samedi 7 avril 2012

Veuf. Jean Louis Fournier.

Bof !
J’avais aimé « Où on va papa ? » de l’ancien complice de Desproges, et dans notre cercle de lecteurs celle qui a présenté le livre avait choisi ce que j’ai trouvé de meilleur en 150 pages très aérées.
L’auteur prolifique reproduit un extrait d’un ouvrage qui s’intitule « Sortir du deuil » où figure un tableau :
 « 100 points pour le décès d'un conjoint, 73 pour un divorce, 63 pour un séjour en prison, 11 pour une contravention… Celui qui a eu 10 contraventions, ça lui fait 110 points, donc il est plus malheureux que s'il avait perdu sa femme.»
Il tire à la ligne, se répète et quand il regarde à l’intérieur des chapeaux de l’absente, il cherche s’il ne reste pas une petite pensée pour lui.
Il aligne les formules obsèques genre « le bonheur on le reconnaît au bruit qu’il fait en partant », « le silence qui suit Mozart, c’est encore du Mozart ».
Il est plus émouvant quand il reconnaît ses faiblesses, des maladresses au moment du décès ; quand finalement les formules toutes prêtes peuvent aider.
La vie qui continue semble obscène, le courrier, le téléphone, les lunettes retrouvées ... Elle nous sauve.
Cette  espèce de brochure ressemble à ces livres qui veulent inciter les enfants à la lecture en proposant des guides pratiques romancés: « Mes parents divorcent », « Je viens d’avoir une petite sœur ».
Sur le créneau, « Veuve » aurait eu plus de lectrices.
A regarder sur Internet l’unanimité des lecteurs qui ont apprécié cet humour, et cette complaisance à l’égard de soi même, je me trouve bien sévère quand je pense que désormais le conformisme face à la mort se porte plus volontiers vers la dérision élégante que vers la profondeur : quelle chance de partir en premier !

vendredi 6 avril 2012

Comment reconstruire l’égalité ?

« La crise que nous traversons n’est pas seulement économique ; elle est aussi symbolique et politique. Elle nous impose, au beau milieu de la tempête, de repenser et de refonder notre démocratie en vertu de valeurs plus justes. » F. Hollande
« Une société des égaux doit faire de l’idée des constructions des singularités une sorte d’utopie positive. » P. Rosanvallon
L’auteur du nourrissant livre « La société des égaux » rencontrait le candidat socialiste lors du forum de Libération en cette fin novembre.
Il y avait du monde et de l’attente avant ces échanges sur le thème identitaire de la gauche, avec au bout une déception inévitable bien que des paroles incontestables aient été prononcées : «Tout ce qui a été décidé ces dernières années n’a pas été considéré comme « juste » par la population, c’est ce qui crée cette colère froide, cette frustration, cette volonté de changement. Si la gauche ne joue pas son rôle et ne rassemble pas, alors il y aura un risque terrible d’éclatement. »
Mais des vents froids soufflent au sortir de la belle salle de l’Hôtel de ville : la crise.
8 millions de pauvres et les rémunérations les plus élevées ont flambé.
Les fractures générationnelles et spatiales se sont aggravées, le pacte civique est menacé.
L’égalité, principe matriciel de la révolution, connaît aujourd’hui des reculs.
Les discours parlent d’inégalités pas de l’égalité alors que l’ingénierie politique éclairée par cette grande idée doit œuvrer dans l’école, la protection sociale, la redistribution fiscale.
La redistribution sans principe de réciprocité s’essouffle, il convient d’agir en amont par une politique ambitieuse de la petite enfance, avec de l’accompagnement personnel dans les systèmes sociaux, reconstruire la confiance pour permettre les mutations.
Pas une politique qui écarte mais qui unit.
Après tout, lors de la Seconde Guerre mondiale, il fallait « que les dollars meurent pour la patrie » c’était dit aux Etats-Unis.
L’impôt peut être consenti.
A Rome une loi limitait le nombre de personnes admises dans un banquet.
Quand l’indigence côtoie l’indécence au XXI° siècle, il conviendra d’aller vers une plus grande frugalité.
Il arrive même que pour certains la démocratie n’aille plus de soi : l’heure est grave.
Il est temps que vienne le temps de la mesure et des mesures.
Alors la peur de la réforme pourra s’effacer quand s’éloigneront la connivence et l’absence de moralité publique ; la confiance est à reconstruire.
Ce n’est pas la première fois que ces deux hommes se rencontraient :
un dialogue intéressant figure sur le site de Philo magazine sous le titre
« y a-t-il des idées pour sauver la gauche ? »
 http://www.philomag.com/article,dossier,y-a-t-il-des-idees-pour-sauver-la-gauche,1621.php

jeudi 5 avril 2012

Gaudi à Barcelone.

Serge Legat a entretenu les amis du musée de Grenoble de l’essor de Barcelone autour de 1900 et de Gaudi.
Barcelone en 1900 regarde vers Paris, tout en revendiquant une culture à la forte identité, son « art nouveau » rayonnera à l’étranger, alors les réalisations vont se multiplier sur place.
 A l’endroit de la citadelle que les catalans ne portaient pas dans leur cœur va se tenir une exposition universelle dont subsiste un parc de 30 hectares et un institut de zoologie à l’architecture remarquable.
 Le plan d’expansion de la ville par Cerda, même s’il n’est pas entièrement mis en œuvre, marque le développement d’une agglomération qui, à côté de ses quartiers gothiques, développe une urbanisation à la géométrie ambitieuse.
Concernant l’immense Gaudi, il est question aussi de Le Corbusier, « l’architecte de la caisse à savon » d’après ses propres paroles, qui a admiré les réalisations d’un de ses maîtres ayant lui-même étudié Viollet Le Duc.
Le conférencier s’interroge : les mosaïques qui recouvrent la salamandre emblématique créée d’ailleurs par Jujol ne réduisent elles pas l’image du si inventif artiste?
La polychromie, le baroque, l’ornemental sont certes ses marqueurs mais le fonctionnaliste exhibe aussi les éléments structurants de l’architecture.
Le parc du mécène Güell au départ n’était qu’un des éléments d’une cité utopique, communautaire, lieu de culture, de foi, de commerce où celui qui a été inspiré par la nature dans toutes ses réalisations a pu donner sa pleine mesure avec par exemple des colonnes qui se confondent avec des palmiers.
La casa Batllo, un ami de Güell, marchand de tissus, avec espace de vente au rez de chaussée et appartements de rapport au dessus du logement du propriétaire a des ondulations qui adoptent des formes animales. Les formes organiques de l’habitation surnommée la « maison des os » sont venues habiller une construction dont le permis de démolir avait été refusé.
La casa Vicens porte en façade une vision d’un historicisme qui sera dépassé, avec des influences mauresques; elle devait montrer le savoir faire du propriétaire marchand de carreaux de céramique, le jardin qui l’entourait théâtralisait la maison.
Le palais Güell aux cheminées insolites puits de lumière et aérations comporte des entrées originales et des espaces intérieurs grandioses.
La casa Mila ou « la pédrera » (la carrière) avec ses trois façades dans la continuité est aussi intéressante à observer en maquette avec sa structure alvéolaire. Le fer forgé est privilégié et quelques grilles dragonesques sont spectaculaires. L’architecte tenait à maitriser les techniques artisanales concernant le verre, le fer, la céramique, le bois.
La construction de La Sagrada familia devrait se terminer en 2026 pour le centenaire de la mort de celui qui est enterré dans la crypte du bâtiment le plus visité d’Espagne. Tout à son engagement religieux, il va consacrer les quinze dernières années de sa vie à cette œuvre gigantesque.
Domenech y Montaner va réaliser un palais de la musique catalane, somptueux, luxuriant avec ses Walkyries, ses colonnettes de verre.
Et son hôpital de la Santa Creu avec ses 46 pavillons qui tiennent 9 blocs du plan Cerda vaut sûrement le détour.

mercredi 4 avril 2012

« On refait le voyage » : Saint Petersburg 2004 # 5

Larissa notre guide n’est pas au rendez-vous, sa fille est malade, mais elle nous a envoyé Irina.
 Avec elle, nous découvrons le métro où les photos sont interdites par peur des attentats.
La station construite en 1955 dégage une impression de luxe avec ses lustres en bronze et ses murs de marbre, elle expose des richesses à la mesure de la ville ! L’escalator en bois descend profond et raide à cause du terrain marécageux il doit passer aussi sous les canaux et la Neva (80m environ). Bien que datant de 1955, le style adopté est « modern style » pour la décoration. Dans les stations les plus modernes, des portes automatiques donnant accès directement aux wagons empêchent ceux qui auraient abusé de la vodka de tomber sur la voie.
Nous quittons le métro et ses passagers endormis au bout de trois stations, et nous nous engouffrons dans un minibus collectif. Le transport coûte le même prix qu’avec les vieux bus publics, délabrés, sur les mêmes trajets. Nous passons le monument dédié aux morts de la 2ème guerre, grandiose, puis nous découvrons la campagne blanche.
La neige commence à tomber, ce qui indique d’après certains membres du groupe bien informés en météo et conditions climatiques une température clémente ! Mmh….Nous passons sans la voir l’ancienne ligne de front puis nous apercevons les premières habitations de Tsarkoïe selo. Le minibus bien embué s’arrête à la demande, Tsarkoïe selo porte aussi le nom de Pouchkine, à cause du collège impérial qui abrita le poète pendant ses études. Nous marchons un peu sous la neige jusqu’au palais bleu or (en peinture mate) et blanc de Catherine la grande. Comme Irina a retenu les billets à l’avance hier, nous entrons vite, enfilons des « babouches » en plastique bleu sur nos bottes pour protéger les planchers. Nous croyions avoir vu le nec plus ultra hier à l’Ermitage, mais là alors ! Nous commençons par la découverte du salon de bal, construit dans l’imitation de la galerie des glaces de Versailles ; murs blancs, avec anges, décors et porte chandelles dorés à la feuille d’or, parquets en marqueterie et immense tableau peint au plafond ; C’est saisissant. Puis nous nous engageons dans une enfilade de pièces avec des portes identiques, à l’image du salon de bal : ce sont des salles d’apparat, des salles à manger avec vaisselle assortie et faux poêles en faïence de Delft ( dans une datcha, maison secondaire d’été, il n’y a pas besoin en principe de chauffer). Et parmi ces pièces, nous tombons sur le célèbre cabinet d’ambre, reconstitué et inauguré en 2003 ; il en émane une lumière inhabituelle et chaude due à ce patchwork d’ambres de la Baltique de couleurs différentes qui tapissent les panneaux muraux. Quatre mosaïques figuratives s’intègrent dans l’ensemble, dont l’une retrouvée en Allemagne par un journaliste de « Der Spiegel » chez un antiquaire de mauvaise foi. Vraiment, c’est quelque chose d’unique. Peu à peu, les pièces se transforment selon les modes et les époques, nous traversons un salon japonais, un salon aux murs tendus de soie lyonnaise, des pièces de style empire, d’autres d’inspiration égyptienne. Ce palais aujourd’hui rénové avec soin fut occupé par les Allemands, pillé et dévasté comme en témoignent nombre de photos exposées dans les pièces reconstituées ; avant, après. Seulement une quarantaine de pièces sur mille sont aujourd’hui restaurées mais avec goût et sans lésiner sur la qualité. Certaines pièces de mobilier sont l’œuvre encore de recherche de par le monde.
Le parc ne manque pas de charme sous la neige qui tombe, ambiance ouatée et assourdie ; nous laissons avec satisfaction attendre la foule agglutinée à l’entrée du château pour profiter presque seuls des jardins. Un pauvre bougre (moujik) parvient à nous y vendre ses cartes postales à force de ténacité. Après un petit détour vers la galerie Cameron (nom de l’architecte) à côté du pavillon d’agate nous déambulons en direction du pavillon de l’Ermitage dans lequel Catherine recevait ses intimes à dîner (le plancher « ascenseur » pour monter ou descendre la table du repas garantissait leur tranquillité ). Dans le parc, des caissons de bois fermés d’un verrou protègent les statues de la dureté du climat hivernal. Le parc cède la place au parc sauvage à l’anglaise jusqu’aux grilles du domaine.

mardi 3 avril 2012

La légende de Robin des bois. Manu Larcenet.

Du bon, du marrant avec Robin en forêt de Rambouillet atteint de la maladie d’Alzheimer que soigne à coup de gourdins, Petit Jean, son compagnon impavide.
 Les textes sont suaves quand d’emblée « les champignons dardent leurs corolles sombres aux premiers rayons du soleil et les passereaux fanfaronnent leurs dernières odes à la saison qui s’achève ». 
Naturellement il essaye de voler les riches, mais il a peur de ne savoir à qui destiner ses rapines.
Toujours pourchassé par un shérif qui ressemble à John Wayne, il se retrouve face à Tarzan, autre habitant des bois, qui a pris un genre spécial: les parodies sont délirantes à point.
Le temps a passé : frère Tuck est devenu pape et belle Marianne en sa tour enfermée a été oubliée.
Messire Robin envahi de réminiscences de Carlos et Annie Cordy, va se remettre à la recherche de la belle dans une ville Nottingham désormais urbanisée.
Vraiment un bon moment de BD avec des clins d’œil, le jeu des anachronismes et toujours un brin de mélancolie chez Larcenet avec laquelle il fait si bon sourire.

lundi 2 avril 2012

Bovines. Emmanuel Gras.

Des vaches dans les prés.
Nous prenons le temps avec elles de l’aube à la pleine lune, sous la pluie normande, du vêlage en plein champ, à la séparation quand le camion qui mène à l’abattoir emporte une compagne de pacage.
Les moniteurs qui encadraient des enfants d’un institut médico éducatif avaient choisi ce documentaire plutôt que Pirates des Caraïbes 4, ils ont eu raison, à mon avis, de leur faire partager des émotions élémentaires dans une atmosphère paisible qui pouvait réduire un instant leurs cris incontrôlés.
Les images sont magnifiques sans être apprêtées et un sac plastique qui vole peut prendre des allures poétiques quand il est bien filmé.
Pour avoir gardé quelque troupeau sans souvenirs excessivement romantiques sinon de me racheter une fierté d’être né « pagu », je savais la malice d’une charolaise quand il y a une pomme à choper dans l’arbre, mais j’ai goûté l’ironie qui depuis Cannes me ramenait près de leur cuir entretenu à coups de langues énergiques.
 De Libé : « Bouse, meurs et ressuscite »

dimanche 1 avril 2012

Les bonnes. Jacques Vincey. Jean Genet.

Les servantes jouent à la maîtresse et ça se finit mal.
Je m’attendais à une pièce plus politique mais les raisons de sa réputation n’étaient pas de cet ordre, maintenant que l’œuvre théâtrale la plus jouée dans le monde est au programme des lycées.
La cruauté, la haine, les semblants qui rattrapent le réel, sont joués avec vigueur par trois actrices excellentes. Un acteur, nu bien sûr, en gants Mappa vient d’emblée apporter la distance en expliquant comment doit être jouée la tragi comédie : « Un conte… Il faut à la fois y croire et refuser d’y croire. ». Sa présence discrète mais constante ne m’a pas dérangé, contrairement à beaucoup de critiques, elle me semble de nature à respecter les indications de l’auteur culte qui s’est toujours défendu de s’être inspiré du meurtre des sœurs Papin :
 « Je vais au théâtre afin de me voir, sur la scène (restitué en un seul personnage ou à l’aide d’un personnage multiple et sous forme de conte) tel que je ne saurais - ou n’oserais - me voir ou me rêver, et tel pourtant que je me sais être. » 
La notoriété de cette pièce de 1947 va bien au-delà de la notion omniprésente qui souligne une des difficultés de la création : « d’après des faits réels ».
L’exploitation, les frustrations, les fleurs qui étouffent, les fausses familiarités, les objets qui pèsent, « Madame est trop bonne » inévitable, mais « elles déconnent ».
Le décor mécanique au service d’une mise en scène qui varie les jeux, modernise un texte qui aurait pu connaître des longueurs.