jeudi 12 octobre 2017

14° Biennale d’art contemporain. La Sucrière à Lyon.

Pour illustrer le thème  de cette année «  Mondes flottants » : de petits poissons cerfs-volants se devinent sur fond de ciel bleu. La proposition n’est pas franchement originale.
En persistant à me tenir au courant  de ce que les artistes, révélateurs-d’une-époque, peuvent proposer http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/01/biennale-dart-contemporain-lyon.html j’ai appris depuis longtemps que la beauté n’est plus un critère.
Il restait l’humour, il s’absente présentement, à moins que… d’après le directeur de la biennale : « l’art et l’espace se biomorphent, s’ouvrent sur des projets qui remettent en cause l’abstraction de la modernité européenne afin d’en réévaluer la portée, à l’échelle du monde »
L’insolite, l’inattendu deviennent bien rares.
Pas un trait, pas une coulure, pas une peinture, pas une moulure, pas une sculpture. Les fournitures sans enchantement proviennent de chez Leroy Merlin, pas du marchand de couleurs. Les tas de blocs de béton, même présentés dans de forts vastes lieux sont devenus un tic, un truc trop vu.
Un tissu léger soulevé par l’air dispensé par des ventilateurs a déjà été mis en place tant de fois.
Pénétrer dans une salle en plastique agricole boudinée, respecte certes le thème, mais nous rapproche d’avantage des châteaux gonflables destinés aux enfants lors des fêtes foraines que d’émotions esthétiques à bannir décidément de nos sentiments de spectateurs.
N’y aurait-il que des enjeux économiques dans ce rendez-vous ? C’est essentiellement cette dimension qui est mise en valeur dans un quatre pages du « Monde » réalisé en partenariat avec la Biennale de Lyon. Ce type de publi-reportage fréquent pour vanter les charmes de l’Arabie Saoudite me semblait moins habituel dans le domaine culturel où toute approche critique est donc exclue.

Oui de la flotte il y en a, puisque « mondes flottants » : laiteuse dans un bassin circulaire où tombent des gouttes qui forment des ronds dans l’eau, ou à l’intérieur d’un réseau de tuyaux transparents.
Il y a bien quelques photos de manifs en 68 pour arrêter le regard comme on feuillette distraitement un magazine : « ah oui ! » ; mais les tricotages autour de fils de fer issus de rebuts de brocante kitsch : je n’en peux plus.
Et la décomposition du vol d’un oiseau ne constituerait même pas un  mobile sympathique à accrocher au dessus d’un berceau.
Les inévitables produits dérivés ont pris, me semble-t-il, la place des œuvres devenues des prétextes, et sur Internet où les trolls sont portant prompt à ferrailler, pas un mot de critique, que des informations marchandes : c’est que tout cela est bien anodin.
Le hot dog aux oignons pris à la sortie au food truck était excellent, so branchy. 

mercredi 11 octobre 2017

Venise en une semaine # 5.

L’église de Burano, dont la principale attraction est son campanile sacrément penché depuis un affaissement de terrain, est fermée jusqu’à 15h. Tant pis pour « La crucifixion » par Tiepolo, exposée dans le bâtiment religieux.
Nous passons notre chemin après une déambulation à travers les couleurs inimaginables et les linges pendus 



et retournons à l’embarcadère pour gagner la troisième île projetée : Torcello à 10 minutes de Burano. Une fois arrivés, nous n’avons plus qu’à suivre le chemin dallé qui longe une fois de plus un canal. De l’autre côté, un chemin est bordé d’un grillage interdisant de s’aventurer dans la nature. Puis quelques restaurants espacés donnent un air plus habité.
Un pont très simple sans parapet, un pont du diable, traverse le canal qui aboutit à une modeste esplanade où se situe la cathédrale Santa Maria Assunta fondée en 639 ! On a du mal à imaginer que cette île fut habitée par 20 000 âmes jusqu’au XVII° siècle. Mais le paludisme fit de ravages et aujourd’hui l’île où séjourna Hemingway est presque sauvage.
Nous sommes surpris d’être les deux seuls à passer le seuil de la cathédrale, est ce parce qu’il faut payer 5 € pour pénétrer dans le lieu sacré et 5 € pour grimper dans le campanile que les gens renoncent ? Ils ont tort car vraiment, ça vaut le coup ! La gardienne me fournit un morceau de textile non tissé pour couvrir mes épaules dénudées et nous avons droit à un audio guide en français afin de ne rien louper d’intéressant et de comprendre tous les symboles représentés. Seul inconvénient : interdit de photographier et le gardien fait respecter la loi.( Les photos ci-dessous ne sont donc pas personnelles)
Outre le pavement, l’iconostase surmontée d’un christ en croix sur têtes de morts, la vierge hiératique et orante sur la mosaïque dorée de l’abside, les gestes, les personnages porteurs de sens symboliques, c’est surtout l’immense mosaïque autour et au dessus de la porte d’entrée qui distingue cette église de beaucoup d’autres.
Elle raconte par bandes superposées, le jugement dernier, comme une BD où l’enfer est bien sûr plus pittoresque, plus animé, d’une lecture plus intéressante que le paradis. Sans blabla superflu le commentaire de l’audio guide dirige notre regard et nous relie à des histoires chrétiennes qui font partie de notre patrimoine.
Par l’extérieur nous accédons au campanile, assez peu fréquenté lui aussi, dont la montée en plan incliné est interrompue de temps en temps par quelques marches. 
Nous dominons la lagune, au même niveau que les trois cloches heureusement muettes à cette heure : vue sur les toits de la cathédrale et la chiesa Santa Fosca attenante, sur les jardins, les canaux parfois envasés et les champs cultivés, l’île de Burano, et des îlots bien peignés.
Avant de reprendre les transports collectifs, nous nous installons confortablement dans un restaurant chic au milieu d’un parc pour consommer un limon soda. Guy tente de se brancher à la Wifi de la maison, j’écris, l’heure est douce. Vers 17h nous songeons à rentrer mais nous nous trompons de vaporetto.
Il passe bien par Burano mais au lieu de rentrer sur Venise, il dessert la presqu’île et les stations de Treporti et Punta Sabblioni, lieux de camping prisés par les jeunes touristes.  (La photo ci-dessus n'est pas celle de notre bateau mais d'un paquebot de croisière, grossier en ces lieux). Nous patientons avant de nous engouffrer dans la bonne embarcation direction San Marco avec halte au Lido. Arrivés après 35 minutes de trajet, nous poursuivons  jusqu’à  station « La ferrovia » sous un soleil déclinant. Sans passer par la maison, nous nous attablons à 20 mètres de chez nous à la « Casa Bonita » recommandée par notre logeuse Béatrice. Nous commandons des poulpes à la tomate et à la polenta et un plat de seiches également à la tomate et petits pois de San Erasmo, île des cultures maraîchères. Pour attendre la préparation un peu longue de ces produits frais, l’établissement nous offre un pétillant  en apéro. Guy ne résiste pas au tiramisu. Soirée à la maison à 21h : écriture et lecture.
 
 
 
 
 

mardi 10 octobre 2017

Mister nostalgia. Robert Crumb.

Avec cet album de 92 pages, il est possible de revenir sur l’évocation du blues agricole des années 20 dans le Mississipi, et savourer l’humour d’un des papes de la contre culture que je n’avais pas fréquenté depuis des décennies.
Le dessin est magnifique, les femmes ont toujours d’amples volumes, mais le narrateur maigrichon ne se voit pas toujours lui même sous son meilleur jour.
Sa passion exclusive pour le jazz natif qui en fait un collectionneur émouvant, le conduit à condamner inutilement toutes les autres musiques. Le goût du passé ne devrait pas conduire forcément à endurcir un côté réactionnaire.
Mariant ses compétences de musicien et ses talents de dessinateur, l’américain vivant en France, illustre des chansons dont la traduction révèle comme souvent la faiblesse des textes rehaussés heureusement par des dessins truculents.
Qu’il décrive le parcours de plusieurs musiciens dont Charlie Patton au moment de la Grande Dépression ou parodie Boucle d’or aux cheveux coupés rencontrant les trois ours, le ton est acerbe dans ses planches comme travaillées en xylogravure.
L’évocation des chanteurs des rues et la quête des musiques oubliées apportent de la tendresse dans cet album, assemblage de différents récits qui invitent à aller voir si Fritz the Cat son personnage le plus célèbre était aussi ludique que le souvenir me le disait. 

lundi 9 octobre 2017

Le Sens de la fête. Eric Toledano Olivier Nakache.

Le film divertissant, promis à un grand succès, saisit parfaitement l’air du temps macronien: du « bordel » peut émerger une grâce éphémère certes, mais toujours bonne à prendre, la relève prend la place d’une génération désabusée, mots crus et discours interminables, éloge de l’entreprise et de la diversité, réactif et positif…
Les téléphones portables sont une source de gags surtout autour d’un photographe daté - il s’appelle Guy - qui regrette l’argentique, ne supporte pas les photos par téléphone, mais s’accommode fort bien de la géo localisation pour draguer. Les délices des correcteurs orthographiques non corrigés dans les SMS et les répondeurs saturés sont réservés à Max le patron, attachant maître d’œuvre d’une fête de mariage où les catastrophes s’accumulent avant une conclusion qui ne peut être qu’heureuse.
Ses collaborateurs ne sont pas tous déclarés, mais si certains ont des compétences qui mériteraient un surplus de formation, d’autres peuvent rattraper les coups mal partis, naturellement, gentiment.
Qui n’a pas dit que Bacri et tous les acteurs sont excellents, passant de la caricature à des notations plus subtiles, en une partition bien orchestrée avec des dialogues croustillants ?
Rythmées par des cartons qui indiquent le temps qui s’écoule à la minute près, comme ça se dit dans notre présent affolé, ces deux heures passent bien vite :
rire ensemble, rire ensemble, houai !
Léger, frais, pas comme le contenu du camion frigorifique… 

dimanche 8 octobre 2017

Le monde d’hier. Stefan Zweig. Jérôme Kircher. Patrick Pineau.

Dès 1941, S. Zweig, l’auteur alors le plus traduit au monde écrivait :
« Jamais une génération n’est tombée comme la nôtre d’une telle puissance intellectuelle dans une telle décadence morale ». En 1942, il se suicidait.
Chassé d’Autriche parce que juif, puis d’Angleterre parce que de langue allemande, l’humaniste qui parla si bien de l’ « âge d’or » de Vienne avait « la bile noire ».
« Toute ombre, après tout, est fille de la lumière et seul celui qui a éprouvé la clarté et les ténèbres, la guerre et la paix, la grandeur et la décadence a vraiment vécu ».
Jérôme Kircher, seul en scène, par sa sensibilité vibrante, exprime toute la force de l’œuvre ultime de Stefan Zweig.
« Et paradoxalement, dans les temps où notre monde reculait moralement d’un siècle, j’ai vu cette même humanité s’élever par l’intelligence et la technique à des prodiges inouïs, dépassant d’un coup d’aile tout ce qu’avaient produit des millions d’années »
Je voudrais retenir plutôt que les correspondances évidentes avec les forces mortifères qui minent aujourd’hui notre continent, la subtilité, la limpidité de cette littérature qui fonde notre identité européenne. La nostalgie d’une douceur de vivre dans une Mittel Europa réinventée me semble plus porteuse d’avenir que les passions tristes qui nous étouffent.
Pendant une heure dix, je me suis trouvé en bonne compagnie dans un café à Vienne, ville du « vivre et laisser vivre », au début du XX° siècle en comprenant combien Paris pouvait être une récompense.
Dachau ouvre ses portes, les livres sont brûlés et la vieille mère de l’apatride n’a plus le droit de s’asseoir sur un banc public lors de ses dernières sorties.
Qu’a pu, que peut la culture contre la barbarie ? Si peu.
Il y a des jours bombecs et des jours sang dans ces mondes incroyables.
Quand un infime refuge de douceur entre deux pages n’est rien face à l’apocalypse inscrite aussi dans les livres, quand la musique réveille les morts et enchante les vivants, une pièce de théâtre rappelle ces paradoxes : c’est la vie qui essaye encore.
La rentrée à la MC2 pour la saison 2017/18 est modeste et puissante.

samedi 7 octobre 2017

Blonde. Joyce Carol Oates.

Un très grand livre dense (997 pages) qui permet d’avoir le sentiment d’aborder un chef d’oeuvre se rapprochant pour moi du « Madame Bovary » de Flaubert pour le récit d’un destin tragique sous une écriture rigoureuse et bouleversante.
« Quand j’étais orpheline, au foyer d’El Centro Avenue, j’ai essayé d’être adoptée. J’ai essayé d’être bonne en sport au lycée. J’ai essayé d’être une bonne épouse pour mon premier mari qui m’a quittée à l’âge de dix-sept ans. J’ai essayé si fort d’être une bonne actrice, et pas juste une blonde de plus. Oh ! Vous savez que j’ai essayé, n’est ce pas ? Marilyn était une pin-up , vous vous r…rappelez, j’étais une pin-up de calendrier, à dix-neuf ans, on m’a payée cinquante dollars pour « Miss golden Dreams » et ça a failli briser ma carrière, il parait que c’est la photo de calendrier la plus vendue dans l’histoire… »
La surprise de se passionner pour l’histoire déjà écrite de Marilyn Monroe à ne pas confondre avec Norma Jane Baker, son vrai nom, ajoute de la valeur à l’entreprise, facilitée par une ouverture époustouflante, derrière un vélo de livreur conduit par la mort :
«  La mort en train de rire. Va te faire foutre mec ! Et toi donc ; c’était Bugs Bunny dépassant les rutilantes carrosseries d’onéreuses automobiles sorties tout droit de chez le concessionnaire »
Woody Allen rêvait d'être le collant d'Ursula Andress; être dans la tête de Marilyn, à fleur de peau, de cœur, n’est pas de tout repos. S’entourer de livres comme elle et ne pas tout saisir.
Derrière la superficialité, la profondeur, le cynisme côtoie la compassion, la sincérité et le jeu, champagne et vomi, rêve et misère, folie et lucidité, ambition et simplicité …
Un conte universel : «  ton corps  est un fruit appétissant fait pour que d’autres y mordent et le savourent […] Il y a une porte dérobée dans le mur mais tu dois attendre comme une gentille petite fille que cette porte s’ouvre. »
L’enfance et ses mystères, ses fulgurances et les illusions jusqu’à la fin qui autorisent les franchissements de frontière entre biographie et licence poétique habillement conduits :
« Notre instinct nous pousse à rembobiner le film et à repasser la séquence, dans l’espoir que cette fois ce sera différent et que nous entendrons plus clairement les paroles bafouillées par l’Actrice blonde… Mais non, jamais nous n’entendrons. »
Non je ne renonce pas au mot : « une bombe ! »

vendredi 6 octobre 2017

Avec Edmond Maire.

En réaction – décidément - à des avis sommaires parus sur Facebook après la mort d’Edmond Maire, je reviens sur quelques années de militantisme,  pour aller au-delà des R.I.P. convenus, et m’insurger contre les habituels trolls, desquels il ne faut pas attendre un quelconque délai de décence.
Histoire aussi de marcher contre l’air du temps : Hervé Hamon, l’écrivain, non le fugace ministre, relevait que Libé  avait consacré 6 lignes à l’ancien secrétaire de la CFDT alors que Pierre Bergé avait bénéficié de 6 pages ; j’avais eu le même choc pour le laconisme du journal, qui fut emblématique, à la mort de Léo Ferré.
Dans les années 70, depuis les Terres Froides du Dauphiné, aux collines s’inventant du soleil (« Summerhill »), mon enfance venait de changer de camp : le potache se trouvait en face d’élèves.  
L’école m’avait fait monter sur une estrade que nous nous sommes empressés de démonter. Il en était de même de tant d’institutions remises en cause : ainsi  le tutélaire Syndicat des instituteurs avait excité d’emblée nos fibres contestataires.
La CFDT dont le Syndicat Général de l’Education Nationale jouxtait les communaux, la chimie, les métaux… était hospitalière. Quand Lip donnait alors du corps aux rêves d’autogestion, la forge de la « deuxième gauche » tenait le haut de l’affiche.
Le corporatisme nous semblait le péché majeur, attentatoire à la fraternité, même si nous avions appris que quelques cotisations exploitant des motivations singulières ne signifiait pas forcément adhésion aux valeurs d’une gauche prophétique.
Dans les salles enfumées des Bourses du Travail, nous étions fervents, cathos ou gauchos, qui s’essayaient à faire vivre une démocratie ne devant surtout pas reproduire les mœurs rigides et magouillardes de nos compères stals ou trotsks.
« On a beau fouiller les quatre horizons
 Rien n'est plus poétique que l'autogestion » Font&Val
 Des suites de la déconfessionnalisation à l’autogestion, des comités de soldats aux cabinets ministériels, la négociation était désormais la pierre angulaire du progrès social : ces années furent passionnantes. Solidarnosc.
En privilégiant le contrat sur la loi, les protestataires auraient suivi une filiation protestante d’une « gauche américaine ». En tous cas dans la diversité syndicale, l’apport de la CFDT a été fondamental : en «  donnant plus à ceux qui ont moins », c’est sur notre partition que ce sont installées les ZEP.
La recherche de nouvelles pratiques où se rejoignaient pédagogie et politique, syndicalisme, était affaire de praticiens. Mais les perroquets ministériels et la perruche ont eu raison de ma foi. A être mis à toutes les sauces, tant de mots ont perdu toute leur sève : « projets » et « citoyens » sont épuisés. Parce que nous ne supportions plus la remise en cause de l’indépendance syndicale par le PS, j’accompagnais une poignée de dissidents, mais quand la FEN eut éclatée, elle aussi, chacun revint dans sa chapelle ou plutôt dans un placard de la sacristie : le PAS (Pour une alternative Syndicale) fut une impasse. Je quittais l’active.
Les élèves d’autrefois n’avaient pas la parole, ils eurent bien besoin de textes libres et de « Bibliothèque du Travail » ; devenus « enfants roi », ils n’ont pas trouvé grand monde en face.
Dans les monuments républicains, où portes et Windows ont été ouverts en même temps, les courants d’air ont vidé les greniers de toute mémoire : le présent épisode en est l’illustration.
Je me suis « recentré » en suivant ma centrale, derrière les sinuosités d’un Rocard enseveli il y a peu sous les hommages. Pour les obsèques de son compagnon en intelligence et en courage, Edmond Maire a prononcé son dernier discours.
Son fils Jacques vient d’être élu député de la République En Marche.