mardi 19 mai 2020

Contre le théâtre politique. Olivier Neveux.

Il n’y avait pas meilleur endroit pour trouver ce livre que le stand de la Librairie du Square tenu à la MC2 par une jeune fille avec laquelle j’aime discuter entre deux spectacles étiquetés politiques, mais qui ne l’est pas-politique ?
« Tout est politique » ainsi disait Thomas Mann à moins que ce ne soit Daniel Bensaïd comme l’auteur le précise au début de ses 300 pages augmentées de 376 notes qui soulignent les scrupules et l’érudition du professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université Lumière Lyon-2.
«  Politique, ce spectacle paternaliste et compassionnel sur tel drame contemporain ?
Politique, cette moraline républicaine ?
Politique, cette mise en scène décorative de la domination ?
Politique, cette dénonciation téméraire des excès de l’argent ?
Politique, cette pesanteur macabre de messe ?...»
La jubilatoire liste introductive des interrogations ne s’arrête pas là, mais débouche sur une construction érudite visant à concilier fond et forme où les capacités de compréhension du lecteur sont mises à rude épreuve.
Les thèmes ne manquent pas:
« …les migrations, les migrants, les mineurs migrants, les lois racistes françaises, l’Europe, les licenciements, les sans-domicile-fixe[…], les personnes trans-genres… »
Lorsque je me rends à un spectacle théâtral j’ai souvent le sentiment de participer à un rite tournant entre initiés, et j’aggrave mon cas avec ce livre ajoutant du laborieux à la futilité.
J’y retrouve, au-delà des fauteuils, des questionnements au cœur de mon activité d’enseignant ainsi avec Rancière souvent cité :
« … l’explication est le mythe de la pédagogie, la parabole d’un monde divisé en esprits savants et esprits ignorants, esprits mûrs et immatures, capables et incapables, intelligents et bêtes. »
Ce travail universitaire de haute volée a donné l’impression au familier des brasseries que je suis, d’être entré dans un restaurant gastronomique, dont je ne sais goûter toutes les subtilités. J’ai pu me raccrocher furtivement à quelques égratignés dont je connaissais les noms : de Jean Michel Ribes qui fut à François Hollande ce que Jean-Marc Dumontet est à Emmanuel Macron. La citation du texte de Joël Pommerat critiquant la politique culturelle d’Eric Piolle en rappelle la pertinence.  
Si j’ai vu quelques spectacles auquel il fait référence
celui de Maguy Marin qui est évoqué était différent de ce que je connaissais
mais « Le théâtre du soleil » serait-il devenu tellement hors du coup qu’il n’est même pas cité ?
J’aime Jacques Lacarrière quand il disait :
« Je revendique le droit pour le théâtre de fréquenter les mauvais lieux de l’être, d’être rôdeur nocturne autour du mystère de nos origines, d’être l’aboi lucide qui hante les feux nomades de nos songes et pour l’auteur d’être l’archéologue de nos doutes, le rhapsode de notre double, le déchiffreur de nos fragilités. Assez de donneurs de leçons, de professeurs masqués de signes et de dramaturgies, de rançonneurs d’enfants crédules, de détourneurs d’engagement. » 
Comme Sacha Guitry disait à propos des femmes : « je suis contre, tout contre », nous comprenons bien que ce livre édité par la Fabrique qui publie aussi Badiou, Rancière et Bensaïd est contre la politique, tout contre, avec le théâtre.

lundi 18 mai 2020

Samsam. Tanguy de Kermel.

Accompagnant au cinéma mes petits enfants de 6 ans 1/2 et 8 ans 1/2 - il faut être précis à cet âge - je m’étonne toujours de leur capacité à saisir les situations qui me semblent aller trop vite, même s’ils connaissent le personnage apparu dans l’indispensable journal « Pomme d’Api ».
Dans sa soucoupe volante Samsam va rencontrer une nouvelle amie. Il échappera au méchant roi Marchel 1er voulant teinter de gris tout l’univers et autres « pipiolis ». Les décors futuristes sont originaux, les situations familières aux petits quand il est question par exemple de s’éloigner de son fidèle nounours.
« Les Indestructibles », film  de super héros, fatigués, une référence, portait plus d’enjeux http://blog-de-guy.blogspot.com/2018/09/les-indestructibles-2-brad-bird.html , mais « le plus grand des petits héros »  à la cape rouge est bien sympathique. Et la musique souvent vantée s’accorde bien à ce moment enjoué.

samedi 16 mai 2020

Les vies multiples d’Amory Clay. William Boyd.

Le récit d’une vie de photographe permet de  faire côtoyer la grande et la petite histoire avec une décontraction très british comme par exemple la mort du père le jour J. http://blog-de-guy.blogspot.com/2016/05/la-vie-aux-aguets-william-boyd.html
Amory, au prénom mixte, réussit quelques photos scandaleuses dans le Berlin des années 20  après avoir accompagné son oncle portraitiste de l’aristocratie anglaise, elle fréquente le milieu de la mode aux Etats Unis puis effectue des reportages lors de la fin de la seconde guerre. Ces expériences variées, toujours au bon endroit, mêlées à ses amours se lisent facilement :
« Les émotions intenses se diluent naturellement à mesure qu’on avance dans la vie, les moments d’intimité absolue deviennent des souvenirs banals dont on se rappelle à peine, comme des vacances dans un pays exotique, ou un cocktail lors duquel on aurait trop bu, ou une victoire dans une course le jour de la fête des sports à l’école - ça ne fait plus vibrer. »
Mais il faut tenir la longueur sur 545 pages et les péripéties s’accumulent bien assez à mon goût, malgré le charme des voyages, des descriptions qui ne perdent pas du temps, ainsi pour son frère :
« Le timide écolier éleveur de hamsters que je connaissais était parti à Oxford, avait publié un recueil de poésies et était devenu pilote de chasse. »
La jolie femme traverse le siècle, avec une distance qui lui permet de caractériser ceux qu’elle croise en jouant avec quatre adjectifs, voire plus :
« Comme nombre d’intellectuels français de l’époque Charbonneau entretenait une condescendance sophistiquée envers les Etats-Unis (primaires, vulgaires, philistins, zéro gastronomie, obsédés par le fric, etc…) mais était simultanément un américanophile passionné pour tout ce qui touchait à la culture (cinéma, jazz et littérature). »
Mais lorsque la baroudeuse ressort de sa retraite écossaise pour aller au Viet Nam :
«  On n’est pas des vieilles, on est mûres. On a vécu, on a de l’expérience… nous on voit les choses avec lucidité. »
OK mamie boom!
Bien que le titre original : "Sweet caress" laissait deviner une douce légèreté, dans le genre destin de femme photographe, celui là était plus vibrant :
 

vendredi 15 mai 2020

Le bon sens.

Ritournelle : si le mot «  bon sens » revient à la mode c’est que sa réalité s’est éloignée comme «  respect », « confiance », « citoyenneté »... Sa disparition est éclatante.
S’il est besoin de qualifier nos paroles comme relevant de cette catégorie confortable, cela signifie que leur pertinence ne va pas de soi. En se positionnant face à des idées qui auraient de mauvaises manières, ce rangement n’est pas forcément à l’avantage des sages entassés dans un paradis sans chaleur auquel ne croient plus que les benêts. Sans compter les blindés dans leurs certitudes, dont le bon sang ne saurait mentir, qui se précipitent vers les armureries U.S.
Bien que son invocation soit urgente, se garder de mettre les mots sans dessus dessous et  conserver seulement pour le souvenir, le juron " bon sang" du temps où nos grands pères, "nom de gu!", avaient le sens du sacré.
Le bon sens près de chez vous : le circuit court s’avère tortueux.
Nous nous sommes « pris le mur », mais nous avons tellement le nez dessus, que nous ne voyons rien. Alors se multiplient les enfoncements de portes ouvertes.
Quand « Le Monde » titre : « j’ai fait mon premier flan » après avoir popularisé la notion de « batch cooking », qui consiste à tenir plusieurs casseroles au feu pour prévoir ses menus à l’avance, nous pouvons nous exclamer : « Mon Dieu, la belle affaire ! »
Parmi les esquisses d’une planète plus nette, les jardins tiennent une place de choix. Il conviendra de placer toutes ces salades sous le patronage de Voltaire qui mit une bêche dans les mains de Candide au bout de ses pérégrinations pour qu’il travaille enfin loin de la métaphysique et des jardins d’Eden.
La photographie ci dessus est de Vivian Maier  
Le monde s’écroule : l’air est plus pur et nous portons des masques.
Les mordu.e.s de l’écriture inclusive, venant de s’apercevoir de l’existence des personnes affectées au nettoyage, contraindront peut être leurs élèves à ramasser leurs papiers de chewing-gums sans qu’ils aient recours aux gants et à la pincette ergonomique… pour les gants faut voir.
Ces services de propreté, dont on peut deviner qu’ils seront très demandés, sont assurés essentiellement par des sous traitants maltraités qui font les boulots que les personnels en place ne veulent plus assurer : j’ai le souvenir d’agents communaux qui ne pouvaient intervenir à plus de deux mètres du sol. Le nettoyage des vitres a été confié à d’autres, et des postes statutaires ont disparu.
Les syndicats ne se sont pas affaiblis par la volonté d’un seul homme, mais certains, enfermés dans un corporatisme conservateur, se réfugient dans le radotage, voire le sabotage.
En ayant en mémoire les effets pervers d’un excès de précautions et d’un manque de souplesse induits par des privilèges de confrérie, il me paraîtrait sain et simple de faire bénéficier les "premiers de tranchée" des sécurités des collectivités territoriales et des grandes entreprises où ils interviennent.
 « Ne jetez pas vos gants dans la rue » : cette consigne semble tellement évidente que nous en arrivons à en ignorer des plus appropriées. Ces recommandations à destination d’un peuple jaloux de ses libertés s’apparentent aux lois affichées sur les murs des maternelles : «  Je ne frappe pas mes camarades » pour des enfants qui ne savent pas encore lire.
Si nous avons perdu le plaisir de la première fraise de l’année, c’est que nous ne savions plus les saisons. Nous redécouvrons qu’il y a aussi des cycles dans la vie maintenant que s’affiche quotidiennement le décompte des morts dont les fous qui tiennent le manche outre Manche ou outre Atlantique n’arrivent pas à nous distraire malgré leurs détergentes interventions.
A défaut de savoir comment financer le futur, les haineux veulent faire payer pour le passé.
Ayant échappé à leur bave et postillons, pourrait-on entendre des hommes, ni ange ni bête, se parler, pour prendre place entre transhumanisme et anti spécisme, entre robot et pangolin ?
« Il se cogne la tête contre un mur depuis si longtemps qu'elle s'est vidée de tout son bon sens. » Truman Capote

jeudi 14 mai 2020

L’éléphant. N° 25.

Malgré un titre peu accrocheur à mon sens faisant pourtant référence à la mémoire qui préoccupe notre temps, le trimestriel a tenu, passant au-delà des modes.
Cette livraison qui met Pagnol en couverture bien que son actualité ne soit pas celle de la semaine, rappelle simplement que l’auteur de « La gloire de mon père » est un écrivain majeur qui joua de l’enracinement pour aller vers l’universel et parla si bien d’une époque optimiste et tendre qu’il nous console des pessimistes et des braillards d’aujourd’hui.
Ces 162 pages sont pédagogiques qui multiplient les sujets divers tout en rappelant des généalogies, des origines. Ainsi remettre à jour ses connaissances sur les hommes préhistoriques après une révision concernant notre sens de l’odorat ou un rappel de la biographie de Léonard de Vinci « ne peut pas faire de mal » comme dit Guillaume Galienne  dans son émission consacrée à des lectures.
Au-delà des sujets permettant de se muscler en vue d’un Trivial Pursuit - tiens ça fait longtemps qu’on n’y joue plus - il y a de quoi se nourrir d’un entretien avec Barbara Cassin à propos de la langue, ou d’un article concernant la croissance économique à compléter d’un épisode de l’histoire des idées consacré aux inégalités.
Des informations à propos d’un domaine secret par définition puisqu’il s’agit des satellites espions qui tournent parmi les étoiles pour nous prémunir ou préparer la guerre peuvent parfaitement se croiser avec des interrogations objets de la métaphysique. 
Des quizz, des anecdotes, des rappels, vérifient nos apprentissages et nos incompréhensions pouvant demeurer après ses roboratives mais accessibles articles qui proposent toujours des prolongements, des approfondissements. La maquette est très classique, scolaire : ce ne sera pas péjoratif pour moi. Les rédacteurs ne vous prennent ni de trop haut ni de trop bas, éloignant toute démagogie et toute connivence entre initiés. Une occasion de mesurer combien c’est nécessaire de prendre son temps et cela peut être agréable !  

mercredi 13 mai 2020

Lacs italiens 2019 # J 13 B. Parc Taranto à Verbania

Il est tard et nous consommons notre plat de pâtes quotidien au restaurant attenant au funiculaire.
A 15 h, nous profitons du beau temps et de la lumière  pour visiter un  jardin botanique, celui de Taranto à Verbania.   
 Il s’agit d’un immense parc de seize hectares créé et aménagé par un écossais, Neil Mc Eacharn, afin d’accueillir quelques vingt mille espèces de plantes récoltées en trente ans.
La villa ne se visite pas, elle abrite aujourd’hui les bureaux de la préfecture.
C’est notre troisième jardin au bord du lac Majeur, et chacun est très différent des autres.
http://blog-de-guy.blogspot.com/2020/05/lacs-italiens-2019-13-isola-madre.html 
Celui-ci possède un labyrinthe  de dahlias hauts sur tige de toutes les couleurs qui chantent sous le soleil.
A côté, une immense serre  dite Victoria,  permet dans une pénombre de jungle de cultiver d’énormes feuilles de lotus ressemblant à des plateaux.
Une plus petite est consacrée aux plantes carnivores.
Attaché à son domaine, l’écossais a érigé un petit mausolée pour lui et sa famille. C’est une petite maison sobre égayée  par des vitraux  dont les motifs sont bien sûr des fleurs colorées.
Puis le décor change avec le jardin à la française construit  en terrasse, où l’eau est présente dans la géométrie des plates-bandes et les bassins à Nymphéas. Un  kiosque le domine équipé de bancs et de poufs en dur.
 Plus sauvage  est le paysage vers le pont.
Il y a aussi  un jardin d’hiver  avec son coin à plantes grasses sans grande originalité et ses moustiques qui pullulent à l’intérieur à cause de la proximité d’un bassin.
Pour un moment de détente, une aire de repos met à disposition des hamacs et des transats en bois.
Nous poursuivons le circuit  vers l’escalier des amphores à travers une zone moins domestiquée et  plus à l’ombre,  mais recevant toujours  des essences exotiques aux formes surprenantes.
A l’entrée, un parcours du parc  est fourni, les balises sur le terrain sont faciles à repérer.
Des jardiniers s’activent pour maintenir le bon état des plantes dont certaines arrivent en fin de floraison (les hortensias) et d’autres montrent des bourgeons prometteurs (camélias). A chaque saison, l’aspect du parc s’adapte mais demande des soins permanents.
 
 
Nous rentrons tranquillement à la maison sans pouvoir éviter le soleil rasant mais grâce à une erreur d’aiguillage, nous nous engageons sur la voie rapide plus tôt. 
Une fois arrivés, les préposés à la cuisine préparent des carottes en bâtonnets et une omelette aux pommes de terre, suivis de douceurs.
Et pour chasser l’humidité, le poêle à bois !

lundi 11 mai 2020

Films en mai 2020 à la télévision.

Trois films de trois décennies successives avec cigarette entre deux doigts et plus de deux doigts de whisky.
Tant qu'il y aura des hommes. Fred Zinneman.
Dans une caserne à la veille de l’attaque de Pearl Harbor, les amitiés sont viriles : Montgomery Clift en tendre boxeur ne veut pas boxer et surmontera  les brimades avec courage. Burt Lancaster et Deborah Kerr s’embrassent sur la plage, la scène est devenue mythique.
Est-ce que les années qui nous séparent du succès de ce mélo (8 oscars en 1953) excusent les caractères des personnages sans nuances et leurs relations brutales ?

Symphonie pour un massacre. Jacques Deray.
Les dialogues chez les bandits des années 60 permettent de passer par dessus quelques affèteries datées. Le scénario est épatant, les acteurs Charles Vanel, Michel Auclair, José Giovanni, rassurants, Jean Rochefort sans moustache mais avec postiche, en fourbe manipulateur est délicieux et Michèle Mercier appétissante : ah bon j’aurai pas dû dire appétissante ? Et délicieux ça marche ? 
Le mauvais fils. Claude Sautet.
Si Brigitte Fossey m’a paru trop lisse pour interpréter la compagne de drogue du fragile Dewaere, tous les acteurs sont excellents, Jacques Dufilho, Yves Robert, et les personnages sont touchants par leur contradictions, leur vulnérabilité. Les années 70 sont plus subtiles : parmi les incertitudes, nous pouvons prendre notre part de réflexion, d’empathie.