dimanche 8 avril 2018

Les bords du monde. Ophélia théâtre.

La production mettant sur scène à "La Vence Scène" des artistes du Brésil, du Maroc, de Syrie, du Togo, d’Haïti avait des intentions louables, mais elle n’est pas parvenue à une représentation totalement cohérente, rappelant trop le genre productions internationale à quota quand les programmes ont des trous. 
Le projet de « dépasser les frontières physiques, sociales, intimes pour chanter…: quelle est belle la liberté ! » était ambitieux, pourtant frapper sur des parois de tôle en cadence laisse indifférents les maîtres fous de la planète. Ces musiques scandées, au service de grands et beaux mots, peuvent-elles nous sortir de l’accablement ?
Les danses pleines d’énergie étaient parfaitement réglées cependant les intermèdes déclamatoires : 
«  Je suis fier de ma couleur…. de mon corps de femme… de ma condition gay » 
évoquaient, pour le spectateur désenchanté, de laborieux « patronages ».
J’espère par ailleurs que les omniprésentes structures à roulettes qui sillonnent les plateaux cette saison resteront en coulisse l’an prochain.
Il vaut mieux être à la hauteur avec des ambitions telles qu'elles sont présentées aux spectateurs dans un questionnaire rédigé par des étudiants en première année des arts du spectacle :
«  Il est grand temps que le spectacle vivant s’intéresse aux cultures étrangères des « périphéries » !
Quand on se situe au dessus des autres propositions théâtrales, les premiers instants sont décisifs.
En tardant à enchaîner après les gagnants du tremplin jeunes talents  proposés par la MJC en première partie dans une tonalité proche : danse orientale revue par Bollywod et danse urbaine, il a été difficile de se distinguer. 
J'ai pensé user d'une liberté tant invoquée, en me montrant réticent à frapper des mains, quand la dynamique de du spectacle ne l’a pas appelée naturellement. 
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La semaine prochaine, les petits sont là, je m'éloigne des écrans jusqu'au lundi 16 avril.

samedi 7 avril 2018

Nos vies. Marie Hélène Lafon.

Dès sa parution j’avais mis ce livre de côté et différais mon plaisir de retrouver mon auteure favorite parce que je redoutais aussi de la voir s’aventurer loin de ses terres de prédilections.
Je viens de le lire d’une traite; est ce que j’en garde un peu pour demain ? Non.
Est-ce que je prends mon carnet pour relever les mots qu’elle a choisi  pour en exprimer toute la saveur ? Pas le temps, je me souviendrai de « garçonnet », de « faire face », de « moyenagé » et « enroutiner », mais il aurait fallu recopier les 184 pages.
Une ancienne comptable invente une vie à une caissière de Franprix et si j’en ai tant apprécié l’écriture, je ne voudrais pas laisser croire qu’il s’agirait essentiellement d’un exercice littéraire. C’est peut être parce que je venais enfin de l’écouter à La librairie du Square où une jeunette appliquée l’interrogeait, que je relève surtout des caractéristiques propres à l’écriture, celle qui prend le temps de choisir les mots, de les peser.
Même si à la manière de Flaubert, l’ancienne prof s’applique à oraliser son texte pour expérimenter le rythme, comme il convient souvent à la poésie, le silence crie dans ses textes.
Silence et solitude se rencontrent sempiternellement dans son œuvre. Dans cette livraison s’exposent quelques façons d’aimer qui ne mettent pas en danger les individualités, quand s’inventent des moments lumineux aussi accessibles que le rituel d’un café.
C’est mon truc en ce moment : je trouve les titres de livres, de pièces ou de films trop généraux et celui-ci me parait la seule expression qui ne soit pas juste dans ce volume.
J’aurai plutôt vu : « Caisse 4 » ; « Gordana », du nom de la caissière ayant été pris lors d’une publication précédente dont ce livre est le prolongement, et Jeanne la narratrice le coeur  battant. http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/10/gordana-marie-helene-lafon.html
Parce qu’elle a aimé l’expression «  après 50 ans le corps dévisse », elle fait l’éloge de l’auteur Pierre Ubac : « Les mots de cet écrivain qui a douze ans de moins que moi sont devenus les miens, sont entrés dans mon corps et sous ma peau, se sont logés derrière mes dents ; je les ai avalés »

vendredi 6 avril 2018

Mélancolie de gauche. Enzo Traverso.


En ces temps tempétueux, le cadeau était approprié, mais la focale n’est pas ajustée à ma myopie.
J’avais préféré le souffle libertaire de « La mémoire des vaincus » par Michel Ragon ; ces recherches universitaires rassemblées se sont avérées trop pointues.
La gauche y est contenue essentiellement à l’intérieur du territoire marxiste, « sorti de la scène sans applaudissement ni rappel », et critiqué par ailleurs pour la vue courte de l’exilé de Londres à propos des luttes anticoloniales.
Je n’espérais certes pas de commentaires sur la dernière facétie de François Ruffin ou sur une déclaration du J.C Cambadélis de service à ce moment là, mais ces 220 pages tombent parfois à côté de la plaque quand elles s’éloignent de paroles incarnées comme celles-ci à propos de la mélancolie: « comme une prémisse nécessaire du processus de deuil, une étape qui le précède et le rend possible au lieu de paralyser ; et qui aide ainsi le sujet à redevenir actif » «  Nous devons essayer de survivre en nous accrochant à quelques bribes flottantes de notre navire englouti »
Un chapitre consacré au cinéma nous permet de réviser, « Palombella rossa », « Queimada », « La bataille d’Alger », «  Le fond de l’air est rouge », « Land of freedom »… avec « Rue Santa Fe », Carmen Castillo voit « les militants d’aujourd’hui qui s’approprient la tradition et la mémoire des vaincus, parce qu’ils y trouvent une source de dignité, mais sans reprendre à leur compte la rhétorique épique et héroïque ». « La terre tremble » de Visconti devait célébrer la lutte victorieuse des mineurs, ce fut la description de la misère des pêcheurs qui resta.
Les travaux du fondateur de la LCR, Daniel Bensaïd concernant Walter Benjamin sont mis en lumière dans un emboîtement de citations qui ne facilitent pas la lecture, bien que, avant sa mort annoncée, quelques formules soient belles :
«  J’ai appris à défendre chaque parcelle du jour contre le venin du regret »
et fortes :
«  La gauche a mal à sa mémoire. Amnésie générale. Trop de couleuvres avalées, trop de promesses non tenues. Trop d’affaires classées, de cadavres dans les placards. Pour oublier, on ne boit même plus, on gère. La Grande Révolution ? Liquidée dans l’apothéose du Bicentenaire. La commune ? La dernière folie utopique de prolétaires archaïques. La révolution russe ? Ensevelie avec la contre-révolution stalinienne. La Résistance ? Pas très propre dès lors qu’on y regarde de près. Plus d’évènements fondateurs. Plus de naissance. Plus de repères. »
L’expression « la foi qui déplace les montagnes » n’est pas de Mao,
elle vient de la bible, comme « laissons les morts enterrer les morts »
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Dessin du "Canard":

jeudi 5 avril 2018

Christian De Portzamparc. Benoît Dusart.


Si les projets de l’architecte urbaniste n’ont pu être réalisés à l’Esplanade, dans notre petite ville, le public était nombreux pour écouter la conférence qui lui était consacrée devant les amis du musée de Grenoble.
Premier français à recevoir en 94 le prix Pritzker, sorte de Nobel de l’architecture et le grand prix de l'urbanisme en 2004, comme le Goncourt, le natif de Casablanca (1944) a déménagé 20 fois pendant son enfance.
Enseignant au Collège de France, il est considéré comme un « poète des formes, créateur d’espace éloquents, ne relevant ni du classicisme ni du modernisme ; un esprit singulier », « attentif à l’esprit des lieux ».
Marié avec Elisabeth née à Rio, sociologue et architecte d’intérieur, ils ont réuni leurs agences sous la dénomination « 2Portzamparc ».
Les petits cailloux des années de formation, ceux qui l'ont influencé, ont les formes des bâtiments de Niemeyer à  Brasilia,
ou celle de la main ouverte de Le Corbusier à Chandigarh
et le parti pris de la Philarmonie de Berlin où sont absents angles droits et symétrie axiale.
Après un passage chez Georges Candilis qui contredit ses intuitions de plasticien en affirmant que « l’architecture n’est pas un art mais doit répondre aux besoins de la société », il fait un tour dans l’underground New-yorkais pour revenir à Paris en 68.
«  Nous voulons un pays où nous serions à ciel ouvert » est alors écrit sur les toits de l’école des Beaux arts. L’asthmatique n’aimera jamais les espaces confinés.  
Dans les années 70, il travaille dans une équipe interdisciplinaire où loin des grilles psychologiques ou marxistes, s’expriment les occupants des grands ensembles qui n’apprécient ni les lieux qu’ils habitent ni leurs abords.
« Toute architecture engage une vision de la ville qui dépasse le bâtiment exécuté, et dans presque toute situation une architecture suppose ou contredit, consciemment ou non, un modèle d'agrégation urbaine. »
Alors que le style monumental a mauvaise presse, afin de créer de l’urbanité dans une ville en devenir, son château d’eau à Marne-La-Vallée prend des allures de Babel.
L’ensemble des 209 logements sociaux des Hautes Formes reliées par des étrésillons est aménagé autour d’une placette avec des verticalités, des prises de lumière, des dispositions différentes.
Il coordonne la construction du plus grand campus parisien autour des grands moulins de Paris reconvertis en bâtiments universitaires,en offrant un âge 3 à la ville, après les îlots fermés haussmanniens et les blocs sans rue à l'écart des villes.
Ici, dans le quartier Masséna, des rues étroites permettent de donner un sentiment d’appartenance en continuité avec la ville existante. Des brèches dans le bâti créent du rythme; les couleurs et les matériaux sont variés.
A Almere aux Pays Bas il travaille à la citadelle avec Rem Koolhaas où en un feuilleté, les espaces hiérarchisés communiquent : circulation en sous sol, piétons et commerces au sol toiture végétalisée et résidences.

Les Champs libres à Rennes réunissent le musée de Bretagne, une médiathèque et un espace scientifique requalifiant le quartier de la gare ; les espaces intérieurs sont généreux.
Le musée Hergé à Louvain entre en résonance avec la ligne claire de la BD.
Si The Broad Art Foundation Museum est resté à l’état de projet,
pour la cité de la musique à la Villette après avoir bataillé avec Pierre Boulez question acoustique, sa salle elliptique inscrite dans un jeu de courbes est accueillante.
Le faisceau de colonnettes de la Philarmonie au Luxembourg est remarquable,
la salle de musique de chambre en conque est charmante.
Dans le même temps il honorait la commande de l’ambassade de France à Berlin où Elisabeth a réalisé la décoration intérieure.
A Casablanca au coeur de la ville s’élève Casarts, le plus grand théâtre d’Afrique, derrière deux immenses ventaux dont on peut varier l’ouverture.
Pour Lorenzetti le patron du Racing, l’U Arena à Nanterre accueille des matchs de rugby et des spectacles.
Depuis des milieux on ne peut plus urbains à New York avec la tour LVMH,
 ou à Séoul pour Dior,
il sait aussi se couler dans un paysage classé au patrimoine de l’UNESCO à Saint Emilion pour un chai du château Cheval blanc. 

mercredi 4 avril 2018

Marche ou rêve. Laurel Elric.


Le titre reprenant le bel intitulé de l’émission culte de Claude Villers où intervenait Nicolas Hulot laissait présager une certaine poésie soulignée en couverture par un jeune garçon aux cheveux longs assis en haut d’un arbre. Les dessins sont précis, les couleurs suaves conviennent bien à une Bretagne rêvée, mais ce récit du  passage de l’adolescence vers un âge adulte est inabouti et superficiel.
J’avais emprunté l’album au rayon BD adulte alors qu’il aurait du figurer à l’étage « jeunesse » tant la thématique peut les concerner et la naïveté les rassurer sans qu’une once de subtilité n’apparaisse. Nous restons dans le ton initial monocorde et gentillet alors que le charmant garçon ayant connu une panne sexuelle va une semaine chez sa grand-mère où une série de révélations, d’évènements vont lui couler dessus comme crachin sur les plumes d’un cormoran. Il pleut en Bretagne et les grands-mères se plaignent que les petits ne viennent pas assez souvent les voir. Les clichés s’égouttent, bien que ne soient pas ménagées les péripéties : père violent, demi frère suicidaire, filles qui tombent comme mouches ... l’indifférence est de mise. Les personnages inexpressifs reflètent après tout une époque à la fois désinvolte et agitée. Les animaux bénéficient d’une tendresse dont les humains sont plus chiches entre eux. Nous restons froids en face de ses êtres insensibles, traités tellement pudiquement qu’ils sont sans profondeur.

mardi 3 avril 2018

La délicatesse. Cyril Bonin.

La tendresse et la gentillesse sont bien présentes dans ces 95 pages inspirées par le roman de David Foenkinos qui avait suscité également une adaptation cinématographique avec Audrey Tautou.
Une jeune femme est abordée dans la rue par un jeune homme : à l’heure où ne se voient balancer pas que des porcs, la situation ne parait pas très correcte.
D’autant plus que de cette rencontre va naître une paisible histoire d’amour.
Un brin de romantisme, des couleurs pastel font du bien quand ricanements et gros traits deviennent envahissants.
Je ne divulgue pas les péripéties à la suite d'une introduction qui a le charme des romans photos de jadis.
Le deuil, les relations au travail sont finement traités, comment se joue la séduction.
« Il pensa qu’il ne l’avait jamais vu le soir. Il était presque étonné qu’elle puisse exister à cette heure là. »

lundi 2 avril 2018

The rider. Chloé Zhao.


Le cow-boy est blessé gravement. Il ne reviendra pas sur la piste des rodéos où une fulgurante ruade lui a fracassé le crâne. Il reprend son métier de dresseur de chevaux avec lesquels il utilise les mots adéquats, sans être guère bavard, comme avec sa sœur atypique.  Pendant ce temps, son père dépense son argent dans des machines à sous. Il visite son pote des rodéos, tétraplégique, qui fut au sommet de la beauté, de la maîtrise comme l’attestent des vidéos qu’ils regardent ensemble.
La réalisatrice en immersion comme dans son magnifique premier film « Les chansons que mes frères m’ont apprises»
nous donne à voir, avec sensibilité, mais sans pathos, des protagonistes jouant leur vie, cassés pour quelques secondes en apesanteur, devant des publics faméliques.
Dans cet univers en voie de marginalisation, les chevaux sont aimés, les dresseurs sont attentifs, fins, pertinents, courageux et doux. J’ai été soulagé de voir le héros diminué renoncer à mettre sa vie en danger alors qu’une voisine de salle obscure regrettait qu’il ne poursuive pas ses rêves.
Les beaux mots romantiques doivent-ils condamner à la mort ? Non !
Surtout si c’est pour une image de soleil couchant, rougeoyant, accompagnée de quelques émouvantes notes de musique, oubliée le temps de s’engouffrer à Cannes dans une autre file d’attente promettant un film marrant.