cramoisie de plein pied qui leur était destinée. Aujourd’hui, l’ancien prieuré appartient à la région.
La visite donne droit à la montée dans les combles par un escalier du XVIII°, d’abord en pierre puis en bois. La charpente est magnifique ;  parfois en chevrons (XV° siècle), elle est aussi à « enrayure » : cela   permet de percer des fenêtres dans le toit  afin d’optimiser l’espace pour d’autres cellules. Il y a aussi une partie des combles datant du  XVIII° (combles « brisées »).
Dans ce grenier subsiste un adorable pigeonnier  volontairement privé de ses locataires responsables des dégradations ; il arrive qu’un ou deux parviennent malgré tout à s’introduire pour nicher dans les anfractuosités des murs.

mardi 19 janvier 2021

Bonjour tristesse. Frédéric Rébéna. Françoise Sagan.

Ces 100 pages de BD de 2018 invitent à aller voir du côté du livre  de l’écrivaine précoce,
publié en 1954
« Après dîner, je regardais le ciel éclaboussé d'étoiles, espérant leur chute. Mais nous n'étions qu'en juillet, elles ne bougeaient pas »
et même vers le film d’Otto Preminger avec Jeanne Seberg s’il est à portée de vue,
malgré un rappel de la déception de Frédéric Beigbeder, tout indiqué pour préfacer l’album de 104 pages qui fait référence à « On ne badine pas avec l’amour » et aux « Liaisons dangereuses ». 
« Les adaptateurs sont électriques : le trait obsédé de Frédéric Rébéna (qui évoque Guido Crépax) ajoute à une œuvre ancienne un surcroit d’énergie. » 
Trois femmes : la fille narratrice de l’âge de Sagan, 17 ans, qui par le pouvoir d’un roman qu’elle est en train d’écrire, plutôt que de réviser son bac, va modifier le cours des amours de son cher papa hésitant entre sa sensuelle maîtresse et une ancienne amie de sa femme décédée.
Crépuscule au soleil de la Côte d’azur, bien rendu en de froides couleurs et des traits élégants aux dialogues tendus où l’ennui a de l’espace pour s’occuper. 
« Elle se glisse entre nous comme un beau serpent. Elle m’empêche de m’aimer moi-même, moi si naturellement faite pour l’insouciance… »

lundi 18 janvier 2021

Il était une fois la révolution. Sergio Léone.

Sur une musique entêtante d’Ennio Morricone, comme il se doit,  le film de 167 minutes a des lenteurs toujours séduisantes cinquante ans après la première projection.
Le titre anglais en disait bien plus que l’intitulé en français qui ne laisse pas deviner l’ambigüité des rêves d’alors parfumés à la dynamite : 
« Duck, You Sucker », « Planque-toi, connard ! »
Dans le Mexique de 1913, Rod Steiger, un pilleur de diligences rondouillard, habile du pistolet, rencontre l’affuté irlandais, James Coburn, spécialiste en explosifs.
Les anti-héros devenus héros malgré eux, vont mener leurs affaires d’un festival pyrotechnique l’autre, avec ce qu’il convient de mines impassibles aux regards expressifs.
Des images fortes de massacres de civils vont succéder à des séquences pleines d’humour et le propos parodique devient politique sans livrer de leçons didactiques, les faiblesses humaines côtoyant la générosité et le courage.

 

dimanche 17 janvier 2021

A l’aube revenant. Francis Cabrel.

J’aime retrouver les chanteurs de ma génération aux mélodies familières et rythmes pépères : chez l’Astaffortais : country urbaine et rock des campagnes.
Et puis à regarder ses textes, je réévalue, comme d’autres fois, ma première écoute paresseuse pour trouver bien du charme à cette livraison. 
Depuis « la page éteinte comme une rue du collège un dimanche », il trouve les mots pour rendre hommage à son père : sans chercher vraiment à « Te ressembler » 
« T’as jamais eu mon âge
T’as travaillé trop dur pour ça »
 Il était fait pour rêver devant « Les bougies fondues » et chercher : 
« La poésie où y en a jamais eu »
 Et s’amuser de nos expressions toutes faites, « Parlons nous »
 «  Dites n’importe quoi, des lapalissades
T’es plutôt TFC ou t’es plutôt le Stade
Et le petit dernier ça marche à l’école
C’est joli le dessin là sur ton épaule »  
« Jusqu’aux pôles » où dégringolent les glaciers, l’humour est bien cette « politesse du désespoir » : 
« Je sais pourquoi la terre se réchauffe
C’est quand t’as sur toi de moins en moins d’étoffe
Et qu’une bretelle tombe de ton épaule »
 Il aime remonter aux troubadours tournant autour de « Fort Alamour » pourtant : 
« Chanter n’est d’aucun secours. » 
Avec « Les rockstars du Moyen Age » 
«  Y a pas de langue anciennes
C’est la même toujours
Pour dire les mêmes peines
Jurer les mêmes amours » 
L’« Ode à l’amour courtois » est printanière, pleine de promesses : 
« J’invente des rêves sans fin, des nuits torrides
Chaque matin l’aube revient sur mes mains vides » 
« A l’aube revenant » les amants sont bien là : 
« Descendent de leur rêve, encore ruisselants » 
Au « Peuple des fontaines », il a confié ses peines : 
« Pour qu’un jour tu reviennes te pendre à mon bras » 
Et du temps où « J’écoutais Sweet Baby Jane » 
« Tas monté la radio d’un ou deux crans de plus
Ça m’arrangeait j’avoue, j’avais peur des silences. » 
Il y a toujours à apprendre dans la « Chanson pour Jacques » 
«  La vie c’est une drôle d’histoire,
Ça je crois le savoir ». 
Et dans cet espace trouver une occasion de chanter, laisser advenir le hasard même si c’est « Difficile à croire »: 
« Un souffle gonflait ton corsage
L’ouvrage m’est tombé des mains »

 

samedi 16 janvier 2021

Un anthropologue en déroute. Nigel Barley.

Jubilatoire.
A travers le récit d’un séjour chez les Dowayo en terre camerounaise, nous nous retrouvons dans la même position d’observation que l’anglais qui est venu chez eux les examiner, et nous vérifions que l’humour est le chemin le plus sûr pour accéder à l’humanité. 
« Les anthropologues se sont assis aux pieds des saints indous ; ils ont vus des dieux étranges et ont été témoins de rites immondes ; enfin ils se sont rendus bravement là où nul homme ne s’était aventuré auparavant. Ils baignent dans les effluves de la sainteté et de la divine gratuité. Ils sont les saints patrons de l’Eglise anglaise de l’excentricité. Il n’était pas question de laisser passer la chance de les rejoindre. »
Pendant 261 pages d’aventures se développe une observation fine des mœurs d’une tribu dont la langue n’est plus parlée que par un petit nombre de personnes dont le narrateur. 
« Une bicoque miteuse se donnait de grands airs, affublée d’affiches vantant les mérites de la loterie nationale et les inconvénients de l’analphabétisme. C’était imparable : « Un adulte illettré est un bon à rien qui reste inaccessible à l’information. Il freine les initiatives prises pour accélérer l’accession du pays à un niveau de développement. » Mais qui pouvait lire cette affiche ? » 
Sans chichis. 
« Les chiens des Dowayo n’ont rien de très séduisant. Celui-ci était particulièrement repoussant. Il n’avait que la peau sur les os, des blessures ouvertes aux oreilles, noires de mouches, de grosses tiques sur le ventre. Il nettoya  l’intérieur du récipient avec ardeur. Après quoi on me présenta la calebasse remplie de bière. » 
Bien des énigmes resteront mystérieuses face à ce type universel de réponses : 
« - Pourquoi-tu fais ça ?
- Parce ce que c’est bien.
- Pourquoi c’est bien ?
- Parce que les ancêtres nous l’ont dit.
- Pourquoi les ancêtres te l’ont dit ? (sournois)
- Parce que c’est bien. » 
Cet ouvrage indispensable de 20 ans d’âge est au cœur des débats de l’heure. 
« Un étudiant noir foulani applaudissait au massacre des blancs au Zaïre sous prétexte qu’ils étaient racistes. Ils étaient blancs donc ils étaient racistes. Mais lui éventuellement, est ce qu’il épouserait une Dowayo ? Il me regarda comme si j’étais devenu fou. »
 

vendredi 15 janvier 2021

Le second degré en dessous de zéro.

Il m’est arrivé  bien des fois au cours de ma carrière de ne pas être accessible au second degré, quand par exemple, je surprenais un garçon battant un de ses camarades qui se défendait : « on s’amuse m’sieur ! » disait-il. La blague n'était pas bonne pour tout le monde.
Aujourd’hui, d'autres malhonnêtes me consternent : ceux qui ne savent pas prendre du recul, ni apprécier une complicité, avec qui c'est devenu impossible d’user de ce qu’on appelait « l’esprit » aux airs aristocratiques. L’expression « un homme d’esprit » approche de l’obsolescence dans un carnet de vocabulaire aminci.
On ne rit plus, les ricanements ont tout corrompu, le goût du clash est permanent, la compréhension a dégringolé les degrés, l’humour est mort.
Va donc dire :« Ça me tue ! » L’expression a ponctué nos indignations quand les atteintes à l’intelligence devenaient lancinantes, et puis un prof cette fois-ci a été tué pour des dessins. Coupez !
« Par quel enchevêtrement d’idées, de discours et d’errements en est-on arrivé à ce que, pour la première fois dans le monde occidental depuis la fin de la guerre, un journal soit décimé, avant de devoir se retrancher dans un bunker à l’adresse secrète ? Qui a nourri le crocodile en espérant être le dernier à être mangé ? Parce que c’est toujours la même chose : quand on est confronté à la peur, certains choisissent de pactiser. » 
Richard Malka, avocat de Charlie.
Le nombre de péremptoires sanguinaires a explosé, et pour des raisons supérieures à une imperméabilité aux plaisanteries, l’absurdité aggravée de mauvaise foi et de foi mauvaise recouvre la planète.
Les intégristes gagnent des parts de marché et ceux qui ne voient que complots de partout ne veulent plus comprendre ni histoire, ni science, quand la langue qui nous était commune est devenue essentiellement une source de malentendus. Trump a fait des émules bien au-delà des folklos à front de bison. L’école a failli chez nous aussi.
Des siècles de manipulation des symboles par les religieux auraient dû nous prémunir de ne pas tout prendre à la lettre : nous savons quand même que tous les croqueurs d’hostie ne sont pas des cannibales.
Le prophète n’avait pas posé les fesses à l’air devant un dessinateur de Charlie et le Christ du Gréco est bien trop blanc pour être le vrai. 
« Les couilles de mon grand-père, pendues dans l'escalier, dont ma grand-mère, se désespère de les voir se dessécher » comme disait la chanson, ne sont pas celles de mon pépé!
En matière de mythe, le bonhomme Noël se traine avec son traineau mais les séparatistes qui ne voient chez lui que les couleurs de Coca-Cola interdisent à leur progéniture d’imaginer au-delà des nuages autre chose que des phénomènes météorologiques.
Fantaisie bannie,  symboles incompris, lexique réduit :  le sourd, l’œil collé à la serrure, gueule! Mélanges, montages,  amalgames; la distanciation ne vaut que pour des raisons sanitaires et au jeu de la mise à nu des rois, personne ne gagne en humilité, en indulgence. 
Dans le monde littéraire où l’attention aux mots devrait être la raison de vivre, la distance entre l’œuvre et l’auteur se réduit, et la doxa actuelle cherche plus volontiers du côté de la braguette d’Hugo plutôt que vers ses vers. Voulant faire passer Rimbaud de la clandestinité des «invertis» aux ors de la République depuis que le gay est présentable, certains postulent pour lui au Panthéon. Quant à Sade qui figure toujours en bonne place dans les suppléments littéraires, verra-t-il une érosion des faveurs critiques quand tant d’autres moins sulfureux disparaissent coulés dans les piliers de ciment du politiquement correct ?
Pour m’en tenir à un format familier à ceux qui acquiescent à « OK boomer ! », je retiens une formule de papier de papillotes : 
« Celui qui veut écrire son rêve se doit d’être infiniment éveillé » Paul Valéry
Des envies de fermer les yeux  subviennent pourtant à la vue de l’inscription « ACAB » ( All Cobs Are Bastards) dans le prolongement de nos imbéciles « CRS : SS » et que meurent trois gendarmes qui n’ont même pas fait l’objet d’une brève chez Médiapart tandis qu'un croche-patte de la part d’un policier nourrit leurs lecteurs pour la quinzaine. 
« Un boomerang, c’est comme un frisbee, mais pour ceux qui n’ont pas d’amis »