samedi 30 juin 2018

Eloge des coiffeurs. Vincent Duluc.

Peu importe le mot « coiffeur » qui attire l’œil, quand il s’agit de traiter en 173 pages de l’utilité des remplaçants en équipe de France à travers les âges, où avec un ballon rond se lit le monde et le temps qui a passé, comme dans une boule de cristal.
Cette fois le suiveur des bleus pour « L’Equipe » écrit plutôt comme un journaliste, alors que c’était en écrivain qu’il livrait ses émotions de jeunesse dans un ouvrage précédent 
De la même façon que les élèves en difficulté ont pu révéler des caractéristiques ou des failles dans le système éducatif, ceux-ci ont appelé à développer des pédagogies adaptées. Les « en marge » ne sont pas forcément sur la photo,  mais peuvent être des révélateurs, voire se montrer décisifs.
Entre les 16 joueurs embarqués pendant deux semaines en transatlantique de Villefranche-sur-Mer à Montevideo en 1930, alors qu’il n’y avait pas de remplacement autorisé pendant les matches, et la gestion d’ego de milliardaires à l’heure du coaching, que d’anecdotes !
En 1938, Raoul Diagne, futur ministre du Sénégal, premier joueur noir en équipe de France, avait le droit de fumer une cigarette à la mi-temps.
En 1982,Tigana était allé chercher une bougie en cuisine qu’il avait plantée dans son riz au lait :
« Bon anniversaire à toi aussi mon Jeannot »,
car le staff avait oublié de lui souhaiter son anniversaire quelques jours après celui de Platini, dignement fêté.
Mahut avait veillé Battiston dans la nuit de Séville (82), et c’est à Vincent Candela que l’on doit la chanson de l’été 98 qui ne nous lâchera plus : « I will survive » de Gloria Gaynor.
Platini se souvient d’Hidalgo, l’humaniste qui avait commencé sa causerie d’avant match en évoquant les petites mains qui avaient brodé les coqs sur les maillots.
A l’heure de la transparence,  et des caméras dans les douches, des films révèlent et cachent : le mélancolique « Substitute » par Vikash Dhorasoo (2006) et « Les yeux dans les bleus » (1998) :
« Stéphane Meunier racontait l’histoire d’une béatification, et celle-ci avait besoin d’un évangile à la hauteur de la démarche. Son film au moins rendait grâce à tous, même aux apôtres les moins exposés. »
Entre deux rencontres, les joueurs pêchent à la ligne en 58 en Suède, jouent à la pétanque, se retrouvent  parfois en boîte de nuit, ou casques sur les oreilles descendent du bus à Knysna en 2010.
Les Nasri, Anelka, souvent problématiques dans les groupes, avaient eu de fâcheux prédécesseurs quand pour un surcroît de prime, certains avaient passé les trois bandes au cirage en 78 en Argentine.
Du temps de l’équipe de Nantes dominatrice, chaque sélectionné avait reçu à Buckingham deux verres en cristal où était gravé : « World cup 66 ».
En juin 2018 on a beaucoup parlé de la coupe à Neymar, de laquelle s’agira-t-il en juillet ?

vendredi 29 juin 2018

Le Postillon. N°46 Eté 2018.

Le trimestriel sarcastique revient à ses fondamentaux, plus en forme que lors de sa dernière livraison  http://blog-de-guy.blogspot.com/2018/03/le-postillon-fevrier-mars-2018.html,
mais il n’y aurait pas de bon, s’il n’y avait pas de moins bon, n’est ce pas ?
Le témoignage d’un gardien de la paix est courageux, dénonçant des pratiques malhonnêtes à l’intérieur de la police avec une gestion des indics douteuse lors du cambriolage de la bijouterie Delatour à Saint Egrève, ou au moment du braquage du casino d’Uriage avec les émeutes qui s’en suivirent à la Villeneuve, et une affaire de « go fast ».
Les conditions de travail d’un infirmier sont habilement présentées lors d’une soirée avec un groupe de jeunes ingénieurs qui s’expriment en « kilos €uros » pour parler salaire, mais trouvent  tellement « beau » le métier d’urgentiste qui avec précautions pour ne pas casser l’ambiance décrit son quotidien harassant, tout en sachant sa grandeur. 
Un guichetier de la poste rencontre des clients munis de leur portable, qui le considèrent comme une machine de plus qui ne serait pas tombée, elle, en panne.
Il lui est arrivé de répondre par exemple à une personne qui demande combien il reste sur son compte :
"- 73 centimes.
- Alors je les prends."
Le reportage  à partir des bars d’Autrans est intéressant qui permet de ne pas confondre les « autrandouilles » et les « miaulants » de Méaudre qui viennent de fusionner. A la place de l’OCCAG centre de vacances aujourd’hui abandonné, s’installerait un centre de cuisine française pour étudiantes chinoises.
La sommité qui passe cette fois à la moulinette est Antonio Placer qui aurait mis le Théâtre de Sainte Marie d’en Bas « au plus bas ». Mais face à de fortes personnalités, les collaborateurs s’épuisent décidément bien vite, le « burn out » devient banal.
Si j’ai révisé avec ces reportages quelques éclairages classiques de classe ( sociale), je persiste avec mes désaccords concernant leur obsession contre les compteurs Linky, leur indulgence avec les casseurs de facs, ou leur caricaturale position vis à vis des pharmaciens essentialisés, tous dotés de piscines.
Sinon la routine : Les tuiles de Piolle, Vallini en défenseur récent de la cause animale, et une victoire syndicale à la gare de Grenoble : chez l’entreprise chargée du nettoyage.        

jeudi 28 juin 2018

Vie de David Hockney. Catherine Cusset.

Le titre sec et net ne nous fait pas l’article et annonce la couleur : biographie romancée en accord avec son sujet concernant le peintre figuratif à l’inventivité toujours renouvelée.
En dernière page retraçant la carrière fulgurante de l’octogénaire :
« La vie n'était pas une route droite avec une perspective linéaire. Sinueuse, elle s'arrêtait, repartait, retournait en arrière puis bondissait en avant. Le hasard, la tragédie faisaient partie du grand dessein. Le grand dessein et le dessin, n'était-ce pas la même chose ? La capacité à percevoir de l'ordre dans le chaos du monde. C'était cela qui attirait David dans l'art, cela qu'il aimait tant chez ses peintre préférés, Pierro della Francesca ou Claude le Lorrain: l'équilibre complexe de couleurs et d'éléments opposés, la place de l'homme dans l'espace, le sentiment qu'il n'était qu'une petite partie d'un tout. L'artiste était le prêtre de l'Univers. »
Ces 181 pages nerveuses donnent envie de voir et revoir toiles, gravures, décors, photographies, dessins sur IPad, fusain et aquarelles… de l’encore vert anglais, nous aspergeant de bleu piscine
«  La nature et l’artifice n’étaient donc pas opposés, pas plus que la figure et l’abstraction, la poésie et les graffitis, la citation et l’originalité, le jeu et la réalité. On pouvait tout combiner. La vie comme la peinture, était une scène sur laquelle on jouait. »
L’artiste très tôt reconnu, passe de l’Angleterre aux Etats-Unis.
«  Il n’avait pas peur de dire ce qu’il pensait et de lancer une bombe dans le milieu des critiques. L’art appartenait aux artistes pas aux théoriciens. Après tout il avait toujours avancé à contre-courant »
L’homosexuel flamboyant a traversé les tragiques années SIDA.
« La vie vous faisait encore des cadeaux à quarante cinq ans. Il suffisait de garder l’esprit ludique et d’oser ; oser hurler de plaisir et de peur, oser dire qu’on aimait DisneyLand, oser manger des barbes à papa, oser suivre son envie du moment, oser détruire son travail, oser essayer quelque chose de nouveau, jouer, faire tout ce que les adultes ne s’autorisaient pas.»
Ce récit d’une vie pleine de péripéties, de fulgurances, de fidélités, de trahisons, comporte quelques réflexions profondes concernant la peinture, loin de toute solennité tant l’écriture est vive, enjouée.
«  … la peinture était l’art le plus puissant, le plus réel, parce qu’elle contenait la mémoire, les émotions, la subjectivité, le temps, la vie. »
Il a toujours peint ce qu’il estimait important pour lui.
« Je peins ce que je veux, quand je veux, où je veux. »
Une belle découverte d’une auteure que je ne manquerai pas de retrouver.


mercredi 27 juin 2018

La tête qui tourne et la parole qui s’en va. Béatrice Gurrey.

Le titre est une des phrases de la mère d’une rédactrice du « Monde » qu’elle a relevée parmi d’autres parfois colorées artificiellement de poésie, au cours du récit du cheminement de sa maladie d’Alzheimer.
L’auteur est en train d’écrire un livre sur Jacques Chirac, atteint par une maladie dégénérative du cerveau, alors qu’elle se rend compte que ses deux parents sont touchés simultanément comme un million de personnes en France.
Dans la même veine que « Des phrases courtes ma chérie » de Pierrette Fleutiaux, l’écriture aide à surmonter, partager, vivre.
La famille est unie, elle a les moyens, le savoir et pourtant se retrouve démunie, bête, face à une fin de vie troublante. Nous pouvons avoir connu intimement le déni et la sidération, avec les caractères dont les traits s’accentuent jusqu’à la caricature, la violence et la gratitude.
Et constater le fonctionnement problématique voire scandaleux de certaines EHPAD,  et le dévouement, l’humanité des personnels, pas tous.
La journaliste s’autorise les clichés de tout un chacun : « les parents deviennent nos enfants », mais enregistre avec finesse des signes qui donnent du sens à l’existence :
« Elle fouille, elle ouvre tout, comme dévorée de curiosité, les tiroirs, les sacs de patates, les tubes de crème. Elle aime par dessus tout saisir des sacs en papier qui servent à allumer le feu, près de la cheminée, et les défroisser soigneusement. Je ne peux m’empêcher d’imaginer qu’elle tente d’aplanir le chaos qui est en elle et de mettre de l’ordre, elle qui tenait si bien sa maison. »

mardi 26 juin 2018

Rimbaud l’indésirable. Xavier Coste.

Il fut un temps, lointain, où les relations homosexuelles de Rimbaud et Verlaine étaient tues et la fin de vie de l’auteur d’ « Une saison en enfer » vite évacuée par nos profs.
Avec ces 120 pages, le conformisme est parti excessivement à l’opposé et le génie poétique disparaît derrière le sale gosse, pourtant :   

« Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots ! »

Tout est dit. Rien que quelques lignes où chaque mot est un cadeau ou la scansion vous soulève, valent bien plus que des vignettes de beuveries, de grossièretés, de fausses audaces et d’une déclinaison figée des mines inexpressives de l’icône romantique qu’il n’était surtout pas, dupliquée à souhait.
Les anecdotes biographiques scient les barreaux qui pourraient nous élever au dessus de la tourbe. J’ai trop vanté la BD comme moyen adapté pour traduire bien des aspects de la connaissance, mais pour ce qui est de la poésie, sur ce coup, il vaut mieux s’en tenir aux textes originaux.
Pourquoi ne pas confier à des dessinateurs des illustrations de poèmes comme en composent les écoliers dans leurs cahiers de récitations, plutôt que quelques cartes postales anonymes où Charleville est en gris et Aden en jaune ?

lundi 25 juin 2018

Napalm. Claude Lanzman.

Si le titre évoque surtout la guerre du Vietnam, dans ce film d’une heure quarante, il est question de la Corée du nord où le réalisateur de « Shoah » revient pour la troisième fois.
Il en est resté à ses premiers choix politiques quand le martyr subi par la Corée lui faisait accepter, voire chérir les pires règles staliniennes. Le récit de son histoire d’amour avec une infirmière, conté dans les plus infimes détails, prend tout son temps. Prend trop son temps : alors le narcissisme du personnage devient envahissant, venant après les images autorisées mais sans intérêt de la République Populaire et Démocratique, en ses statues monumentales, ses alignements de chars pris à l’ennemi et ses avions écrasés. De sidérantes indulgences envers le régime le plus autoritaire de la planète paraissent irrémédiablement datées, figées, comme ce très bref épisode amoureux qui mettait en danger la belle. 
Bien des œuvres plus honorables s’estompent de nos mémoires, mais ce témoignage affligeant de la déchéance d’un intellectuel de renom persiste.

dimanche 24 juin 2018

Le porteur d’histoires. Alexis Michalik

Le titre de « Meilleur auteur et meilleure mise en scène aux Molières 2014 » laisse soupçonner le niveau des autres concurrents. Comme chez les artisans qui contestaient l’amoindrissement des exigences pour l’obtention des diplômes de Meilleur Ouvrier de France, si un tel spectacle, loin d’être indigne, obtient de telles récompenses, c’est que le niveau n’est pas très haut.
Je n’en profite pas pour parler du brevet ou du bac.
Il est question des glissements de la fiction vers la réalité, ce qui n’est pas vraiment nouveau surtout quand le meneur de jeu vous l’explique d’une façon un peu insistante, ainsi qu'il rappelait d’emblée que l’on enseignait aux petits algériens leurs ancêtres les gaulois ; leur dit-on aujourd’hui qu’ils étaient arabes ou pas ?
Eugène (Delacroix) est dans le paysage et Alexandre Dumas au centre de l’inventivité feuilletonesque, Marie Antoinette fait une apparition.
Nous passons d’un hôtel au bord du désert à un cimetière dans les Ardennes avec dans le décor des livres figurant toujours comme des trésors.
L’imbrication des histoires est plutôt judicieuse mais il eut mieux valu s’inspirer de la finesse et de la profondeur des pages évoquées plutôt que de les enterrer même métaphoriquement.
Le spectacle aurait pu convenir dans le festival des arts du récit où parfois un seul conteur peut nous embarquer plus efficacement vers les légendes qu’une ribambelle d’acteurs attirant l’attention sur leur capacité à enchaîner différents rôles, au détriment du récit.