mercredi 4 décembre 2013

Ethiopie J11. Jinka.



Le vent a soufflé depuis le début de la soirée d’hier et nous a apporté la pluie ce matin à 6h. Elle s’épuise lorsque nous nous levons et faisons nos bagages. Nous prenons notre déjeuner sous l’abri cimenté, puis après avoir démonté les tentes, nous prenons la route de Jinka.
Nous retrouvons des paysages plus verdoyants, pratiquons  de nouveau la cérémonie du café à Kyafer.
Sur un tapis d’herbes, un plateau contient les tasses à côté d’un canoun sur lequel chauffe le café et d’un brûleur de bois d’eucalyptus odorant qui remplace l’encens habituel.
Après cette halte où nous avons retrouvé la fraîcheur, le trajet se poursuit. Au bord de la route, des enfants montés sur des échasses guettent le touriste.
Dans un joli petit maquis en paille tressée nommé Besha Gojo, nous testons le vin, pas franchement recommandé par les guides : le « Gouder »  qui s’avère pas si immonde que ça mais pas inoubliable non plus.  Nous allons visiter un village Ari, Safara.
Pendant la période communiste, l’état central a créé une ville et a obligé les Ari, nomades, à l’habiter. Ils bénéficient d’équipements scolaires et de point d’eau mais ils sont éloignés des lieux de culture.
Un guide local nous prend en charge. Les cases se cachent dans la verdure abondante avec des cours proprettes bien balayées derrière leurs barrières végétales. La première cour dans laquelle nous pénétrons appartient à une famille avec plusieurs habitations. La plus vieille qui abritait les parents a été délaissée pour une case plus récente sans pilier central avec une poutre soutenant le toit de branchages de sorgho.

Devant la deuxième case carrée qui appartient au fils ainé, une femme pétrit la terre, ôte les petits cailloux et donne forme à une assiette sans utiliser de tour, elle façonne les bordures en un tour de main sûr : phalanges recroquevillées, et main plate.
Nous suivons les petits chemins de terre, surpris par les couleurs inattendues de certaines maisons avec deux bandes jaunes horizontales pour les cases traditionnelles mais aussi bleu, vert, et violet violent.
Nous regardons la distillation de l’araké avec un système rudimentaire.
Un peu plus loin, nous nous arrêtons pour regarder des enfants qui travaillent.
Ils remplacent leur père forgeron parti au marché. Ils sont deux : l’un au soufflet, l’autre façonnant le métal à coup de tenaille et de marteau. Nous leur achetons une cloche et deux herminettes.
Nous passons devant le point d’eau où une gamine peine à remplir son bidon jaune de 10 kg. Ces bidons jaunes de 10 ou 20 l utilisés dans toute l’Ethiopie pour aller puiser l’eau  viennent de Malaisie, ils étaient remplis auparavant d’huile de palme
Nous pouvons aussi assister à la fabrication de galettes de tef dans une cuisine aux murs tressés. Les enfants nous accompagnent mais sans réclamer de birrs à chaque photo : c’est tranquille et agréable.
Girmay nous avait tellement décrit les hôtels de Jinka puants et sans confort que nous sommes agréablement surpris par la « Teddy pension ». Nous prenons possession de nos chambres et partons vite visiter la localité. Les jeunes et les enfants testent leur anglais en nous posant les mêmes questions laissant penser qu’ils viennent juste de travailler la même leçon à l’école. Des enfants nous conduisent au marché où il n’y a que des femmes devant des étalages plus achalandés que les marchés vus jusque là : avocats, ail, cacahuètes, patates, ignames, gingembre, épices colorées dans des sacs retroussés au dessus desquels volètent des abeilles, … Les vendeuses chassent les enfants de peur qu’ils ne piétinent leurs marchandises. Nous rentrons à l’hôtel et sur le chemin les gens nous saluent avec bienveillance et sourire. Les enfants n’osent pas franchir la limite de l’hôtel et nous rentrons nous laver avant le repas pris sur place au restau chrétien qui ne sert pas de viande parce que le mercredi comme le vendredi sont des jours de jeûne : légumes variés.

mardi 3 décembre 2013

La blogosphère. Bastien Vivès.



192 pages papier vite vues d’un blogueur parlant aux blogueurs, aux blogueurs BD.
Les dessins sont efficaces mais ces blagounettes entre amis sont pâlichonnes en dehors du regard sur les blogs de filles:
« La femme a trop longtemps été oppressée alors n’hésitez pas à casser des tabous, ça intéresse plein de gens :
La gueule au réveil
Problème de rasage de chatte
La sueur de ouf quand on fait du sport
Le gros bide et le gros cul… »
Autrement l’ennui, le manque d’inspiration, la paresse, la solitude dans un festival et quelques prouts : rien de neuf.  
Je préfère la coccinelle de Gotlib en personnage récurrent, à Dark Vador qui ne me dit rien.
Pas de risque d’addiction en ce qui me concerne contrairement à ces enfants devant leurs écrans face à Facebook avec des parents en retrait ou à côté de la plaque.
La petite geekette est pathétique qui pense être embauchée parce qu’elle a
« fait du Facebook de 2008 à 2012 et du Twitter de 2009 à 2012. »
Une réalité navrante : pas de quoi rire.

lundi 2 décembre 2013

Guillaume et les garçons à table. Guillaume Gallienne.



Malgré l’impression d’avoir vu le film avant d’aller en salle à cause d’un battage médiatique pouvant s’avérer contre productif, j’ai apprécié cette comédie qui n’est pas que rigolote mais parle bien des ferveurs de l’enfance, des femmes, du théâtre à la ville et à la maison.
« Le souffle d'une femme varie tout le temps selon qu'elle est émue ou concentrée, séductrice ou charmée. »
Le héros persiste dans une naïveté jusqu’à un âge avancé, sans doute parce que sa mère-dragon est un vrai personnage de conte. Il est émouvant et son évolution originale.
Il nous parle de lui avec la vélocité d’un Woody Allen débutant et nous intéresse : quand il lâche les étriers et fait confiance au cheval, bien plus efficace qu’un psy, nous sommes soulagés.
Après être passés par tous les humours, du gros au subtil, nos rires peuvent devenir francs à partir du moment où la peur quitte le jeune homme. Un bon moment.
« - Amandine et moi avons décidé de nous marier.
- Avec qui ? »

dimanche 1 décembre 2013

Gaspard Proust.


Pour un premier spectacle à La Vence Scène à Saint Egrève : c’était du tout bon !
Un humour incorrect comme nous l’aimons, nous gens de gauche masos, dont je n’ai pas aperçu d’ailleurs de représentant de cette drôle de gauche locale à la représentation : des fois que ça serait culturel…
Le slovéno-franco-suisse-canalplussien arrive déjà fatigué, en doudoune, parce qu’on a du lui dire que c’était l’habit traditionnel de la région.
Il va jouer ainsi des clichés pendant une heure et demie allant titiller dans les territoires les plus périlleux.
La seconde guerre :
« Il faut avoir le courage de reconnaître que le nazisme a commis des erreurs. Envahir la Pologne au lieu de la Suisse, c'est comme habiter en face de la banque centrale et braquer le kebab. »
Les handicapés :
« Je me suis déjà mis à la place d'un handicapé, surtout à celle de parking. »
Les japonais, les kamikazes islamistes, le 11 septembre, les profs, les femmes, la générosité portée en bandoulière, les noirs, les juifs, Georges Brassens, La Poste, les vieux et non les séniors (« séniles qui s’ignorent »)…. tout ce qu’il ne convient pas d’aborder, il rentre dedans sans avoir l’air d’y toucher.
Le chafouin est fin, le déjanté doué, le cynique prometteur.
« J’ai un mot à dire aux « Chiennes de Garde » : Miaou ! »

samedi 30 novembre 2013

Chronique d’hiver. Paul Auster.





Mon conscrit a dressé sur 250 pages « le catalogue de ses données sensorielles », des pieds nus sur le sol froid depuis ses 6 ans jusqu’à ses 64 ans. Son écriture fluide participe à la perception banale du temps qui s’écoule si rapidement. J’ai aimé retrouver certaines de mes impressions mais un amateur de sagas peut s’agacer de tant de banalités.
J’ai apprécié sa sincérité quand venu à Washington pour vivre le moment historique des funérailles de Kennedy il se rappelle :
« … tu avais pensé que les masses de curieux qui bordaient les avenues au passage du convoi funéraire observeraient un silence respectueux, seraient dans un état de choc muet, mais ce que tu as vu cet après midi là, c’est une foule de badauds bruyants venus au spectacle qui se tordaient le cou pour mater, des gens perchés sur les arbres avec leur appareil photo, des individus qui en poussaient d’autres pour avoir une meilleure vue, et par-dessus tout, ce qui t’a frappé alors, c’est l’ambiance d’exécution publique, le frisson qui accompagne le spectacle d’une mort violente. »  
Il utilise le «  tu » tout au long du livre, familier, nous permettant d’aller plus loin dans notre propre mémoire, apportant un regard complice, ne se la jouant jamais surplombant.
Même ses facilités de construction nous rapprochent quand il dresse des listes : des lieux qu’il a occupé, où il a marché, ce qu’il a fait de ses mains, ses faiblesses, ce qu’il regrette d’autrefois, les stupidités de la vie américaine, ses friandises préférées…
Evident, simple et profond.
« Nous sommes tous étrangers à nous-mêmes, et si nous avons le moindre sens de qui nous sommes, c'est seulement parce que nous vivons à l'intérieur du regard d'autrui. »

vendredi 29 novembre 2013

La guerre, la grande.


Quand un enfant à qui je parlai du moyen-âge m’a demandé si j’avais vécu à cette époque, je me suis dit qu’il y avait encore du boulot.
Remède : fresque historique avec beaux dessins de chevalier et pas forcément la fresque du commerce.
Les commémorations qui lassent les adultes me semblent nécessaires, plus que jamais. Michelet parle de la révolution :
« Le temps n’existait plus. Le temps avait péri ».
Le temps de la guerre n’est pas d’un autre temps mais d’un autre tempo.
Les célébrations qui avaient perdu de leur intensité dans les années 60 ont accompagné récemment plus vivement les derniers survivants avec toute l’émotion qui sied à tant de spectacles contemporains.
La disparition complète des acteurs ne peut servir de  prétexte à ne plus interroger le passé. Comme le soulignait Stéphane Audoin-Rouzeau qui présentait son livre « Quelle histoire » au Square : « les politiques aujourd’hui se font volontiers des médiateurs du passé » tant le futur, le présent sont bourbeux.  
Il a rappelé que le siège de Sarajevo est  le plus long de l'histoire de la guerre moderne (1992-1996) et qu’il y a 20 ans tant de Tutsi étaient massacrés.
Que d’eau et de sang ont coulé depuis 100 ans, quand 10 millions d’individus toutes frontières effacées ont laissé leur vie pour leur patrie d’alors, pendant qu’aujourd’hui toute contribution à l’effort commun fait lever des oppositions irréductibles et que sur la même banderole chacun demande tout à l’état et ne veut rien lui donner, or : « l’état c’est moi ! »
On s’énerve en ces temps électriques mais de la même façon que les mesures généreuses du conseil de la résistance ont été mises en place dans un contexte économique autrement plus difficile que celui d’aujourd’hui, que dire de notre société étourdie quand jadis à l’issue de la  première guerre les 2/3 de la France avaient un deuil à vivre ?
Le cercle de famille écoutait les anecdotes des poilus mais mettait une main sur le bras du combattant qui n’aurait pas été taiseux pour l’apaiser et ne pas entendre  le récit d’une violence sans nom. Les preux étaient du bronze des statues, les survivants en sel, désormais nous n’accueillons  plus aucun héros. Les générations pour qui il y en eu une autre de guerre après la der des der en furent chamboulées, bien autant que lorsque un geek boutonneux apprend à mémé à copier/coller.
Je me souviens du vin chaud que l’on avait arrêté de nous servir enfants après la cérémonie aux monuments aux morts où la formule « morpourlafrance » était énigmatique bien que des noms de familles familiers aient figuré sur la pierre à côté de laquelle était installée une statue de femme éplorée qui a été volée, il y a peu de temps.
J’avais conservé une petite coupure d’article où Mona Ozouf regrettait « lorsqu’on ne se fait plus de l’avenir aucune image nette, les leçons du passé s’embrument d’elles mêmes : on ne sait plus quel appui prendre sur l’histoire, ni sur quel élan. »
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Dans le "Canard" cette semaine:

jeudi 28 novembre 2013

Braque, le patron.



Le titre de la conférence de Brigitte Léal aux amis du musée appartient à Jean Paulhan.
Fauvisme.
 Né en 1882, fils d’un peintre en bâtiment, le grand gars timide débute fauve comme Matisse et Derain, et fait disparaitre ses premiers portraits sombres, lui dont on ne verra aucun autoportrait.

En 1907, à l’Estaque, où il prend son envol, sa palette non mimétique, a la vitalité de Cézanne tout en s’appropriant des touches pointillistes.
Cubisme.
Apollinaire lui fait rencontrer Picasso qui vient de peindre « Les demoiselles d’Avignon » où l’art nègre rencontre l’occident.
Et depuis on se demande encore : qui a inventé le cubisme ?
Braque devant les céramiques de l’Espagnol  trouve: « C’est bien cuit »,
Picasso à une exposition de Braque réplique : «C’est bien accroché »
Les paysages de celui qui a grandi au Havre, épurés, géométriques où les arbres s’imbriquent dans des maisons aux couleurs fluides, donnent l’impression d’être « de petits cubes ». 
Le mot de Matisse repris par le critique Louis Vauxcelles fera fortune comme « le fauvisme », péjoratif au départ, voilà « le cubisme » analytique puis synthétique, électrique.
Les plans miroitent, la palette se restreint, les sujets restent traditionnels, la révolution est dans le traitement des formes qui n’atteignent cependant pas l’abstraction.
Les plans s’émiettent, quelques repères figuratifs subsistent parmi des effets de mouvement ou le pinceau se fait délicat dans ses couleurs minérales.
Les formes ne sont plus homogènes mais il s’agit d’un autre réalisme.
Le visiteur invité hors des manifestations académiques doit apprendre à interpréter, à lire.
« L'art paisible de Braque est admirable. Il exprime une beauté pleine de tendresse, et la nacre de ses tableaux irise notre entendement. » Apollinaire
Collages.
Il se souvient d’avoir été apprenti peintre en lettres en introduisant des mots dans ses toiles, du sable, des papiers collés.
Laissé pour mort en Artois durant la première guerre mondiale, il reprend vie à Sorgues avec Reverdy et multiplie les tableaux sur le thème de la musique dont il a été un praticien.
Après les natures mortes aux mandolines, des musiciennes apparaissent et la couleur est de retour.
 « Il y a plus d’émotions dans un instrument de musique que dans un visage »
Ses paysages étaient vides de toute figure humaine, ses  Canéphores, charmantes porteuses de corbeilles à Athènes, témoignent d’influences antiques.
« Le peintre pense en forme et en couleur. »

Il revient sur son travail dans des séries : des « Ateliers » sans cesse retouchés ou des « Oiseaux » dont une paire étale ses ailes au plafond du Louvre.
Marchands.
Henry Kahnweiler vendait ses  tableaux avant la première guerre, il le recueille en Limousin pendant la seconde. Chez Léonce Rosenberg en 1919 l’accueil est très favorable. Avec Maeght il entretiendra aussi une relation fructueuse
Voisins.
Quand survient la deuxième guerre, il s’installe en Normandie, son voisin s’appelle Miro ; Queneau et Calder n’habitent pas loin.
Salué par Giacometti au soir de sa mort en 1963, celui qui est appelé à être redécouvert cette année par les visiteurs de Grand palais à Paris a produit une œuvre sans cesse renouvelée et  cependant d’une grande cohérence : « la peinture nue ».
Le patron ne fut jamais seul, Nicolas de Staël l’influença encore et s’en inspira.
Il est frappant que son tableau « La sarcleuse », où il cite Van Gogh et ses ultimes corbeaux s’envolant devant un champ de blé, fut son dernier.