lundi 5 février 2018

Wonder Wheel. Woody Allen.

Souvent, j’aime me retrouver à contre sens - c’est le lot des vieux sur les autoroutes – comme de se répéter - lorsque la critique encensait le pape de l’humour  http://blog-de-guy.blogspot.fr/2008/11/vicky-christina-barcelona.html , je n’étais pas toujours d’accord, mais comme une horde le met à poil et me hérisse le poil, je suis allé voir son quarante septième film et j’étais enclin à l’aimer.
Jazz, Coney Island dans les années cinquante, voix off qui met de la distance : tous ces rêves d’amour inaboutis, ce n’est que du cinéma ! Comme on l’aime.
Sous des lumières rouges et dorées, les destins sont noirs. Le mélo se déploie au milieu des manèges, avec une actrice devenue serveuse, un maître nageur à prétention théâtrale et pépette tentant d’échapper à un mafioso de comédie, à moins que ce ne soit de la tragédie.
Les acteurs sont excellents y compris dans l’artificialité des face-caméra. Les personnages sont changeants : le bellâtre n‘est pas forcément creux, le beauf a des moments de tendresse.Un gamin joue avec le feu.
Une bonne année encore avec le sentiment de la fin d’une époque où Wolinski était encore vivant et le Grand Duduche. Inconsolable, je suis.

dimanche 4 février 2018

Festen. Thomas Vinterberg, Cyril Teste.

« Balance ton porc en famille », « balance ton père », ces formules clins d’œil ne rendraient pas compte de la profondeur de ce spectacle, bien que l’onde de choc partie d’Hollywood soit dans tous les esprits, au-delà des excès et des polémiques, dans une affaire où femmes et hommes auront tout à gagner finalement.
Qui ne savait pas qu’il s’agissait de révélation de secrets de famille dans cette pièce, inceste et suicide, exprimés lors d’un repas de famille ?  Au-delà du scandale, sont posées les questions de la vérité, des silences, de l’inhumanité. 
Après avoir été de la génération du fils par qui advient la vérité éclatante, j’en suis même au-delà de l’âge de ce père dont on fête les soixante ans. L’identification aurait pu jouer avec moi, quand on voudrait que tout se passe bien dans des moments solennels. Mais le sourire permanent posé sur « la figure du mal » permet de prendre une distance nécessaire alors que les émotions ne nous sont pas ménagées. Les acteurs sont excellents.
Et si ce qui a été dit n’avait pas été dit ?  La vérité est tellement crue, que c’est difficile de la croire. Je devrais me rapprocher de la grand-mère qui ne voit rien, poétise dans l’indifférence.   
Folie, cruauté, hypocrisie, les enfants n’ont pas été des enfants, le père n’a pas été un père: le propos est criant, pas besoin des sous-titres habituels pour nous questionner.
Ce drame aigu est plus finement politique que bien des retours sur les années 30 qui squattent les plateaux. La fin est apaisante, après des sons stridents et un piano qui appellerait la paix et la joie : le tableau en ouverture et en belle conclusion est celui de Corot : Orphée ramenant Eurydice des enfers (merci les Inrocks), parfaitement exploité.
J’avais un souvenir vague du film de 20 ans d’âge, sinon qu’il était de bon ton d’avoir apprécié sa violence. Malgré la force et la nouveauté d’un « Nobody » précédent  par le collectif de Cyril Teste http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/10/nobody-falk-richter-cyril-teste.html, et parce je n’étais pas sûr de retrouver ces qualités, j’ai été d’autant plus enthousiaste.
Les caméras sur le plateau apportent une poésie et quelques effets magiques, un rythme, une beauté, une intimité, une puissance démultipliés.
Le public grenoblois en dehors des spectacles musicaux est avare de stand up, cette fois je me suis levé pour applaudir avec la salle au bout de ces deux heures  intenses.

samedi 3 février 2018

Les piliers de la terre. Ken Follett.

Depuis dix ans ce best seller mondial (15 millions de lecteurs) m’attendait, il est paru en 1990, et après l’avoir ouvert je ne l’ai plus lâché, depuis la scène initiale de pendaison jusqu’à l’ultime exécution.
J’en redemande même, en sachant que je pourrai être exaucé : les volumes suivants « Un monde sans fin » et « une colonne de feu » seraient du même tonneau démesuré et fécond.
« Après cet instant, songea-t-il, le monde ne serait plus tout à fait le même. »
Nous vivons mille péripéties pendant 50 ans, en Angleterre, au XII° siècle, et  nous rencontrons une myriade de personnages sans risque de les confondre, des plus miséreux jusqu’aux plus puissants.
Il fallait bien 1050 pages pour que les malédictions s’accomplissent, les vengeances se soldent, les ambitions se réalisent, les serments se respectent.
Les moments où le temps est ensoleillé, les récoltes abondantes, les rues plus tranquilles, les tendresses consommées, s’apprécient d’autant plus que de famines en batailles, d’humiliations en mortifications, ces temps de guerre civile étaient incroyablement violents.
Nos insécurités présentes semblent bien anodines en regard de cette époque où la condition humaine était vraiment proche de la bestialité.
Pourtant au milieu de ce chaos, une cathédrale va se dresser, édifiée par les hommes élevés au-dessus de leur condition.
Les hasards du scénario sont parfois incroyables mais leur accumulation participe au plaisir de la lecture comme les couleurs vives, les caractères contrastés, la variété des lieux traversés.  
Ils sont tous là : sorcière, marchand d’épices à Tolède, diacre et archidiacre, cellerier de prieuré, jongleur, verrière, chevalier… nous révisons les mythes de cette époque, tout en accédant à des informations fiables sur la période.
Ce roman historique est divertissant et son ampleur prenante donne des aliments à nos préoccupations contemporaines en particulier concernant la place du religieux, bien au-delà d’un comté du sud de l’Angleterre.
« L'homme de Dieu, fort de la certitude que ses péchés sont pardonnés, considère la mort comme un heureux passage vers un monde meilleur et ne craint pas les épées. »

vendredi 2 février 2018

L'école creuse...

Depuis qu’en matière scolaire, l’affirmation : « le niveau monte » s’est retrouvée à sec, la ritournelle: « l’école creuse les inégalités » est mise à toutes les causes.
Les condamnations envers un système excluant par défaut sont unanimes pourtant dès qu’il est question de réformer, tous les conservatismes se liguent au nom de valeurs qu’ils savent bafouées tous les matins et pas seulement quand la prof dégueule sa peur sur le parking du lycée technique.
Féodalités/ Versailles, Girondins/ Jacobins, Rocard/ Mitterrand, CFDT/FO, établissements/ministère, responsabilité/ égalité, ZEP et zigzags.
Les « progressistes » de naguère en sont à souhaiter le statu quo, disant que la réforme du bac est précipitée, alors que ça fait bien 30 ans qu’on en cause.
Le progrès n’a plus de camp : ceux dont c’était la philosophie mettent les avancées scientifiques dans le même panier que les astuces marketing avec l’obsolescence programmée qui crame nos objets de consommation et puis de toutes façons c'est la faute de Bercy.
Est-ce que l’égalité a été réalisée dans notre république parce que tout le monde va faire un tour sur le Campus ?
Dans le pays où il y a 30 millions de sélectionneurs pour le foot, pourquoi ces pudeurs de gazelle autour du mot « sélection ». La sélection s’opère actuellement par l’échec, l’abandon. Le tirage au sort pour accéder à des formations est un scandale, mais on fait comme si.
C’est que la paresse intellectuelle venue au secours du manque de courage, est le produit de toutes ces années où le mot « travail » était banni. Un brin d’exigence face à l’effondrement des compétences des étudiants semblerait pourtant urgent.
Refrain : crise des vocations. Qui pour s’occuper des vieux, des enfants, des malades, des moteurs, des trains et de la plonge en week-end… ? Ceux qui sont au boulot et qui font exploser les pointeuses se racornissent devant la disqualification de leurs professions. L’éleveur qui se lève à point d’heure pour 300 € le mois et le boulanger qui met la clé sous la porte peuvent bougonner.
A défaut d’être Youtubeur, vendeur ou traider tout le monde ne peut devenir développeur, chercheur, ingénieur, professeur, docteur...
La cohérence qui semble se déployer concernant les réformes de l’enseignement technique, technologique, supérieur, pourrait apporter un espoir de rénovation d’un système qui ne met pas les jeunes en face d’un boulot qui leur conviendrait, et ne répond pas aux besoins de la société, pas plus qu’il n’est porteur d’une culture générale épanouissante.
Le grand oral dont nous avons bénéficié en 68 est une mesure qui me semble bienvenue pour mesurer l’authenticité des compétences d’un candidat dans la mesure où la préparation en amont peut modifier les pratiques en permettant peut être une réelle appropriation des savoirs.
Des groupes de tailles variables pourraient permettre de travailler ce domaine où les ordis ne sont pas indispensables.
Le contrôle continu, s’il peut motiver les élèves tout au long de la scolarité, plutôt qu'un faux examen où les marchands d’articles divers s’électrisent, pose le problème de l’égalité des exigences. D’ailleurs dans l’ordre des réputations d’établissements, les valeurs se sont parfois inversées qui font échapper le lycée prestigieux, Champollion, à des collégiens du secteur qui préfèrent plus de facilités ailleurs. Les contrôles à Pierre Perret seront plus faciles qu’à Henri III, mais la formation aussi a toujours été d’un niveau différent. Le cadre national ne cadre plus grand-chose et la dramatisation des enjeux autour du bac en ferait oublier le drame du chômage des jeunes. Les zones sont inégales : des moyens ont été attribués aux plus fragiles, mais soit on cache l’hétérogénéité des établissements par un bac maintenu genre village Potemkine, soit on adapte l’examen aux réalités dont la cruauté appellera des réformes qui vont bien au-delà des murs de l’école : logement, lutte contre le chômage,  pour retrouver confiance en soi, en son pays.
« La reproduction des inégalités sociales par l'école vient de la mise en œuvre d'un égalitarisme formel, à savoir que l'école traite comme « égaux en droits » des individus « inégaux en fait » c'est-à-dire inégalement préparés par leur culture familiale à assimiler un message pédagogique. »
Pierre Bourdieu
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Cette semaine le dessin vient de Courrier International  ( Gatis Sluka Lettonie)

jeudi 1 février 2018

Le Bauhaus. Benoît Dusart.

Des étudiants de l’école d’architecture assistaient à la conférence des amis du musée de Grenoble, bien que cette discipline ne fût enseignée pour elle-même au Bauhaus que vers la fin du règne de la prestigieuse école (1919-1933). Là se concevaient des formes (design) entre les deux guerres. Tous les directeurs étaient architectes.
Si Le Corbusier ou Fernand Léger connaissaient ce qui s’enseignait à Weimar où tout a commencé, des imprimeurs, des typographes ont aussi été intéressés. Le seul français admis à suivre les enseignements, croyant bénéficier de leçons classiques, en est vite revenu.
Les beaux arts passaient alors aux arts appliqués.
A la fin de la première guerre, le contexte politique mouvant est favorable aux innovations. Walter Gropius crée l’école du Bauhaus (maison de la construction) issue de la fusion de l'école de l'artisanat et de l'académie des beaux-arts de Weimar. Le beau se joint à l’utile, l’esthétique au fonctionnel. L’emblème, le logo, est de Oskar Schlemmer.
La maison « Haus am Horn » fonctionnelle et confortable présentait alors toutes les innovations des différentes disciplines: poterie, travail du métal, du bois, des tissus… alliant recherche et production.
Après des cours préliminaires, la forme était enseignée par des artistes tels Paul Klee ou Kandinsky et la pratique par un maître artisan.
Alors que le travail est collectif, les querelles viendront plus tard avec le succès de cette lampe WG24 dont la forme suit la fonction de Wilhelm Wagenfeld .
La chaise en tubes d'acier modèle B3 sans ses quatre pieds, mieux dénommée « chaise Wassily », est fabriquée d’une façon industrielle dans les années 60.
Plongeant ses racines à l’époque médiévale, La cathédrale du futur de Feininger qui figurait sur le manifeste de l’institution, annonce un monde meilleur, socialiste. Mais l’environnement est incompatible avec les ambitions de l’école : en 1924, le Land de Thuringe désormais dirigé par l’extrême droite amène le déménagement de l’école à Dessau.
« Les maisons des maîtres » autour des bâtiments d’enseignement tout en vitres
ou la cité « Dessau-Törten »  sont devenues des références de la modernité.
Mille invités assistent à l’inauguration avec expositions, musique et théâtre.
En 1928 Gropius, marié à Alma Malher, démissionne pour laisser la place à
Hannes Meyer. Celui-ci radicalise la démarche allant vers des créations encore plus simples et accessibles à tous, mais il ne résiste pas aux conflits politiques qui traversent l’époque.
Avant de quitter Dessau pour Berlin Oskar Schlemmer peint l’escalier du Bauhaus où l’on retrouve le mouvement de ses ateliers de théâtre, ses ballets triadiques et ses fêtes mémorables.
Ludwig Mies Van der Rohe, « Mies » pour les intimes, auteur du pavillon allemand de Barcelone assure la dernière brève installation de l’école à Berlin où elle ferme en 1933, quand les nazis prennent le pouvoir.
Mais l’esprit du Bauhaus essaime de Tel Aviv à Mexico. Laszlo Moholo Nagy, un des enseignants de l'école, fonde à Chicago le « New Bauhaus » et Miers dessine dans les années 1950 le « Seagram Building » de New York.
Bien que « Il court il court le Bauhaus » de Tom Wolfe, qui est à prendre avec des pincettes pour Le Monde, excite la curiosité, pour compléter cet exposé à visée historique, j’emprunte en manière de conclusion à un site
« L'influence du Bauhaus  a été déterminante pour l’architecture : Il l’a introduite dans la modernité, quitte à l'amener parfois vers ce côté froid et inhumain qu'on lui a reproché ; il a imposé de nouveaux matériaux ; il a aussi développé l'idée qu'un objet pouvait être à la fois simple, esthétique, fonctionnel et accessible au plus grand nombre : c'est l'idée du design, aujourd'hui omniprésente. »

mercredi 31 janvier 2018

La mort lente de Torcello. Elisabeth Crouzet-Pavan.

En voyage à Venise, la visite des îlots de Murano et Burano fait partie du pacquage touristique.
Et il est bien agréable de poursuivre vers Torcello afin de se distinguer des foules de la « Sérénissime », bien qu’il ne subsiste de la prospérité passée de cette surface au ras de l’eau qu’un campanile et une église aux mosaïques remarquables.
«  Cette horizontalité de la topographie a peut être favorisé ou accentué la dynamique de l’oubli. »
Dans ce livre recommandé cet été par « Le Monde », l’auteur en nous faisant part de ses recherches à propos de ce site aux archives lacunaires, fait preuve d’une opiniâtreté égale à celle des hommes qui se sont battus dans la lagune contre l’ensevelissement de leurs terres par les eaux.
Les 490 pages se situant en phase avec la tendance médiatique qui privilégie les approches allant à contre courant des connaissances communes, auraient pu être réduites de moitié tant, comme dans toute thèse, il y a des redites.
 «  Les faits sont là. Torcello mourut, étouffé par les marais, ravagé par les miasmes et les fièvres. Par son jeu, par ses décisions, la politique vénitienne ne sauva pas l’île. Faut-il alors penser que cette communauté fut sacrifiée parce que l’autorité vénitienne, prise par sa lutte séculaire d’aménagement et de défense d’un milieu rebelle, ne pouvait combattre sur tous les fronts lagunaires à la fois ? » 
Qui suis-je pour me permettre des remarques envers cette spécialiste de Venise quand ce paragraphe placé dans la conclusion vient nuancer un parti pris plus tranché développé tout au long de l’ouvrage, envers la trop parfaite Venise?
Le travail de l’historienne est impressionnant, intéressant, honnête, engagé, même si les notes apparaissent surabondantes aux yeux du touriste.
 «  J’ai donc pris le parti de tenter d’écrire la chronique de ce qui pourrait sembler être un évènement sans évènement, mais qui pourtant produit une césure historique, la fin d’une histoire qui advint quand aux maisons et aux églises furent substitués de rares ruines, quelques vergers, la boue, des herbes, le marais »
Avec des échos du « crieur », des renseignements fournis par les testaments, des pièces judiciaires, nous percevons la vie des tavernes, les querelles qui soudent les communautés, le labeur des pêcheurs, des transporteurs de bois.
Il y a  quelques années je n’aurai pas relevé l’importance de la religion et des reliques :
«  A mesure que l’Empire s’effondrait, que les vénitiens se retiraient devant l’avancée turque, ils disaient sauver face aux Infidèles l’essentiel ou presque : les précieux restes saints. Ils perdaient terres et comptoirs mais razziaient les corps saints. »

mardi 30 janvier 2018

Des molécules. Binet.

Tome 4 d’une série « Les impondérables » qui compte « Les déprimés » et « Les irresponsables » comme autres titres, par l’auteur des Bidochon qui eux ont dépassé la vingtaine d’albums.
Le regard est toujours aussi noir, les tics de langage comme : « Tout à fait » aggravent la bêtise  des personnages. Ainsi pour combattre l’IMC (indice de masse corporelle) hors norme de son fils rien de tel qu’un pâté de foie après les carottes râpées :
« Tu auras de frites après ! Tu manges d’abord ton régime ! »
La science d’un chimiste à table ne fait guère progresser l’humanité, les remotivateurs pour ceux qui sont en recherche d’emploi sont plutôt décourageants, et la cantine scolaire est touchée par une quantité importante de coliformes thermotolérants… une secte s’invite au conseil municipal, le chien du petit est mort et l’association de quartier se fait balader par les techniciens.
Les dialogues sont efficaces, les traits relâchés en accord avec le pessimisme du propos.
Les détresses ont beau avoir un gros nez, la maman une mèche à la mode, une larme sur le visage du petit gros qui a peur d’être moqué sera toujours une larme.