mercredi 23 octobre 2019

Petit tour au pays basque.

Nous prenons la route pour Le Pas de Roland après avoir essayé, mais trop tard, de tester le restaurant typique « Chez Tante Ursule » qui nous avait été recommandé.
Mais le détour vaut le coup, par une route très étroite qui longe la Nive.
Le trou dans le rocher aurait été causé par le sabot du cheval du neveu de Charlemagne dont la légende est décidément liée à cette montagne. Roncevaux, de l’autre côté de la frontière n’est pas si loin. Nous sommes dans le Labourd.
 A l’écart du village d’Itxassou, dans une gorge étroite, où la rivière est bordée d’une plage agréable, nous mangeons à « Ondoria » qui est plus que le bistrot annoncé : son axoa, prononcer achoa, émincé de veau et jambon de … Bayonne avec piments…d’Espelette, méritera d’être reproduit. Fromage basque de rigueur.
Nous, touristes, apprécions de voir des vautours. Mais la patronne n’est pas de cet avis : leur nombre fait qu’ils ne se nourrissent plus seulement de charognes mais viennent de s’attaquer à une vache affaiblie en train de vêler.
Sur le chemin du retour, l’église d’Itxassou retient notre attention.
Le cimetière attenant mélange des sépultures anciennes et actuelles, les inscriptions sont en basque, les croix caractéristiques de la région inscrites souvent dans un cercle de pierre s’alignent parfois comme dans une file indienne.
L’intérieur de l’église est magnifique surtout quand il s’illumine après avoir mis 2 € dans la fente d’une boîte. 
Le retable doré de style espagnol révèle une richesse et une beauté insoupçonnées, face à trois étages de tribunes traditionnelles en bois sombre. 
Les bancs usés sont émouvants et le maître d’œuvre a mérité sa statue au pied de la montée vers les tribunes. Une explication sonore complète le plaisir de la découverte de ce bijou loin des foules.
Nous ne nous attardons pas à Hasparren bien que l’habitat traditionnel soit attrayant sous ses fanions verts rouges et blanc, le temps de constater la coexistence d’écoles privées et publiques et la vigueur de la langue basque en immersion dans Ezkia-Ikastola alors que « les écoles Jean-Verdun et Sainte-Thérèse proposent un enseignement bilingue français-basque à parité horaire ».

mardi 22 octobre 2019

Les cahiers d’Esther. Riad Sattouf.

Ces 52 histoires (vraies) qui dans ce troisième album voient grandir une petite fille de 12 ans sont un régal égal au premier.
Pré publiées dans l’Obs qui a le chic, après les frustrés de Bretécher, de découvrir des dessinateurs qui savent finement saisir l’esprit de l’époque et ses façons de parler, genre :
«  Là c’est moi en mode « mais j’ai pas le temps maintenant je suis en 6° ».
Le rapport entre la petite fille et le dessinateur est amusant : elle ne lit pas l’Obs car elle ne s’intéresse pas à la politique et conserve une distance rafraîchissante à l’égard d’elle-même.
Il lui est arrivé qu’elle se fasse offrir un album de ses aventures par ses copines qui ne se doutaient pas de sa notoriété.
En cette année d’élection présidentielle, elle n’échappe pas aux débats sur lesquels elle porte un regard parfois plus pertinent que celui de certains abstentionnistes.
La petite parisienne aime ses parents, l’école, et supporte de mieux en mieux son grand frère, tout en gardant une opinion très négative sur les garçons en général. Elle raconte ses rêves et son imagination l’amène à commencer un roman fantastique après avoir réinvesti les personnages qu’elle vient d’étudier, tels les dieux grecs qu’elle met au goût du jour, après Athéna sa préférée :
« Dancy, déesse de la souplesse et du sport qui fait maigrir quand on la prie et bien sûr Esther : déesse des gens populaires (Je plaisante bien sûr) ».
Cet humour tendre, rend plus léger un air de notre temps saisi habilement.

lundi 21 octobre 2019

Joker. Todd Phillips.

Dès le début, j’ai été happé par l’esthétique et j’ai adhéré à la fable se déroulant dans une époque incertaine, revenant cependant avec efficacité sur des traits saillants de notre époque crépusculaire.
Pas besoin de connaître son Batman sur le bout des ongles, le personnage principal est suffisamment troublant pour nous interpeler. Gotham, la ville du super héros ressemble furieusement à New York, elle est en train de colapser.
Joaquin Phoenix est épatant, mais tout le monde l’a dit sauf « Le Masque et la plume » qui se plait en ce moment à apporter la contradiction à l’unanimité critique. Ce n’est pas moi qui les en blâmerais.
Film violent. Mais comme avec les gilets jaunes, on peut regretter la casse, tout en reconnaissant que c’est ainsi qu’ils ont obtenu des sous. Sur le plan de la narration, l’efficacité passe par du sang sur les murs pour nous éloigner de nos coutumières tisanes.
Les sujets abordés reviennent sur des thèmes marquants de notre siècle. Si la bêtise des foules, leur folie, ne datent pas d’aujourd’hui, l’emprise du rire, de la blague et de la dérision, devient obsédante et les masques envahissants. Les passages à l’acte, la perte de tout sens moral abondent.
Les polémiques entourant la sortie du film, les interrogations sur sa dangerosité accentuent notre saisissement face à la frilosité de la période, nos fragilités.
Mais quand on voit à la tête du pays le plus puissant de la planète, un clown, on préfèrerait que ce soit une fiction et que l’on se chamaille s’il mériterait un Oscar; un Nobel quand même pour celui qui prononcera un impeachment. 

dimanche 20 octobre 2019

Vertikal. Mourad Merzouki.

Dans un commentaire en matière de spectacle, il est plus facile d’exprimer son mécontentement que son contentement, alors, allons pour la difficulté.
Tous ceux que j’ai rencontrés ont aimé.
Le chorégraphe, le musicien, l’éclairagiste sont au top, raccords, comme les dix danseurs aux mouvements parfaitement réglés.
Merzouki parmi d’autres nous a amené sur un plateau le hip hop qui a mis la danse cul par-dessus tête. Cette fois sa troupe grimpe après les murs, se joue de la pesanteur.
La musique douce parfois, ajoute à l’atmosphère irréelle, aquatique, de certains tableaux où par la délicatesse des éclairages, les acteurs aux positions incroyables semblent des hologrammes. La techno participe à la montée en tension amenant à un bouquet final splendide faisant même taire les turbulentes lycéennes du voisinage.
Les connotations acrobatiques ajoutent à la beauté des chorégraphies une touche d’appréhension lorsque se multiplient les chutes, mais les rebonds viennent immédiatement après.
J’ai préféré les escalades rythmées et synchronisées aux balancements du début, mais les silhouettes très graphiques sont souvent magnifiques et la touche humoristique avec élastiques jouant entre les structures, si elle nuit à la cohérence, peut passer, tant on peut comprendre qu’une pause soit nécessaire dans cette débauche d’énergie, de virtuosité, de poésie, de maîtrise et d’inventivité.

samedi 19 octobre 2019

Le voyage du canapé-lit. Pierre Jourde.

Jourde qui avait fustigé les auto-fictions genre Christine Angot, se lance dans un road récit en camionnette avec son frère et sa belle sœur lors du déménagement d’un meuble de famille de Créteil vers l’Auvergne http://blog-de-guy.blogspot.com/2014/03/fete-du-livre-bron-2014.html.
Ses souvenirs parfument habilement les 266 pages avec les villages traversés : 
« Ils sentent le froid, la cave, la croûte de fromage, la fumée, c’est un parfum bistre et noirâtre qui n’appartient qu’à eux, une sorte d’hiver traînant toujours dans le fond même de l’été, et qui , dirait-on, reposait déjà dans l’âme avant même qu’on les connût. »
Après un démarrage que j’ai trouvé laborieux où les compagnons de voyage jouent les utilités, avec évocations de coup pendables et mesquines passions, j’ai apprécié la sincérité, le punch, l’humour, de l’écorché littéraire qui peut se permettre de jouer avec le lecteur sur ses envies de pisser ou de vomir :
« Je n’ai pas tardé, c’était à prévoir, à écorcher le renard, à mettre le cœur sur le carreau, à appeler Raoul, à appeler Burque, à quicher, à poser une galette, à faire du Jackson Pollock en relief, à me vider le jabot, à donner à manger aux poissons, à aller au refile, à compter mes chemises… »
Sa poésie en est d’autant plus puissante:
« J’avais fini par comprendre que ce qui me serait donné là haut, au plus profond des forêts, dans l’antre noir et odorant des étables, au creux des vieux chemins qui paraissent toujours s’enfoncer dans un passé oublié, ce serait une promesse, l’attente nue du miracle, la même qui me tenait éveillé enfant, la veille de noël, dans le lit froid que je partageais avec mon arrière grand-mère. »
Son rapport au réel est très physique, mais l’auto dérision permet tout :
«  A ma façon, je poursuis la tradition familiale, je passe dans les avenues de la littérature avec ma camionnette, «  vieilles images, métaphores vermoulues, on prend tout, on ramasse tout ».  

vendredi 18 octobre 2019

Les racines de la colère. Vincent Jarousseau.

« Deux ans d’enquête dans une France qui n’est pas en marche » complète le titre de ces 160 pages qui content la vie de huit familles vivant à Denain. La problématique de la mobilité est centrale pour ces personnes modestes aux destins variés pour qui l’injonction de se bouger n’est pas forcément utile: le livreur, le routier, et ceux qui suivent des chantiers ont accepté des conditions de travail difficiles et de longs trajets. Alors que d’autres sont empêchés pour cause de handicap, ou absence de permis de conduire. 
La voiture pour ceux qui en possèdent une est encore un outil de reconnaissance, elle permet d’aller acheter des cigarettes moins chères en Belgique, ajoutant des vapeurs nicotinisées aux fumées du Diesel.
La modicité des loyers dans l’ancien bassin minier où Usinor employait 10 000 personnes jusqu’à la fin des années 70 rend les déménagements difficiles pour ceux qui sont restés dans une de villes les plus pauvres de France d’où un tiers de la population est parti. L’âge d’or de la ville est évoqué en bande dessinée alors que les portraits contemporains sous la forme de romans photos limpides, empathiques, rendent très compréhensibles les raisons de la colère ou du sentiment de fatalité de personnes qui ne sont pas regardées de haut.
Si l’auteur ne cache pas ses opinions qui lui ont permis de pressentir le moment « gilets jaunes », cet ouvrage est utile, car il  a su éviter une condescendance qui a existé parfois même chez ceux qui ont soutenu le mouvement… décidément le registre des mots de 2019 tourne autour de la mobilité. 

jeudi 17 octobre 2019

Vélasquez. Damien Capelazzi.

Au début d’un cycle concernant la peinture espagnole, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble a fait immédiatement le lien avec l’exposition Picasso qui vient de s’ouvrir place Lavalette. Celui-ci a produit 58 toiles inspirées des Ménines du « peintre des peintres ». Le Rijksmuseum d’Amsterdam en ce moment aussi fait rejoindre Vélasquez et Rembrandt jusqu’en janvier 2020 sous le titre : « L’or du siècle ». 
Diego Rodríguez de Silva y Velázquez né à Séville en 1599, il y a 420 ans, signait souvent du nom de sa mère. Son père ecclésiastique était notaire comme le père de Léonard ou celui de Duchamp. La villes des monastères était à son apogée, quand l’or des Amériques remontait le Guadalquivir (al-wādi al-kabīr) avant que les marchands de Cadix ne prennent la main.
Il fut l’élève de Pacheco et se maria avec sa fille. Le beau-père était contrôleur des images saintes pour le compte de l’Inquisition, homme d’influence et de grande culture.
 A 18 ans, Velasquez peignit l'Immaculée Conception aux vêtements sculptés, entourée de ses 12 étoiles, la lune sous ses pieds,
en diptyque avec Saint Jean l’évangéliste écrivant l’apocalypse sur l’île de Patmos. Son modèle était sans doute son frère.
Les Larmes de Saint Pierre au visage mature où se lit l’influence du Caravage rencontre aussi l’âme andalouse qui goûtait les représentations picaresques.
Saint Thomas  du musée d’Orléans est l’une des trois toiles de Vélasquez qui demeurent en France alors que le Prado en compte 45.
Saint Paul fait partie de cette série des apostolados (apôtres), figures fortes aux épidermes sensibles comme chez Ribera.
Le pain et le vin de l’eucharistie sont là pour Le déjeuner  qui réunit autour de la table les trois âges de la vie. Le genre « bodegon » (nature morte) n’a pas évacué la dimension religieuse. 
En arrière-plan des tableaux du flamand Joachim Beuckelaer, qu’il a pu connaître, des éléments sacrés sont présents derrière les étals appétissants du Marché aux poissons, une allégorie de l’eau, élément primordial comme le feu ou l’air.
Le profane passe-t-il devant le sacré quand Le Christ dans la maison de Marthe et Marie apparaît au second plan ?
La Vieille faisant frire des œufs : « j'avais faim, et vous m'avez donné à manger », l’enfant incline la tête
comme celui qui étanche sa soif avec une eau parfumée à la figue, chez Le porteur d’eau. La cruche et les récipients convoquent le réel, « plein pot ».
Non moins présente, La Vénérable Mère Jerónima de la Fuente en partance pour évangéliser les Philippines tient son crucifix comme un marteau. 
Après le portrait de Luis de Góngora lors d’un premier voyage à Madrid, 
il revint, grâce à Fonseca, à la cour composée essentiellement d’andalous et il apprécia dans les collections royales Le Titien, Véronèse, le Tintoret
Il  réalisa un premier portrait de Philippe IV avant tant d’autres, pendant 37 ans, devenu l’Aposentador Mayor, le peintre officiel. Les traits prognathes des Habsbourg signaient une dynastie.
S’il n’a pas comme Rubens qu’il  a rencontré, une position de diplomate, il voyagea, alla en Italie, peingnit en plein air, avant les impressionnistes, une Vue du jardin de la Villa Médicis à Rome.
La modernité passe devant une antiquité, comme le profane croise la mythologie dans Le sacre de Bacchus dit aussi « Les ivrognes ».
La Tunique de Joseph met en évidence les corps.
Le Christ crucifié, par quatre clous pour le couvent des Bénédictines de l'Incarnation de Saint Placide fut financé par le roi amoureux d’une des religieuses, expiant ainsi sa faute après une mise en scène macabre de la part de la mère supérieure. La présence d’un repose-pied caractéristique de l’école espagnole, donne une certaine sérénité à l’émouvant supplicié, souvent plus sanglant de ce côté là des Pyrénées.
La reddition de Breda est une œuvre pédagogique où s’exprime la magnanimité.
Elle rejoint les portraits équestres de la famille royale dans le palais du Buen Retiro dont celui du prince héritier, Le Prince Balthazar Carlos.
Les militaires ont parfois du temps pour des castings plébéiens, celui qui pose pour le Repos de Mars est bien mélancolique.
Dans sa série des bouffons, certains portant des noms de grands d’Espagne, Le Bouffon aux calebasses, est d’une grande force.
Sur un fond tel que celui de « l’homme de plaisir », Pablo de Valladolid, Manet fit plus tard scandale.
Les ménines, (les demoiselles d'honneur), tableau complexe, présente une famille consanguine compliquée autour de l’infante Marie Thérèse qui épousera Louis XIV. Il est le plus commenté des tableaux : « théologie de la peinture », « philosophie de l'art ».
Vélasquez a su révéler les faiblesses des grands: Charles II dit « l’ensorcelé » fut le dernier de la dynastie qui laissera sa place aux Bourbons.
Innocent X lorsqu’il vit son portrait repris depuis par Bacon, Picasso, s’exclama : « troppo vero ».
Vénus à son miroir, sur soie noire, est d’autant plus remarquable que les nus étaient rares. La beauté a la face floue et la fesse ferme.    
Les Fileuses ou La Légende d'Arachné, sujet littéraire de chez Ovide est un objet baroque pas toujours facile à démêler. 
Dans une de ses dernières réalisations, Mercure et Argos, le messager des Dieux a fermé cent yeux de celui qui devait veiller sur Io transformée en vache pour échapper au courroux de Junon la femme de Jupiter.
L’artiste qui peignit l’or du siècle, ferma ses yeux pour toujours en 1660, il en avait ouvert tellement.
« Vélasquez a trouvé le parfait équilibre entre l'image idéale qu'on lui demandait de reproduire et l'émotion qui submerge le spectateur. » Francis Bacon