mercredi 7 octobre 2020

Côte d’Azur 2020 # 1. Le cap du Dramont.

Ici, le rouge massif de l’Estérel plante ses franches couleurs ennoblies jadis par les affiches vantant le PLM (Paris Lyon Marseille... à moins que ce soit Paris/ Lyon/ Méditerranée).
Cette ligne de chemin de fer devenue SNCF longe la grande bleue par de nombreux viaducs dont celui d’Anthéor (1864).
La Côte d’Azur ne manque pas de pigments surtout quand on arrive face à « l’île d’Or » à l’Est de la commune de Saint Raphaël qui compte 24 km de côte, aux confins du département du Var.
La rhyolithe rouge donne son identité à l’Estérel, alors qu’un porphyre bleu porte le nom d’esterellite pour désigner les galets qui ont servi à construire sur la plage le monument en hommage aux vingt mille soldats qui y ont débarqué le 15 août 44. 
« La rade d'Agay forme un joli bassin bien abrité, fermé, d'un côté, par les rochers rouges et droits, que domine le sémaphore au sommet de la montagne, et que continue, vers la pleine mer, l'île d'Or, nommée ainsi à cause de sa couleur » Guy de Maupassant 
Dans l’agréable promenade qui nous mène au sémaphore, installé à la place d’une tour de guet, entouré d’une flore remarquable, nous prenons la photo de l’île telle qu’elle figure sur tous les dépliants touristiques. La légende a retenu que ce rocher à la tour sarrasine fut perdu au jeu par un anglais excentrique.
En fouillant dans la toile, on peut apprendre que c’était la femme de Léon Sergent qui était anglaise et que le propriétaire a négocié son bien avant de déménager. Ce fut en tous cas un lieu de fête de la société de la Belle Epoque se la jouant royaume d’opérette. 
Lors de la première célébration du débarquement, une fusée d’artifice mit le feu à la tour et au lendemain de la 50e commémoration du débarquement de Provence, l’officier de marine qui avait restauré les lieux mourut après son habituel tour de l’île à la nage.
Si Nathalie Portman qui s’est posée par là pour « Planétarium » n’était plus sur la plage, lors d’une diffusion prochaine du « Corniaud » nous pourrons reconnaître le décor.
Nous n’avons pas confirmé non plus que la silhouette de la tour à allure moyenâgeuse aurait pu inspirer Hergé pour « L’ile Noire », mais le café était bien agréable au petit port du Poussaï.

mardi 6 octobre 2020

Révolution. Grouarzel Locard.

Ce premier pavé intitulé « Liberté » d’une série de trois volumes qui atteindront les mille pages a été primé à Angoulême en plein mouvement des « gilets jaunes ». Les auteurs ayant pourtant travaillé sur le long terme, sollicitent cette proximité qui me semble parfois abusive, même si rumeurs et manipulations ont eu leur part dans ce basculement vers la démocratie à la fin du XVIII° siècle, avant les chaînes d'info, les réseaux sociaux et la taxe sur le diésel.
Les personnages fictifs ont beau être plus présents que les personnalités influentes ayant effectivement existé , ils sont éclairants dans un contexte bouillonnant entre janvier et octobre 1789, bien rendu jusque dans ses noirceurs nocturnes, voire lors de séquences quelque peu confuses.
Barnave perd de son importance au moment où Robespierre apparaît en fin de chapitre.
Les premiers rôles sont tenus par les plus miséreux et la foule anonyme dont les mouvements sont remarquablement saisis. L'ajout de duels à l’épée évoque à mon avis un genre cinématographique désuet, alors que le découpage exprime bien la dynamique du septième art.
Quelques évènements notables se déroulent à l’arrière plan : réunion des Etats-Généraux, nuit du 4 août. Par contre la prise de la Bastille apparait décisive et dans la dynamique de l’insurrection sont réévalués les massacres chez Réveillon dans le faubourg Saint Antoine ou les attaques contre les barrières de l'octroi.
Le soin apporté au langage malgré quelques tournures au goût du jour, restitue les distances : «  Bornons-nous à rendre au ministre congédié, dont la perte semble affliger la nation, le tribut d’estime qu’il a mérité » il s’agit de Necker,
alors que « Répète un peu ça, four à merde ! Race de pendu ! » s’échange autour d’une charrette transportant de la farine.
Au-delà de la vitalité des mômes expressifs qui traversent l’histoire, la présence d’un journaliste réactionnaire ou le frère jumeau inventé d’un député breton apportent un recul que n’a pas forcément l’historien Pierre Serna égratignant ceux qui se contentent de « ronronner la énième histoire de la révolution » ; ce n’est effectivement pas le cas avec ce bel ouvrage.
A ce propos, au théâtre, Pommerat appelait, me semblait-il, à davantage de réflexions.http://blog-de-guy.blogspot.com/2016/05/ca-ira-1-fin-de-louis-joel-pommerat.html

 

lundi 5 octobre 2020

The elephant man. David Lynch

Pour les peureux comme moi qui ont attendu quarante ans pour s’étonner encore que cette œuvre jalon de l’histoire du 7°art, soit inspirée par une histoire réelle, les premières images, évoquant le mystère et l’effroi que nous redoutons, nous amènent à regarder la vérité en face. 
Le choix du noir et blanc, décrivant magnifiquement le XIX° siècle, suggère une dimension allégorique condensée dans ce cri :  
« Je ne suis pas un animal, je suis un être humain». 
Les portraits des bons et des méchants sont typés, mais l’engouement des foules sordide ou altruiste nous interroge, et la générosité d’individus, leur évolution nous rassure sur la nature humaine. 
Dans ce miroir, interdit au monstrueux John Merrick, nous pouvons examiner notre goût du sensationnel et nos besoins de reconnaissance, le conformisme de nos préjugés, sans avoir l’impression de subir quelque leçon. Un beau film.

 

dimanche 4 octobre 2020

Partout la musique vient. Julien Clerc.

A l’écoute du chanteur qui commença dans « Hair», comédie musicale d’hier, j’ai connu des hauts, «  Ce n’est rien », et des bas, «  Petits pois lardons » ; la même impression contrastée me revient avec son dernier CD.
Il se trouve que c’est le moins connu de ses paroliers qui a commis :  
« Je marche pieds nus sur le carrelage italien je crois » 
ou «  l’image garde une qualité numérique »
et lorsque « Pierrot s’enfonçait dans l’histoire de Violette » nous atteignons le fond du kitsch ; il s’appelle Duguet- Grasser.
Alex Beaupain (AB) lui va parfois bien :  
«  Partout la musique vient », célébration de la vie qui pulse, « entendez ma douleur » se poursuit en tralala, 
ou «  Va-t’en si tu veux » quand la vitalité répare la séparation. 
« Danser » « sur les tombes et sous les bombes », bien que conventionnel, s’entend volontiers.
Mais A B, le jeune chanteur désenchanté 
ne convient pas toujours au septuagénaire que j’aime pour ses envolées. 
« Gagner la chambre » est davantage dans la confidence comme « Encore un verre » ou « Tout » aux accents delermiens que je verrai mieux susurrées par l’original : 
« Tu sais le monde vieux, tu sais le monde cruel» 
J’aime quand il tombe volontiers dans des bras :  
« Elle a pris mon cœur et mon cœur s’est épris » dans « On ne se méfie jamais assez ».  
« Mon Cœur hélas » est très sollicité : « cloué au lit à même le bois ». 
Dans la mélancolie de Le Forestier, « On va, on vient, on rêve » à laquelle il apporte quelques épices, la réussite est là : 
« Je suis venu tendre et stupide
Hanter la maison du bonheur
Je suis entré comme un voleur
Et j’ai trouvé la maison vide. » 
Mais c’est Carla Bruni, oui, qui lui fournit les paroles les plus belles avec « Les amoureux » : 
« Et d’où viennent les gens frêles
A la merci d’un rien, d’un regard, d’un péché,
Les inquiets, les fragiles, les bergers sans étoile
D’où viennent les naufragés » 
Les plus déchirantes, « Le chemin des rivières » 
« Je sens le bois se faire à ma peau
Je sens l’hiver se faire à mon âme
Et mes souvenirs doucement prendre l’eau » 
Des accents de « Lost song », de la délicieuse «  Double enfance », voire de l’intro de « Black is black » se repèrent dans quelques mélodies, trahissant une difficulté à se réinventer; j’opterai pour le plaisir des retrouvailles.

 

samedi 3 octobre 2020

Histoires de la nuit. Laurent Mauvignier.

Le livre que lit une maman à sa fille avant qu’elle s’endorme est intitulé « Histoires de la nuit ».
En une nuit, les histoires des personnages attentivement exposées tout au long des 635 pages vont se révéler, exploser. 
Même dans le hameau le plus reculé, derrière un panneau que personne ne lit, « L’Ecart des trois filles », nul n’échappe au passé. 
«  Et tout ça pour faire quoi dans un bled pourri du centre de la France, au milieu de rien, de champ suintant le pesticide et le cancer, l’ennui, la désertification et le ressentiment ? »
Commencé comme une chronique campagnarde dans la veine de la bienfaisante Marie Hélène Laffon http://blog-de-guy.blogspot.com/2014/11/joseph-marie-helene-lafon.html , le roman se poursuit en un huis clos palpitant mené par une écriture enveloppante dont les ralentis approchent de la vérité tout en mettant en jeu les violences.  
« … pour ne pas l’effrayer, est ce que ce sont des choses qu’on peut dire devant une fillette ? Est ce qu’on peut parler de ces menaces, de cette méchanceté, est ce qu’on ne doit pas la préserver et lui faire croire la plus longtemps possible que le monde qui nous entoure n’est pas peuplé de fous furieux, ni d’aigris, de jaloux, de mesquins ? » 
La distance entre les paroles rares et les intentions est marquée lors des dialogues intérieurs de chaque protagoniste, dans leur singularité, leur sincérité, leur quête, leurs contradictions.
La petite fille: 
« Ida comprend comment les choses se logent comme des bêtes dans les planches qui pourrissent dans la grange, des insectes qui grignotent le bois sans qu’on s’en aperçoive. » 
Sa maman : 
« Si elle ne le formule pas, la vérité c’est qu’elle rit d’avoir enjambé sa peur et d’avoir pu la tenir en bride et la faire plier. » 
La voisine artiste a noté dans ses carnets :  
« La culture, c’est ce qu’on nous fait, l’art c’est ce que nous faisons » 
Et celui qui tombe sur cette phrase : 
« Lui, ça l’étonne, ce genre de phrases ; Il ne comprend pas. Ce genre de citations. Yves Klein. Ne pas savoir qui c’est ce nom. Ne pas comprendre le blesse. »
Il est beaucoup question de la peur, des distances sociales, de peinture  et  d’écriture, et c’est tout à fait ça : 
« … recouvrir et faire jouer la transparence, recouvrir jusqu’à ce qu’une forme apparaisse qui n’a rien à voir avec celles qui, du dessous, ont rendu possible celle qui apparaît par superpositions, glacis, enregistrant des strates et faisant mémoire des couches qui ne se laissent pas dissoudre tout à fait et remontent, vibrent en s’effaçant… » 
Fort comme d’habitude et en même temps renouvelé; très fort.

vendredi 2 octobre 2020

Le goût du vrai. Etienne Klein.

La collection «  tracts » chez Gallimard au format court (58 pages) participe utilement au débat d’idées. 
Entre deux humoristes, l’entretien radiophonique du matin, m’a donné envie d’aller plus loin, tant la réaction du philosophe des sciences évitant de s’adresser principalement à ses pairs est claire comme de l’eau de roche
Il met en évidence quelques biais qui entravent nos compréhensions :
on croit ce que l’on aime croire,
on croit not’ maître,
on a oublié que « le cordonnier doit s’arrêter au bord de la chaussure »
et que « la science prend souvent l‘intuition à contre-pied ».
Jadis, le temps était constructeur, aujourd’hui «  la rhétorique de l’innovation s’appuie sur l’idée d’un temps corrupteur ». Le progrès a disparu.
Le vulgarisateur illustre d’une façon convaincante la réconciliation de la connaissance et de la passion, « l’émotion de la quête » pour combattre le populisme scientifique.
Mais « circulent dans les mêmes canaux de communication des éléments appartenant à des registres très différents : connaissances, croyances, informations, opinions, commentaires, fake news… »
L’enseignant en physique quantique parsème ses pensées de riches citations : 
« Il est difficile de dire la vérité, car il n’y en a qu’une, mais elle est vivante, et a par conséquent un visage changeant » Kafka.
Il  replace nos querelles dans l’histoire, datant de Galilée la séparation de l’homme et de la nature, sans renoncer aux avancées scientifiques pour réparer les dégâts causés à la planète. 
« Est-ce avec la physique d’Aristote que nous stabiliserons le climat ? 
 Avec la médecine d’Avicenne que nous parerons aux attaques du coronavirus et de ses successeurs ?
Avec la biologie de Pline l’Ancien que nous préserverons la biodiversité ? »

jeudi 1 octobre 2020

Femmes des années 40. Musée de La Résistance.

Sous le slogan des années 70 : 
« Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme»,
un panneau en fin de parcours de l’exposition qui se tiendra jusqu’au 4 janvier 2021 pose la question : «  la libération a-t-elle libéré les femmes ? »
Le droit de vote qui ne figurait pas dans le programme du Conseil National de la Résistance leur avait été accordé enfin en avril 44, mais des rappels d’une longue marche débouchant sur des thématiques actuelles sont nécessaires :
création du premier planning familial à Grenoble en 1961
alors que la contraception n’a été reconnue qu’en 1967
juste après qu’elles n’aient plus besoin du consentement du mari pour ouvrir un compte en banque (1965).
« La pression nataliste était à son paroxysme durant les années d’après guerre. »
Et il est nécessaire de se rappeler Olympe de Gouges 
« La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune»
pour que celles qui sont mortes dans les camps ou qui ont résisté aient droit de cité dans nos mémoires.
Les femmes ont toute leur place dans la collection permanente très bien présentée du musée de la rue Hébert à Grenoble, bien au-delà des tentatives orthographiques récentes qui compliquent les accords, alors que l’engagement vers une égalité homme/femme est toujours nécessaire.
Marie Reynoard n’est pas que le nom d’une école pour parodier une accroche publicitaire du musée : « Jean Perrot n’est pas qu’une avenue », mais ces hommages qui éveillent nos curiosités sont tout à fait indispensables à l’heure où l’on déboulonne plus facilement qu’on n’honore. Parmi les héroïnes dont la jeunesse se remarque souvent, le récit de la fin atroce de l’ancienne prof au lycée Stendhal, dirigeante du mouvement Combat, désigne les infirmières du camp de Ravensbrück qui l’ont achevée.
Les témoignages ne manquent pas qui n’ont pas forcément valu une médaille, mais c’est tout l’intérêt de cette mise en valeur des actes du quotidien pour assurer les repas, l’habillement et les soins qui leur étaient habituellement dévolus.
Vêtements, tracts, affiches, cartes de rationnement mais aussi de grossesse, tampons pour faux papiers, constituent des supports émouvants. Les « queutières » faisaient la queue pour les autres. 
Ne sont pas oubliées celles qui firent de « la collaboration horizontale » (100 000 enfants nés de la guerre) pas forcément aussi coupables que celle qui s'était infiltrée dans le maquis du Vercors et travaillait pour les nazis, mais elles avaient déchaîné quelques tondeurs ou frappeurs qui n’avaient pas compris les mots d’Yves Farge commissaire de la République:  
« gardons nous des jugements prématurés et des égarements de la passion. » (26 août 44)