vendredi 8 juin 2012

Revenu maximal, revenu moral ?

« Dans les années 1970, les ouvriers pouvaient espérer atteindre le niveau de vie des cadres supérieurs en un peu plus de trente ans. Contre 150 ans aujourd’hui... »
Les droits étaient différenciés mais des relations d’interdépendance étaient possibles, continuer à «faire société» devient donc au XXI° siècle de plus en plus difficile quand les pourvoyeurs en huile sur le feu sont légion.
Les images peuvent se multiplier pour évoquer l’explosion des inégalités mais le sociologue Robert Castel et Christophe Deltombe Président d’Emmaüs ne se sont pas attardés sur les constats au forum de Libération à Grenoble quand « une masse croissante vit au jour la journée ».
Jean Luc Mélenchon a lancé dans le débat public, la proposition d’un revenu maximal à hauteur de 20 fois le Smic. Cette proposition permettrait d’améliorer la condition des plus démunis. Dès le début de son mandat, Hollande a pris des mesures concernant les dirigeants du secteur public et les salaires de ses ministres et de lui-même : bravo !
Mais finalement au cours de ce forum, il a été plus question du minimal que du maximal.
« Le renforcement des minima sociaux et du RSA pourrait fournir une réponse plus consistante, à condition qu’il soit reformé. Ainsi le RSA étendu aux jeunes pourrait inclure aussi, outre l’API, la SS et la prime pour l’emploi, couvrant de ce fait la plupart des situations sociales déficitaires. L’allocation de base devrait être augmentée. Surtout, il devrait devenir un dispositif accès à l’emploi durable et non un palliatif qui risque d’entretenir la précarité. Sous ces conditions le RSA pourrait accomplir la double fonction de garantir un revenu assurant la satisfaction des besoins de base de ceux et de celles qui sont à distance de l’emploi durable, et d’accompagner les bénéficiaires sur la voie du retour à cet emploi durable. »
A distinguer d’une allocation universelle ou revenu d’existence qui semble une formule dangereuse car d’un montant forcément médiocre, elle déstructurerait le marché du travail. Les protections les plus fortes étant historiquement liées au travail.
Si l’importance de revenir à ses questions va de soi pour ceux qui fréquentent ces colloques, où le partage du travail n’est pas un gros mot, où chacun réserve sa tolérance à d’autres domaines que l’écart entre le salaire des hommes et des femmes, l’écho de ses belles intentions était étouffé à l’époque par le brouhaha autour des beefsteaks Hallal ou les extases de Carla !
Alors qu’au-delà de l’économie qui accepte plus de huit millions de personnes sous le seuil de pauvreté(< 954€) sur notre sol où il y a 1 700 000 travailleurs pauvres, et selon l'INSEE, environ 90 000 sans abris, il s’agit encore de cette lutte sempiternelle qui voudrait que chaque homme soit un sujet de droit. 1/3 des ménages éligibles au RSA n’y recourent pas.
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Dans le Canard de cette semaine:

jeudi 7 juin 2012

Au Musée d’art moderne de Saint Etienne : Jan Fabre.


 Le belge qui fit scandale en tant que metteur en scène à Avignon en 2005 présente de sages productions néanmoins fortes dont le titre « l’heure bleue » suggère une approche poétique.
Les œuvres parfois gigantesques impressionnent par l’intensité du travail avec des stylos bleus recouvrant le papier usés en quantité industrielle. De l’entrelacs des gribouillis naissent des formes crayonnées ou arrachées aux feuilles.
Le classique recul nécessaire pour voir naitre des formes qui n’apparaissent pas d’emblée est renouvelé, notre admiration devant tant d’énergie au service d’une démarche originale n’était pas offerte à priori. La visite sur place la rend incontestable.
J’avais acheté il y a fort longtemps, sans connaître la notoriété du belge, un poster intitulé « le facteur Rollin » où n’apparaissaient telles des étoiles dans le ciel provençal, que les boutons de la vareuse du modèle de Van Gogh, il m’avait déjà bien plu.
« Je crois à la beauté parce que la beauté est la couleur de la liberté, et la liberté la couleur de la beauté » 
 Par ailleurs la diversité d’artistes Coréens invités exposés avec six artistes stéphanois est stimulante.
La finesse est un trait commun à beaucoup et si je ne suis toujours pas convaincu par certaines vidéos qui squattent trop largement les installations d’art contemporain, j’adhère plus facilement aux choix de ce musée qu’à ceux de notre « Magasin » grenoblois.
Le travail de Jee Soo Kim enchante le quotidien, les dessins sur calque de Sylvia Marquet sont émouvants, les gouaches d’Elzevir familières et rafraichissantes, les trames de Park et les lignes de Chung minutieuses et sensibles.

mardi 5 juin 2012

Nyarlathotep. Rotomago Julien Noirel.


Séduit par le graphisme et persistant à essayer de lire du Lovecraft, j’ai emprunté cette belle bande dessinée. Mais décidément je suis imperméable au fantastique bien qu’une ville crépusculaire où la chaleur devient étouffante puisse nous évoquer des préoccupations bien réelles :
 « Et chacun sentit que la terre et peut être même l’univers tout entier, avaient échappé au contrôle des dieux ou des forces qui régnaient jusqu’ici pour tomber sous l’emprise des dieux ou de forces parfaitement inconnus »
Déjà qu’avec un dieu, j’ai du mal, alors si une flopée s’en mêle, je tourne vite les pages.
Il est question d’un cauchemar qui donne naissance à une nouvelle où un conférencier qui a tout d’un prophète annonce évidemment un cataclysme.
« Les foules affluaient à ses côtés, n'attendant que ses ordres, 
 Mais le quittant, ne pouvaient plus dire ce qu'elles avaient entendu ; 
Cependant parmi les nations se répandait la nouvelle stupéfiante 
Que les bêtes sauvages le suivaient et lui léchaient les mains. » 
Je n’ai pas suivi.

lundi 4 juin 2012

Moonrise Kingdom. Royaume au clair de lune. Wes Anderson.


Quel enfant des années 60 n’a imaginé vivre sur une île, être un trappeur intrépide fuyant le monde avec une petite amie ? Etre orphelin.
Le réalisateur de Fantastic Mr. Fox nous offre une parenthèse enchantée aux couleurs de miel avec tout le sérieux qui sied à l’enfance, alors que les adultes sont fragiles et démunis.
Un petit garçon ingénieux élevé chez les scouts, fait coïncider la nature avec la carte de ses rêves, au temps où les livres étaient encore des boîtes à trésors et l’aquarelle une manière de saisir les lumières.
Le rythme est enlevé, la poésie facétieuse, l’humour dans tous les coins. Des scarabées au bout d’un hameçon font de belles boucles d’oreilles et même pas mal, la foudre ne laisse qu’un peu de noir sur les joues. De nouvelles inventions pour un couteau à lames multiples. Spectacle familial par excellence.
La musique de Benjamin Britten accompagne tout le film qui se conclut par Françoise Hardy :
« C’est le temps des copains, le temps de l’amour, et de l’aventure. Quand le temps va et vient, on ne pense à rien, malgré ses blessures…».

dimanche 3 juin 2012

Duke Ellington. Antoine Hervé.

Antoine Hervé est revenu à la MC2 et c’est comme si tout l’orchestre du « Duke » était là autour de son piano bavard où il fait swinguer saxos, trompettes, trombones et contrebasses imaginaires.
Les manières aristocratiques du « king », du « boss », joueur de base ball en son enfance à Washington, lui ont valu le surnom de « Duke » qu’il portera d’un siècle à l’autre (1899-1974) dans un milieu qui compta aussi un « Count » (Basie).
 Il a embauché sans compter des musiciens pour son big band, et ne s’est pas trompé sur leurs talents, qu’il a su valoriser, ainsi Juan Tizol avec « Caravan ».
 Il fut apprécié comme interprète, compositeur, chef d’orchestre mais également comme graphiste : 170 titres enregistrés, pour 14 labels différents, sous 18 pseudonymes...
C’est l’époque où la maffia sponsorise les clubs, où New York donne le « la », la radio valorise la musique : le « Cotton Club » sera connu de tout le pays.
Son style « jungle » un des marqueurs du jazz se souvient de racines africaines et en joue. Il traverse des moments palpitants de l’histoire de la musique, il devient post romantique tout en proclamant qu’il n’y a que deux musiques : « la bonne et la mauvaise ».
Savons nous que les grands du « classique » improvisaient ?
 La leçon que je retiens de ces cycles de concerts commentés par Hervé, divertissant et instructif, c’est l’imbrication des genres : le morceau de jazz que le brillant pédagogue a joué en rappel faisait penser à Debussy.

samedi 2 juin 2012

Bachelard. Hexagone de Meylan.

La société alpine de philosophie organisait, à l’Hexagone de Meylan, un séminaire concernant Gaston Bachelard dont les travaux ont porté sur les pensées scientifiques et poétiques.
C’était vraiment le bon endroit. La salle de spectacle située au bord d’une fameuse technopole porte avec constance dans ses programmes l’ambition de marier science et culture.
Je n’aurai pas le temps de me plonger dans les ouvrages de l’épistémologue( qui étudie la théorie de la connaissance), j’essaye avec cet article de gratter quelques mots pour aller plus loin qu’un nom sur un stade Grenoblois.
Le barbu de Bar sur Aube exerce une influence qui va au-delà d’un cercle de spécialistes, riche d’une œuvre à la « pluralité cohérente ».
Comme le jour et la nuit, les démarches scientifiques et poétiques se différencient, s’entrecroisent, se complètent. L’esprit tourné vers le passé peut envisager la nouveauté, la créativité, surpasser les résistances.
Les intervenants : un scientifique accessible, un poète du Québec autour d’un philosophe pédagogue ont été plus convaincants lorsqu’ils ont dialogué avec un public averti, se montrant par ailleurs, à mon avis, paresseux lorsqu’inévitablement il fut question de l’école.
Je pense que la suppression des chaises dans les salles de classe n’est pas vécue comme une métaphore par certains casseurs.
Mais il est bien vrai que l’enseignement en sciences des seuls résultats, qui ferait l’impasse sur les erreurs en cours de cheminement, perd le temps qu’il croyait gagner.
Etre patient, le courage de l’acte génère la déstabilisation.
L’alchimiste des temps anciens exerçait dans une maison solitaire, le nouvel esprit scientifique doit se réconcilier avec le groupe. La spécialisation n’est pas un problème puisqu’elle abandonne le survol, en allant vers la profondeur, elle ne s’enferme pas fatalement.
 Les mathématiques permettent de s’éloigner de soi et la démarche scientifique peut prendre ses distances vis-à-vis du réel avec lequel la rêverie sympathise.
L’homme appartient aux générations précédentes et les catégories d’Aristote : l’eau, le feu, la terre, l’air, peuvent être fécondes.
Nous ne pouvons écrire dans le tumulte.
A résumer rapidement une pensée, elle parait aller de soi, alors qu’il suffit d’un échantillon pour ouvrir de stimulantes perspectives :
« Toute objectivité, dûment vérifiée, dément le premier contact avec l'objet, Elle doit d'abord tout critiquer : la sensation, le sens commun, la pratique même la plus constante, l'étymologie enfin, car le verbe, qui est fait pour chanter et séduire, rencontre rarement la pensée. Loin de s'émerveiller, la pensée objective doit ironiser. Sans cette vigilance malveillante, nous ne prendrons jamais une attitude vraiment objective. S'il s'agit d'examiner des hommes, des égaux, des frères, la sympathie est le fond de la méthode. Mais devant ce monde inerte qui ne vit pas de notre vie, qui ne souffre d'aucune de nos peines et que n'exalte aucune de nos joies, nous devons arrêter toutes les expansions, nous devons brimer notre personne. Les axes de la science et de la poésie sont d'abord inverses. Tout ce que peut espérer la philosophie, c'est de rendre la science et la poésie complémentaires, de les unir comme deux contraires bien faits. Il faut donc opposer à l'esprit poétique expansif, l'esprit scientifique taciturne pour lequel l'antipathie préalable est une saine précaution ».

vendredi 1 juin 2012

Y a-t-il une gauche moderne ?

De jeunes spectatrices à ce forum de Libération à Grenoble étaient déçues que l’octogénaire Rocard ne soit pas de la partie.
Mais la table était bien garnie autour d’un Demorand décidément moins déférent que Joffrin :
« La salle voudrait que vous clarifiez votre rapport à l’ultra libéralisme. »
avec Michel Destot, «nous sommes beaucoup trop dans une culture de réparation sociale».
Cécile Pavageau avocate, «rocardienne des inrockuptibles», Guillaume Hannezo des Gracques et Bernard Spitz.
«Une société qui ne fait pas confiance à sa jeunesse est une société en décadence». 
La question initiale pourrait appartenir à une autre époque depuis que la deuxième gauche a disparu des écrans. Alors que les problèmes de dettes et de déficit occupent toute la place, ceux qui reconnaissent que c’est l’entreprise qui créée les richesses peuvent avoir voix au chapitre.
Quant à la perspective de gagner deux élections générales de suite comme Lula et Clinton certes enviable… déjà gagner la présidentielle, une fois !
 Il s’agit pour ces intellectuels de produire une expertise, en sortant de l’entre soi ; ils appartiennent à une élite certes mais responsable qui participe à un destin commun, en tenant un discours authentique. Avec comme boussole la justice, imaginer un avenir qui passe par une ouverture au monde, à ses cultures et une prise en compte des changements : le vieillissement démographique, l’urbanisation passée en 100 ans de 30% à 60%, le réchauffement de la planète… Les problèmes sont mondiaux : migrations, écologie.
 « L’inflation est un impôt sur les vieux et les pauvres, la dette un impôt sur les jeunes » 
Et ce n’est pas qu’un jeu de mots dans ce débat sur la modernité quand revient pour sortir de la désespérance le titre « Les jours heureux ». Ces mots nommaient le programme du conseil national de la résistance alors que l’état tenait le rôle central.
Les réponses à l’égard des plus faibles sont à porter sur le logement et le transport. Ce sont souvent des familles mono parentales a en milieu rural.
Des innovations peuvent bousculer : 80 000 emplois créés à Londres avec « la petite remise » ( des taxis occasionnels).
Les services publics doivent s’adapter, le travail social doit se situer le plus en amont possible et à l’heure où le médecin généraliste devient un dieu laïque, un bouclier sanitaire est nécessaire pour que l’universalité soit proclamée avec une part qui resterait à charge selon les revenus.
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Dessin dans Libération de fin mai 2012.