mercredi 6 décembre 2017

Venise en une semaine # 12

Ce matin  le silence plane dans les ruelles. Les moustiques nous ont épargnés. 
Nous prenons notre temps : j’écris et Guy consulte son téléphone en attendant 10h l’ouverture de La Chiesa Santa Maria dei Miracoli. Mais nous trouvons porte close, les horaires de visite courant de 10h 30 à 16h 30.

Plutôt que de patienter encore, nous préférons aller à la Ca Pesaro de l’autre côté du Rialto côté mercato. 
C’est encore un palais magnifique au bord du Grand Canal dans lequel on accède par une très jolie petite cour.
Nous prenons plaisir à admirer la galerie d’arte moderna située au premier étage que l’on rejoint par un escalier monumental.
Une mise en scène sobre et aérée sur fond blanc nous fait presque oublier de lever les yeux vers des plafonds qui trahissent la magnificence recherchée par les propriétaires d’antan.
 Un vaste panorama bien dosé des plus grands noms de la peinture occidentale nous est proposé : citons la « Judith » de Klimt, « Le rabbin de Vitebsk » de Chagall, du Picasso, Ernst, Bonnard, Kandinsky, Klee,… et Donghy, Tanguy…
Outre ces toiles sont exposés des sculptures de Rodin, comme « Les bourgeois de Calais » ou « Le penseur » ainsi qu’un ensemble de meubles début XX° aux formes caractéristiques.
Au deuxième étage nous tombons sur une exposition de David Hockney : « 82 ritrati e une natura morta ». La mise en scène est saisissante lorsque l’on débarque dans la salle aux murs rouges et aux rideaux fermés, un spot individuel éclaire chaque portrait présenté avec le même fond bicolore bleu et vert pour différencier le sol, des murs. Une personne identifiée par son nom inscrit sur un cartel, occupe une chaise à accoudoirs et adopte une position dans une contenance décontractée ou plus empruntée, un peu comme devant un objectif.
Un seul des tableaux admet deux hommes et comme le dit le titre, un seul montre un sujet différent. En bout d’expo où toute photo est proscrite, un atelier met à la disposition du public une feuille avec un fond bleu et vert et la chaise des tableaux de Hockney : à chacun de découper ou dessiner le personnage de son choix et le coller sur le support ; feutres ciseaux et colle sont fournis. Les réalisations des visiteurs affichées sur les murs témoignent du talent et de l’imagination des petits et des grands : étonnant !
Il nous reste un dernier étage sous les combles dont les fresques endommagées attendent une restauration future sous des pansements guère esthétiques. 
Il abrite le muséo d’arte orientale constitué d’objets collectionnés par Henri Bourbon à la fin du XIX° siècle lors de  ses voyages en Orient. 
Tout est dans le raffinement, la délicatesse, le savoir faire, le plaisir des yeux : les armes, les armures japonaises, les lances dont les manchons protègent les fers, les laques, le magnifique palanquin pour femme, les boîtes à pique-nique, les miroirs de métal poli, les objets minuscules sculptés dans des matières nobles et coûteuses (boutons, fermetures de vêtements, jeux d’échec) …
La dernière salle renferme une série de masques du Ramayana (légende indienne).
Une fois de plus, nous sommes peu nombreux à découvrir les trésors présentés dans ce palais, ce qui rend la visite d’autant plus agréable et l’accès aux œuvres sans aucun gène ni attente. 
Avant de manger, nous retournons à La Chiesa Santa Maria dei Miracoli autour de laquelle nous avions tourné  à plusieurs reprises lors de nos pérégrinations. 
Cette petite église est parée de marbres polychromes et clairs et de quelques médaillons à la mode des bâtiments religieux de Florence : des grotesques encadrent avec légèreté les portes et les ouvertures. L’intérieur ( payant), utilise les mêmes revêtements qu’à l’extérieur et s’ouvre sur une seule nef terminée par un escalier assez important conduisant à l’autel. Au dessus de celui-ci, règne une Vierge dotée de pouvoirs miraculeux d’où le nom de l’église.
Sous la tribune à l’entrée, les plafonds peints supportent les peintures de Saint François, Sainte Claire et au centre la vierge.  Ne pas oublier de lever les yeux vers la splendide voûte en berceau en bois sculpté d’où nous regardent des patriarches et des prophètes.Il paraît que les vénitiens prisent particulièrement cette église pour les cérémonies de mariage.
Nous nous restaurons à l’ « Osteria da Alberto », adresse du Routard que nous ne recherchions pas particulièrement puisque classée dans la catégorie «  où boire un verre ? » Nous nous régalons avec un risotto de la mer.

mardi 5 décembre 2017

Moderne Olympia. Catherine Meurisse.

La romantique Olympia, celle de Manet court les castings et va se rejouer en vrai « Roméo et Juliette », son film préféré, avec un figurant de tableaux officiels où règne l’opulente Vénus.
Jubilatoire révision du Musée d’Orsay où une cinquantaine d’oeuvres nous font de l’œil à chaque case. Lautrec propose des cacahuètes à ces dames, « Les  Oréades » de Bouguereau sont larguées depuis un avion, et Napoléon occupé par sa campagne de France (d’après Meissonnier) regrette :
« Et voilà. On arrive en retard à la fête et y a plus personne sur le dancefloor »
Les bandes rivales des officiels et des refusés venaient de swinguer gaiement dans le genre West Side Story. A l’époque les producteurs savaient bien que le vent tournait.
Vénus voit ses chérubins, qui ne la quittaient pas, disparaître les uns après les autres sous les roues d’une Micheline ou dans le ventre d’un boa de chez le Douanier Rousseau. Elle estime en plus qu’elle n’a pas une gueule pour aller tourner à Argenteuil. Démodée.
Ces 70 pages ont été réalisées en 2014 bien avant son album si juste et émouvant : « La légèreté » qui évoque l'après "Charlie" (2016) et je n’avais rien vu d’elle depuis.
Toute cette énergie, cette intelligence, cette joie de vivre, étaient possibles avant ; maintenant ce n’est pas qu’aux terrasses qu’il faut faire attention, mais aussi à notre rire.

lundi 4 décembre 2017

Western. Valeska Grisebach.

Toutes les traditions du western sont respectées en terre bulgare : colons allemands et autochtones, jeux de cartes et débits de boisson rudimentaires, cheval, rivière passée à gué, impassibilité du héros solitaire, apparition féminine parmi des mâles au travail …
A l’intérieur des frontières européennes, des communautés rarement scrutées sont vigoureusement représentées.
Le charme de ce film est d’autant plus fort qu’il renouvelle un genre on ne peut plus classique et nous maintient dans l’attente d’un évènement violent. Cette tension accompagne une réflexion sur la nature humaine et les aléas du vivre ensemble, où les moments festifs sont fragiles, menacés. Le travail constitue le lieu du respect et de l’échange. 
Ces ouvriers détachés participent à un kaléidoscope humain très contemporain où se ressent cependant le poids de l’histoire. Nous sommes dans le vieux monde et non dans les plaines vierges des pionniers qui ne furent pas si premiers que ça sur leur route vers un Ouest citerne de mythologies renouvelées.

dimanche 3 décembre 2017

Hôtel Feydeau. Georges Lavaudant.

De retour au pays, Lavaudant qui suscite moins de passion que son collègue Gallotta, ne m’a pas transporté cette fois,
C’est que Feydeau bien joué, même dopé aux intermèdes jazzy et ripoliné de couleurs acides m’a paru complètement suranné.
Les titres de plusieurs pièces compilées auraient dû nous avertir  à propos de l’obsolescence d’un humour tournant autour d’un pot de chambre, d’une belle mère et de soubrettes nunuches  : « Cent millions qui tombent », « On purge Bébé », « Mais n'te promène donc pas toute nue », « Feu la mère de Madame » et « Léonie est en avance ».
Toutes les femmes en nuisette sont hystériques, les hommes balourds et ballots. Jusqu’aux noms des protagonistes qui datent : Folavoine, monsieur Toudoux, Ventroux ou Chouilloux alors que Scapin, Harpagon ou Jourdain nous parlent depuis toujours. 
Curieux de voir comment ce théâtre de boulevard, tant méprisé, revu par un  metteur en scène exigeant dans un lieu habitué à des spectacles novateurs, j’en ai regretté de ne pas être allé carrément rigoler avec « Libérééée divorcééée » : « à voir en couple ou avec son ex » par les auteurs de « Faites l’amour pas des gosses ».
Les personnages sont tellement satisfaits d’eux-mêmes, ils ne s’écoutent pas du tout ; Jo comme ils le nomment tous, le metteur en scène, lui n’aura à entendre aucune critique, ils sont tous emballés, conditionnés ?
« - Vous voyez votre femme qui souffre, qui veut s’asseoir, et vous vous faites le veau dans un fauteuil !
- Je fais le veau ?
- Oui le veau ! Assieds toi ma chérie !
- Je n’ai jamais vu un veau dans un fauteuil.
- Oui, oh ! C’est bien le moment de faire de l’esprit. »
A l’heure où reviennent au premier plan les questions de la condition des femmes, de tels veaux des villes ne sont plus vachards, avec le temps ils sont devenus de démodés bœufs beaufs : bof !

samedi 2 décembre 2017

Mirage. Douglas Kennedy.

La dernière livraison de l’énergique observateur de la vie des couples et de la culpabilité qui s’en suit commence avec l’efficacité d’un roman américain mais se finit en happy end comme tout film américain, enfin presque tous.
Robyn l’experte comptable en veut à mort à  Paul son mari artiste, mais se repend bien vite pour partir à sa recherche jusqu’aux limites les plus extrêmes de la planète, après quelques péripéties des plus rebondissantes, croisant le pire des méchants et les meilleures de toutes les femmes.  
L’opposition des caractères tellement caricaturale va se compliquer à souhait avec des personnages secondaires très typés où l’argent débloque toutes les situations artificiellement disposées tout au long des 447 pages.
Il en va également de toute réflexion, que c’est ben vrai tout ça :
« Ainsi va le monde: l’insouciance de la jeunesse cédant le pas à la nécessité de payer ses factures et d’assumer ses responsabilités, nous sommes tous voués à reprendre le modèle que, durant notre adolescence, nous nous étions jurés de ne jamais répéter. »
Les mensonges peuvent bien se nommer mirages, la subtilité est absente de ce livre facile à lire mais qui s’évapore aussitôt, loin des fragrances subtiles d’un « Thé au Sahara ».
J’avais portant aimé « Piège nuptial »
c’est que les traits accusés de la carte postale australienne m’avaient d’avantage convenu que les couleurs passées de ce dépliant touristique d’Essaouira à Ouarzazate, retrouvé après le passage de ce couple américain en hystérique crise.

vendredi 1 décembre 2017

Trop honnête pour être poli.

Trump n’est pas qu’un épouvantail envahissant dans notre jardinet, il est le nom de nos aveuglements, de nos mensonges.
Il n’est pas arrivé comme ça, alors que tant d’autres pères Ubu sévissaient depuis longtemps sur la planète. Il se situe au point focal d’une accumulation de fake news nourrissant ses partisans qu’il gave maintenant à souhait.
Nous aurions tort de le voir comme émanant d’un système étranger : nous sommes partie prenante. Bien au-delà de la diffusion hâtive d’informations raccourcies, qui n’a pas transmis de conneries? Nos vigilances se sont assoupies sous la couette douillette de la méfiance tous azimuts.
Avant l’expression « c’est dans le journal » attestait de la vérité, dorénavant c’est le contraire.
Tous les journalistes sont soupçonnés d’être vendus puisque leurs employeurs sont riches, sans compter que Bouygues est au capital de l’Huma !  Lorsque des informations sont absentes de leurs papiers, elles prennent la saveur de l’inédit.
En ce qui me concerne, la cérémonie de la lecture d’un quotidien aurait tendance à m’apaiser, quand les flots Facebook, avides de vide et de noirceur, pétitionnaires à tour de clics, m’épuisent. Avec des informations enfin hiérarchisées, je peux ouvrir à l’endroit voulu, retrouver des plumes familières, abandonner ou reprendre des pages grand format jusqu’au jour suivant, prendre mon temps, sans être talonné par les alertes.
Ce rite date mais une pose est bienvenue quand le scepticisme imprègne tous les actes de nos vies.
Le garagiste va-t-il m‘arnaquer ? Le prof être injuste ? L’élève menteur? Les parents envahissants? Le médecin négligent? Le spectacle bidon? La ville à visiter décevante ? La vie ? Le politique malhonnête ? Le président des riches ?
« Riches, nous vous pendrons », comme je viens de le lire sur les quais de l’Isère. La formule risque d’être effacée moins vite que l’inscription «  Piolle m’a bouffé »  sur la dragonne récréative de la place Saint Bruno.
Nous ne sommes pas condamnés, écœurés par le sirop des communicants d’une métropole « apaisée », à verser  côté Ubac où des cyclistes arrogants croisent des automobilistes exaspérés, à la lueur des incendies.
Au comptoir des bavards en toutes matières, certains trouvent inconvenant d’exprimer les problèmes posés par une démographie sans borne, mais fussent-ils partisans de l’avortement ne s’abstiennent pas, eux, de donner des leçons à la terre entière.
Alors pour s’en tenir au débat concernant la sélection qui me semble bien sommaire :
Faut-il pointer que la différence sociale qui finit par se voir à un moment à la fac ne se résoudra pas en maintenant les étudiants dans l’illusion que toute profession est accessible comme ça ?
Et pour ceux qui auraient dans leur monde en noir et blanc, des métiers dignes et d’autres pas, ce serait bien d’imaginer un avenir positif, atteignable, bien que le dilemme intellectuel manuel soit dépassé. Pour la main seule compte la Poucette comme aime la louer Michel Serres. Tiens, dans les professions déficitaires : ajouter ingénieurs techniques, à ce niveau ils préfèrent la finance.
Les marchands d’illusion ont décrédibilisé bien des aspirations à un monde meilleur, est ce que la franchise peut amener à l’espérance ?  Est-ce que citer à ce propos la « décence ordinaire » d’Orwell tirerait l’expression si loin de son lieu de naissance ?
Le mot « honnête » précédant le mot « homme » a disparu sous sa perruque aristocratique et même quand il se pose après : « conforme (1) aux lois (2) de la morale (3) et de la probité( 4) », la définition comporte quatre gros mots.
« Juge-toi honnêtement, et tu jugeras les autres plus charitablement. » John Mitchell Mason.
……………
Le dessin qui précède l’article est de Joann Sfar dans « Paris Match » :
« Soudain je fus saisi par l’impérieuse nécessité d’écrire sur la difficulté d’être au monde »,
 les deux suivants proviennent du « Canard enchaîné » et de « Courrier international ».

jeudi 30 novembre 2017

Retables sculptés en Allemagne. Daniel Soulié.

Des milliers de constructions portant des décors en arrière de la table d'autel sont présents dans l’espace germanique depuis une époque gothique qui s’y était quelque peu attardée.
Le conférencier est déjà venu présenter la ville de Berlin aux amis du musée de Grenoble http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/12/berlin-naissance-dune-capitale-daniel.html, il nous a donné un aperçu d’une production de sculptures particulièrement riche autour du XV° siècle entre Baltique et Tyrol, vallée du Rhin et Cracovie. Les écoles étaient nombreuses de Souabe, Franconie, Saxe, Westphalie... Autel à Blaubeuren.
Dans ces pays luthériens, le patrimoine où figurent quelques saints et tant de sculptures de la Vierge a été particulièrement bien conservé. Les guerres de religion et la révolution en France ont détruit beaucoup d’œuvres médiévales et la réforme à l’anglaise, iconoclaste, a été radicale. Le terme « gothique » était devenu péjoratif, en Italie les productions au goût du jour au XVIII° ont remplacé celles du siècle précédent, ce fut « la baroquisation ». L’Allemagne après la guerre de 30 ans n’avait ni le goût ni les moyens de ces fantaisies et quand la prospérité revint, les romantiques remettaient les Goths à la mode. Le retable des Clarisses Cologne.
C’est là avec Sainte Ursule (les Ursulines) dont on voit Trois de ses douze compagnes que se développa un commerce des reliques autour de « onze mille vierges ». Après parait-il une erreur de lecture, ce nombre est resté dans la légende, et dans la géographie pour certaines îles lointaines. Ce fut un des éléments qui a précipité, le 31 octobre 1517, Martin Luther à clouer ses 95 thèses sur la porte de l'église de Wittenberg, marquant ainsi la naissance de la religion protestante.
Dans la ville de Brandebourg sur Havel, qui fut une capitale du Saint Empire Romain Germanique, la cathédrale  Saint-Pierre et Saint-Paul, en pleine terre de mission catholique entre Elbe et Oder, appartient maintenant à l'Église évangélique. Dans certains lieux de culte les deux religions cohabitaient après s’être entretuées. Les retables souvent refermés ont pu y conserver de vives couleurs.
Pour celui du St Sang à Rothenburg, le travail de Tilman Riemenschneider est tellement remarquable que l’absence de couleurs deviendra la norme.
A Bad Doberan, sur la « route du gothique de briques » ou « gothique baltique », l’abbaye cistercienne fut une nécropole princière ; le retable présente une face pour la communauté des fidèles, l’autre pour la congrégation.
L’ouvrage consacré à Saint Georges à Wismar mesure huit mètres de long,
et le maître-autel de l’église de Blaubeuren  par  la famille Erhart a une hauteur de près de douze mètres. Pas toujours conservés, des gâbles (pignons triangulaires) fragiles surmontent la huche(caisse) qui repose sur une prédelle (socle) sculptée elle aussi.
Le plus grand retable en bois d'Europe est revenu à Sainte Marie à Cracovie après avoir été démonté par les nazis. Y figure l’arbre de Jessé (la généalogie de la Vierge).
Vers Lunebourg, ville rattachée à la ligue hanséatique et prospère grâce au sel, les bateaux transportaient aussi des œuvres d’art, depuis Bruxelles qui exportait ses produits artistiques en série et adaptables aux clients. Détail du retable d'Anver (1518), présentation de Jésus au Temple, Marienkirche.
Je recopie le travail d’un élève d’un lycée Maurice Ravel pour conclure autour de Tilman Riemenschneider.  Son art annonce la renaissance et « il est aussi intéressant par sa prise de position pour la guerre des paysans (1525), ce qui lui valut la torture, la perte de ses charges (bourgmestre) et la confiscation de ses biens » Retable de la Vierge église de Notre-Seigneur à Creglingen.
Cavanna :
« Les maçons du Moyen-Age savaient parfaitement que Dieu n'existe pas, mais ils espéraient qu'à force de lui bâtir des cathédrales, il finirait par exister. »