samedi 13 octobre 2018

Quand Dieu boxait en amateur. Guy Boley.

L’histoire d’un forgeron à la fois boxeur et artiste amateur m’a bouleversé par son écriture.
Le récit de la vie du père de l’auteur, admiré puis moqué, est aussi une réparation qui cherche ses mots pour regretter des méprises filiales qui lui ont fait plus mal que bien des coups sur le ring.
L’époque :
« Fin des années 60. Au mois de mai, en France, le monde basculait. On ne sait pas dans quoi, juste qu’il basculait. Jésus, le vrai, se mourait, dépecé dans le sarcasme des anars, des athées et des formules nietzschéennes. Pas rien que Jésus d’ailleurs, son père aussi. »
La boxe :
«  On ne perd pas de temps, quand on combat, on ne babille pas, on se dit l’essentiel en deux coups, trois crochets, on sculpte l’éphémère… »
Besançon :
«  Comme il habite et travaille près du dépôt des locomotives, on en entend une au lointain-comment dit-on déjà : mugir ?- et un panache de noire fumée à la verticale conjointement s’élève. »
« C'est un quartier populaire, d'ouvriers et de cheminots, on y aime la boxe, l'opérette, le musette accordéon, on n'y lit quasiment pas, la culture est une affaire d'élégants, d'oiseux, d'aristocrates. Car lire est dangereux, ça instille dans les cœurs des mondes inaccessibles qui ne portent au fond d'eux qu'envies et frustrations; ça rend très malheureux quand on est gens de peu, de savoir qu'il existe, dans un ailleurs fictif, des vies sans rides, ni balafres, où les rires, l'argent, la paix, l'amour poussent aussi joliment que du gazon anglais. »
Le dictionnaire est une source de bonheur, il écrit, et joue le Christ dans la Passion au moment de Pâques pour son ami d’enfance Pierrot qu’il appelle « monsieur abbé »:
«  L’église Saint martin des Chaprais est assez laide : il est préférable d’avoir la foi avant d’y entrer. L’architecte qui l’a conçue ne fut guère inspiré, l’ange qui guida son té a dû se prendre les plumes dans le ventilateur et se gaufrer sur la table à dessin… » 
176 pages pour fêter papa.

vendredi 12 octobre 2018

Pascal Ory à la librairie du Square.

A l’occasion de la sortie de son  « Entre deux-mai » ceux de 68 et de 81, sorti à chaud en 83 et augmenté d’une introduction nouvelle, le professeur émérite d’histoire par ailleurs régent du collège de pataphysique était à Grenoble.
Si ses écrits sont aussi  clairs et vifs que ses paroles, j’ai bien envie de les lire ainsi que quelques unes de ses publications récentes : « Ce que dit Charlie : Treize leçons d'histoire » et « Peuple souverain » concernant le populisme.
Le « quarantehuitard » estime que 68 a été un échec politique et une réussite culturelle, un dernier spasme du XIX° siècle avec ses barricades. Les collectivistes ont tourné individualistes.
La cinquième république se porte bien,  mais les institutions sociétales et culturelles ont bougé, quand pour parler de cuisine les mots de Foucault (Michel) collent bien et inversement, le Créateur peut s’appeler Gaultier (Jean Paul). La poésie est devenue chanson, le cirque qui dépendait du ministère de l’agriculture est passé à la culture. L’avant-garde était à l’avant scène - de théâtre - mais elle a levé le camp, les tendances progressistes des Trente glorieuses se sont inversées.
A la recherche de racines, le régionalisme a croisé de nouveaux nomades.
Le nouveau roman, la nouvelle philosophie, la nouvelle cuisine, la nouvelle vague annonçaient le début des retours, des rétros ; des traditions s’inventaient.
1975, année de Soljenitsyne et de la chute de Saigon ;
en 79 Aron et Sartre  viennent défendre les boat-people,
Jean-Paul II est élu en 78, Thatcher,
Reagan en 1979, Khomeiny accède au pouvoir.
La France qui est contre cyclique élit la Gauche en 81 et récemment un fervent européen au milieu des populistes.
Le BJP (parti du peuple indien) est le plus grand parti du monde, devant le Parti communiste chinois.
L’historien travaille sur le temps et lui qui aime faire se côtoyer Chantal Goya et Julien Gracq, Pif Gadget et Marguerite Duras, insiste pour distinguer les périodes et noter que la chute du mur a entraîné des changements très directs jusqu’en Ethiopie ; le 11 septembre 2001 est une date clef pour les américains qui dirait le contraire ?
Les évènements sont remis en valeur, avec scansions dans la durée, des bifurcations, des ruptures : « La Revue Blanche » bascule avec l’Affaire Dreyfus, Blum rompt avec  Barrès qu’il admirait.  
L’apparition de mots dans les dictionnaires est significative : anxiogène, le « ça », cafétéria, contraception, en 68, permissif et aoûtien en 73…
Nul n’est besoin d’être bouddhiste pour savoir l’impermanence des choses, ni DJ pour saisir la notion de génération, et comme avec les religions reconnaître notre besoin de célébrations, de commémorations ; de toutes façons la société a toujours raison.
…….
Dessins de Marianne et du Point :
 



jeudi 11 octobre 2018

Expositions à Bernin et La Tronche

Au Château de La Veyrie à Bernin sont exposés jusqu’au 27 octobre, des gravures d’ Ernest Pignon-Ernest, Niki de Saint-Phalle, César, Tapies, Morellet ...
Le cadre est remarquable, la vue dominant la vallée du Grésivaudan splendide, et la présentation des œuvres dans des pièces joliment délabrées est tout à fait originale.
L’extérieur de ce qu’il serait plus juste de nommer maison forte a été rénové, mais la tour ajoutée au XIX° siècle sur une construction initiale datant du XIII° me semble bien dégingandée.
Cette propriété a été aménagée avec tout le confort moderne par Keller à qui l’on doit aussi le pavillon portant son nom construit sur pilotis au dessus de la Romanche à Livet Gavet.
L’exposition sur deux étages, intitulée « Absence, ou la mémoire d’un lieu vacant » prend une dimension étonnante en nous confrontant à la notion d’œuvre d’art quand celle-ci voisine avec un lambeau de tapisserie remarquable, s’inscrit dans la brèche d’un mur ou s’harmonise parfaitement au carrelage d’une salle de bain.
Notre œil passe des œuvres encadrées à de charmants bouquets séchés, des tracés d’artistes, à des stigmates de squats récents, de mobiliers qui furent luxueux et des sols qui furent magnifiques à l’idée de rénovations nécessaires qui en effaceront le charme.
 


Tal Coat est au musée Hébert jusqu’au 29 octobre 2018.
Le beau musée de La Tronche nous avait fait connaître Trophémus avant que sa disparition lui vaille une plus grande notoriété. 
Cette fois c’est Tal Coat (1905-1985) qui est à l’honneur ; ses autoportraits marquent le temps qui passe. Ils se trouvent à l’étage du musée où sont exposées des œuvres d’Hébert lorsqu’il était pensionnaire à la Villa Médicis.
Dans les salles de « L’autre côté » de la rue pour désigner l’annexe, il s’agit des « années d’envol », les 20 dernières années de Pierre Jacob qui avait choisi «  Front de bois » comme nom traduit en breton pour éviter la confusion avec Max Jacob, le poète.
Un film aux beaux paysages permet d’aborder une œuvre  peu évidente au premier coup d'oeil.
Je jouerai volontiers avec le terme «  croûte » très péjoratif en peinture, alors qu'il peut se comprendre aussi comme cicatrice, surface où le temps a joué, recherche éternelle du peintre à traduire, pénétrer le réel.
« Se regarde comme un caillou ou un morceau de bois. »
Souvent monochromes, ses peintures grumeleuses en aplat, fouillent la terre, le sable, effleurent la roche.
Lorsqu’il accompagne des poètes, attentif à l’équilibre de la page, ses graphies prennent de l’élan.
«  En ces peintures nul commencement, nulle fin ; elles font corps avec l’atmosphère que nous respirons »  André du Bouchet

mercredi 10 octobre 2018

Retour à Nancy.

Nous reprenons nos marques autour de la place Stanislas et les parcs alentours dans la ville dont nous n’avions pas épuisé tous les charmes l’an dernier.
C’est l’époque des mirabelles qui viennent jusque dans nos assiettes accompagner agréablement des filets de pintade dégustées au restaurant «  Les tartes et les plats de Stanislas » , adresse du" Routard" dont les indications à des prix raisonnables deviennent de plus en plus rares :
Le lendemain, nous trouvons près de la belle piscine construite en 1913, le musée de l’école de Nancy bien ouvert, cette fois.
La propriété de style "art nouveau", comme il se doit, appartenait  au mécène Eugène Corbin dont nous profitons des collections.
La profusion des meubles les fait apparaître parfois trop chargés alors que la virtuosité, l’inventivité sont manifestes pour chaque pièce.

Sur deux étages les lampes, les lustres aux inspirations florales nous enchantent.
Les volutes enlacent vitraux, vases, étagères, meubles à ouvrage, chaises et fauteuils, pianos, lits et tout un pan de mur en céramique.
Le style chinois transparaît.
Les marqueteries sont  magnifiques et le travail du bronze admirable. 
Depuis les plafonds jusqu’aux bijoux, les cuirs, les textiles, épousent les courbes caractéristiques des disciples de Gallé.
Dans le parc qui semble avoir souffert de la chaleur s'élève un édifice qui avait abrité un aquarium.
Plus loin a été transporté un tombeau en hommage à la femme d’un critique d’art .
Cette présence nous suggère d’aller faire un tour au cimetière pour voir d’autres exemples d’architecture funéraire, mais nous ne prendrons pas le temps, bien que ce type de visite puisse nous renseigner sur les particularités d’un pays.
Retour à  la brasserie l’Excelsior : huîtres, suprême de volailles, « parfait » et à la confiserie voisine pour les bergamotes, bonbons parfumés aux huiles essentielles des bergamotiers de Calabre.
La villa de Majorelle étant toujours en réfection comme le Musée Lorrain, nous ne pouvons visiter que l’église des Cordeliers qui présente les tombeaux des Ducs de Lorraine.
Sous une coupole magnifique aux caissons décorés de bustes d’anges, nous trouvons des correspondances avec le tombeau des Médicis, en plus sobre.
Des scènes sculptées sont attendrissantes, tel le retour d’un croisé.
C’est là que fut célébré le mariage d’Otto de Habsbourg-Lorraine et Régina de Saxe-Meiningen en 1951. Non que « Point de vue, image du monde » ait supplanté « Marianne » dans ma corbeille à magazines, mais pour souligner la proximité de l’Allemagne.
Les bateaux de nos compatriotes européens viennent s’amarrer dans le charmant port de plaisance Sainte Catherine situé à deux pas du centre-ville où s’érigent des immeubles neufs.
La promenade sur les quais dans ce quartier en rénovation, très agréable, nous mène jusqu’à un hôpital construit au dessus du canal de la Meurthe.
Après une visite de la Cathédrale Notre Dame de la Conception où débute un office avec encensoir et aubes blanches, nous faisons un dernier tour au parc Charles III,  vers l’ancienne université populaire, la graineterie, avant une salade au Vaudémont.

mardi 9 octobre 2018

L’Odyssée d’Hakim. Fabien Toulmé.

Avec la même fraîcheur de trait que Delisle dans ses récits en des pays revêches, ce premier tome de 268 pages, retraçant l’itinéraire d’un jeune syrien s’éloignant de son pays devenu invivable, est passionnant.
Le dessinateur se met en scène, pour rendre encore plus proche cette histoire vraie.
Quelque humour au milieu de l'inacceptable permet de regarder en face les horreurs d’une guerre civile et ses causes.   
« ll n'y a pas beaucoup d'avantages à être un réfugié, mais s'il y en a bien un, c'est qu'on n'a pas grand chose à déménager ».
Passant par le Liban, la Jordanie, la Turquie, le jeune homme qui travaillait dans une pépinière, fait preuve d’un esprit d’entreprise, d’une vitalité qui forcent le respect.
Les rappels pédagogiques concernant l’emprise des Alaouites à travers une histoire de gosses est d’une grande efficacité. La montée de la terreur atténuée par une grande solidarité familiale est palpable. La peur qui surgit est toujours une surprise. Il a tout perdu, mais se relève, sans poser au héros ni gémir sur sa condition.
La vie continue: Hakim rencontre sa future femme, qui revendra son bracelet de mariage en attendant la grande fête qu’ils feront au retour. Le cousin faignasson est bien lourd, mais sa situation familière nous repose des scènes pas moins horribles que l’absurdité de vies appliquées à la destruction de l’humanité. 
Un autre album contant la suite du périple est attendu, puisque c’est à Aix en Provence où Hakim s’est réfugié que le dessinateur vient à la rencontre d'Hakim.

lundi 8 octobre 2018

Cris the Swiss. Anja Kofmel.

Un journaliste est mort en Croatie en 72. Sa cousine cherche à retrouver les circonstances de cette disparition sans que la déploration ne submerge la recherche d’une vérité difficile.
A travers ce destin individuel, reviennent à la surface bien des aspects d’un conflit où l’institution européenne s’est montrée défaillante. Dans la Croatie vue par certains comme dernier parapet de la chrétienté, des journalistes sont sortis de leur rôle quand des héros à tristes figures estimaient que l’égorgement était plus sûr que l’étranglement.
Des images d’autobus mitraillés qui ressemblent tellement aux nôtres alternent avec des dessins animés, le cauchemar ne se distingue pas des noires réalités, l’intime croise l’universel. 
Au bout de cette enquête les réponses ne sont pas assurées ; les chemins qui y mènent, tortueux, piégés, nous ont instruits et remis en tête des épisodes trop vite oubliés.

dimanche 7 octobre 2018

Le siffleur. Fred Radix.

A l’Hexagone de Meylan pas de place pour le moindre sifflet désapprobateur à l’issue d’une heure et demie de poésie, d’humour, de pédagogie, de musique.
Du temps où les peintres sifflaient en haut de l’escabeau, les manifestations de joie étaient primesautières, la désinvolture harmonieuse, les douches musiciennes, l’admiration évidente, les merles étaient moqueurs et les oiseaux dans la charmille.
Accompagné d’un quatuor à cordes excellent, le conférencier vêtu bien entendu d'une queue-de-pie est un virtuose qui doit boire de temps en temps, de l’eau, car il ne saurait à la fois « siffler l’apéro et l’opéra ».
Il n’abuse pas de cet humour, usant de l’autodérision dans un spectacle parfaitement dosé, parfois baroque et pince sans rire, nous étonnant avec des airs pourtant connus, jouant habilement avec un public qu’il n’a pas besoin de solliciter par des procédés trop faciles. Il saura faire accompagner par la salle « Le Beau Danube Bleu » de Strauss sur deux notes.
Mozart est à l’honneur et Schubert, Bizet et Morricone, le cinquième Beatles,  une fauvette, et les sept nains revenant du boulot, le gendarme de Saint Tropez y allant, en passant inévitablement par « Le pont de la rivière Kwaï » ... «  Singing in the rain » magnifiquement dansé, chanté et sifflé ne nous lâche plus d’un moment.