jeudi 31 décembre 2009

La X°biennale au Musée d’Art Contemporain de Lyon.

Une vidéo à l’entrée remplace la cabane de Ben, il s’agit d’un guitariste à moitié maquillé en noir dont les paroles sont prises dans des discours d’Obama : il faut le savoir !
Comme sont oubliables des vidéos de scènes de plage, ou des automates en uniformes qui battent tambours. Par contre des reconstitutions de tableaux classiques avec des personnages contemporains parfaitement éclairés, ne manquent pas d’attirer notre attention. Et la salle remplie de représentations évolutives d’un village en république tchèque est spectaculaire. Sarkis a été plus discuté entre nous, l’atmosphère créée dans de grands espaces qui lui sont réservés rassure un de mes amis, je suis plutôt refroidi. Une certaine poésie peut naître cependant de ces journaux soulevés par un courant d’air et bien que traditionnelles des phrases au néon peuvent intéresser. Par contre la profusion de bandes vidéos brillantes et noires de Mounir Fatmi produit un effet visuel spectaculaire et la question figurant sur le livret d’accompagnement est d’importance :
« le visiteur est invité à utiliser les photocopieuses, mais que conservent-ils de ce jeu ? Une image vide ? La trace vaine d’un rectangle de papier ? Comment aujourd’hui construit-on une mémoire, comment s’écrit l’histoire ?
Au centre de son œuvre le bégaiement des transmissions culturelles et mentales »

Nous y sommes.

mercredi 30 décembre 2009

J 15 : Pléku, Kontum

Un jeune guide charmant nous prend en charge quelques heures pour nous conduire à l’aéroport et enregistrer nos bagages pour un vol sur les lignes intérieures. L’une d’entre nous a gardé son Opinel dans son bagage de cabine, elle est accompagnée au bureau d’enregistrement où on range l’arme dans une boite volumineuse qui voyagera dans la soute.
L’avion à hélice se pose au bout d’une heure sur le petit aéroport de Pleiku que nous avons atteint en crevant l’édredon des nuages. Une bruine insignifiante n’appelle pas la protection du parapluie à la descente de l’avion.
Notre nouvelle guide, madame Thien, parle un français très correct, son fils vit en France… elle connaît l’Ardèche. Nous pouvons vite embarquer dans notre voiture en direction de Kontum, à une trentaine de kilomètres de Pleiku. Nous sommes à 500 m d’altitude, l’air est frais. Nous arrivons chez les montagnards. Les rizières à perte de vue ont cédé la place aux caféiers, au manioc et au maïs. La route parfaitement rectiligne connait des travaux d’élargissement et un tronçon est à l’état de piste.
Le véhicule stoppe devant l’hôtel « Indochine » qui correspond à notre image d’un tel bâtiment dans un état socialiste : démesuré avec une décoration minimaliste et des finitions bâclées. Nous nous installons dans nos chambres de taille imposante, sans ibiscus ni pétale de rose. Nous déjeunons dans un restaurant modeste, en soulevant le couvercle des marmites qui cuisent sur le trottoir : porc aux vermicelles avec ce qu’il faut de piments. Pour la communication, le père s’efface devant son adolescente scolarisée.
Thien s’impatiente car le guide local obligatoire a une minute de retard. Elle nous fait part de sa conception assez rigide du correct et de l’incorrect. « Madame le colonel », c’est ainsi que l’appelait son ex mari, quand on lui a posé la question ce matin sur le service militaire, nous a répondu : trois ans pour les garçons et pour les filles : « ce sont des juments qui veulent devenir cheval ! »
Le guide local a des airs d’un professeur de notre connaissance et se débrouille très bien en français. Il commence son tour par l’église en bois de Kontum construite sur pilotis dans le style des maisons banhars: basse, en bois de fer avec nef et transept, elle est éclairée de nombreuses fenêtres de style gothique dont les vitres sont recouvertes de faux vitraux collés représentant des scènes bibliques naïves.
En voiture nous poussons un peu plus loin vers un premier village banhar. Nous découvrons d’abord une maison communale avec son élégant toit pentu en paille. On y accède par une « échelle Dogon ». A l’intérieur on peut voir le nouveau « génie » Ho Chi Minh, des photos de la rénovation du toit nécessaire tous les dix ans. C’est le lieu de tradition orale : il n’y a pas d’écrit chez les Banhars. Les vieux initient et conseillent les jeunes avant qu’ils fondent une famille de même quand on chuchote une formule magique dans l’oreille d’un bébé, c’est la vie qu’on lui insuffle. Nous traversons ce premier village très dispersé au milieu de la végétation envahissante sur des chemins voire des sentiers d’une terre rouge ravinée par la pluie. Des maisons reposent sur des pilotis avec l’avancée centrale protégée comme un balcon. Sous l’habitation, on peut voir des bêtes dans leur enclos, des outils, des motos appuyées contre des troncs d’arbre évidés, cercueils en attente d’utilisation. Les poules logent dans de petites constructions également sur pilotis telles des châteaux forts.
De pauvres habits sont suspendus sous l’avancée centrale. Les enfants jouent et rient sans excitation. Au point d’eau près de la route, les femmes et les enfants se lavent ou sont de corvée d’eau.
Le deuxième village Banhar, parmi les 650 recensés, est moins disséminé que le premier. Nous y voyons une jeune femme, dans son jardin, tisser une pièce avec beaucoup d’art, entourée de poteaux sculptés par son mari. De jeunes garçons et filles boivent de la bière et jouent de la guitare au bord de la rivière, échappant un moment aux occupations et traditions. Leurs ainés travaillent à la construction d’une église.
Le troisième village parait plus important en nombre d’habitants et d’animaux. Des cochons noirs de toutes tailles surgissent de partout, les poulets, les chiens courent entre les maisons. Nous nous pressons: c’est l’heure où les vaches reviennent des prés situés sur l’autre rive et traversent le fleuve à la nage, les enfants accrochés à leur queue. Les bêtes dérivent avec le courant et mettent pied sur la terre ferme à l’endroit prévu. Dans la lumière du soleil déclinant, c’est une image biblique. Elles doivent ensuite franchir un raidillon pénible, glissant et boueux. Avec nous, sur la rive qui domine, des enfants encouragent et dans le même temps se moquent des animaux dans la difficulté. Une vache glisse et se retrouve coincée sur le dos, les pattes en l’air, sans parvenir à se redresser, ce qui provoque les rires et les lazzis des gamins. L’un d’eux essaie de tirer la vache par la queue, puis la frappe à grands coups de pieds dans les flancs. La pauvre bête trouve enfin l’énergie et le bon mouvement pour se redresser ;
Nous dinons tôt, le restau du Routard s’avérant fermé, nous en trouvons un autre modeste, comme celui de ce matin. Bon bœuf ananas et noodles with vegetables. Il n’est que huit heures quand nous rentrons à l’hôtel.
Nous sommes passés de la côte touristique avec toutes les infrastructures et même plus, à l’intérieur, loin des passages. Notre hôtel « Indochine », seulement vieux de quatre ans, est en passe d’être vendu et sombre doucement vers l’abandon, il n’y a déjà plus de restaurant.

mardi 29 décembre 2009

En famille

La soupe aux choux de grand-mère, un événement.
Grand-père se déchaussait le premier : cors, durillons, oeils de perdrix, quelques poils blancs. Il riait, agitait les orteils- les vieux sont joueurs- remontait le bas de son bleu de travail- on ne lui connaissait pas d’autre accoutrement- trempait le doigt dans la marmite. Vérifions la température du bouillon. Trop chaud c’est pas bon pour mes varices.
On l’aidait à se hisser sur le banc, puis sur la table paysanne de bois brut poli par le temps comme il se doit dans les illustrations de bouquins pour gamins, une manière de leur apprendre l’histoire des classes populaires.
Grand-père aimait les soupes de sa femme. Il levait le pied droit, soutenu par sa descendance, le plongeait dans la marmite, le gauche suivait vite le même chemin.
C’est qu’il avait fait la guerre dans les Aurès ; alors, la soupe vous pensez bien !
Le patriarche de son piédestal : oui, elle est assez salée. Comment un pied peut-il doser la salinité d’un liquide ? Je n’ai aucune réponse, de toute façon c’est en famille, les secrets, vous savez. Non, elle n’était pas trop grasse, l’os à moelle avait la bonne taille. Nous devinions que le pépé palpait la chose consciencieusement. Comment un pied peut-il palper, hein ? C’est un secret pour personne que les pieds palpent surtout dans les contes.
Il poussait un soupir de soulagement comme après une longue séance de massage podologique, lâchait un pet. Nous, on aimait les pets de Pépé : c’est pas un vice quand même !
Enfin il redescendait sur la terre battue, eh ! Pauvre terre ! C’était le tour d’oncle Hubert.
Il ne s’asseyait pas sur le tabouret à trois pattes placé dans la marmite. Debout, ses fesses de gendarme pointant. Son regard bleu ne mentait pas ; il fixait par la fenêtre les terres de l’héritage. Il jouissait du glissement des poireaux entre ses orteils et nous en avisait. Ca lui rappelait les algues à marée basse du côté de St Valérie-en-Caux.
Ma grande sœur Berthe, prenait la relève, son missel-mi-raisin, à la main. Droite comme une sainte médiévale, elle gravissait le banc, la table. Sa tête ignorait ce que trafiquaient ses panards. Avec un prénom pareil, on ne peut avoir que des panards, même si ce n’est pas élégant pour une future sainte d’en avoir de si grands.
Je souhaitais furieusement, follement, violemment que mon étourdie de sœur renversât le faitout. Je savais, hélas, de quelle extrême attention sont capables les distraits. Quant aux distraites…
C’était mon tour. Je n’étais pas bien vieille et si timide. Alors monter sur les planches même en famille me fichait la chamade. Je chougnais bien que je susse l’inutilité de mes larmes. Oh ! La grande fille pas courageuse ! Oh la brailloux !
On me juchait de force parmi les couverts. Le bouillon m’arrivait au bas des cuisses. C’était gluant et doux, ça sentait le laurier. Je fermais les yeux toujours et je chantais.
Qui aurait supporté tant d’appétit dans leurs yeux de loups ?

Marie Treize

lundi 28 décembre 2009

Huacho

Film de Alejandro Fernández Almendras.
Jusqu’au sud du Chili, la globalisation pousse sa corne dans une famille où le grand père à la fin de ses travaux dans les champs profite des coupures de courant pour rabâcher ses histoires d’un monde disparu, la grand-mère assure la vente de ses fromages au bord de la route, la fille chouchoute son fils unique et se débrouille pour ramener quelques pesos à la maison, le petit s’affronte à la modernité mais reste un paysan aux yeux des titulaires de la PSP. La beauté des images, la profusion dans une habitation où manque pourtant le minimum, viennent atténuer la brutalité de conditions sociales qui s’aggravent. Le misérabilisme est absent, mais jusque dans les détails la perte des valeurs est manifeste dans ces quatre parcours si proches du documentaire. La vitalité des acteurs amateurs nous les rend familiers, leur dignité nous amène à nous interroger. Dans la répartition des classes sociales c’est bien nous qui passons commande depuis notre grosse voiture.

dimanche 27 décembre 2009

Bortsch

Ce plat est une institution dans les pays de l’Est, et comme le couscous sous d’autres latitudes, les variantes sont infinies. Par exemple en Ukraine, il y a des champignons…
Ce qui fait la spécificité de cette soupe, c’est la betterave rouge et l’alliance crème et vinaigre.
Il est même dit dans certaines recettes de mettre de la crème aigre.
Dans celui que je prépare, dont la recette de base est celle de la cocotte minute "old style", j’ai fait cuire la viande de boeuf taillée dans le gite avec deux cubes de bouillon de bœuf Maggi, et écumé au bout d’une demi-heure. Puis mis les légumes, carottes, pommes de terre, navets coupés en petits dés, oignons et chou taillés en lamelles, des tomates et une boite de concentré dans une cocotte pas minute. Au fur et à mesure de la cuisson lente de deux heures - réchauffé c’est mieux encore- j’ai ajouté du laurier, du bouquet garni, des graines de coriandre, de poivre, des clous de girofle, salé. Et en fin de mijotage, les betteraves rouges en dés bien sûr. La touche qui en fait plus qu’une soupe à la viande, c’est l’ajout dans l’assiette d’un peu de vinaigre et d’un trait de crème avec quelques brins de persil, on peut mettre de l’aneth.

samedi 26 décembre 2009

Arrêtera-t-on la prolifération des ghettos ?

Une fois encore la confrontation d’un universitaire et d’une politique tourne au désavantage de celle qui bénéficie de la lumière médiatique, où le temps d’un débat, avec Libé à Lyon, elle apparaît dans toute son artificialité. Christine Boutin, certes est pour nous, à gauche, une de nos cibles préférée, tant elle s’applique à ressembler à sa caricature de réac, mais sa liberté de ton parfois pouvait valoir parfois le purgatoire. Las, aligner les clichés : « l’enfer, c’est les autres », « les murs de la haine », « le malaise n’est pas qu’économique, il est culturel et moral » comme si elle n’avait pas eu de responsabilités avec son cortège de retard de financements, épuise toute indulgence, même si elle est d’accord pour le vote des étrangers.
Lapeyronnie, l’universitaire n’a pas besoin d’emballage démagogique : « le ghetto est une cage et un cocon » pour pointer la dégradation de la situation sociale dans les quartiers populaires. Ces communautés ne peuvent se construire sur une situation subie de racisme et de pauvreté.
La société est fragmentée, les structures urbaines éclatées, les centres se vident, et la banlieue est un archipel : il n’y a plus d’espace commun. La lutte des espaces reproduit la lutte des classes. Il se garde bien d’euphémiser en disant « quartier sensible » quand il s’agit de pauvreté. Il ne nie pas non plus le caractère racial des tensions persistantes. L’écart de revenus entre Paris et le 93 a triplé en vingt ans. Le ghetto prospère chez les riches avec la même attirance pour le modèle américain que pour les quartiers pauvres où la prison reproduit le ghetto. Il semble mieux admis d’être pauvre que de vivre chez les pauvres.
Quelques rappels de dates apparues au cours du débat peuvent être utiles pour comprendre la solidification du ressentiment pour ces populations reléguées.
80 : Décomposition du mouvement ouvrier.
81 : Les Minguettes, « politique de la ville »
90 : Vaux en Velin, plus de référence au travail, « économie noire »
98 : Le Mirail, fermeture renforcée.
Les images sont obsédantes pour tous, peut être encore plus dans les familles où la situation des femmes se crispe sur des définitions traditionnelles où élever des enfants est source de culpabilité. Les institutions se sont éloignées, même si reste l’école qui a perdu la carte et apparaît comme un centre de tri.
Au bureau de poste, on vient pour retirer 2€.

vendredi 25 décembre 2009

Le blog de Frantico

BD de 300 pages éditée chez Albin Michel après avoir connu le succès sur Internet. Les débats des amateurs de BD pour savoir qui est derrière ce pseudonyme ne me concernent pas vraiment, bien qu’un tel manque de générosité chez le personnage principal m’ait semblé invraisemblable. Un dessinateur se raconte avec sa paranoïa bien cognée, et il faut bien du temps pour percevoir une certaine sensibilité sous des flots d’amertume, des trésors de petitesse. Il met à l’épreuve tous les degrés de l’humour et ses obsessions pourraient être drolatiques, mais sa franchise n’arrive même pas à entrainer l’empathie tant il se montre obsédé de lui-même, n’ayant mérité comme compagnons que ses doubles fantasmés : il se retrouve avec sa bite et ses obsessions de trou du cul, triste et geignard. Il passe son temps à se masturber. Fascinant : un tel désenchantement nous révèle-t-il l’état de nos relations sociales où même les chants d’oiseau disent la violence du monde ?