mardi 20 mars 2018

Musiques. Sempé.


L’auteur dont je possède le plus d’ouvrages, évitant ainsi à mes proches de se poser trop de questions au moment des cadeaux, poursuit ses dialogues avec Marc Lecarpentier, cette fois autour de la musique. http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/01/sinceres-amities-sempe.html
Le journaliste essaie de le ramener sans cesse à différentes catégories de musique et à des parallèles avec ses dessins, ce que le vieux monsieur récuse avec constance, si bien que l’entretien se clôt comme il s’est déroulé avec le sentiment de n’être pas compris dans ses fidélités inextinguibles à Duke Ellington, Ravel, Debussy, Ray Ventura.
« - Et dans vos dessins, vous essayez qu’il y ait ce tout ?
- N’oubliez jamais que je suis un terrassier qui profite de son heure de repos pour vous parler gentiment et qui n’ose pas vous dire : «  mais enfin, vous êtes complètement piqué, ce n’est pas moi qu’il faut interviewer, c’est Debussy. »
Et de mettre la musique au plus haut, lui le dessinateur, tel un curé de campagne, un dimanche matin, avec lequel on partage un repas, bien loin d’un Dieu musicien.
Nous nous contenterons de dessins toujours aussi légers donc profonds, élémentaires, souriants et mélancoliques, gais mais inconsolables. Cette grâce qu’il décrit si bien lorsqu’il est question de Trenet ou de Vermeer est le résultat de beaucoup de travail comme il l’explique à Léonard de Vinci qu’il invite dans ses rêves :
« Pour faire un dessin humoristique, il faut seulement beaucoup de travail. Donc tu ne peux pas faire un dessin humoristique, parce que tu es trop grand. »

lundi 19 mars 2018

Vers la lumière. Naomi Kawase.

Vu  à Cannes au cœur d’un maelstrom d’images, l’histoire d’un photographe qui perd la vue, se remarque.
Un jeune homme rencontre une belle dont le métier d’audio descriptrice va bien au-delà des heures de bureau.
Comment décrire un film à des aveugles, comment trouver les mots justes, comment ne pas envahir les têtes et laisser de l’espace à l’imagination ?
Tant de questions passionnantes, plus tourmentées dans ces situations extrêmes, mais au cœur des relations sociales quand les mots cherchent la vérité, la lumière, les accords, l’amour, la poésie.
Le récit délicat d’une perte et de retrouvailles, se dilue parfois en de trop ostensibles postures romantiques.
J’ai préféré ses « Délices de Tokyo » plus modestes
mais continue à être enchanté par ses images de la nature et ses cadrages serrés.

dimanche 18 mars 2018

« Pourquoi ? Parce que ! » Serge Papagalli.

Notre dauphinois qui met davantage en valeur ses origines italiennes, voire une ancêtre suisse, que lors de ses spectacles précédents sait bien saisir les expressions qui parlent à ceux qui sont nés à Moisieu-sur-Dolon, Salagnon, Voiron, Saint Pierre d’Entremont ou Réaumont.
En effet que dire face à un flot d’interrogations ? 
« Pourquoi les danseuses classiques marchent-elles sur la pointe des pieds, alors qu’il serait plus simple d’en faire danser des plus grandes ? »
 « Pourquoi l’infini n’est il pas fini ? »
Le dispositif est simple : son pontifiant partenaire Stéphane Czopek se vexe tellement facilement - mais pourquoi - qu’il n’est sur scène que par intermittence, mais lorsqu’il apparaît devient un prétexte de plus pour cultiver la complicité avec le public.
Depuis une musique clownesque en entrée pour la jouer modeste, jusqu’à une lecture farcesque de la Genèse avec toujours le soucis de la langue et du bon sens, nous rions du sabir des médecins ou des comptables, de bons mots en avalanches, des gros et des plus fins, des reprises ; ça va vite.
Le spectacle est efficace : le bon vivant emblématique de nos territoires a fondu, il « mouve son body », blague entre autodérision et nostalgie, fausse indignation et indulgence. La salle apprécie le côté bon enfant de la prestation d’une bonne heure et demie, nous reposant des « gore » et autres « trash » contemporains.
Si un « Coratin est un nain de jardin avec des poils », un « bazu » ou un « brelot » restent plus proches qu’un con ordinaire. 

samedi 17 mars 2018

La Fontaine. Erik Orsenna.


Le souriant académicien ramène nos regards vers un phare de notre culture dont je crains qu’il ne clignote en ces temps. L'ouvrage a donné lieu à une série d’émissions sur France Inter.
Le voyage est plaisant avec ce qu’il faut de retrouvailles et de découvertes : les fables et les contes.
« Du palais d’un jeune Lapin
Dame Belette un beau matin
S’empara ; c’est une rusée. »
Orsenna, le prolifique, ne se contente pas de citer ses sources en fin de course, mais rend hommage aux nombreux auteurs qui l’ont précédé dans le récit d’une vie modeste où le maître des Eaux et Forêts de Château Thierry a payé sa fidélité au réprouvé Fouquet. 
Après une biographie enjouée à l’image du personnage qui voulait passer pour paresseux, Orsenna choisit pour le dernier chapitre quelques fables délicieuses dont il n’a pas besoin de souligner la simplicité, l’efficacité, la beauté du style : il suffit de les publier.
En bon pédagogue, http://blog-de-guy.blogspot.fr/2009/01/grammaire-faire-classe-16.html il nous simplifie quelques contes, car à être sevré de belles paroles, il nous est parfois difficile de lire sans peine des vers aux allusions antiques bien lointaines. Le dévoilement n’en a que plus de prix et nous   fait apprécier des audaces qu’il dût renier au prix d’un cilice, « chemise de fer qui entaille la peau » découvert sous ses habits le jour de sa mort.
Parmi 70 contes: un jeune garçon s’était introduit dans un couvent. Il est mis à nu parmi les nonnes que la mère supérieure inspecte pour découvrir l’intrus, celui-ci va user d’un stratagème rapidement découvert :
« Il est facile à présent qu'on devine
Ce que lia notre jeune imprudent ;
C'est ce surplus, ce reste de machine,
Bout de lacet aux hommes excédant.
D'un brin de fil il l'attacha de sorte
Que tout semblait aussi plat qu'aux nonnains »
[…]
« Fermes tétons, et semblables ressorts
Eurent bientôt fait jouer la machine.
Elle échappa, rompit le fil d'un coup,
Comme un coursier qui romprait son licou,
Et sauta droit au nez de la prieure,
Faisant voler lunettes tout à l’heure
Jusqu'au plancher. »
Le sous titre de l’ouvrage « une école buissonnière » manque à mon avis d’originalité puisqu’un film concernant des braconniers vient de paraître sous cette appellation qui avait servi également il y a longtemps pour un film à propos de Freinet, le libre pédagogue.
Peut-on en ces temps dévots, les nôtres, apprécier des dames «  gentilles de corsage » ?
« Plus d’amour, partant plus de joie »

vendredi 16 mars 2018

Gentil / pas gentil.

Je n’ai pas vécu impunément dans les écoles depuis ma plus tendre enfance où l’on m’a protégé des saloperies du monde jusqu’au temps d’être grand-père, pour ne pas aimer voir la vie avec des lunettes joliment colorées. Je persiste en ne voulant pas que le monde des  Barbapapas que mes petits adorent, s’efface trop vite, mais je m’agace quand surjouent les gnangnans qui appellent les féroces. Dans l’univers universitaire et en amont prospèrent quelques autruchons qui ne veulent surtout pas voir ce qui pourrait déranger, la tête dans le sable.
« L’oreille en coin » : A la radio, une comique se moque de TF1 ; je change et tombe sur France Culture dont l’animateur se moque de TF1. Après, ils viendront pleurer sur la fracture culturelle qu’ils ne cessent d’envenimer et dire que « le mépris, c’est pas bien ».
« Arrêt sur image » : Nos photographies, amoncelées dans les nuages s’oublient aussitôt prises, tandis que tout le monde, tout le temps prend tout le monde en photo ; tout se déprend.
«  Jour du soigneur »: Parmi d’autres signes du temps, les cierges endormis des cathédrales se reconvertissent en lumignons pour deuils médiatisés avec ours en peluche et fleurs sous cellophane. Me sautent aussi aux yeux, ces cœurs dessinés à quatre doigts, alors qu’un seul suffit  pour les détestations. Sur les peaux, des arabesques de tribus lointaines comblent le vide des mémoires effacées. Les calligraphies se sophistiquent quand plus grand monde n’écrit à la main, elles  envahissent les murs, les rideaux de fer des magasins et nos coins les plus intimes en nappes hégémoniques.
« Paralympiques » : Au cours d’une conversation, pour montrer que j’avais bien entendu l’information à propos d’une candidate au CAPES de lettres (Certificat d'Aptitude au Professorat de l'Enseignement du Second degré) ayant passé l’épreuve avec une AVS (auxiliaire de vie scolaire) pour cause de dyslexie, j’avais dit que c’était comme si on confiait l’entraînement d’une équipe à un paralytique. Outre l’archaïsme du terme «  paralytique » remontant à des lustres, je restais en dessous de l’indignation que pouvait faire naître cette aberration. On a déjà vu des entraîneurs apporter leurs compétences avec succès à des jeunôts  bien plus talentueux qu’eux ; mais confier l’enseignement du français à des dyslexiques multiplie les embarras, même si l’on sait que l’on enseigne avec plus de délicatesse les matières où l’on est moins à l’aise. Ainsi j’aurai pu faire un bon prof d’anglais.
Les AVS sont devenues les sous traitants des professeurs défaits des taches de transmission, n’ayant plus qu’à lier le social, quand c’est possible.
« L’émission politique » :
 « La haine des médias et de ceux qui les animent est juste et saine. » Mélenchon.
Cette brutalité entretenue dans le débat social est délibérée, théorisée, et non l’effet d’une  bouffée caractérielle, elle est le pendant d’attitudes tartignoles, complaisantes ou d’indulgences surjouées.
La bienveillance par exemple à l’égard du handicap est venue après des siècles de relégation, mais il me semble que la compassion s’est étendue au-delà du raisonnable. Dans l’éducation, l’intégration a bien arrangé les comptables. La médicalisation de toute difficulté d’apprentissage devenant massive, la relativisation des exigences en découle. Les cours quand ils ne sont pas inversés s’adressent à des individus à l’identité souffrante mais plus à un collectif. Pourtant « équipe », « travail de groupe » ont envahi les discours : c’est justement parce qu’il n’y a plus guère d’échange ni de rencontre avec « l’autre », chacun étant « différent »  que « l’universel », « le fédératif » sont devenus juste bons à être célébrés parce que disparus, par ceux qui ont mis leurs enfants hors du commun, hors du public. 
Ces jours-ci, l’heure consacrée au handicap qui a bien diverti les collégiens avec les fauteuils mis à leur disposition, a été prise sur une heure de français qui aurait pu leur proposer « Le crapaud » d’Hugo et ainsi faire d’une pierre plusieurs coups.
L’âne  évite d’écraser le crapaud martyrisé par des hommes et des enfants : 
« Cet âne abject, souillé, meurtri sous le bâton,
Est plus saint que Socrate et plus grand que Platon.»
………….
Le dessin du « Canard » de la semaine :

jeudi 15 mars 2018

Paysages grandioses et phénomènes naturels. Alexis Drahos.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble a souligné la curiosité des artistes à l’égard des sciences et l’intérêt des glaciologues, géologues pour les paysages peints, alors que la photographie n’existait pas.
La fresque de la grotte Chauvet baptisée « Le sacré coeur », représente-t-elle une éruption? La datation de 33 000 avant que Jésus ne soit mis en croix correspond à une période d’activité volcanique dans le bas Vivarais.
Sur Le site de Çatalhöyük  en Turquie et son village sédentaire datant de 8 000 ans, avait été retrouvée la plus ancienne représentation d’un volcan,
dans les mêmes temps que les pétroglyphes près du Porak en Arménie.
Bacchus et le Vésuve dont le sommet n’a pas encore explosé a été peint sur un autel de la villa du centenaire de la ville balnéaire de Pompéi qui ne s’attendait pas en 79 à un cataclysme,
bien qu’un bas relief de 64 ait représenté un séisme.
Au siècle de Buffon, les sciences naturelles arrivent au premier plan, Naples est en fond dans cette estampe d’Hoefnagel.
A l’époque baroque, un esprit aussi encyclopédique que l’aventurier Athanasius Kircher annonce les lumières du XVIII°. Son Mundus subterraneus  dément Aristote qui pensait que les vents s’engouffrant dans les grottes étaient à l’origine des éruptions.
Quand Salvator Rosa représente La mort d’Empedocle dont l’Etna recrachera une sandale du présocratique recherchant la vérité de trop près, il est le précurseur d’une esthétique du sublime.
Le Chevalier Volaire  s’était spécialisé dans la représentation de L’éruption du Vésuve sur les flancs duquel se sont succédé Goethe, Chateaubriand, madame de Staël…
Dans le cratere degli Astroni de Jacob Philipp Hackert, le temps n’est pas effacé, la terre a une histoire.
Et Houël aux Lipari le dit aussi.
Au siècle du feu et de la vapeur, Turner, curieux de sciences, peignit l’éruption de la Soufrière.
Le soleil couchant de Didon construisant Carthage, inspiré du Lorrain est teinté sans doute par les scories persistantes après l’éruption du Tambora en Indonésie qui refroidirent la terre.
Comme Le cri de Munch qui serait coloré par le Krakatoa apportant son obscurité jusqu’en Norvège.
Pour Thomas Cole, un des fondateurs de la Hudson River School, peintres des grands espaces sauvages, Adam et Eve sont tellement petits lors de leur Expulsion du jardin d’Eden.
Humboldt arrivé presque au sommet du Chimborazo, et c’était un record, a établi un recensement des plantes lié à l’altitude, avec son compère Aime Bonpland  parmi Des Vues des Cordillières et Monuments des Peuples Indigènes de L'Amérique.
Church a marché sur ses traces : Le Cœur des Andes.
La Pêche Miraculeuse (1444), scène biblique, est installée par Konrad  Witz sur le lac Léman devant quelques monts des Alpes voisines, en un relevé topographique.
En 1777, Caspar Wolf, alors que des processions se réunissaient pour faire reculer les glaciers, peint La Lütschine noire à la sortie du glacier inférieur de Grindelwald. Il est le premier à mettre en relief la beauté et la majesté des Alpes.
Turner a attendu la provisoire paix d’Amiens en 1802 pour venir au pied de La mer de glace.
John Brett, préraphaélite, est d’une précision toute scientifique dans son approche de la nature. Le Glacier de Rosenlaui a déplacé des blocs hiératiques dont on sait dorénavant qu’ils ne viennent pas du « Déluge ».
Les strates du cirque de Gordale de James Ward s’inscrivent dans une esthétique du sublime
alors dans la Baie de Pegwell de William Dyce sa famille ramasse plus sûrement des fossiles que des coquillages ; les temps  géologiques les contemplent du haut des falaises.
Lord Rosse dessina des galaxies depuis son gigantesque télescope appelé Léviathan
quand venant du fond du temps et de l’espace était photographiée la comète Donati en 1858. 
Elle passa près de chez nous après la Comète de Napoléon en 1811, année de vendanges exceptionnelles.

mercredi 14 mars 2018

Annecy. Festival international du film d’animation 2017.

Juste un petit tour dans la belle ville: 9000 accrédités quand même, parmi un public jeune et enthousiaste. Ambiance potache avec avions en papier qui volent avant que les écrans s'allument.
Pour se mettre en appétit rien de tel qu'une série de courts métrages aux univers très variés : 
Allemand : les souvenirs de guerre d’un irakien : traits blancs élégants sur fond noir. 
Canadien : images mécaniques pour évoquer Victor Tesla ingénieur en électricité : daté.
Français : souvenirs poétiques de pépé « le morse », brouillés par la grossièreté des dialogues.
Autrichien : les carmina burana en flash mob : vain.
Danemark : Adam : les robots m’ennuient.
Anglais : souvenirs de famille au graphisme original.
Danois et français : dans le froid, l’attente : superbe, étrange.
Polonais : Sprawa Moczarskiego : hommage à l’auteur d’ « entretiens avec le bourreau ».
Slovène et Croate : ambiance nocturne et alcoolisée.
La Passion Van Gogh de Dorota Kobiela et Hugh Welchman.
La performance technique du premier long métrage avec 65 000 images à la peinture à l’huile par 115 peintres est tellement éblouissante que l’on ne prête guère d’intérêt à la remise en cause de la thèse du suicide de l’artiste.