mercredi 17 octobre 2018

Metz # 1

Dire « Messe », le « t » étant une marque germanique, pour se rappeler d’une annexion qui a marqué, les corps, les terres, l’architecture.
Nous passons 3 heures à visiter le Centre Pompidou dont l’architecture évoque « une tente du désert » comme dit Le Routard.
Tout le rez-de-chaussée était consacré à « l’Aventure de la couleur » où dès l’accueil des enfants s’amusaient à animer les filaments du « Pénétrable jaune » de Jesús Rafael Soto.
Savoir que les néons de Morellet s’intitulent «  L’Océan » est un renseignement utile qui offre un ponton à l’imagination et me rappelle mes frustrations devant les cartels qui ne savent dire que « sans titre ».
Les pliages d’Hantaï sont bien à leur place et bien sûr les poudres de Klein, les papiers découpés de Matisse, un Kandinsky enfantin, des néons, des tableaux monochromes et les musiciens de Nicolas De Staël.
« La couleur offre pour moi la possibilité d’introduire quelque chose de l’ordre de la philosophie ou de la pensée mais sans mots. » D. Buren.
Buren a embauché des jeunes filles pour poser une tapisserie avec les rayures qui le caractérisent.
Une vidéo présente un peintre qui repeint entièrement une pièce, choisissant une couleur par jour.
Sur 5000 m2 , nous sommes dans le confort, reconnaissant quelques phares et découvrant des artistes surprenants, sans bousculade tout en étant loin du sentiment de vide qui accompagne souvent les présentations contemporaines.
A l’étage : « House dream »  par le compositeur La Monte Young et son épouse Marian Zazeela propose un son continu, oppressant, dans une salle moquettée de rose où l’on pénètre pieds nus. Une invitation à la méditation quelque peu artificielle.
En face « Café Little Boy » demande au public de s’exprimer à la craie sur les murs recouverts d’ardoise verte, comme dans une école d’Hiroshima où les gens inscrivaient des messages pour se retrouver. Cette forme rappelle les derniers jours d’école quand le tableau est laissé aux gribouillages des enfants.
Au deuxième étage, une thématique intéressante est développée : « Les couples modernes » de créateurs qui vont au-delà du cliché de l’artiste et de sa muse: Pablo Picasso et Dora Maar,
Robert et Sonia Delaunay, Georgia O'Keeffe et Alfred Stieglitz, Frida Khalo et Diego Di Rivera Klimt, Arp, Man Ray et Lee Miller, quelle beauté ! Hétéros et homos, ménages à deux à trois, pour toujours ou entre autres.

Cette architecture légère située dans le quartier moderne de l’Amphithéâtre n’est pas loin de la gare construite au début du XX° siècle, massif bâtiment prussien au style mêlant un moyen âge revisité à un roman qui fêterait l’industrie. Le Saint Empire Romain Germanique était de retour et prévoyait que 25 000 soldats puissent y transiter en une journée avec chevaux et canons.
 
Il y a des colonnes, des vitraux, la statue de Rolland le neveu de Charlemagne dont le salon ne se visite pas.  Un des quais est resté plus haut que l'autre afin de permettre embarquement et débarquement des troupes plus faciles depuis Guillaume II fier cavalier handicapé d'un bras.
L’un est surélevé à hauteur des wagons pour faciliter l’embarquement ou le débarquement de la cavalerie et du matériel militaire. L’autre est à hauteur des marchepieds des wagons pour les passagers (ce qui était plus rapide pour le déplacement des hommes de troupe en temps de guerre).

... extrait de Mon Grand-Est - © French Moments Ltd sauf indications contraires. En savoir plus https://mon-grand-est.fr/gare-de-metz/ .
Chaque ligne de chemin de fer est desservie par deux quais. L’un est surélevé à hauteur des wagons pour faciliter l’embarquement ou le débarquement de la cavalerie et du matériel militaire. L’autre est à hauteur des marchepieds des wagons pour les passagers (ce qui était plus rapide pour le déplacement des hommes de troupe en temps de guerre).

... extrait de Mon Grand-Est - © French Moments Ltd sauf indications contraires. En savoir plus https://mon-grand-est.fr/gare-de-metz/ .
Des bas reliefs encadrent le restaurant : un avec des clients qui se goinfrent de saucisses et de bière alors que sur l’autre les convives boivent du vin et dégustent la dinde.
Le monument aux allures de cathédrale, tout  à son activité ferroviaire, n’est pas à mon avis assez valorisé pour les touristes.
Stark a dessiné les lampadaires à proximité.
Le château d’eau destiné aux machines à vapeur se repère facilement comme le beau passage sous les voies.
Jacques Brel promettait à Jef du vin de Moselle, et Pierre Perret lui aussi à son p’tit loup.
Nous sommes passés pas loin de Joeuf, la ville natale de Platini joueur de Nancy qui n’est pas forcément la rivale de Metz, comme je le croyais. Mais alors qu’une route des vins était fléchée dans les parages, autour de  Sainte Marie aux Chênes, nous n’avons pas vu beaucoup de vignes. Cependant le paysage était bien beau.





mardi 16 octobre 2018

La petite mosquée dans la cité. Consigny Jouanneau.

Les reportages en BD sont en vogue mais l’appellation « récit sociologique » laissait entendre davantage d’informations. Le titre, au parfum de riante évocation, contredisait d’ailleurs toute exigence que j’aurai imaginée à un niveau universitaire où se dispenserait un enseignement scientifique.La "trop" petite mosquée aurait mieux situé les enjeux.
Cette chronique de l’évolution de ce lieu de culte aurait pu être développée tout aussi bien dans un magazine quand le rédacteur sait donner chair aux acteurs.
L’imam est progressiste et pragmatique, son adjoint verse vers l’intégrisme, le maire doit manœuvrer entre un électorat rétif à une nouvelle implantation du lieu de culte musulman et une communauté dont l’homogénéité dans les votes promis est un facteur aussi déterminant que la tranquillité du quartier.
Les tensions sont évoquées sans dramaturgie excessive. La place des femmes distingue les protagonistes, et les interprétations des préceptes concernant aussi bien les mariages ou la manutention de bouteilles d’alcool, sont variées. Comment être indépendant ?
Intéressant aperçu de différentes générations de musulmans et leurs rapports à la ville, mais alors que les techniques des auteurs de BD apportent souvent de la clarté aux écrits, les traits sommaires de la dessinatrice, en aérant les 169 pages, m’ont semblé parfois tirer à la ligne.

lundi 15 octobre 2018

Amin. Philippe Faucon

L’occident ne va plus chercher les étrangers, mais ce sont toujours eux qui construisent nos immeubles et creusent nos tranchées voire pour le personnage principal du film console une gentille pavillonnaire. Les enfants sénégalais d’Amin aimeraient rejoindre leur père hébergé depuis plusieurs années en France dans un Sonacotra de Saint Denis. Il a beau revenir avec des cadeaux et des financements pour le village, il ne les a pas vus grandir et laisse sa femme les gérer avec la belle mère en supplément
Employé en France à la réfection d’un pavillon, le maçon va nouer une relation avec Emmanuelle Devos, la propriétaire, au moment où elle est en train de se libérer de son connard de mari. Coïncidence des solitudes, cette parenthèse sensuelle est empreinte de respect, de douceur. 
Le réalisateur de « Fatima » est juste http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/10/fatima-philippe-faucon.html, même si quelques traits sont surlignés, l’infirmière se définissant d’emblée comme peu reconnue. Le travail au noir évoqué pour un autre immigré n’est pas non plus exclusivement de la faute d’une entité extérieure qui s’appellerait « société » alors qu’il arrange à court terme employé et employeur. 
Les séquences se déroulant en Afrique m’ont parues plus nuancées, plus neuves. Les corps noirs faisant l’amour sont rares au cinéma et ils sont bien beaux. Les pressions communautaires mises en lumière montrent la montée de l’islamisme, mais les femmes africaines assurent, elles sont bien là et ne comptent pas se laisser faire.

dimanche 14 octobre 2018

La guerre des salamandres. Karel Capek. Robin Renucci.

Dans cette fable philosophique orwelienne, Jules Verne aurait rencontré monsieur Sylvestre des Guignols de l’info et Jean Lassale. Tiens, d’ailleurs «  Les Guignols », depuis combien de temps ont-ils disparu dans un silence impressionnant ?
Le dispositif scénique efficace met 7 comédiens au service de 55 silhouettes de personnages autour d’une table qui offre une surface surélevée à la troupe  des « Tréteaux de France ».
Un scialytique central, porté au bout d’une grue, varie les beaux éclairages.
L’auteur tchèque qui a inventé le mot « robot » a écrit en 1936 ce roman aux échos tellement actuels accablants: montée du nazisme et crise écologique.
Mais la barque est chargée : après avoir été perdu à suivre Van Toch, un capitaine caricatural à la pèche aux huitres perlières, bien aidé par des salamandres, qu’un autre capitaine - d’industrie – M. Bondy, saura exploiter au maximum, nous évitons de peu une profusion de clins d’œil aux anecdotes de l’heure.
Ces salamandres se multiplient et  souffrent: sont elles des migrants ? En se révoltant préfigurent elles un pouvoir dictatorial ? Venues du fond des mers accélèrent-elles la catastrophe écologique qui est là ?
Le personnage du majordome du capitaliste tout puissant pose d’une façon intéressante le problème de la responsabilité individuelle. Il est fier de son patron et de son propre rôle même secondaire. 
Devenu spectateur du déclin de l’entreprise et du monde, il ne peut être que pathétique.

samedi 13 octobre 2018

Quand Dieu boxait en amateur. Guy Boley.

L’histoire d’un forgeron à la fois boxeur et artiste amateur m’a bouleversé par son écriture.
Le récit de la vie du père de l’auteur, admiré puis moqué, est aussi une réparation qui cherche ses mots pour regretter des méprises filiales qui lui ont fait plus mal que bien des coups sur le ring.
L’époque :
« Fin des années 60. Au mois de mai, en France, le monde basculait. On ne sait pas dans quoi, juste qu’il basculait. Jésus, le vrai, se mourait, dépecé dans le sarcasme des anars, des athées et des formules nietzschéennes. Pas rien que Jésus d’ailleurs, son père aussi. »
La boxe :
«  On ne perd pas de temps, quand on combat, on ne babille pas, on se dit l’essentiel en deux coups, trois crochets, on sculpte l’éphémère… »
Besançon :
«  Comme il habite et travaille près du dépôt des locomotives, on en entend une au lointain-comment dit-on déjà : mugir ?- et un panache de noire fumée à la verticale conjointement s’élève. »
« C'est un quartier populaire, d'ouvriers et de cheminots, on y aime la boxe, l'opérette, le musette accordéon, on n'y lit quasiment pas, la culture est une affaire d'élégants, d'oiseux, d'aristocrates. Car lire est dangereux, ça instille dans les cœurs des mondes inaccessibles qui ne portent au fond d'eux qu'envies et frustrations; ça rend très malheureux quand on est gens de peu, de savoir qu'il existe, dans un ailleurs fictif, des vies sans rides, ni balafres, où les rires, l'argent, la paix, l'amour poussent aussi joliment que du gazon anglais. »
Le dictionnaire est une source de bonheur, il écrit, et joue le Christ dans la Passion au moment de Pâques pour son ami d’enfance Pierrot qu’il appelle « monsieur abbé »:
«  L’église Saint martin des Chaprais est assez laide : il est préférable d’avoir la foi avant d’y entrer. L’architecte qui l’a conçue ne fut guère inspiré, l’ange qui guida son té a dû se prendre les plumes dans le ventilateur et se gaufrer sur la table à dessin… » 
176 pages pour fêter papa.

vendredi 12 octobre 2018

Pascal Ory à la librairie du Square.

A l’occasion de la sortie de son  « Entre deux-mai » ceux de 68 et de 81, sorti à chaud en 83 et augmenté d’une introduction nouvelle, le professeur émérite d’histoire par ailleurs régent du collège de pataphysique était à Grenoble.
Si ses écrits sont aussi  clairs et vifs que ses paroles, j’ai bien envie de les lire ainsi que quelques unes de ses publications récentes : « Ce que dit Charlie : Treize leçons d'histoire » et « Peuple souverain » concernant le populisme.
Le « quarantehuitard » estime que 68 a été un échec politique et une réussite culturelle, un dernier spasme du XIX° siècle avec ses barricades. Les collectivistes ont tourné individualistes.
La cinquième république se porte bien,  mais les institutions sociétales et culturelles ont bougé, quand pour parler de cuisine les mots de Foucault (Michel) collent bien et inversement, le Créateur peut s’appeler Gaultier (Jean Paul). La poésie est devenue chanson, le cirque qui dépendait du ministère de l’agriculture est passé à la culture. L’avant-garde était à l’avant scène - de théâtre - mais elle a levé le camp, les tendances progressistes des Trente glorieuses se sont inversées.
A la recherche de racines, le régionalisme a croisé de nouveaux nomades.
Le nouveau roman, la nouvelle philosophie, la nouvelle cuisine, la nouvelle vague annonçaient le début des retours, des rétros ; des traditions s’inventaient.
1975, année de Soljenitsyne et de la chute de Saigon ;
en 79 Aron et Sartre  viennent défendre les boat-people,
Jean-Paul II est élu en 78, Thatcher,
Reagan en 1979, Khomeiny accède au pouvoir.
La France qui est contre cyclique élit la Gauche en 81 et récemment un fervent européen au milieu des populistes.
Le BJP (parti du peuple indien) est le plus grand parti du monde, devant le Parti communiste chinois.
L’historien travaille sur le temps et lui qui aime faire se côtoyer Chantal Goya et Julien Gracq, Pif Gadget et Marguerite Duras, insiste pour distinguer les périodes et noter que la chute du mur a entraîné des changements très directs jusqu’en Ethiopie ; le 11 septembre 2001 est une date clef pour les américains qui dirait le contraire ?
Les évènements sont remis en valeur, avec scansions dans la durée, des bifurcations, des ruptures : « La Revue Blanche » bascule avec l’Affaire Dreyfus, Blum rompt avec  Barrès qu’il admirait.  
L’apparition de mots dans les dictionnaires est significative : anxiogène, le « ça », cafétéria, contraception, en 68, permissif et aoûtien en 73…
Nul n’est besoin d’être bouddhiste pour savoir l’impermanence des choses, ni DJ pour saisir la notion de génération, et comme avec les religions reconnaître notre besoin de célébrations, de commémorations ; de toutes façons la société a toujours raison.
…….
Dessins de Marianne et du Point :
 



jeudi 11 octobre 2018

Expositions à Bernin et La Tronche

Au Château de La Veyrie à Bernin sont exposés jusqu’au 27 octobre, des gravures d’ Ernest Pignon-Ernest, Niki de Saint-Phalle, César, Tapies, Morellet ...
Le cadre est remarquable, la vue dominant la vallée du Grésivaudan splendide, et la présentation des œuvres dans des pièces joliment délabrées est tout à fait originale.
L’extérieur de ce qu’il serait plus juste de nommer maison forte a été rénové, mais la tour ajoutée au XIX° siècle sur une construction initiale datant du XIII° me semble bien dégingandée.
Cette propriété a été aménagée avec tout le confort moderne par Keller à qui l’on doit aussi le pavillon portant son nom construit sur pilotis au dessus de la Romanche à Livet Gavet.
L’exposition sur deux étages, intitulée « Absence, ou la mémoire d’un lieu vacant » prend une dimension étonnante en nous confrontant à la notion d’œuvre d’art quand celle-ci voisine avec un lambeau de tapisserie remarquable, s’inscrit dans la brèche d’un mur ou s’harmonise parfaitement au carrelage d’une salle de bain.
Notre œil passe des œuvres encadrées à de charmants bouquets séchés, des tracés d’artistes, à des stigmates de squats récents, de mobiliers qui furent luxueux et des sols qui furent magnifiques à l’idée de rénovations nécessaires qui en effaceront le charme.
 


Tal Coat est au musée Hébert jusqu’au 29 octobre 2018.
Le beau musée de La Tronche nous avait fait connaître Trophémus avant que sa disparition lui vaille une plus grande notoriété. 
Cette fois c’est Tal Coat (1905-1985) qui est à l’honneur ; ses autoportraits marquent le temps qui passe. Ils se trouvent à l’étage du musée où sont exposées des œuvres d’Hébert lorsqu’il était pensionnaire à la Villa Médicis.
Dans les salles de « L’autre côté » de la rue pour désigner l’annexe, il s’agit des « années d’envol », les 20 dernières années de Pierre Jacob qui avait choisi «  Front de bois » comme nom traduit en breton pour éviter la confusion avec Max Jacob, le poète.
Un film aux beaux paysages permet d’aborder une œuvre  peu évidente au premier coup d'oeil.
Je jouerai volontiers avec le terme «  croûte » très péjoratif en peinture, alors qu'il peut se comprendre aussi comme cicatrice, surface où le temps a joué, recherche éternelle du peintre à traduire, pénétrer le réel.
« Se regarde comme un caillou ou un morceau de bois. »
Souvent monochromes, ses peintures grumeleuses en aplat, fouillent la terre, le sable, effleurent la roche.
Lorsqu’il accompagne des poètes, attentif à l’équilibre de la page, ses graphies prennent de l’élan.
«  En ces peintures nul commencement, nulle fin ; elles font corps avec l’atmosphère que nous respirons »  André du Bouchet