mercredi 21 octobre 2020

Côte d’Azur 2020 # 3. Carros. Cagnes sur mer.

Pour nous rendre au village de Carros nous traversons une zone industrielle et un quartier récent où vivent la plupart des 10 000 habitants de la commune qui compte aussi une autre entité : Carros-les-Plans plutôt horticole et résidentielle.
Ainsi dans l’arrière pays, les anciens villages perchés ont leur « Plan », ici au bord du Var alors frontière entre le Comté de Nice et la Provence à laquelle appartenait Carros.
Nous sommes dans les Alpes maritimes sur fond de Mercantour à la porte du parc naturel régional des Préalpes d’azur.
L’entrée en matière est parfaite avec un artiste carrossois, Dominique Landucci, spécialiste passionné d’un autre peintre exposé au château : Guillonnet.
Les œuvres recueillies par le collectionneur Frédéric Ballester accrochées jusqu’au 27 septembre conviennent bien aux vieux murs : de Callot à Combas, de Dürer à Arman, Braque, Bonnard, Chagall, Delaunay et 70 autres.
A Cagnes-sur-mer la maison de Renoir comporte plus de sculptures que de peintures du maître des formes rondes et roses.
La maison est agréable au milieu du jardin des Colettes qui n’a plus l’authenticité du temps de l’acquisition du domaine (1908) quand la famille pressait l’huile de ses oliviers,
mais des arbres vénérables demeurent tels qu’ils figurent sur des tableaux de Pierre le père.
Jean le fils y tourna « Le déjeuner sur l’herbe ».
De nombreuses séquences filmées nous montrent Pierre Renoir en action malgré des rhumatismes articulaires handicapants.
Il peindra jusqu’à sa mort en 1919 à 78 ans.
Dans cette journée des villages perchés nous sommes passés à Saint Jeannet sous son Baou (rocher en provençal).

mardi 20 octobre 2020

Un printemps à Tchernobyl. Emmanuel Lepage.

Quand on m’a mis dans les mains ce beau volume au titre irradiant comprenant le mot : « Tchernobyl », que même les plus oublieux n’ont pas perdu de vue depuis 1986, s’est réveillée ma culpabilité d’avoir déserté aussi le combat antinucléaire.
Ancien de Bugey et de Malville (1977), j’en suis à trouver qu’il est difficile de se passer du nucléaire, tant l’éolien a du mal à s’installer et que nos besoins en électricité ne cessent de croître : toute vie génère des déchets.
La démarche de jeunes gens qui installent une résidence d’artistes à proximité de la zone interdite et le courage qu’il déploient force le respect envers leur engagement et donne du crédit aux informations qu’ils rappellent ou qu’ils mettent en doute, voire lorsqu’ils en révèlent d’inédites.
Mais leur propos ne tient pas à un rappel de chiffres fussent-ils impressionnants : 
« Début 2010, l'académie des sciences de New-York affirme que la pollution durable due à l'accident a provoqué la mort, sur toute la planète, de près d'un million de personnes entre 1986 et 2004 »
 800 000 liquidateurs nous ont sauvés.
Leur sincérité rend passionnantes ces 176 pages, tendues, poétiques, chaleureuses.
Nous suivons intensément l’intention de l’auteur de montrer l’invisible. Il évite de tomber dans le formalisme,  et plutôt que de se complaire dans des images d’apocalypse, il touche le cœur du réacteur de nos vies de lecteur, lorsque ses dessins prennent des couleurs, alors qu’il a surmonté la douleur de ses mains qui le paralysaient .  
« Je croyais me frotter au danger, à la mort... et la vie s'impose à moi. Gildas, tu crois qu'on peut dire « Tchernobyl, c'est beau ? »
Ce voisinage avec la mort, ces défis pour la titiller avec une recherche d’une affirmation sommaire d’une virilité parmi de jeunes ukrainiens qu’ils fréquentent et respectent bien qu’ils soient tellement éloignés de leurs valeurs, est une belle histoire de vitalité et de tolérance. Il est bien question de printemps.
Lepage avait causé de Fukushima et dessiné, magnifiquement, dans la Revue Dessinée 
et depuis l’Amérique du Sud, il évoquait déjà les dilemmes d’un artiste 

lundi 19 octobre 2020

Drunk. Thomas Vinterberg.

Quatre potes profs se lancent dans une expérimentation « scientifique » pour combler le déficit  d’alcool que tout homme aurait dans le sang. Cette théorie a été développée par un psychologue norvégien et ne constitue pas seulement une ficelle scénaristique.
Peu importe finalement pourvu qu’on ait l’ivresse de l’amitié et du dépassement des rigidités et des fatigues.
La complexité des rapports pédagogiques n’est pas traitée en priorité, ce serait plutôt la difficulté de vivre dont il est question sur deux heures, tanguant entre comédie et tragédie. Quand la quiétude vire à l’ennui, la vodka donne de la vigueur aux glaçons.
L’équilibre est réalisé entre l’éloge de la convivialité accélérée par des breuvages de plus en plus forts qui peuvent mener au pire ou à la renaissance, alors qu’une pente fatale attend inexorablement les bambocheurs désinhibés. Aucune leçon de tempérance n’est infligée.
Comme le whisky que je me suis autorisé à prendre pour rédiger ce billet, ça arrache, mais c’est bon ! Nos frères les hommes sont parfois pitoyables et j’aimerais savoir danser comme le mystérieux Mads Mikkelsen.
Ce film est plus proche du film « La Communauté » 
que de « Festen » qui identifia le réalisateur au point de susciter des produits dérivés au théâtre http://blog-de-guy.blogspot.com/2018/02/festen-thomas-vinterberg-cyril-teste.html

 

dimanche 18 octobre 2020

Le jardin de mon père. Ali Djilali-Bouzina.

Joli titre, qu’éclaire une conclusion émouvante, après que l’humour ait parcouru pendant une heure et quart un récit souriant et grave, loin du carré de fraises ou de navets*  qui est devenu l’horizon de tant de nos contemporains.
Venant d’Algérie, la famille Djilali arrive dans le Sud de la France « rue des âmes du purgatoire » puis se fixe dans une HLM près d’un cimetière en Alsace, contrée que la mère trouve exotique avec une langue qui ressemblerait pour elle au berbère.
Le one man show a de nouveau touillé mes potions nostalgiques quand pourtant la vie est rude au cœur du conflit entre la France et l’Algérie, à aucun moment ne sourd de plainte misérabiliste.
Le chocs des cultures, la découverte des distances de classes sociales sont universels comme le travail qui tient le père debout ou la pudeur des parents qui n’affichaient aucun signe d’amour mais ne pouvaient se passer l’un de l’autre ; ils ont eu 12 enfants.
Ce spectacle bien mené avec des trouvailles de mise en scène simples et efficaces où sa complice Clotide Aubrier joue la souffleuse, avait bien commencé avec des remerciements à son institutrice qui dans le contexte convoque pour moi Camus voire Pagnol, comme on peut aussi penser à Begag pour la tendresse ou à Fellag pour la vitalité
Mais c’est du Djillali, personnel, sensible, sans effronterie, un beau cadeau à son père à qui il donne la lumière et les mots et au public qui ne boude pas son plaisir. 
Il revient en mars à la MC2.
*Champ de navets : Cimetière d’Ivry, où étaient enterrés les condamnés à mort, voir Brassens et Gaston Couté (champ de naviaux) 

samedi 17 octobre 2020

Un été avec Montaigne. Antoine Compagnon.

Ce livre édité par France inter avait précédé "Un été avec Proust", 
dans une série de vulgarisation bienvenue justifiant bien son titre aux airs de vacances, tout en cultivant une ambition de mettre à notre portée les grands classiques en 160 pages: Baudelaire, Hugo, Homère, Pascal, Paul Valéry… 
Montaigne présenté avec finesse par le professeur au Collège de France qui s’accorde parfaitement avec son « Honnête homme », nous devient familier et ses réflexions rassemblées sous le titre parfait des « Essais » nous paraissent très contemporaines malgré leurs 500 ans d’âge. 
Cette langue françoise en ses débuts qui tant brouillait notre compréhension de lycéen révèle toute sa poésie lorsqu’elle est accompagnée de commentaires éclairants. La sincérité du cavalier est mise en évidence. 
 « Le monde n’est qu’une branloire pérenne. Toutes choses y branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Égypte, et du branle public et du leur. La constance même n’est autre chose qu’un branle plus languissant. » 
40 chapitres courts donnent une idée de l’agilité de l’ancien maire de Bordeaux 
à travers des citations concernant l'engagement,  la bonne foi, l'éducation, l'amitié, l'écriture, la philosophie, la virilité, «  la peau et la chemise »... 
« Le voyage qui enseigne le scepticisme est sa doctrine fondamentale »… 
Il est tellement agréable de retrouver tant de phrases que l’on ne sait plus savourer, pris dans le bavardage contemporain et dont la concision saisit par sa profondeur et sa limpidité : 
« Éduquer, ce n’est pas remplir des vases mais c'est allumer des feux » 
C’est que : « La parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute. »

vendredi 16 octobre 2020

Génération offensée. Caroline Fourest.

La chroniqueuse de Marianne est pour moi une valeur sûre et son livre résolument féministe, anti raciste, décrivant des dérives inquiétantes d’une gauche sectaire et identitaire, donne des motifs pour se rassurer car la France résiste mieux que le Canada et les Etats Unis aux ravages du politiquement correct.
Ce n’est pas demain que chez nous les réseaux sociaux s’en prendront à une maman qui a organisé un anniversaire déguisé sur le thème du Japon sous prétexte d’ « appropriation culturelle » ou que des étudiants toujours pour le même motif ont demandé l’interdiction de cours de yoga ! 
Mais une certaine gauche bien de chez nous se situe loin de l’universalisme, et des universitaires à la remorque des campus américains sont bien indulgents avec les nouveaux censeurs. L’UNEF ne se bat plus pour la laïcité et fait interdire  la lecture de  « la lettre aux escrocs de l’islamophobie » de Charb alors qu’une de ses dirigeantes au moment de l’incendie de Notre Dame se permet sur Twitter : 
« Les gens ils vont pleurer des bouts de bois wallah vs aimez trop l’identité française alors qu’on s’en balek objectivement c’est votre délire de petits blancs » 
Pierre Jourde a raison de dire que ce syndicat étudiant est devenu un « syndicat de talibans ».
Ariane Mnouchkine que certains ont cherchée quand elle a voulu interpréter, avec sa troupe cosmopolite du théâtre du Soleil, « Kanata » d’un metteur en scène Québécois, à propos des populations autochtones canadiennes argumente :
« Les cultures ne sont les propriétés de personne. … Elles ne sont pas isolées, elles s’ensemencent depuis l'aube des civilisations. Pas plus qu'un paysan ne peut empêcher le vent de souffler sur son champ les embruns des semailles saines ou nocives que pratique son voisin, aucun peuple, même le plus insulaire, ne peut prétendre à la pureté définitive de sa culture. » 
Interrogée par le journal « Elle » Caroline Fourest résume :
« Nous vivons une époque qui cultive la victimisation. Le meilleur moyen de capter l'attention est de se dire « offensé ». C'est une expression qu'on entend toute la journée sur les campus américains, où les élèves se plaignent de « micro-vexations » quand un enseignant risque de les faire réfléchir ou de les perturber au point d'exiger des « safe space » (« espaces sûrs »). Dans certaines universités prestigieuses, les professeurs sont obligés de les avertir de contenus « offensants » avant d'étudier des œuvres classiques, comme « Les Métamorphoses » d'Ovide. » 
 Et les profs s’écrasent devant la génération « Millennium ». 
« À force de voir le monde de façon décontextualisée et anachronique à travers Internet, elle se croit pourtant parfois esclave, indigène, voire menacée d’extermination. Lyncher numériquement lui sert d’école politique, de parti, de mouvement. Elle y a appris à s’emballer au moindre tweet, à vociférer plus vite que son ombre pour récolter le plus grand nombre de « likes ». Au point d’imiter à merveille les bons vieux procès de Moscou, plus faciles à organiser que jamais. Ils se jouent désormais à l’université. »

jeudi 15 octobre 2020

Venise. L’atelier de Giovanni Bellini. Gilbert Croué.

Sous la vue cavalière de « Venise » par Jacopo de Barbari, saisissante de précision, le conférencier devant les amis du Musée de Grenoble pouvait situer l’atelier de la famille Bellini, haut lieu de la Renaissance. Si en d’autres contrées la modernité s’inventa, Giotto avait rompu avec les manières byzantines bien avant 1500, mais les fresques du Florentin n’eurent pas d’écho à Venise en milieu quelque peu humide. La peinture alors n’était pas un art aussi prestigieux que la mosaïque ou l’architecture.
« La Vierge d'humilité adorée par un prince de la Maison d'Este » (1440) par le père, Jacopo Bellini, respecte la hiérarchie des grandeurs et le donateur est plus petit que les divinités, mais plutôt qu’un fond doré représentant la lumière céleste, sous un ciel bleu, un paysage raffiné s’offre à nous.
Sa « Flagellation du Christ » se préoccupe surtout de perspective. 
Gentile Bellini, un des fils, était devenu peintre officiel des doges, il a travaillé à Constantinople lorsque la paix fut signée avec l’empire ottoman (1480). 
Sa « Procession sur la place Saint-Marc » d’une longueur de 7 mètres, nous renseigne sur la magnificence de la basilique, plus sobre aujourd’hui après les travaux du XIX° siècle.
Vittore Carpaccio
fréquentait l’atelier http://blog-de-guy.blogspot.com/2019/05/les-confreries-venise-fabrice-conan.html. « Le Miracle de la relique de la Croix au pont du Rialto » dont la partie supérieure s’enlevait pour le passage des bateaux à voile se déroule parmi la multitude.
« La Fuite en Egypte » advient dans la lumière douce de la Vénétie sur fond de verdure humaniste. 
« La Crucifixion »
 aux personnages alignés a été réalisée par Giovanni Bellini, le plus célèbre de la famille, à l’âge de 15 ans au début d’une carrière de 70 ans.
La comparaison avec Mantegna (M) qui épousa la sœur Nicolosia Bellini va de soi, 
« Le Christ au jardin des oliviers » du passionné d’archéologie (M) connu pour ses raccourcis est plus minéral que celui de G.Bellini (GB) qui privilégie l’atmosphère.
Le « Christ bénissant » de ce dernier, d’une grande humanité, est bien sur terre. 
« La Pietà »
derrière la margelle où se présentent des demi-corps, dont le prix de la représentation était divisé par deux, est expressive et tendre jusque dans les mains.
Le « Polyptique de Saint Vincent Ferrier » est une œuvre considérable, Saint Christophe traverse le siècle.
La figure centrale du « Retable de Pesaro » figure un discret couronnement de la vierge parmi les hommes.
Une autre « Pietà » qui le surmontait avec une belle relation entre les personnages réserve une place modeste à Jésus.
Le sommeil de l’enfant sur les genoux de la « Madone des prés » présage le sacrifice à venir. Antonello de Messine après des démonstrations de peinture à l’huile de lin, convertit l’atelier à cette nouvelle technologie pour laquelle l’apport de Van Eyck avait été capital.
« Le Calvaire » (G.B)  avec la mer au loin et ses personnages à l’arrière plan est influencé par les Flamands.
« Le retable de San Cassiano » s’il ne comporte plus que le panneau central, introduisait le décor d’une voûte à caissons devenu un topos de la peinture vénitienne.
Pour la « Basilique de Santa Maria Gloriosa dei Frari », San Benedetto grandeur nature   impressionne par son regard
et le « Retable de San Giobbe » est comme « une extension virtuelle de l'espace réel de l'allée ». Si le maître s’est méfié de Léonard de Vinci, il a accueilli Dürer sans réserve ;
dans sa « Vierge au serin » le christ tient une sucette vénitienne, du sucre contenu dans un tissu.
Le Titien terminera le dernier tableau de G.Bellini «  Le festin des Dieux » (1514/1529) dans lequel  Priape est empêché d’aller plus loin avec la nymphe réveillée par les braiments d’un âne. Ce festin animé mesure le chemin parcouru depuis les primitifs jusqu’à la lumière renaissante à l’image de l’atelier Bellini au cœur de la Sérénissime, qui a permis à tant d’artistes notoires d’échanger, de s’enrichir.
Giorgione son élève a réalisé «  La tempête » où le paysage prend toute la place, si bien que les interprétations sont  très variées concernant le sujet de ce tableau, important repère dans l’histoire de l’art.
«  Le Concert champêtre » attribué alternativement à Giorgione ou au Titien, nous fait penser au déjeuner sur l’herbe de Manet 
alors que la « Jeune Femme à sa toilette » ultime tableau de l’octogénaire annonce Ingres.
Mais je ne résiste pas à publier à nouveau le lumineux portrait du  « Doge Leonardo Loredan » qui sait la nuit à venir.