jeudi 7 novembre 2019

Cortès et la chute de l’empire aztèque.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble a développé les circonstances de la rencontre du conquistador  Hernán Cortès et du chef de l’empire aztèque Moctezuma II, le 8 novembre 1519. Il y a tout juste 500 ans, des civilisations allaient basculer.
Les témoignages sont ceux des vainqueurs, ne manquant pas cependant de se contredire. Les dénominations telles que le titre d’ « empereur » sont européennes, comme la chronologie qui avait moins de sens pour les mésoaméricains que leur mythologie.
Après une migration depuis le nord du Mexique, leur empire n’aura duré que 200 ans, jusqu’en 1525. Chasseurs cueilleurs, ignorant la roue, dépourvus de bêtes de somme, leur brillante civilisation concernera 20 millions de personnes. 
Dans un territoire inhospitalier, au climat très humide sur les côtes, très sec sur l’altiplano, fuyant d’autres tribus hostiles, ils développent leur capitale Mexico-Tenochtitlan sur une île au milieu du lac Texcoco ils cultivent le maïs sur des jardins flottants. 
L’agglomération de 200 000 habitants, à l’architecture sophistiquée aux temples de pierre, animée par des marchés immenses, est alors bien plus importante que les villes européennes.
Hernán Cortès né en Estrémadure en 1485, est un « grand d’Espagne », cousin de Pizarro qui aura affaire avec les Incas. Destiné à devenir notaire, nourri de lectures chevaleresques, il choisit la carrière militaire qui aurait pu l’amener en Italie mais il arrive à Hispaniola (Saint-Domingue) à sa première traversée, plus de vingt ans après les quatre voyages de Christophe Colomb qui peuvent illustrer le terme « sérendipité », puisqu’il avait cherché une chose, les Indes, et  en avait trouvé une autre : le nouveau monde.
A l’Université de Salamanque, il avait eu accès à des cartes marines, apanage des portugais, appelées portulan (de l'italien portolano, livre d'instructions nautiques).
Devenu maire de Santiago de Cuba pour avoir accompagné dans sa conquête de l’île le représentant de Charles Quint Diego Velázquez de Cuéllar, Cortès repart vers le Mexique et depuis Veracruz (la vraie croix) qu’il a fondée, à la tête de 200 hommes,remonte vers Mexico après avoir détruit ses vaisseaux.
Ces bateaux vus par les autochtones comme « des tours, des montagnes flottant sur l’eau » avec leurs voiles comme « des aigles volant dans le lit du vent ».
Sa traductrice, La Malinche, ancienne esclave, sera la mère d’un de ses enfants, elle lui apportera de précieuses connaissances qui lui permettront de se présenter sous sa brillante armure comme un descendant du Quetzalcóatl, le serpent à plumes.
En chemin, par le fer et le feu, il va vaincre les Tlaxcaltèques, impressionnés par les chevaux de leurs agresseurs. Il s’en fera des alliés précieux.
Un peu plus tard, accueilli aimablement par les Aztèques, mais pensant à une ruse, Cortès attaque avant d’être attaqué: 20 000 habitants de Cholula sont massacrés.
Beaucoup d’illustrations de ce texte sont tirées de Codex dont celui dit de Mendoza du nom du commanditaire, vice roi de la Nouvelle Espagne et réalisé par un scribe indigène. Sur la première page figure la représentation de la fondation mythique de Tenochtitlan qui se retrouve au centre du drapeau mexicain.
Un aigle indique où s’installer en se posant sur un figuier de Barbarie dont les fruits rappellent le cœur des humains sacrifiés.
« Pour Soustelle, la mission du peuple du Soleil consistait à repousser inlassablement l’assaut du néant. À cette fin, il fallait fournir au Soleil « l’eau précieuse » (le sang), sans quoi la machinerie du monde cesserait de fonctionner. » Wikipédia
La pierre du soleil, connue sous le nom de « calendrier aztèque » représente la cosmogonie d’alors et mentionne 360 jours plus 5, elle servait de réceptacle aux sacrifices.
En buste à l’extérieur du temple de Teotihuacan
ou en bijou de jade à double tête, le serpent est omniprésent.
Moctezuma comble de cadeaux Cortès de cet or qui avait motivé tant d’aventuriers en quête de l’Eldorado, mais au bout de quelques mois il se retrouve prisonnier en son palais. Il est pris en otage pour protéger le retrait des espagnols après le massacre du Templo Mayor.
Fut-il lapidé par ses compatriotes ou tué par les colonisateurs ? Il n’était pas parvenu à calmer son peuple.
Bernal Díaz del Castillo participa à tous ces évènements et ses écrits constituent de précieux témoignages.
Lors de l’épisode connu sous le nom de La Noche Triste (la triste nuit) les espagnols fuient la lagune après avoir subi des pertes considérables. 
Ils frôlent l’élimination complète lors de la bataille  d’Otumba qu’ils remportent miraculeusement, puis reviennent avec des renforts, assiéger Mexico pendant 75 jours. Les habitants privés d’eau, mangent les cadavres et les murs de leurs huttes, décimés par une épidémie de variole, ils doivent se soumettre.
L’or des aztèques a contribué à la suprématie de l’empire de Charles Quint  « sur lequel le soleil ne se couche jamais ».   
Quand le président du Mexique Obrador a demandé récemment des excuses à Madrid, la réponse n’a pas tardé : «Le gouvernement d'Espagne regrette que la lettre envoyée par le président mexicain à sa majesté le roi, dont elle rejette fermement le contenu, ait été rendue publique… L'arrivée, il y a 500 ans, des Espagnols sur le territoire mexicain actuel ne peut pas être jugée à l'aune de considérations contemporaines».

mercredi 6 novembre 2019

Au Chambon-sur-Lignon et à Saint-Martin-de-Valamas.

Le « lieu de mémoire » du Chambon-sur- Lignon résume ce qui a fait la réputation de ce bourg du Vivarais de 2500 habitants avec une muséographie récente rendant accessible une histoire familière à beaucoup d’anciens mais déjà éloignée pour quelques jeunes.
Nos opinions sur nos semblables dont nous avons tendance parfois à ne voir que les petitesses en sont réévaluées. Nous pouvons aussi mesurer l’importance de la dimension religieuse que nous aurions eu tendance à sous estimer en d’autres temps.
Des témoignages constamment passionnants de sauveteurs, de résistants, de réfugiés varient les points de vue. Il est question des « Justes » qui ne se posent pas en héros surplombants et l’une d'entre eux se demande même pourquoi faire tant de bruits pour des actes de solidarité qui lui semblent naturels.     
Dans ces villages ardéchois à la limite de la Haute Loire, les habitants essentiellement protestants, savaient ce qu’étaient les persécutions : ils ont mis à l’abri de nombreux juifs, sauvé des centaines d’enfants.
Dans la simplicité et l’évidence, un verger complète ce musée dynamique situé à côté de l’école.
Pas loin de là, surplombant la vallée de l’Eyrieux, le château en ruines de Rochebonne donne aussi une occasion d’apprécier la générosité de nos concitoyens en mesurant l’immensité de la tâche entreprise pour consolider ce qui reste de cette bâtisse détruite lors des guerres de religions qui furent furieuses par ici.
Une table d’orientation située au dessus d’un paysage grandiose précise les sommets des Cévennes voisines qui permettent des révisions de vocabulaire et des apprentissages :
Le Mont Gerbier des Joncs où la Loire prend sa source est un « suc » : relief volcanique en forme de cône, et un « chasal » est une maison.
L’association précise:
« Le donjon et la ceinture qui l'entoure sont érigés sur un piton rocheux d'une trentaine de mètres. Au XIIIe siècle trois logis appuyés contre la paroi rocheuse ont été construits en contrebas. »
https://www.fondation-patrimoine.org/les-projets/les-ruines-du-chateau-de-rochebonne


mardi 5 novembre 2019

La valise. Gabriel Amalric, Morgane Schmitt Giordano, Diane Ranville.

Il arrive que des a priori défavorables soient contredits, alors le plaisir n’en est que meilleur.
Cette fois mes réticences à l’égard du genre fantastique, science fiction, ont été levées par les conseils d’une bibliothécaire qui m’a recommandé ce premier album dont certains auteurs ont des racines grenobloises.
Hélas les couleurs ont beau être adaptées, les cadrages spectaculaires, ce genre, une nouvelle fois, ne me convainc pas.
Les stéréotypes y abondent et le simplisme des situations n'est-il pas tellement grossier qu’il faille les assortir de complications inutiles brassant des références pour initiés?
Le pékin de base aura reconnu dans Dux, le Duche, un dictateur qui eut une certaine renommée, c’est le vilain. La sorcière aspire à l’éternelle jeunesse et met en œuvre quelque pacte faustien déjà vu. Les rebelles veulent briser les murs mais sont victimes de la répression : ah, les bonnes gens ! 
«  Le Dux a ordonné la traque des briseurs de mur, les ombres sont partout et la vigie quadrille la cité. La passeuse et sa valise sont notre seule issue. »
Je prends mon sac à dos et je rejoins Larcenet hors les murs.
http://blog-de-guy.blogspot.com/2019/09/le-retour-la-terre-jean-yves-ferri-manu.html

lundi 4 novembre 2019

Hors normes. Éric Toledano Olivier Nakache.

Je m’étais mis à me méfier du terme « bienveillance » tant il était mis à toutes les sauces, s’apparentant souvent à l'abdication en matière d'éducation. Le battage autour du film me faisait craindre également le pire.
Pas du tout ! Au contraire : s’inscrivant contre la mode qui consiste à tout demander aux autres, cette histoire d’engagement est vraiment réjouissante.
Pour s’occuper d’autistes gravement atteints, une association recrute des jeunes en insertion professionnelle.
Ceux qui se sont emmurés dans le silence donnent des raisons de grandir à d’autres en mal de mots. «  On va trouver une solution » est bien plus porteur que « je kiffe ».
En outre juifs et musulmans travaillent ensemble dans un contexte où la vigilance doit être constante. Cette dimension consensuelle n’alourdit pas le propos éloigné de toute mièvrerie, à l’exception d’une séquence de danse à l’émotion un peu appuyée. Nous passons de la gravité à la légèreté avec naturel et bénéficions de l’énergie et de la rigueur d’acteurs remarquables.
Un film bon. A la hauteur d’ « Intouchables », et même au dessus, car il met en cause les protocoles formels et déresponsabilisants sans que les inspecteurs des affaires sociales ne soient caricaturés ni ne manquent d’humanité.
et aussi original  et vif que «  Le sens de la fête ». 
http://blog-de-guy.blogspot.com/2017/10/le-sens-de-la-fete-eric-toledano.html

dimanche 3 novembre 2019

Mon totem. Yves Jamait.

Désormais dans les rayons maigrichons où subsistent les CD, je saisis dès qu’il se présente le Jamait du moment, alors que j’avais trouvé son manichéisme quelque peu suranné lorsqu’on me l’avait fait découvrir.
Le « rauqueur » qui alterne chagrin et espoir, a toujours belle voix et musiques qui conviennent à mes acouphènes.
Dans cette livraison avec « Je crois » (donc je doute) :
« … on a les pieds sur terre
Et les cheveux au vent. »
Désirant ardemment « Vivre avec toi »,
il est très attaché dans « Si tu pouvais » (voir ses  yeux):
« Je n’ai que faire de ce monde
Si je suis où tu n’es pas »
C’est que depuis Gaston Couté, tout est « Dans vos yeux » :
« J’ai vu l’aveu de votre âme
En caractère de flamme »
Et puis de toutes façons, ce sont partout « Les mêmes »:
« A quoi bon voyager
Vivre dans sa valise
A quoi bon s’envoler
Pour une terre promise »
La critique sociale est radicale quand « Le maillon » pète et que :
« Ça tempête
Dans ma tête »
Toujours du côté de « Celles » (à ma mère, ma sœur, ma femme et mes filles), il célèbre particulièrement sa maman lors de ses « Insomnies ».
Dans l’air du temps, il prend tellement de précautions « Je ne vous dirai pas » :
« … je n’oserai pas dire un mot faire un geste
Qui montrent le soupçon d’un quelconque désir »
A l’heure des bilans dans « Totem »,
il exalte sobrement l’amitié dans « Pas les mots »:
« La vie passe si vite qu’on en oublie parfois
Qu’à preuve du contraire elle n’arrive qu’une fois ».
L’amitié encore conjure la disparition de son régifrère : « Qu’est ce qui t’a pris ? »
où la poésie insiste à partir d’Hugo « Dès l’aube »:
« Ses mots cogneront au marbre du silence
Elle posera les fleurs au pied de ce poteau »

samedi 2 novembre 2019

Ulla ou l’effacement. Andréas Becker.

55 pages fulgurantes aux « Editions d’en bas ». Un grand livre.
Je me suis demandé si l’écrivain pouvait encore écrire après cet ouvrage de douleur tant sa recherche des mots pour décrire la mort annoncée de sa mère peut atteindre le lecteur.
« Elle, elle était allongée sur le canapé, sur le dos, une main sur son ventre bombé d’eau. C’était ça, elle, là. Elle n’était rien d’autre que ça, là, le canapé contre un mur blanc, un mur vide. C’était dans les vapes qu’elle était. Quelque part là, oui, sans doute. Il faudrait dire ça plus exact peut-être, mais on ne peut pas. Ce qu’on ne peut pas, il faudrait l’essayer ici.
Le canapé était bouteille vert, ça je me souviens.
Ça ne disait rien, elle. »
A l’opposé de toutes les recherches artificielles du nouveau roman, les répétitions, les mots les plus simples soulèvent la peau des choses et vont au cœur des entrailles.
« Elle avait vu le médecin, lui avait dit l’eau dans le ventre, l’eau dans les jambes, le lui avait dit, la bouteille de whisky par jour. C’était ça, depuis des années. Maintenant, ça, elle n’en avait plus besoin, c’était condamné. Le foie, c’était irréversible, le ventre bombé, les varices, les hématomes, les saignements. Les reins foutus, les artères bouchées.
Le cœur est bon, c’est ça le drame. Ç’avait dit ça, le médecin. »
La première page est laide à l’image de la condition de cette femme dont est rappelé le passé de calamité :
« Elle, petite fille, elle avait couru entre les cadavres, sous les bombes incendiaires. Elle avait asphyxié dans les bunkers, elle avait pleuré, elle avait perdu sa poupée engluée dans les goudrons liquéfiés d’une ville en perdition. »
Le malheur est là jusqu’au bout :
« Il y a sa vie comme une vie fautive, une vie comme pas vécue, une vie pour rien, qui se termine là, dans un souffle, sans effort, c’est là, sa vie comme un malentendu. C’était faux, elle, là, faux comme corps. C’était faux comme ce corps qui allait finissant sans avoir fleuri. »
Il faudrait tout citer.

vendredi 1 novembre 2019

Vieux monde.

Oui c’était la fin d’un monde à l’enterrement de Jacques Chirac. Et au-delà des vieux dirigeants qui se sont inclinés à ce moment là, l’image un peu rigolarde qu’il renvoyait aux citoyens s’est effacée le temps d’un week-end. La connivence des filous et même de ceux qui lui étaient opposés, complices dans une façon urbaine de faire de la politique s’est perdue dans la confusion des années révolues.
Mais combien de fois le vieux monde est-il mort depuis qu’on le voyait derrière nous et qu’on courait : «  Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi ! » vociférait-on dans les années « 1900 longtemps » comme les appelle Manu Dibango.
Quelques lambeaux demeurent, d’autres sont oubliés, d’autres subsistent. Ce que j’ai retenu d’un Braudel, vu de loin, c’est que l’histoire chemine à différentes vitesses. Pris par les excitations de l’heure, nous ne voyons plus grand-chose,  mais quand certains reniflent un air des années 30 en 19, je prends peur.
Entre ceux de ma génération qui ont renoncé à acquérir une trottinette mais qui avaient lu les conclusions du Club de Rome(1972) et Greta Thunberg (16 ans), combien de traders, de prophètes, de désabusés, de sévèrement burnoutés ?
« Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis ! »
Victor Hugo
De savoir que les abords des « fortifs » n’ont jamais été des lieux « apaisés » n’atténue pas mes effarements présents.
Les violences à Barcelone, Kaboul, Santiago…Paris, au quartier Mistral se diffractent, se renforcent, se légitiment, s’excitent, se la jouent. Trump et les gilets jaunes sont les produits phares de 2019.
Transgressifs, agressifs,  dans la toute puissance, ils se permettent tout.
Pour ce qui est de l’espace syndical que j’ai fréquenté, le fait de ne plus déposer de préavis de grève ou en établir un courant sur trois mois, ne plus déclarer de parcours de manif, se masquer, ne plus avouer son nom, a hystérisé le climat social. L’horizontalité revendiquée en arrive à une verticalité autoritaire de fait où la liberté prend des coups sévères au nom de la liberté.
Qu’est ce qu’un piquet de grève ?
Parole de pédago : il n’y a pas pire dictature que celle de ses pairs : c’est valable pour le travail en équipe comme pour les classes quand les petits caïds ont  pris le pouvoir.
Jadis, avec mes camarades, nous méprisions les grèves rituelles de 24 h et nous avions cherché des modes d’action inédits, ceux qui s’inventent en ce moment contraignent plus fortement les collègues, les usagers.
La fidélité, le courage n’apparaissent plus comme des qualités cardinales. Et les compromis nécessaires par exemple à une vie en couple ne semblent plus aller de soi  comme dans le champ politique. Alors  s’invitent aussi sec l’abstention et la remise en cause radicale de l’élu(e) de son cœur ou de celui que désigna un bulletin de vote.
Les épidermes sont devenus très sensibles, les enfants des enfants rois ne supportent pas la contrariété et la contradiction, que je vois comme un des moteurs - j’allais dire du progrès -  mais le mot est piégé depuis que nous avons renoncé pour beaucoup à grandir, à vieillir.
D’autre part énoncer que la critique, la discussion sont nécessaires à la démocratie, comme si ça n’allait pas de soi, marque la dégringolade dans le « vivre ensemble » devenu une expression creuse. On ne parle plus qu’en terme de lobby comme si celui des végétariens n’était pas devenu influent à l’instar de celui des pétroliers.
Pour conclure une citation dans un article de Roger Pol Droit dans Le Monde des livres sous un titre poseur «  Surtout n’évitez pas les catastrophes » :
« Tout est foutu, soyons heureux » ordonnait Clément Rosset, un philosophe, qui comble mon goût des paradoxes en invitant à affronter le mauvais temps.