jeudi 31 octobre 2019

Zaria Forman. Gilbert Croué.

La conférence devant les amis du musée aurait pu s’inscrire dans le prolongement des rencontres philosophiques qui venaient de se tenir à Uriage:
« L'art peut-il refaire le monde ? »
La jeune américaine de 37 ans, dont les travaux sont présentés ce soir, met ses pastels au service de l’écologie. Antarctica n °4
Elle réside à Brooklyn entre deux voyages dans les zones du globe les plus menacées.
Pour des formats dépassant les trois mètres, inhabituels pour ce procédé, de 250 h à 300 h de travail sont nécessaires. Whale Bay, Antarctica no1 .
 
Accompagnée de scientifiques, elle photographie sur place, puis avec une infinie minutie reproduit le chaos des formes, rendant crédible la moindre aspérité. Cierva Cove, Antarctica no1.
Dans des harmonies de gris ou de bleu, elle traduit l’eau dans tous ses états, les nuages, la neige glissant sur la glace, les brillances, l’opacité du liquide, son clapotis. Groenland N°58. Le sujet principal est la lumière qu’elle s’applique selon ses dire « à ciseler » dans des palettes restreintes.
Dans les 1199 îles des Maldives, dont 202 habitées, au ras de l’eau, la submersion est proche. Les bouillonnements de l’écume, les miroitements et les transparences, nous ramènent  à des émerveillements de début du monde alors que la fin est annoncée. Maldives n° 14
La texture et le rythme de ces vagues rendues avec une patience de dentelière et une main de velours s’annonçaient dans ses premiers travaux puissants décrivant des tempêtes: Storms n° 31
Toute petite, elle avait suivi sa mère, Rena Bass Forman, présentant ses photographies dans des teintes sépia se rapprochant du lavis aux nuances subtiles, en format carré, Rawana Falls Sri Lanka.
Zaria a repris le flambeau esthétique et écologique posant avec délicatesse se poudres sur le papier pour mieux alerter sur la fragilité du monde.
Les couleurs au pastel s’appliquent directement et sont proposées dans une gamme infinie. La maison Henri Roché qui existe depuis 1865 propose 1650 couleurs. Notre œil perçoit plus finement les 450 tonalités de vert que celles du rouge.
Composé de kaolin, de gomme arabique et de pigment animal ou végétal, le pastel aux bâtons arrondis ou aigus, s’applique sur des papiers divers, voire au XVIII° siècle, à son âge d’or, sur des parchemins en peau de veau ou de poulain qui rendaient  tout à fait réalistes les textures des visages et la poudre des perruques.
Dans l’histoire de cette technique, Leoni Ottavio fut l’un des pionniers, il fabriquait lui-même ses craies colorées laissant aux autres la sanguine pour dessiner. Portrait de Galilée.
La vénitienne Rosalba Giovanna Carriera, connut un succès considérable, La muse.
Quentin Latour qui avait répondu à Louis XV qui voulait le décorer « Je ne connais que la noblesse des sentiments, et de prééminence que celle des talents.» était venu à bout du portrait de Madame de Pompadour en protectrice des arts.
La Belle Chocolatière de Liotard est peut être moins célèbre mais ces blancs sur blanc sont époustouflants.
Degas avait exécuté 200 pastels  dont une Danseuse ajustant son chausson, essentielle dans ses traits.
Depuis son voyage en 2012 au Greenland avec la Nasa, Zaria Forman a réalisé 74  pastels, 300 depuis 2004. Iceberg. Antarctica n°2
A Hawaï, Waipi’o valley ,1 500 000 habitants sont menacés par la montée de eaux.
Dans les îles Svalbard n° 33 en Norvège, cet iceberg fait penser à un visage, à un masque, douloureux.

Très présente sur la toile, la lanceuse d’alerte accompagne ses travaux avec des vidéos, des conférences. https://www.zariaforman.com/about

mercredi 30 octobre 2019

Bordeaux.

"Adichats" (A Diu siatz, à Dieu soyez - Salut à vous) à la famille restée dans les Landes.
Par des routes étroites et rectilignes, nous longeons des champs de maïs sous d’immenses rampes d’arrosage.
L’habitat se raréfie et perd de son authenticité au fur et à mesure qu’on approche de Bordeaux. Lors d’un arrêt photo nous parviennent des aboiements excités d’une meute de chiens, probablement en chasse. 
Au village de Saugnacq-et-Muret, à la limite du département de La Gironde, nous nous arrêtons à la chapelle saint Roch; le guérisseur des pestiférés est décidément honoré en beaucoup de lieux. Elle est ouverte pour un baptême qui doit s’y dérouler bientôt. Le retable comporte des coquilles caractéristiques du chemin de saint Jacques de Compostelle. La fontaine voisine est dédiée à saint Eutrope dont les reliques sont à Saintes en Saintonge, pays des santons, peuple gaulois.
Nous arrivons à Bordeaux que nous contournons par l’Ouest pour gagner la Cité du vin située au nord.
Il s’agit d’un retour dans la cité girondine. 
http://blog-de-guy.blogspot.com/2012/11/bordeaux-1-patrimoine.html
Son architecture tant vantée « pour rappeler à la fois un vin tournant dans un verre et les remous de la Garonne, qui borde le site » ne nous enivre pas, mais s’inscrit tout à fait dans la diversité des constructions nouvelles autour des quais de Bacalan.
 
La visite est interactive avec un audio guide, sorte de Smartphone relié à un casque. Les points de vues  sont variés : histoire et géographie, route du vin, climats, métamorphoses, mythologie et religions, peintures,  au moyen de scénettes en hologrammes,  de flacons reliés à des poires pour reconnaître des arômes, et vidéos à propos des collectionneurs et des sommeliers. Les exploitations  sont diverses selon les terroirs, et si le vin dans l’espace ou sous la mer son anecdotiques, le design, la pub, les bouchons ont leurs mots à dire…Ce sont les anglais qui dès le XVIII° siècle se sont rués sur le vin de la région considérant les bulles du Champagne comme un défaut.
Il y a de quoi voir sur 3 000 m² avec 19 modules thématiques, 120 productions audiovisuelles. Une sagesse passagère nous a fait ignorer le verre de vin proposé sur la terrasse qui offre une belle vue à 360° sur la cinquième aire urbaine de France.
 
 
Dans la Base sous-marine voisine aux très épais murs peints en noir étaient exposés
des photographies de rivages d’Harry Gruyaert aux cadrages parfaits dont le grammage rend les lumières du Maroc proches de celles d’Irlande.
John Akomfrah superpose sur trois écrans des images d’esclaves, de guerre, de pêche à la baleine. L’abondance des thèmes brouille le propos politique et écologique quand la beauté de la nature pourrait faire oublier la cruauté des hommes.
 Nous revenons au restaurant Le Chaudron, original et rapide qui n’exagère pas sur les prix.
Nous étions passés chez Baillardran acheter des cannelés pour notre voisine qui avait soigné nos plantes. Ces petits gâteaux délicieux recyclaient les jaunes d’œufs séparés des blancs montés en neige utilisés pour le filtrage du vin.

mardi 29 octobre 2019

La revue dessinée. N°25. Automne 2019.

L’art de faire du léger avec du grave, de l’intelligible avec de l’obscur, moyennant des styles de dessins différents :
- clinique pour décrire le nouveau palais de justice de Paris et le bureau du procureur,
- coloré et foutraque pour se rappeler le film de Brian De Palma : « Phantom of the paradise ».
Le titre « Quartiers shit » est bien vu pour évoquer les trafics de drogue dans les quartiers nord de Marseille
alors que « Charité mal ordonnée » pour un reportage à charge dans les communautés d’Emaüs est plus contestable. Les règles de la communauté se heurtent à des nouveaux comportements plus formalistes. Nostalgique des temps où la conscience professionnelle, la confiance, l’engagement, n’étaient pas rares, je comprends plutôt le désarroi de responsables qui se heurtent à l’ingratitude, au juridisme.
Il en est d’une autre gravité quand à l’intérieur d’institution comme l’église catholique, le silence domine face aux révélations d’actes de pédocriminalité. 
L’histoire des matières plastiques permet de mieux appréhender le problème majeur de leurs déchets,
et le retour sur le scandale Cambridge Analytica est utile pour nous rappeler la puissance de Facebook et consort et leur mépris des lois. 
Parmi les sujets brûlants celui des migrants qui voient les frontières de l’Europe s’avancer dès le Niger, avec des aides destinées à un maintien sur place qui servent souvent à financer un voyage dont l’urgence est irrépressible.
Quelle surprise dans ces pages militantes plus proches de Médiapart que de Valeurs actuelles d’apprendre que Christine Lagarde malgré quelques maladresses a réussi à faire évoluer le FMI !
Mais le naturel revient au galop dans une histoire de la liberté de la presse drolatique cependant introduite par un fait d’actualité marginal - me semble-t-il.
La rubrique « la sémantique c’est élastique » est toujours bienvenue : cette fois les néologismes.
Les temps ont changé quand on en est à se demander si le e-sport est un sport,
ou lorsque la photo d’un GI en noir embrassant fougueusement une infirmière en blanc à Times square a perdu de son romantisme pour apparaître comme une agression sexuelle.

lundi 28 octobre 2019

Martin Eden. Pietro Marcello.

Les nombreuses péripéties de ce film de deux heures auraient mieux convenu, pour éviter la superficialité, au format d’une série, puisque c’est là que tout se passe maintenant dit-on.
Les aventures narrées par Jack London l’américain ont été délocalisées à Naples mais la période évoquée m’a semblé aussi incertaine.
Un beau gosse d’un milieu populaire va réussir à devenir écrivain.
Cette belle ambition plutôt datée en ces temps numériques, se déploie sur fond de lutte des classes à travers deux relations féminines que j’ai du mal à qualifier d’amoureuses tant la flamme ou le dilemme semblent absents.
L’acteur principal tant vanté manque à mon goût de profondeur, bien que son combat honorable soulève de bonnes questions quant à la place de l’individu dans la lutte sociale. Des séquences lourdes avec Martin conduisant sa fiancée dans un quartier pauvre succèdent à de beaux plans lorsque deux enfants dansent ou qu’un voilier s’enfonce dans les flots. Cette interprétation d’un chef d’œuvre de la littérature est d’autant plus décevante que l’auteur de « L’appel de la forêt » se situe pour moi au plus haut.   

dimanche 27 octobre 2019

Circulations Capitales. Marine Bachelot Nguyen.

Sur la route de la MC 2, je ne me souvenais pas du titre, je savais seulement que je me rendais à un spectacle à propos du Viet-Nam, mais  après l’avoir vu, je n’ai toujours pas saisi le sens du mot « Capitale » en contradiction avec la modestie des moyens, malgré les explications : « remettre en circulation les langues et les héritages, les transmissions interrompues ».
Il n’est pas question que du Viet Nam mais aussi de la Russie partie prenante d’une histoire convoquée de Napoléon III à Eltsine.
Cette espèce de "conférence gesticulée" augmentée  passe par des moments d’émotion, avec morceaux de bravoure et quelques sourires. Elle participe d’un théâtre élémentaire, limpide, qui séduit un public heureux de réviser ou de s’interroger sur ce qui fait notre appartenance au monde, à un pays. Les contradictions, les souffrances, qui ont accompagné le communisme comme le capitalisme rouge, sur fond de vidéo et de karaoké, sont explicites.
Quand c’est au tour de François-Xavier Phan et Marina Keltchewsky, les acteurs excellents, le spectacle décolle. Lorsque l’autrice qui a astucieusement mis en scène les histoires individuelles intervient, le surlignage finit par se voir.
Est-ce que cet excès de théâtralité vient en contre point de trop de silences familiaux ?
Pas aussi dense qu’un spectacle d’une autre Nguyen
mais au petit Théâtre on ne s’ennuie pas. La confrontation pourtant classique des destins particuliers avec les fracas de l’histoire est passionnante même si les têtes coupées par les colons, où celle que les martyrs chrétiens mettaient sous leurs bras saturent quelque peu nos comprenettes.

samedi 26 octobre 2019

Babylone. Yasmina Reza.

Les dialogues chez Reza dont la banalité est signifiante et drôle rendent ces 220 pages attachantes.
« Ce ne sont pas les grandes trahisons, mais la répétition des pertes infimes qui est la cause de la mélancolie. »
Le titre tiré de psaumes lus par le père d’un meurtrier dilettante me semble pourtant démesuré pour décrire grands et petits désastres parmi les habitants d’un immeuble parisien sans aucun paradis perdu:
« Aux rives des fleuves de Babylone nous nous sommes assis et nous avons pleuré, nous souvenant de Sion. »
Les retours de soirée chez les voisins peuvent être meurtriers et cocasse le sort à réserver à un cadavre. La solitude, les malentendus se sont aggravés sous les bavardages.
La recherche pathétique de l’empathie est vouée à l’échec : le chat objet de soins attentifs se montre bien ingrat, un petit enfant trop gâté est lui aussi déplaisant.
La traque de toutes les hypocrisies peut faire naître des sourires au risque d’une lucidité froide.
« Ce matin, avant de partir à Pasteur, j’ai appelé la maison de retraite de la tante pour prendre de ses nouvelles. La conversation terminée, je pense, tu es vraiment quelqu’un d’attentif, tu t’inquiètes des autres. Deux secondes après, je me dis, c’est minable cette satisfaction de soi pour une action aussi élémentaire. »

vendredi 25 octobre 2019

Le Postillon. N° 52. Automne 2019.

Les postilloneurs ne sont toujours pas allé enquêter, ni même fendu d’une brève concernant les incendies qui touchent Grenoble et ses alentours depuis plusieurs trimestres: gendarmerie de Meylan, entreprise Eiffage, Casemate, église Saint Jacques, France Bleu Isère… et tout récemment la mairie de Grenoble. Si des groupes politiques d’une autre extrémité s’étaient réjoui de ces méfaits, voire avaient revendiqué ces actes, l’indignation aurait été plus massive.
Par contre le bimestriel persiste dans le créneau « plus-écologistes-que-nous-y-a-pas », maintenant que tout le monde cause vertement, en mettant en couverture une petite fille qui vient de scier un relais de téléphonie : « un geste simple pour sauver la cuvette. »
Tiens, à propos, fin août une antenne relais avait brûlé à Saint Andéol, deux ans avant au col de l’Escrinet et dans la Drôme des groupes anars avaient revendiqué la destruction de telles installations.
Les journalistes anonymes développent plus loin en proposant plutôt qu’un arrêté anti-pesticides qui ne risque pas de contrarier les paysans de Grenoble, d’interdire la 5 G dont les conséquences sont  lourdes « sur les écosystèmes et les ressources de la planète. »
- Ils dénoncent l’argent dépensé dans la « deeptech ».
- Ils ont repéré que des caméras de surveillance privées peuvent être piratées.  
- Ils se moquent des dérisoires invitations chez Schneider de prendre l’escalier plutôt que l’ascenseur pour «  sauver la planète ».
- Ils remarquent qu’une piste cyclable risque d’empiéter sur des jardins à Saint Martin d’Hères.
- Ils regrettent de manquer de lieux de baignade, dans le Drac par la faute d’EDF ou des municipalités qui ont mis des interdits autour du lac Achard ou aux « prises » à Saint Egrève pour pallier à des incivilités.
- Ils trouvent « moche » le bâtiment qui abrite des installations permettant le haut débit du côté de Saint pierre de Chartreuse.
- Ils sont contrariés par le « pouvoir » qui use: « pas de RIC pour Eric », et puis de toutes façons, il est  tellement high tech et « smart city ».  Par contre les "Contretout" ne s’appesantissent pas sur la défausse systématique de l’équipe municipale envers l’état ou les prédécesseurs : opposants un jour, opposants toujours. Il est vrai cependant qu’ils n’atteignent pas le manque de discernement de l’envoyée du journal « Le Monde » qui est la seule à  sentir que la pollution a baissé dès qu’ EELV fut élu.
- Ils ont fait les poubelles après que la fresque d’Obey ait été réalisée et ils ont trouvé, scoop : des papiers et des bombes à peinture !
Par contre ils font leur travail en nous informant sur la condition des postiers qui sont embauchés par des Groupements Employeurs Logistique (GEL).
Leur reportage concernant le trafic de coke qui perturbe le quartier de l’Alma  est intéressant. Il donne la parole, aux riverains, au procureur, et décrit le ballet des trafiquants.
Leur suggestion de faire porter par des randonneurs du ravitaillement pour les bergers et leurs troupeaux permet de ne pas se contenter de se boucher les oreilles quand les hélicoptères font des rotations pour ravitailler les alpages.
Pour ce qui est du quota d’humour, beaucoup de dessins ayant un taux de plomb supérieur aux normes, il faudra se contenter de la présence d’Abdelaziz Bouteflika en lice pour des pronostics en vue des élections municipales de 2020 :
«  Candidat issu de la diversité, il a l’avantage d’être entièrement disponible depuis le printemps dernier et de bien connaître le milieu hospitalier grenoblois. »

jeudi 24 octobre 2019

Picasso : « Au cœur des ténèbres ». Sophie Bernard.

Devant une salle comble, la conférencière a présenté aux amis du musée, l’exposition qu’elle a préparée. Alors que le musée de Grenoble a été le premier à obtenir dès 1932 une toile du catalan, Femme lisant (1920) grâce à André Farcy dont un hommage est rendu jusqu’à fin novembre place Lavalette, c’est la première fois qu’une exposition est consacrée, ici , entièrement à Picasso.  Après le 5 janvier, 137 productions et des documents d’archives prendront la route de Düsseldorf.
Guernica, le manifeste, la peinture d’histoire, a été peint en 1937.  A ce propos, Picasso aurait répondu à un officier allemand qui lui demandait « C'est vous qui avez fait cela ? » devant la photo d’un des tableaux les plus connus au monde : « Non, c'est vous ! »
Entre 1939 et 1945, Picasso est resté en France. Protégé par sa renommée, l’ « artiste dégénéré » n’a pas pris le maquis, il a intériorisé, personnifié une histoire féroce.
René Char: « Face au pouvoir totalitaire, Picasso est le maître charpentier de mille planches de salut »
En 1939, Prague est annexée. Il ne peut se rendre à l’enterrement de sa mère.
Toutes griffes dehors, un Chat saisissant un oiseau « animalise » la violence qui se grave comme sur la « plaque sensible » d’une œuvre comportant 2000 pièces exécutées pendant cette période de guerre.
Ses amis surréalistes sont partis, il s’installe un moment à Royan avec Dora Maar, pas loin de l’hôtel de Marie Thérèse Walter. Les deux maîtresses cohabitent dans Femme debout et femme assise. Il est revenu à Paris mettre à l’abri ses toiles dans un coffre fort à côté de celui de Matisse. Il connaît le succès aux Etats Unis.
En 1940, « Je travaille, je peins, je m’emmerde » Picasso. Le Café des bains, dans des couleurs acidulés garde la mémoire de son refuge atlantique, au centre d’un de ses rares paysages, désert. Il n’a pas obtenu la nationalité française qu’il ne demandera plus.
Les anguilles de mer menaçantes, grouillent de vie.
Faite de ficelles et d’un paquet de Gitanes, la Femme assise dans un fauteuil pleure encore et montre les dents.
Quand le rationnement est instauré, en 1941, sa propriété du Boisgeloup où vivait Olga lui a procuré des vivres. Il est question de restrictions dans la pièce qu’il a écrite « Le désir attrapé par la queue », farce surréaliste mise en scène par Camus à la fin de la guerre pour quelques amis. Son atelier des Grands Augustins à Paris était un lieu de rencontre intellectuel.
Femme au chapeau rond dans un fauteuil : dans un espace clos, l’atmosphère est lugubre.
Si les couleurs d’une autre femme assise dans un fauteuil sont plus vives, des clous sont plantés au dessus des yeux. Premières lois anti-juives.
Le portrait de la fragile Nusch Eluard  qui mourra en 1936, peut-il être un rempart contre l’inhumanité des temps ?
La sombre Aubade de 1942, mystérieuse ne comporte pas de trace anecdotique. Une figure mélancolique joue d’une mandoline décordée devant un nu hideux. Un oiseau se tait dans la prison.
Vlaminck lui  a reproché d’avoir mené la peinture « au néant », il est injurié dans la presse pourtant des galeristes l’ont soutenu.
La grimace évidée de la nature morte au crâne de taureau est si forte qu’elle a servi pour l’affiche de l’exposition.
Le buffet du Catalan dit bien l’ambiance lugubre de l’occupation en 1943. Desnos qui venait souvent dans ce restaurant, cantine du peintre, avait remarqué que le buffet avait disparu après que son ami l’ait peint.  
Il a rencontré là Françoise Gillot qui l’appelleraLe vert Galant, surnom du vigoureux Henri IV, et square à la pointe de l’île de la cité, où s’annonce le printemps.
Eros et thanatos jouent dans Le baiser, dévorant, pied de nez à la guerre.
En octobre 1944, il  a adhéré au parti communiste, « le parti des fusillés », se mettant en scène en tant que résistant. Dora Maar est La femme en bleu, dont les mains sont absentes. Elle va s’écrouler, Lacan l’aidera à surmonter sa peine.
En 1945, Le charnier resté au MOMA, rappelle le prophétique Guernica, se confondant avec les images des horreurs découvertes dans les camps.
Puisqu’ « une casserole peut crier », les objets du quotidien étant des « vaisseaux pour la pensée », La casserole émaillée que la bougie illumine est vivante.
« Non la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements. La peinture est un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi » Picasso
En 1946, il a illustré à la manière des enlumineurs du moyen âge, Le chant des morts de Reverdy le poète qui était resté silencieux pendant ces années noires.