mercredi 22 juin 2016

Presque Falstaff…et les autres. Gilles Arbona.

Les comédiens de cinéma qui passent à la réalisation ne sont pas toujours convaincants et cassent le métier de metteurs en scène qui se prennent aussi parfois pour d’autres.
De surcroit les divertissantes évocations de quelques monuments de la littérature ou du théâtre type : « Victor Hugo en une heure », peuvent présenter un air de déjà vu, ou de bien vu parfois :
Là, le comédien Arbona, de chez Lavaudant et d’autres
est sans prétention : «Je n’ai jamais pensé pouvoir écrire quoi que ce soit. »
Il fait cadeau à son vieux complice Papagalli
du personnage truculent de Falstaff, présent dans quatre pièces de Shakespeare, sans insister sur son rôle  de séducteur pathétique dans les « Joyeuses Commères de Windsor ».
Certains replacent l’énorme couard dans le contexte historique qui résonne avec notre époque :
« Falstaff, comme Dom Quichotte, évolue dans un monde qu’il ne comprend plus. Lui, qui paraissait si moderne face au chevalier Hotspur, devient passé de mode. Les mots si chers à Falstaff n’ont plus le dernier mot. »
Dans le petit théâtre de la MC 2, tout est léger : sous l’armure, le bon vivant est mélancolique sans trémolo, sa drôlerie monte en verve après un jeu théâtral calamiteux dont on peut mettre un moment à comprendre que c’est volontaire. Les quatre acteurs sont excellents dans des registres variés où Racine, Feydeau tiennent la plume parmi quelques morceaux toujours savoureux de Shakespeare et d’autres.
« C’est un teckel qui tourne autour d’un sapin.
- Chic un cul !
- Mince, c’est le mien. »
Il est question de théâtre dans le théâtre et de la version cinématographique d’Orson Welles car tout est mis sur la scène jusqu’à la présence du critique de service qui incite les teneurs de blogs, « la bonne blague », à l’indulgence, puisque c’est surtout une histoire d’amitié.

mardi 21 juin 2016

Ceux qui me restent. Damien Marie & Laurent Bonneau.

Le graphisme est élégant, le découpage efficace et subtil mais les teintes pastels conviennent-elles pour traiter de la maladie d’Alzheimer ?
Le soixante huitard, veuf depuis longtemps, qui n’a pas assuré avec sa fille, essaye de reconstituer quelques morceaux d’une vie étourdie.
De beaux effets maritimes, mais le scénario lacunaire n’était pas très riche, bien que l’ambition de traiter d’un sujet envahissant soit louable.
Des rancœurs restent en suspens parmi des espaces bleutés où se diluent nos émotions et une empathie minimale qui aurait pu naître à l’égard d’un collègue de la même génération et pourtant : non !
S’oubliera rapidement, mais je retrouverai volontiers le dessinateur remarquable.

lundi 20 juin 2016

Illégitime. Adrian Sitaru.

Du « brutal» si le mot n’avait une connotation amusante depuis les « Tontons flingueurs », alors que l’humour est absent dans cette famille dysfonctionnelle et violente.
La façon de filmer où les regards ont toute leur expression rend bien le trouble et la tension entre enfants et père.
Malgré la lourdeur des sujets : inceste, avortement, collaboration avec le régime de Ceausescu, nous partageons le malaise des personnages.
Par la force des acteurs ce qui pourrait n’être que glauque nous interroge.
Une fois encore le cinéma roumain nous intéresse tout en décrivant une société où le temps des tablettes et téléphones portables est advenu, sans s’être délesté tout à fait des années  tyranniques.     

dimanche 19 juin 2016

De peigne et de misère. Fred Pellerin.

Depuis longtemps je n’avais pas assisté à un racontage du Festival des arts du récit en Isère, subséquemment je me suis fustigé rétrospectivement d’avoir manqué d’autres beaux moments qui auraient pu être à la hauteur de cette soirée exceptionnelle.
Dans nos régions, les insectes sont devenus si rares qu’ils ignorent désormais nos allées-venues automobiles, dans le village du jeune québecquois découvert aujourd’hui, Saint-Élie-de-Caxton, ce sont « Les lutins et les fées qui s’écrasent dans les pare-brise le soir » alors ce lieu de légendes a bien mérité d’accueillir pas moins que le début et la fin du monde.
Ce conteur qui tient son talent de sa grand-mère, mêle le fantastique au quotidien avec inventivité et vivacité, sans barboter dans une pacotille surannée, mais revivifiant ce que Vigneault appelait les « placotages ».
Cette province est bien belle, d’où nous viennent tant de chanteurs et de conteurs élémentaires, légers et profonds qui polissent et repolissent nos mots, les déplissent. Alors surtout ne pas dire qu’il s’agit d’un « one man show » ou d’un « stand up ».
 Puisque nous sommes les invités d’un pays où
« chaque cheveu fait de l'ombre sur terre »
l’attention aux autres est au plus haut comme celle qui est apportée aux voix qui disent si bien la douce fantaisie, le tragique, le loufoque, la solidarité dans une communauté aux individus hauts en couleurs, en douleurs, sans s’appesantir.
Ce feu d’artifice loquace, agrémenté de chansons à la guitare et à l’harmonica amarré à son porte-harmonica, se conclut magnifiquement par une boite contenant le silence, héritée bien entendu de cette grand-mère préhistorique «  quand j’ouvre ma boîte, tu fermes la tienne »
Les mots bafouillés, retravaillés, triturés, offerts en cascades se régénèrent et permettent tous les décollages poétiques, drôles et poignants.
Un des personnages, le barbier coiffeur, « habile à trier les cheveux blancs et les idées noires » a beau avoir inventé « la coupe du client qui ne reviendra plus jamais », le public fervent reviendra lui à tous coups.

samedi 18 juin 2016

Je ne me souviens pas. Mathieu Lindon.

Le souvenir vague de Perrec, auteur de « Je me souviens », prolongé par quelques imitateurs de magazines, allait-il consoler les béances de ma mémoire tracassée ?
La proposition était tentante.
Bien qu’une seule phrase des « Antimémoires » de Malraux depuis un champ lexical voisin, situe le glorieux ancêtre dans une autre cour : 
« L'orgueilleuse honte de Rousseau ne détruit pas la pitoyable honte de Jean-Jacques, mais elle lui apporte une promesse d'immortalité. »
A travers ce portrait, en creux, l’oubli des autres, m’a paru trop explicite pour attirer ma sympathie.
« Si la vie est une drogue, je garde mes distances avec le produit, je consomme avec modération. Entre la coupe et les lèvres, il y a de la place pour la réticence. »
Bien que  s’appliquant à la contrarier, l’élégance de l’écriture du chroniqueur littéraire de Libération vient parfois amoindrir une sincérité qui pourrait toucher.
Quelques séquences donnent à réfléchir :
« Exagérer c’est faire comprendre la vérité ou le mensonge ? »
 Mais fallait-il tant d’anodines remarques pour les mettre en valeur ?
« Je ne me souviens pas d’avoir aboyé  quand on me traitait comme un chien »
Placé  derrière un épigraphe de Victor Hugo :
«  Celui dont le flanc saigne a meilleure mémoire »
Ces 150 pages manquent justement de chair pour ne pas paraître comme un exercice de style agréable à lire, mais oubliable.

vendredi 17 juin 2016

Comprendre le malheur français. Marcel Gauchet.

Le village en couverture du livre est couvert de nuages. Nous sommes loin de 81 quand une icône à clocher de la campagne de Mitterrand figurait sur un fond bleu. Cet essai de 370 pages murmure à  mes oreilles couchées par l’inquiétude, avec le mot « malheur » pour appeler, excessif, fidèle pourtant au sentiment que se complaisent à renvoyer nombre de nos compatriotes.
La clarté de l’expression favorisée par la forme de dialogue avec un journaliste de Marianne et un chercheur du CNRS permet d’avancer dans la compréhension de cette dépression française. De surcroît, je me retrouve dans cet essai en terrain rassurant avec la laïcité rappelée comme valeur inaliénable. Tout en admettant que je n’avais pas envisagé une telle importance du rôle de la religion dans les processus historique, ni que le général De Gaulle fut dans la durée aussi exceptionnel :
« En mettant ensemble l’autorité de l’Etat et la légitimité démocratique, l’incarnation monarchique et l’impersonnalité républicaine, le dynamisme économique et l’identité historique du pays, les bourgeois et les prolétaires. »
Notre universalisme, depuis 89, événement majeur dans la formation de notre nation, s’est perdu dans la mondialisation.
La sévérité de l’historien philosophe à l’égard de la construction européenne prônée depuis un moment comme substitut au socialisme, m’amène à réviser quelque naïveté. Au moment où la réconciliation avec l’Allemagne n’était pas acquise, le projet du « marchand de Cognac », Jean Monnet, visait à : « en finir avec l’Etat jacobin à la française en le contournant, disperser les pouvoirs, retrouver les vraies communautés, favoriser un style de gouvernement paternaliste où les gens éclairés prennent pour eux à la bonne distance des passions et des pressions populaires, les décisions qui s’imposent pour le bien commun. » 
Quant à aujourd’hui, alors que l’économie a supplanté le politique:
« On ne peut parler de l’Europe qu’au nom des objectifs que nous lui assignons. L’épreuve de la réalité n’a pas de place dans le discours sur elle »
Aimant les paradoxes, j’apprécie la formule qui relève  cette « ruse de la raison » :
« Mitterrand aura été le président par lequel sera passée la libéralisation de la société française que Giscard aura échoué à opérer »
Et cette façon de gouverner qu’on redécouvre à chaque fois :
«… l’axiome qui guide notre classe gouvernante : il vaut mieux ne pas affoler les français en leur décrivant sans fard la mutation à laquelle ils sont condamnés. »
Plus près de nous Sarkozy :
« Pour lui, énoncer les problèmes équivalait à les résoudre »
Et pour se faire du mal, extraire quelques mots du plan Langevin-Wallon et voir que ces ambitions ne sont plus d’actualité :
«La possibilité effective, pour les enfants français, de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance, mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires. »
Et après avoir remarqué la dissipation foudroyante des souvenirs après Charlie et le Bataclan à la mesure de l’émotion, insister sur le retour du « Business as usual »:
« Le néolibéralisme n’a pas besoin de se définir comme un passé parce que ce passé est révolu au regard de ce que sont les mœurs, les croyances, les aspirations spontanées des individus »
Pourtant : « Les questions qui sont devant nous, la question écologique, la question migratoire, la question des dérèglements du capitalisme financier, la question de la confrontation des cultures, la question du régime démocratique en mesure de faire face à ces urgences, signent toutes , de manière convergente, la fin de l’économisme triomphant… »
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Le dessin de la semaine vient de Télérama:

jeudi 16 juin 2016

Lucian Freud. Christian Loubet.

Le titre « A fleur de peau » aurait dû convenir également pour caractériser Bacon présenté le même soir par le conférencier incontournable des amis du musée de Grenoble.
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/06/bacon-la-peinture-de-la-sensation-brute.html 
Mais si la violence picturale et l’obsession des corps rapprochent ceux qui furent amis, là où Bacon exprime une souffrance subie, « Freud darde un regard féroce ».
Dans le portrait que Bacon a brossé de lui, « Three Studies of Lucian Freud », ses yeux n’apparaissent pas.
Petit fils de Sigmund, né à Berlin, fuyant les nazis, il arrive à Londres à l’âge de 12 ans.
En 44, il expose une peinture influencée par le surréalisme « The painter's room ».  
S’il se défend d’être influencé par l’inventeur de la psychanalyse, un divan est pourtant au centre de la toile ; de surcroit, tout au long de sa carrière, il représentera tant de lits et de sexes.
Deux fois divorcé, il a eu une quinzaine d’enfants de 5 ou 6 femmes.
Dans « Grand Intérieur, Paddington » c’est une de ses filles qui est allongée au sol, près d’une plante vigoureuse. L'espace sera un élément majeur de ses mises en scènes éclairées vivement.
Une fois son style trouvé, sa côte atteint des sommets.
Ses nus figuratifs, à l’animalité épidermique, sans concession,  avec sexe en plein milieu, vont chercher les personnalités, sous les chairs tombantes.
« Leigh sous la lucarne »,  annonce de nouvelles manières.
Les yeux se  baissent, loin de « Girl with a White Dog ».
Leigh Bowery était aussi imposant que sa femme, Nicola Bateman, était fluette, mais ils sont pareillement blafards dans « And the Husband », photographies d’un processus. 
L F entretient des rapports intenses avec ses modèles.
« Je pense toujours que "connaître quelque chose par cœur" permet plus de profondeur que de voir de nouveaux sites, aussi splendides soient-ils. »
Sue Tilley au « corps pléthorique »  occupe toute la place dans « Benefits Supervisor Sleeping » « sommeil à l’avantage du superviseur ». Le tableau au prix le plus élevé payé pour un artiste alors vivant, appartient à Abramovich propriétaire de l’équipe de Chelsea.
Foot et art : « allez vous faire foot ».
En 2001, il réalise le portrait, on imagine controversé, de « La reine Elisabeth II » dont le viril visage régalien est empreint d’un certain ennui.
La série « Lucie », du nom de sa mère qui avait tenté de se suicider, mesure le vieillissement et la lassitude.
En 2002, il suit  chaque jour, la grossesse du mannequin Kate Moss, «Nake portrait ».
Il lui a tatoué deux oiseaux au bas du dos qui  pourraient « coûter la peau des fesses », bien  plus chers que cette blague que je n’ai pu m’empêcher de recopier.
Il a travaillé 3 ans sur «  Portrait of the Hound » où pose son ami David Dawson.
Son dernier « Auto portrait », le montre, en son miroir, pathétique dans sa vigueur, les pieds dans des godillots ouverts, le pinceau comme une épée, la palette en bouclier dérisoire. Il porte les traces du temps de la même façon qu’il a intensifié la réalité dans ses toiles au matérialisme radical.
A propos d’« After Cézanne » version mise en scène de « L’après midi à Naples » avec servante et couple qui viennent de consommer. « Les nombreuses relations dans la vie du peintre en font un tableau autobiographique ». L’encadrement original en accroit l’intérêt.
« J'ai toujours voulu créer une forme de drame dans mes peintures. C'est pourquoi j'ai commencé à peindre des gens. Ce sont ces gens qui ont apporté de la vie aux images. Les gestes humains les plus simples racontent des histoires. »
« Pendant plus de soixante ans, dans un lent face à face avec ses modèles et avec lui-même, l’homme au regard de serpent aura hypnotisé sa proie pour tenter de « reconquérir le visage de l’humain » Jean Clair.