jeudi 8 octobre 2015

Cézanne. Damien Capelazzi.

« Le prophète de la modernité, peut se comprendre mais ne se laisse pas voir facilement ».  
La réflexion vient du conférencier qui avait déjà clos l’an dernier la saison des conférences autour du « noir » http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/09/le-noir-damien-capelazzi.html et il va s’appliquer à faire dialoguer raison et vision.
Paul Cézanne, le père de l’art contemporain était reconnu par ses pairs : Maurice Denis a peint « L’Hommage à Cézanne » où Odilon Redon, Sérusier, Vuillard, Bonnard…  sont rassemblés autour de quelques pommes fameuses.
L’Aixois sera souvent dans le défi par rapport à ses maîtres, reproduisant les tensions avec son père. Si dans sa période  parisienne, il considérait Gauguin comme un « bourgeois endimanché », il partage à Auvers avec Pissarro l’hospitalité du docteur Gachet, homéopathe.
Dans cette période, sa « maison du pendu » doit beaucoup à celui qu’il nommait « L'humble et colossal Pissarro »
Quand il peint le « Portrait d'Achille Emperaire », son compatriote, ce tableau de deux mètres de haut, représentatif de sa période « couillarde », peut évoquer Vélasquez dans son sujet et sa manière. 
Comme la série dans laquelle il fait prendre divers habits à « L'Oncle Dominique en avocat », en moine, le traitant vigoureusement au couteau, en impasto (empâtement) ;  l’émotivité vient avec la surcharge de matière onctueuse.
Il décore les murs de la pièce principale du « Jas de Bouffan », vaste maison acquise par le père devenu banquier, et dans les jardins, cerne une « psychologie de la nature » en touches impressionnistes rapides et fracturées lorsque l’organique entre en conflit avec le minéral, la géométrie avec l’abstraction.
J’ai appris le mot : pruinescence (du latin pruina, gelée blanche, neige) qui peut caractériser la couleur des grains de raisin quand les reflets cachent la profondeur sous une fausse transparence qu’un frottement efface. Manet, dont il refusa de toucher la main, nous en régale, avec ses natures mortes parfumées à « La brioche ». Les pommes de Cézanne pas forcément dans l’espace euclidien qui jouent de la nappe, base blanche, sont elles convexes ou concaves ?  
En voici un exemple « Nature morte aux pommes et un pot de primevères » (1890)
« Avec une pomme je veux étonner Paris » disait-il. Fruits on ne peut plus communs, devenues emblématiques de son œuvre, elles roulent jusqu’à nous. Pommes de l’amitié, avec Zola, venant comme lui de l’autre côté des Alpes:
« Même notre amitié vient de là... d'une tripotée que toute la cour, grands et petits, m'administra, parce que moi, je passais outre, je transgressais la défense, je ne pouvais m'empêcher de lui parler quand même... un chic type... Le lendemain, il m'apporta un gros panier de pommes ».
Il épouse son modèle Hortense Fiquet, à la charnelle robe rouge.
Dans ses portraits d’humbles journaliers, «Les Joueurs de Cartes», fumant la pipe tels les soldats de Meissonnier entre deux batailles, il révèle qu’il a beaucoup vu les anciens ; « le bourru » n’a pas tout inventé. Ses couleurs automnales qui cernent ses personnages annoncent cependant les bruns cubistes.
« Le fumeur de pipe », parmi d’autres, porte une mélancolie éternelle.
En 1906, dans le massif de la Sainte Victoire, il va mourir suite à un orage, qui l’a surpris en pleine nature. « Le rocher rouge »
Il avait un cabanon dans les carrières de Bibémus dont les ocres vont le marquer :
« La nature pour nous hommes est plus en profondeur qu'en surface, d'où la nécessité d'introduire dans nos vibrations de lumière, représentées par les rouges et les jaunes, une somme suffisante de bleutés, pour faire sentir l'air. »
Il avait fait entrer aussi l’Estaque dans l’histoire avant que Braque, Dufy, Derain y « plantent leur chevalet ». « Le golfe de Marseille vu de l'Estaque ». Le bleu lui va si bien

mercredi 7 octobre 2015

Florence.

Une telle capitale ne se visite pas en un jour. Cette année, pour nous éloigner des foules considérables du mois d’août, nous sommes allés en dehors des lieux les plus illustres.
Nous n’avons pas révisé nos souvenirs
- place de la Signoria et sa loggia où les lansquenets allemands de la renaissance ont laissé place à une copie du David de Michel Ange, à Neptune, Judith et Olopherne, Cosme 1° à cheval, Hercule…
Il était permis de préférer alors l’Enlèvement d’une Sabine de Jean de Bologne.
- Pas plus qu’au Palazzo Vecchio du XIII°, baptisé ainsi après que les Médicis eurent déménagé au palais Pitti de l’autre côté de l’Arno, auquel ils continuaient d’accéder par un couloir où furent déjà accrochés des tableaux.
- La galerie des offices. Depuis un moment je n’ai pas revu les Boticelli , Uccello, Raphaël, le Caravage… qui s’y trouvent ; pourtant des possibilités de réservation nouvelles existent.
En révisant l’historique de ces lieux bien présentés sur de multiples sites internet, je ne me souvenais pas d’un attentat maffieux qui fit 5 morts en 1993.
A deux pas le Duomo étincelant de marbres et les portes du baptistère de Ghiberti, et du Ponte Vecchio lui aussi…
Après un tour de ville en autocar un peu décevant, contrairement à des circuits de ce type dans d’autres villes considérables, si ce n’est une vue panoramique sur la ville de 400 000 habitants, nous rayonnons autour de la place de Santa Maria Novella.
L’officina Profumo Farmaceutica, la plus ancienne pharmacie du monde, dit on, datant de 1221 quand même : magnifique sous ses fresques, ses statues et ses bois, ses senteurs, ses pots raffinés : eau antihystérique ou potion contre l’évanouissement, là s’élabora ce qui pris l’appellation eau de Cologne « qui soignait les maux d’amour ». Sur les  armoiries des Médicis figurent des pilules: "cinq rouges pour le poumon, le foie, le cœur, l'estomac et les intestins, une bleue figurant la  panacée".
Au musée de San Marco nous renouvelons notre regard sur des scènes religieuses traditionnelles : Descente de la croix, Couronnement de la vierge, Jugement dernier, Annonciation…  Des fresques peintes par Fra Angelico sur les murs des cellules des moines émane une lumière, une grâce qui traversent les siècles et les incroyances. Savonarole dont le profil, nous fait douter que l’on serait épargné par un procès en délit de sale gueule, séjourna dans ce couvent.


mardi 6 octobre 2015

El Paso. Aurélien Ducoudray Bastien Quignon.

Sur fond de décor U.S. mythique, dans la poussière entre caravane et motel :
flash back sur un road movie en bandes dessinées quand s'apprivoisent un père et son fils.
Atmosphère virile, peu bavarde, le père est en prison et rude est l’absence d’éducation.
Les aquarelles qui semblent bues par le papier font naître des sensations douces et pénétrantes.
Le récit vite lu sur des bases pourtant rebattues est attachant.

lundi 5 octobre 2015

Amnésia. Barbet Schroeder.

Marthe Keller, bien conservée, en allemande ayant répudié ses origines, s’éclaire à la bougie dans une charmante demeure à Ibiza, peuplée de tant de compatriotes.
Elle fait la connaissance de son nouveau jeune voisin, qui œuvre dans la spécialité locale : DJ.
Rencontre de deux générations et réactivation de la mémoire.
Papy et maman reviennent pour convaincre le jeune de revenir à Berlin.
Il avait fait découvrir à son ainée des herbes convenant au poisson pêché dans les criques photogéniques de vacances prolongées. 
Les sujets périlleux sont abordés avec quelque finesse au début : rencontre jeune homme et femme vieillissante, la culpabilité allemande, mais cela s’abime à la fin.
Pas de quoi devenir culte comme « More » tourné au même endroit du même réalisateur suisse.

dimanche 4 octobre 2015

Toujours la tempête. Peter Handke Alain Françon.

La saison 2015/16 à la MC 2 commence fort.
Au moment de s’abonner et choisir les spectacles à voir cette année, les noms du metteur en scène et de l’écrivain,
nous disaient quelque chose.
Cependant en prenant connaissance du sujet : « le devenir de slovènes en Carinthie pendant la seconde guerre », quelques craintes de ne pas se sentir concernés pouvaient apparaitre, surtout que la pièce dure trois heures.
Le titre se plaçant en référence à Shakespeare est à la hauteur :
le bruit et la fureur, les dilemmes ne manquent pas, le souffle de l’histoire et les destins brisés ; la formidable capacité d’interpellation du théâtre se renouvelle encore ce soir.
Universel :
« une lande, une steppe, une lande steppe, ou n’importe où »« maintenant, au Moyen Âge, ou n’importe quand »
Bien que le grand-père ne veuille pas entendre le mot « tragédie », « Dieu », ni « je », ni « amour », c’est bien de tout cela dont il sera question dans la reconstitution par l’écrivain metteur en scène batard, né de père allemand et de mère Slovène dont il ne parle pas la langue, bien qu’il l’évoque poétiquement.
« Les vivants, disait Auguste Comte, sont toujours, et de plus en plus, dominés par les morts. » Ici, par la finesse du narrateur faisant renaître ses ancêtres à sa façon, nous ne restons pas dans un pays figé.  
La dialectique est féconde entre vivants et morts.
La réflexion sur le temps, la mémoire, la création, est stimulante.
«Leur pas typique du Jaunfeld, passant d’un pied sur l’autre ».
Au-delà d’une incursion dans la complexité des Balkans et les facéties tragiques de l’histoire, le récit d’une « quête identitaire émancipatrice » avec ses contradictions, le choix aléatoire entre soldat de l’armée du Reich ou « cadre vert » dans la résistance est passionnant.
La mise en scène est limpide, les arbres couverts de pommes sont à la fois très concrets et en même temps, débarrassés de leurs branches, les fruits rappellent les mythes fondateurs.
Les acteurs sont excellents et l’auteur qui vit désormais en France, est  un grand, aux accents d’une lucidité âpre très autrichienne, tel Haneke.

samedi 3 octobre 2015

Réparer les vivants. Maylis de Kerangal.

Les 280 pages, de ce livre admirable, développent, et ce n’est pas une petite entreprise, le titre fort, juste et précis, comme chaque mot de cette œuvre célébrée par tant de critiques.
Le succès éditorial aurait pu desservir ce bijou humaniste : quand on attend trop d’un livre ou d’un film, c’est encore plus difficile d’être à la hauteur.
Bien sûr les circonstances de lecture au moment de l’opération de l’amie qui me l’avait offert, ont ajouté à une émotion qu’il faut mettre à distance en s’accordant une pause de temps en temps, bien que le pathos ne soit pas le genre de l’auteur de « Naissance d’un pont ».
La littérature est un beau remède quand elle dit le monde d’aujourd’hui en nous élevant au dessus du blabla ambiant.
Tant de personnages contradictoires, faillibles, passionnés décrits ici avec empathie, participent à une entreprise magnifique de précision, de délicatesse : réparer les vivants.
«… la situation est irréversible - elle déglutit en pensant à ce mot qu'il lui faudra articuler, irréversible, quatre syllabes qui vitrifient l'état des choses et qu'elle ne prononce jamais… »
Grâce à la poésie se revisitent des sujets fondamentaux : pour recevoir il faut des donneurs, alors que désormais la mort loge dans le cerveau et ne tient plus à un arrêt du cœur.
Beaucoup a été dit, et bien dit, sur le style, mais cette écriture chaleureuse, bien renseignée ne se sépare pas du contenu, elle n’est pas un procédé ; haletante, elle est accordée au rythme des vies précieuses dont chaque minute est savoureuse.
Quand tant de mots, ailleurs, dénigrent l’hôpital, ce travail redonne confiance en l’homme, en notre société sophistiquée qui progresse, malgré tout, vers le mieux être, trompant la mort alors que d’autres l’alimentent avec tant de jouissance.
Sean et Marianne sont les parents du jeune Simon dont le corps va être vidé, ils rencontrent Thomas Remige un infirmier :
« Sean et Marianne sont installés côte à côte dans le canapé, gauches, intrigués bien qu’ébranlés, et sur une des chaises vermillon, Thomas Remige, lui s’est assis, le dossier médical de Simon Limbres tenu entre les mains. Cependant ces trois individus ont beau partager le même espace, participer de la même durée, en cet instant, rien  n’est plus éloigné sur cette planète que ces deux êtres dans la douleur et ce jeune homme venu se placer devant eux dans le but - oui, dans le but- de recueillir leur consentement au prélèvement d’organe de leur enfant. »

vendredi 2 octobre 2015

Hollande et les volcans.

Mardi : à la télévision un documentaire sur l’Elysée d’Yves Jeuland, « Un temps de président ».
Mercredi : lecture par Patrick Deville de « Viva » son dernier livre à la bibliothèque de Grenoble.
Peut-on apposer Trotski le chef de l’armée rouge qui fusilla beaucoup, fut tué par « Le petit père des peuples » et Gaspard Gantzer, conseiller en communication présidentielle de "Pépère" ?
Deville, plus jeune que moi, connait les années rouges par la documentation et je ne regrette pas l’extinction des tristes manœuvriers se réclamant de la IV° internationale qui ont persisté dans la filiation.
Etre tenté par  une liaison entre les époques, c’est passer de la couleur au gris, de l’aventure au fauteuil, de l’exceptionnel à la normalité,  des châteaux de sable de l’adolescence à l’âge-mur, du rêve à la réalité, des chants à un vague soupir, du sang à un coup de pouce sur la télécommande.
Mais je m’emballe, je m’emballe, et me perds dans les papiers d’emballage.
Après avoir raconté la vie de tant de personnages flamboyants en Amérique centrale, en Afrique http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/03/equatoria-patrick-deville.html, en Asie, avant un roman  se déroulant en France en 2017, Patrick Deville retrace, depuis le Mexique, les destins parallèles de Trotski accueilli dans la maison bleue de Frida Kahlo et celui de Malcolm Lowry auteur du fiévreux « Au-dessous du volcan ».
Le politique à barbiche aurait pu être un grand écrivain, le poète, entre deux cures de désintoxication, déchiré de ne pas agir, devint le « consul » qu’il avait créé pour sa fiction.  
Dans ces années 30, le futur était  encore désirable,  dans chaque continent travaillait la métamorphose du monde : Zapata et Villa avaient fait  la révolution sept ans avant la Russie, et le Mexique accueillait tant d’étrangers : un chaudron chaud-bouillant.
«  Ce qu’ils nous crient et que nous feignons souvent de ne pas entendre : c’est qu’à l’impossible chacun de nous est tenu »
Frida Khalo n’était pas tendre avec les surréalistes parisiens : 
« Ils passent des heures à réchauffer leurs précieuses fesses aux tables des cafés, parlent sans discontinuer de la « culture », de « l'art », de la « révolution » et ainsi de suite, en se prenant pour les dieux du monde... »
Et je viens à mon tour, m’asseoir à la terrasse pour touiller des évidences en rapprochant deux époques si lointaines quand Daech pourrait constituer en ce siècle l’aventure la plus désirable.
Sous les affèteries des communicants, les politiques d’aujourd’hui ne peuvent masquer  leur solitude et malgré un certain courage pour affronter les vents les plus retors, aucune vision de l’avenir n’arrive à se dire.
Dans le film d’Yves Jeulan que j’ai regardé, car le «Hollande bashing » devient lassant : Fleur Pellerin vient d’être nommée au ministère de la culture, Hollande et Valls lui conseillent d’aller au spectacle tous les soirs et de voir Jack et Monique :
« Il sera ravi !»
Viva la littérature, même si avec ses belles images qui tentent de réveiller nos insuffisances cardiaques, elle n’est que jeu de mots pour nos blanches ruses.
……..
Dans le « Canard » de cette semaine :