dimanche 28 juin 2015

On achève bien les anges. Zingaro.

Chaque semaine, j’essaye de partager des moments de musique, de théâtre, mais les spectacles de Bartabas me semblent appartenir à des lieux situés au-delà. 
Ils posent la question de notre humanité, de notre animalité, à chaque fois, magnifiquement.
Depuis le temps que je le retrouve, mon inconditionnalité envers l’homme en colère ne fait que s’affermir.
Pourtant aux yeux des amis qui m’ont signalé que sa troupe passait dans les parages, ce spectacle manquait de cohérence, de liant.
Alors que j’y ai vu, comme dans la vie, la juxtaposition des traditions du cirque et d’un projet poétique grandiose, entre burlesque et tragédie, tellement politique, quand il est question de liberté et de dressage, avec Bach et Tom Waits sous le chapiteau.
Un cheval aux couleurs de lune galope seul, débarrassé de son licol, et un ange pathétique essaye de générer de pauvres nuages. La sincérité et l’engagement, un sourire, la vitalité.
« Elégies » précise le titre : ce sont des poèmes autour de la mort. J’en ignorai le sens, soumis au mouvement d’une culture qui perd tant de plumes.
Nous ne pleurons pas le prix de nos billets : une soixantaine de personnes nous ont offert une fête magnifique et chaleureuse, réglée au millimètre, qui avait planté ses tentes et garé ses roulottes dans le parc de Parilly à Bron.
Des anges aux ailes froissées, voltigent au dessus des croupes sublimes, arrachent aux dindons un glougloutement unanime, soulèvent un poney trottinant devant un chariot volubile. Ils ont rencontré des fantômes inquiétants et beaux sur leurs raides échasses, fragiles, toujours sur un fil ; nous les aimons. Etourdissants dans les cavalcades, tendus et forts quand les chevaux se couchent, légers quand ils dansent parmi les fumées, les bulles, la fausse neige et la vraie poésie. 
Ils nous amusent, ce sont des rêves. Un cheval aux puissants paturons passe pour égaliser le sable de la piste.
Me revient un adage de mon grand père :
« Balzane un : cheval de huns, balzane deux : cheval de gueux, balzane trois : cheval de roi, balzane quatre : cheval à abattre »
J’ai vu un magnifique cheval avec le  bas de ses quatre pattes blanc, nullement abattu et tant d’autres superbes, une mule blanche et un âne et un grand gars en long manteau, unique, pour lequel je me précipiterai lors d’une prochaine création.
……….
Je reprends mes chroniques le lundi 31 août. Bons juillet /août.

samedi 27 juin 2015

La France périphérique. Christophe Guilluy.

Rien que le sous titre : «  comment on a sacrifié les classes populaires » a pu soulever des polémiques : le terme populaire sentant désormais le soufre !
Après l’exode rural qui s’est déroulé au début de l’autre siècle,  un mouvement inverse s’est opéré comme un exil urbain. Le mot «  rural » a laissé place à «  commune isolée hors influence des pôles ».
Au moment où le mille feuilles administratif semblait bien bourratif, pour 34.000 communes (sur 36.000), soit 60% de la population française, l’échelon départemental semble le plus en mesure de défendre cette France périphérique contre les grandes métropoles.
 Si les électeurs imposent la ligne politique des partis plutôt que l’inverse, ceux-ci  continuent à «  parler  républicain », mais «  l’ensemble des partis politiques a en réalité intégré la question ethnoculturelle à son marketing »
Là où  paradoxalement «la critique de l’État-providence ne sera plus portée par en haut mais par ceux-là mêmes qui en ont le plus besoin.  »
C’est que « Imprégnés d’idéologie mouvementiste, les classes dirigeantes qui ne perçoivent le monde qu’à partir des métropoles hyper mobiles n‘ont pas encore pris la mesure du changement culturel qui s’opère dans les périphéries de l’ensemble des pays développés. Car le monde de la sédentarisation qui vient est aussi celui de la relocalisation… »
Parmi tant de questions soulevées sans périphrases, d’angles nouveaux, d’observations pertinentes, d’outils statistiques qui se cherchent, en un ouvrage de 185 pages nerveuses :
 « N’est-il pas temps d'accepter que la question du village soit au cœur des préoccupations des catégories populaires ici et ailleurs ? Des montagnes de Kabylie aux grandes villes chinoises, la question universelle du village raconte, à l'heure de la mondialisation, la nécessité pour les plus modestes de préserver un capital social et culturel à l'heure où l'Etat ne protège plus. »
En ne se plaçant surtout pas en donneur de leçons, Guilly dépasse l’opinion qui se raréfie mais qui a fait du mal, de considérer les classes populaires comme des mal élevés.
Dans la diversité de ceux qui se penchent sur le mal être français, qui agacent les dents de la gauche-Clémentine, je vais aggraver mon incorrection politique, en me précipitant sur le livre de Le Goff «  La fin du village » qui me semble prometteur.
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Ces jours les illustrations sont de  Dan Perjovschi en ce moment au Magasin.

vendredi 26 juin 2015

Nous sommes Charlie.

Le livre de poche a invité soixante écrivains à écrire :
d’Attali, convenu, à Voltaire, incontournable.
Quelques citations :
 «  Il n’y a qu’un seul Dieu, et il n’existe pas » Laurent Binet.
 « Dès qu’on bouge un coude, ça fait le jeu du front national, mais il n'y a jamais rien qui fait le jeu de la gauche ! » Catherine Dufour.
Sous le titre «  Je suis Charlie, mais un peu tard », Philippe Claudel fait remonter le « Munich de la pensée » à 2006 lors de la publication des caricatures de Mahomet.
Dominique Fernandez, était à Florence, et décrit bien la force du symbole d’un ruban noir au bras du David de Michel Ange.
Nicolas d’Estienne d’Orves revient aussi à l’histoire, à la culture :
« nous voici aux temps médiévaux du Nom de la rose, lorsqu’un vieux moine fanatique tue ses camarades de cloître qui osent dire que le christ était gai. Comme si le rire était le premier pas vers un abîme inimaginable aux yeux des imprécateurs : celui de la lucidité. »
Marc Lambron rappelant les morts de toute origine :
« avec des balles meurtrières, les assassins ont fait surgir l’autoportrait d’un pays »
Caroline Fourest dans la foule du 11 janvier:
« Abbas et Netanyahu dans la même marche, quand même ça avait de la gueule.
Un peu côté Plantu, mais quand même, ça avait de la gueule »
Philippe Grimbert :
« Et quand ils surent que le seul Dieu auquel ils se soumettaient ne s’appelait pas Allah mais Tthanatos, qu’il siégeait non pas sur un trône de nuages mais au plus profond d’eux-mêmes et qu’aucune des cents vierges promises par son frère Eros ne les attendait au paradis, ils ne pouvaient plus savoir. »
Vincent Brocvielle et François Reynaert, qui aiment les nuances, reprennent le mot « islamophobie » de leur livre « Kit du XXI° siècle » :
« il faut savoir que le mot est contesté car il est ambigu. Etre raciste, c’est reprocher à autrui d’être ce qu’il est : personne n’a demandé d’être blanc, noir ou jaune, c’est un fait de nature. Etre islamophobe, au sens strict, c’est en vouloir non pas à un individu mais à une croyance. Ce n’est pas du même ordre. Dans une démocratie, on a parfaitement le droit de critiquer une religion, quelle qu’elle soit, cela ressort de la liberté de pensée… » 

jeudi 25 juin 2015

Dan Perjovschi. Magasin Grenoble.

Dans un des temples en général assez désert de l’art contemporain que je fréquentais avec constance malgré la régularité de mes déceptions
un dessinateur, personnage presque incongru dans ces lieux, un dessinateur roumain branché sur le monde et ses folies, est visible jusqu’au 27 juillet 2015.
Il joue sur les mots et les traits, acerbe, allègre, politique, différent des  figures tutélaires subsistant dans nos quotidiens ou illustrateurs d’hebdo.
L’expo s’intitule : «  Pression, liberté, expression », l’artiste y ajoute quelques points d’exclamation, à la craie ou au feutre dans l’ancienne halle Bouchayer Viallet, après avoir eu les honneurs du Moma et de la Tate.
Un accrochage plus traditionnel eût mieux convenu, les graphies sur des plaques de verre recto verso se brouillent entre elles et la somme en quelques livres des productions antérieures pourrait décourager le visiteur par sa profusion, mais l’universalité des messages emporte la mise.
Il suffit de quelques fulgurances pour se dire que ce lieu est fréquentable pour le commun des préoccupés de l’humour, des soucieux des lettres et des tracassés de l’état de la planète.
Une promenade agréable dans un beau lieu à côté de La Belle Electrique à l’esplanade avenante.

mercredi 24 juin 2015

Mots d’enfants.

Depuis longtemps, quand s’approchent les vacances, je livre quelques mots d’enfants :
Titouan notre pourvoyeur depuis des années regarde Papy tartiner des toasts au roquefort:
"il est périmé ton fromage!"
Lilou est dans son bain, se lave la tête et dit: 
"mamie, maman m'a acheté un démêlant à la diarrhée"... (au tiaré).
Copié sur une page Facebook d’une de mes anciennes élèves qui assure de l’accueil péri scolaire :
- Je t'ai gardé une papillote
- Oh merci bichette.
- Moi aussi quand j'aurais des papillotes je t'en donnerai !
- Merci mon bichou c'est gentil
- Et moi je te donnerai des bonbons !!!
- Bah dit donc vous me gâtez !!!
- Et ben moi ... je te donnerai de la viande
- Heu ... merci ... C'est gentil.
Maintenant je puise quelques mots dans le lexique de ma petite fille recueilli par son papa :
De l’historique : « Pipapo »( aspirateur) au « Tifiss »( dentifrice) en passant par  le « Tatipiss » (feu d'artifice) dans sa première année.
A deux ans, il convenait de fêter l’anniversaire : « Joineuhieuh vertaiheuuuuu »
mais il faut bien : « Tu me t'aides, je veux c'est papa qui t'aide (aide moi) »
Elle a découvert le bon parfum du savon liquide : « Je sens la chèvrefeuille »
 A trois ans c’est le temps des bottes en « cailloudechou »
des grandes questions : « Quelle heure et demie ? »   
des inventions : « Raisinsier» (vigne)  
de « Rentrer à poings fermés » 
après avoir « Jeté un clin d'œil » 
et de toutes façons : « Le point c'est tout »

mardi 23 juin 2015

Si Dieu existe. Joann Sfar.


« … je sais pas à quoi il sert ».
Le dessinateur qui a travaillé à Charlie hebdo, nous livre un riche carnet de dessins et de textes après le 11 janvier.
Et comme le disait Sartre : « c'est l'antisémitisme qui crée le juif », l’auteur du « Chat du rabbin » s’interroge sur sa condition et rapporte cette blague :
«  de ne pas manger casher est excellent pour la santé parce que ça évite de prendre une balle ».
 Avec sincérité, auto dérision, il revoit sa place d’homme après le départ de sa femme, la mort de ses parents, d’humain dans un monde où la barbarie progresse.
Si l’éclectisme du réalisateur impressionne, 
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/09/le-chat-du-rabbin-joann-sfar.html 
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/02/jeangot-1-renard-manouche-joann-sfar.html 
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/01/le-petit-prince-joann-sfar-saint.html
son omniprésence dans les médias peut agacer, pourtant c’est bien parce que je l’ai entendu à la radio que j’ai choisi d’acheter ce recueil de 220 pages, et je ne me suis pas trompé.
Comme Shneiderman chez Finkielkrault l’autre samedi, il vacille. Mais les traces fines de sa plume comme celles d’un sismographe sont élégantes, ses mots tracés à la main font partager une sensibilité toujours teintée d’un humour léger pour ne rien asséner. Son corbeau se pose sur notre épaule et  nous adressons des caresses à son chat qui ne l’a pas abandonné mais se montre sans complaisance, ses interrogations deviennent les nôtres,  et ses traits bien à lui nous font du bien.


lundi 22 juin 2015

Mustang. Deniz Gamze Erguven.

Cinq jeunes sœurs se laissent aller à la joie des vacances. Elles ne retourneront pas à l’école, la grand-mère qui les garde finit par subir et imposer la loi de l’Islam, réglant la vie de toutes les filles jusqu’à l’intérieur d’une maison autour de laquelle seront érigées des barrières de plus en plus hautes pour les empêcher de s’évader.
Mariages forcés et vêtements aux couleurs «  de merde » : l’une d’entre elles se suicide, les deux plus jeunes finissent par s’échapper vers Istanbul.
Une énergie, une fraicheur face au conformisme des plus glauques  donnent des motifs d’espérer même sous les éteignoirs des plus rétrogrades.
Des scènes excellentes : la tante  dégomme un transformateur,  la petite  casse une chaise parce qu’ « elle a touché son trou du cul » et plongeon sur un matelas alors que la mer leur est retirée. Quand elles vont dans un stade où les femmes sont les seules autorisées à suivre un match, l’épisode est véridique et délicieux.
Ce film est essentiel, poétique et fort quand l’obsession de réprimer le sexe exacerbe les tensions les plus brutales. Cette maison devenue une prison va leur permettre de fuir.
Dans Slate j’ai lu : « Au cours de l'année 2014, 294 femmes turques ont été tuées. »