jeudi 7 juin 2018

Pourquoi s’intéresser à l’art contemporain ? Gilbert Croué.

Le catalogue des amis du musée de Grenoble avait proposé une photographie de Koto Bolofo pour inviter à une conférence au cœur des préoccupations des amateurs d’art qui savent bien que les artistes parlent du monde dans lequel on vit, et permettent de mieux le comprendre.
L’art classique a fini son temps en 1863 avec Manet, et l’art moderne, impressionnistes, cubistes et autres abstraits, a occupé la première moitié du XX° siècle. L’art contemporain s’entend depuis les années 70, à la suite de la génération d’après guerre : pop art, land art, minimalisme, hyperréalisme, art cinétique, nouveaux réalistes, néo impressionnistes…
Le monde change, bien que des politiques se référent sempiternellement à De Gaulle ou Jaurès, mais Malraux reste le meilleur :
« l’artiste avant d’être un créateur est un héritier ».
Un tour d’horizon de la production mondiale, allait de soi pour ouvrir les appétits, à travers une variété infinie de matériaux, de techniques, de talents qui n’ignorent pas un marché de l’art resté, lui, indifférent à la crise de 2008. De la France à Hong Kong, du crayon aux néons.
Les Merdes d’artistes étant hors du jeu et hors de prix (20 000 €).
S’il n’y pas d’explication pour L’Autel du Lycée de Chases par Christian Boltanski, ces boîtes et photos floues peuvent susciter des contresens, voire l’hostilité. Dans cette installation éclairée par la lumière de la mémoire, l’artiste a condensé des signes du souvenir d’élèves juives déportées, avec ces urnes en fer blanc renfermant des souvenirs dérisoires de vies enfuies.
James Turrell a fait œuvre avec de l’impalpable et ses recherches ont inspiré des applications dans notre quotidien, End around. 
L’homme sauvage, de Ron Mueck, dans la tradition de la nudité en sculpture, tout en fibre de verre et tellement vériste, n’a pas fini d’être terrorisé par notre monde urbain.
Manolo Valdès nous fait entendre des échos de Vélasquez, Dama al cabalo
et Freddy Fabris avec une Série renaissance amène le sourire
comme le Piano Dentelle  de la portugaise Joana Vasconcelos  qui a étendu le domaine des « ouvrages de dames » se faisant aider par des femmes de son village.
Pas de problème de référence culturelle sophistiquée pour Jeff Koons, Ballon dog : 60 millions $.
Il a industrialisé l’art et emploie 120 personnes, dont beaucoup de juristes à New York, la ville aux 5000 galeries, où il est difficile de garder le haut de l’affiche tant est vite jeté ce qui a été adoré.
Marlène Dumas, l’afrikaner, n’a pas besoin de grands moyens, mais ses portraits virtuoses ont une grande efficacité, tels ces Black drowwings, ou dans une autre oeuvre à punaiser, un soldat qui dit :  
«  lorsque j’ai tué deux hommes à la guerre on m’a décoré, j’ai aimé un homme on m’a chassé de l’armée ».
Les calligraphies de  l’Iranienne Shirin Neshat, creusent les rides et les blessures : Careless.
Tammam Azzam, le Syrien, donne l’occasion au conférencier, avec l’évocation en infographie du Très de mayo sur fond de ruines contemporaines, de rappeler le vol de 1000 œuvres d’art par le maréchal Soult à Séville, dans la suite de Napoléon qui avait emprunté 75 000 objets à Venise.
Alexandre Kosolapov, détourne les références dans Hero, Leader and God où Lénine marche en compagnie de Mickey et Jésus.
Les artistes chinois sont cotés dans un pays qui dispute la première place du marché de l’art aux Etats-Unis. Lui Bolin passe inaperçu lors de ses performances bien Caché dans la ville.
Yue Minjun multiplie les rictus, Exécution. Plus de 5000 exécutions ont eu lieu en Chine, autant que dans le reste du monde.
Ikenega Yasunari modernise l’art des estampes
et Subodh Gupta travaille les images de la société indienne.
El Anatsui, ghanéen résidant au Nigeria, récupère des métaux dans les décharges et en fait de l’or, ses draperies sont spectaculaires,
comme les portraits de Vik Muniz le brésilien qui travaille aussi en coopérative.
Omar Victor Diop crée robe et décor prolongeant une  dynamique tradition photographique malienne.
Banksy le plus célèbre des artistes du street art a représenté Steve Jobs à Calais. Le génie fondateur d’Apple, d’origine syrienne, a changé le monde.
L’informatique est comme les murs des villes, un champ immense pour les créateurs. Erik Johansson recrée le monde et nous invite à suivre notre route.
Les paysages de synthèse  de Yannick Dusseault en 3D ont été vus par 400 millions de spectateurs dans la série Star Wars, un peu plus qu’un Florentin même talentueux pendant la Renaissance.
Avec de simples craies, la pastelliste, Zaria Forman insiste sur le réchauffement climatique, la fragilité de la planète; elle a été en couverture du rapport de la COP 21.
Avec des crayons et un peu d’encre Fabien Mérelle se met en scène, Sur un arbre perché. Il explore les chemins du possible, toujours ouverts, depuis qu’avec du charbon de bois sur quelques parois, nos ancêtres ont cherché, se sont trompés, se sont étonnés, ont élargi leur champ de vision.





mercredi 6 juin 2018

Schnock. n°25.

Je ne pouvais ignorer le numéro consacré à Renaud, ayant fait l’impasse sur celui qui est consacré à Sardou, dont il dit pourtant : «  Ce qui m’énervait à l’époque où il chantait  des chansons qui ne me convenaient pas, c’est qu’il les chantait bien, que c’était merveilleusement écrit ». Tout n’est pas aussi apaisé avec le rappel d’un échange de lettres assassines en 79 avec Gérard Lebovici, sulfureux agent de stars.
Mais la lettre où il accepte de faire la une de «  la revue des vieux de 27 à 87 ans »
est apaisée, lui qui fut adolescent si longtemps. 
Sans ignorer ses dépressions, nous restons dans l’hommage :
- Témoignages de son jumeau David, de ses musiciens, de Valérie Lagrange.
- Abécédaire avec Brassens, Choron, Coluche, Lux (Guy), Dard (Frédéric), Springsteen ( Bruce)…
- Entretien datant de 2002,
- Discographie : la pêche à la ligne date de 85 !
- Compilation bienvenue de ses observations du quotidien :
«  Je suis un peu le scaphandrier de l’aquarium, sur la cheminée
Je suis un peu le poisson rouge
Et c’est chouette
Je cherche un trésor planqué
L’amour et la liberté
Sous les cailloux bariolés
De la planète » 
Et toujours des rubriques amusantes :
- « Bien entendu c’est « on » »: les vacheries des célébrités les uns à propos des autres. 
- Un reportage original lors d’un voyage en Chine avec Simone Veil.
- Le Top 15 des conserves : saucisses aux lentilles de chez William Saurin et gratin dauphinois de Système U…
- La guerre des éditeurs : Losfeld contre Pauvert, Emmanuelle et Histoire d’O.
- Scalextric : circuits de voitures électriques miniatures.
- Sydney : « achipé, achopé », le Hip Hop du milieu des années 80.
- Le disco et la langue française : « voulez vous coucher avec moi ce soir » «  La viiie en rwoooz » ! 
- Un cinéaste : Claude de Givray, un écrivain : Frédéric Berthet, un disque : Madame de Barbara, un film : « On n’enterre pas le dimanche », un produit miracle : le Fernet Branca, une photo : John Wayne par Depardon.
Tatatssin !

mardi 5 juin 2018

Agrippine et l’ancêtre. Claire Bretécher.

Quel plaisir de retrouver la reine de l’inventivité langagière et de l’observation de ses contemporains dans cet album de 1988
où se retrouvent quatre générations de femmes !
L’arrière grand-mère en maison de retraite compte en anciens francs pour éviter de soudoyer son arrière petite fille lors de son anniversaire, celle-ci est tellement fascinée par l’ancêtre qu’elle en arrive à s’occuper du lave-vaisselle familial, voire adresser un bisou à son petit frère, Biron.
La mère d’Agrippine doit rester imperturbable vis-à-vis de sa propre mère vouée à son vélo d’appartement avec sa progéniture imprévisible, peu aidée par un mari mutique.
Les postures sont aussi bien saisies que les dialogues et avec le recul la réalité a rejoint la fiction qui aurait pu paraître caricaturale, faisant de la complice de Gotlib, http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/05/rubrique-brac-tome-5-gotlib.html /  une visionnaire.
La mamie se fait livrer un ordinateur avec un animal en hologramme dont la compagnie est envahissante. Le rire est garanti à les tous degrés avec de surcroît de la tendresse et une lucidité tonifiante.

lundi 4 juin 2018

Une année polaire. Samuel Collardey.

Dans un documentaire arrangé, comment un instit’ danois nouvellement nommé au Groenland dans un village de 80 habitants va s’acclimater.
Des prises de vues grandioses amènent à voir ce film de télévision, au scénario sans surprise, de préférence en salle. La première image des étendues glacées veinées de fjords comme les circonvolutions d’un cerveau exalte d’emblée la beauté du monde.
La violence des enfants insultant dès son arrivée le jeune qui avait choisi la plus extrême des contrées interroge la bonne volonté du débutant. Ses conditions de vie sont rudes et le choc des cultures piquant.
Tout apprentissage profane les traditions et les extases des critiques parisiens, à propos des délices de la chasse expliqués par les grands pères me semblent bien conventionnels. Ils ont oublié leurs émois envers les bébés phoques.
Les questions du conflit entre modernité et tradition sont passionnantes mais risquent de devenir assez théoriques. La chasse à l’ourse blanche, épargnée car elle a des petits, avec traîneaux tirés par des chiens, est photogénique. Gardons les images pour nos petits enfants qui ne connaîtront pas d’animaux habitant des terres sauvages, même si je crains que la sauvagerie des hommes ne leur soit épargnée. La banquise fond, il vaut mieux voir les baleines souffler avec un seul canot à proximité au cinéma plutôt que depuis quelques bateaux climatisés au pied de falaises bleues.
Le cinéaste avait déjà abordé le sujet de la transmission avec « L’apprenti » http://blog-de-guy.blogspot.com/2008/12/lapprenti.html  en plus énergique.
Les choix de l’auteur qui s’était coltiné aussi le problème des footballeurs africains http://blog-de-guy.blogspot.com/2013/02/comme-un-lion-samuel-collardey.html , sont intéressants mais sur ce coup, il semble s’être laissé engourdir.   

dimanche 3 juin 2018

Ce qui demeure. Elise Chatauret.

Spectacle d’1 heure 10, modeste, délicat, pudique. Il concerne la mémoire, mais sans le désarroi voire la douleur qui sont appelés souvent par ce thème.
« J’ai vécu presque un siècle. Entre le moment de mon enfance et aujourd’hui, c’est une période de bouleversement total et d’évolution incroyable… C’est un autre monde… »
Cette phrase extraite d’une enquête, où l’intimité d’une vieille dame est mise en scène sans tapage, ne reflète qu’imparfaitement l’ensemble qui ne présente pas de fresque grandiose ni ne résonne de proclamation définitive.
La banalité d’un repas en introduction nous met en appétit pour nous rappeler ces « presque rien » qui font le sucre de la vie. La mise au sol de photographies nous invite subtilement à revenir sur nos propres traces. Le violon n’était peut être pas indispensable avec ses grincements mais l’échange présenté à la fin entre celle qui a restitué une vie et son personnage souligne une sincérité qui ne peut être mise en doute.
« Ce qui échappe » a été évoqué en creux alors que «  ce qui demeure » laisse une douce complicité s’installer entre des actrices complémentaires et un public assez clairsemé.

samedi 2 juin 2018

Bilan de faillite. Régis Debray.

Mais non, mais non ! Pas faillite, l’histoire fut si bien racontée, et le soleil en son coucher a de  si belles teintes rougeoyantes !
Régis, de 10 ans mon aîné, je me permets ces familiarités, car j’ai été attentif à ses écrits depuis si longtemps, http://blog-de-guy.blogspot.fr/2017/06/civilisation-regis-debray.html paraît donner des conseils d’orientation à son fils, mais en réalité dresse surtout un bilan de son travail d’écrivain, de conseiller, d’intellectuel, sachant que « la révolte coloniale est née autant au Boul’Mich que dans les champs de cannes », mais ne se faisant pas d’illusion sur les décisions induites par ses écrits.
« …en mai 81, l’année qui devait voir, non le passage de l’ombre à la lumière, mais l’inverse : celui de la République des financiers à celle des romanciers, soit de la lumière des spots télé à l’ombre des jeunes filles en fleurs. »
Alors littérature, sociologie ou politique ? Il plaide pour l’option scientifique :
«  Cela fait de cette population taciturne, dépourvue d’hystérie et à la vie rangée, où l’on trouve plus d’anticonformistes pour de bon que chez nos casseurs d’assiettes patentés, l’authentique aristocratie d’une société narcissisée, où chacun peaufine sa petite différence jusqu’à ressembler à tout un chacun. »
L’autre jour à France inter je l’ai trouvé bien essoufflé, mais après m’être précipité à la librairie, j’ai retrouvé avec gourmandise, son humour, sa finesse, son style qui rend son pessimisme délicieux.
Sur un blog complice un article plus complet :

vendredi 1 juin 2018

Marée.

Depuis qu’un « capitaine de pédalo » s’échoua sur le sable, les métaphores maritimes ont connu un certain succès. La marée, de black blocks teintée, était en noir.
Les estivants s’impatientent de retrouver le soleil et les plages de l’insouciance, bien loin de celle invoquée depuis un demi-siècle, de ses pavés débarrassée.
En 68, 69, années plastiques, héroïques voire érotiques, celui d’en face, à face de médaille, De Gaulle s’en allait. Le vieux monde n’avait pas fini de vieillir.
Le vieux général, aujourd’hui oublié par son camp, bénéficie d’un respect qu’il ne suscitait plus guère naguère. Le discrédit envers les politiques n’est pas totalement évanoui malgré le renouvellement macronien, alors se cultive la nostalgie d’un président qui payait son électricité. Sa stature avait quand même plus de chance de s’imposer à l’époque, quand fausses nouvelles, indiscrétions et twitosses, n’étaient pas à la portée de toutes les paluches.
Sous les clignotements de l’actualité qui recouvre chaque éclat instantané par une autre nouvelle, nous ne savons plus voir les mouvements lents de l’Histoire. Deviennent anecdotiques les retours de flamme (Hollande), les notoriétés évanouies (Jospin), les intouchables piétinés (Alain).
Le succès persistant de certains mots peut nous permettre de suivre ces revirements, ces ruptures de charge. Ainsi le mot « lobby » désigne toujours le poids de l’influence des autres.
Il n’est pas employé par les médias pour désigner les végétariens, les adeptes de Montessori ou les défenseurs des privilèges des journalistes.
Si l’alerte rouge promise par France Inter pour les manifs de mai a été remise à plus tard, forcément plus tard, c’est que les foules ingrates ne se sont pas soumises aux déclameurs patentés. Pourtant les camelots de la critique systématique ont encore de la ressource lorsque le président récompense Mamoudou Gamassa. S’il ne l’avait fait qu’auraient-ils dit ?
« Quand Arlette chante, c'est du bleu, de l'azur
Sur les usines et leurs grands murs.
Les paroles, bien sûr, ont beaucoup d'usure »
Souchon
Corbière a le même sourcil froncé et la lippe dédaigneuse que son maître, et tous deux jugent illégitime le président français, mais voient celui du Venezuela, Maduro, comme le plus beau. Le tout nouveau supporter de l’OM, n’a pas réussi à exploiter les frustrations des « gens », restés mi-chèvre mi-chou, mais pas vraiment « Insoumis ».
Les bloqueurs de facs se préparent pour les vacances, les empêcheurs d’aéroport sont à leurs jardins, et ceux qui ont la dette en tête prendront le train. Mais vous les marcheurs, ne touchez pas à la loi SRU qui freine les ghettoïsations !  
La polémique autour du voile d’une responsable de l’UNEF me semble futile, par contre le communiqué de cette organisation bourré de fautes d’orthographe m’a semblé sonner la fin d’une durable époque où la jeunesse se donnait des airs étudiants. Même loin de Nanterre nous avions eu l’impression de nous être dépassés, que « l’infini avait été mis à la portée des caniches », comme disait Céline à propos de l’amour.
Ouaf !
……..
Dessin du « Canard » de cette semaine.