mardi 7 avril 2015

L’entrevue. Manuele Fior.

Le psychologue Raniero est en train de se séparer de sa femme, c’est alors qu’il fait la connaissance d’une patiente qui a des visions, lui aussi a vu des  formes dans le ciel.
Nous sommes en 2048, en Italie, et glissons subtilement de la description d’un monde apaisé sur fond de toits romains à de la science fiction sans tapage.
Les personnages n’ont pas des allures d’acteurs magnifiques, ils sont fragiles, faillibles.
Le graphisme est réussi, alliant des cadrages dynamiques à un traitement au fusain estompé qui rend bien compte de la finesse des relations. C’est que la télépathie est devenue un mode semble-t-il courant pour mieux voir le monde. Un groupe nommé « La nouvelle Convention » retrouve des utopies  de 80 ans d’âge : «  la non-exclusivité émotive et sexuelle », et les formes d’architecture futuristes ressemblent  à celles des années soixante.
La nostalgie peut s’exporter dans le futur. Si une voiture verse encore exceptionnellement dans le fossé, la plupart sont électriques et téléguidées, mais les pastèques sont toujours bonnes à partager.

lundi 6 avril 2015

Gente de bien. Franco Lolli.

Une riche bourgeoise de Bogota a l’intention de recueillir un jeune garçon pauvre, mais le fossé social ne peut être effacé par la bonne volonté. Le père de l’enfant dans la difficulté économique, va réussir à construire une relation qui s’annonçait difficile avec ce petit débarqué depuis peu dans son réduit. Une vision originale, dont la violence n’est pas absente, mais où l’amour circule sans mièvrerie, ni verdict édifiant. Un contre point utile en milieu féroce.

dimanche 5 avril 2015

Celui qui tombe. Yoann Bourgeois.

Le noir. Un trait de lumière révèle des corps allongés sur un immense plateau qui descend des cintres. Et nous pensons à d’autres corps là haut.
Trois hommes, trois femmes en équilibre toujours provisoire, créent eux même le danger, se préservent, se tiennent, s’accrochent, glissent.
Plus rien ne sera comme avant. L’expression magnifique, poignante, contenue dans un tel spectacle est un remède à tous les schématismes, à toutes les barbaries. A la suite de la pièce jouée à la MC 2 à propos de Galilée quand la terre n’apparaissait plus au centre du monde, cette fois ce sont hommes et femmes qui sont  menacés sans répits par la chute.
Eprouvant des émotions inédites, j’ai cru lire pendant une bonne heure tant d’expressions de notre langue autour de la précarité de la vie, illustrées magnifiquement avec une force qui nous tient en haleine.
Je suis revenu à l’enfance et son cirque, quand s’élançait un acrobate au trapèze sous le chapiteau de nos angoisses primales.
Les techniciens qui viennent accrocher des filins participent au spectacle, mettant en évidence les mécanismes qui commandent nos vies de marionnettes dont la liberté est illusoire.
Le plateau qui balance peut être un refuge, mais fuyant, contrôlable le temps d’un balancement avant de menacer d’écrasement la belle troupe soumise à la folie d’une plaque qui se dérobe sans cesse, implacable ou folle quand elle se met à tourner trop vite, alors plus personne n’est debout.
« L’acteur est le vecteur des forces qui passent par lui. Il est traversé, agi par des flux qu’il traduit comme il peut ». Les intentions du metteur en scène sont magnifiquement servies avec  une grâce divine et une précision diabolique.

samedi 4 avril 2015

Lionel Asbo, l’état de l’Angleterre. Martin Amis.

Une fois passé le moment de la découverte du « bad boy des lettres anglaises », j’ai trouvé que les 390 pages ne tenaient pas tout le long la verve initiale.
C’est du brutal, injuste, outrancier, scandaleux, féroce : les pitbulls sont nourris à la bière et au Tabasco. Pas vraiment politiquement correct.
« Qui a fait entrer les chiens ? »
Asbo, le méchant absolu, s’est rebaptisé d’un acronyme qui lui est familier  Anti-Social Behaviour Order. S’il avait commencé sa carrière criminelle à l’âge de deux ans, il a aidé son neveu Desmond, le gentil, encombré d’un secret: il a couché avec sa grand-mère (39 ans) qui à dix-neuf ans, avait donné naissance à sept enfants : Georges, Paul , Ringo… de pères différents.
Le décor est situé à Diston, un quartier de Londres qui
« sur une courbe planétaire de l'espérance de vie aurait figuré entre le Bénin et Djibouti (54 ans pour les hommes et 57 pour les femmes) et, sur une courbe planétaire des taux de fertilité, entre le Malawi et le Yémen (6 enfants par couple ou mère célibataire) ».
 «Tout détestait tout le reste, et tout le reste, en retour détestait tout. »
«  Le lycée Squeers Free, sous un ciel tout blanc : le directeur gringalet, les toubabs démoralisés en survêts en rayonne, le petit gymnase délabré avec ses fils de détente, ses pièges, ses conseillers en HV, Hygiène de Vie (« Chaque enfant compte ») et ses coordinateurs du SEBS, (« Soutien aux enfants à besoins spéciaux »), qui emboitaient le pas à tous les ATL , (« atteints de trouble de la lecture ») 
Le gain d’une somme faramineuse au Loto ne changera pas le caractère des personnages,  même si le homard est au menu pour le tonton et s’il essaye de changer son image sous les conseils d’une bimbo poétesse. Les tabloïds ne lâchent pas  « L'Idiot du Loto, le Taré du Tirage, le Nigaud des Nombres, le Détraqué du Quarté, le Psychopathe du Carton, le Bozo du Bingo, le gaga de la Tombola»

vendredi 3 avril 2015

Pipe.

Il ne faut pas dire que les enfants manquent de vocabulaire : après le banal « psychopathe »,  le terme «  pédophile » est devenu courant dans le langage des cours de récré. Cet avènement signe une catastrophe anthropologique, et souille l’image des instituteurs et des prêtres, figures déchues d’anciens régimes.
Il y avait bien le féminin de chat qui prêtait à des sourires, mais ce n’est pas tous les jours qu’on conjugue le verbe savoir au subjonctif, quant à « la pipe de papa » du temps de Rémi et Colette, mieux vaut la bannir : «  Fumer nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage. »
Voilà qu’à Villefontaine un scandale de plus vient éclabousser l’institution éducation nationale depuis la technostructure jusqu’aux petits en passant par les parents et les enseignants.
Le principe de précaution qui  paralyse tant d’initiatives pédagogiques n’a pas prévalu dans l’accession au poste de direction de cette personne déjà condamnée.
Combien de trublions talentueux ont été barrés dans leur carrière car politiquement marqués, intellectuellement libres ? Là, le « référent » avait « les compétences » et de « la ressource » en mettant en place « un dispositif », pour employer les mots d’une administration qui fut désignée prioritairement comme « le mammouth », et plus que jamais prise dans les glaces, hors du temps, hors sol.
Un papa à cette occasion parlait de « syndrome de Stockholm » reproduisant des termes de journalistes pour parler du souci qu’avaient les enfants du sort réservé à leur « maître ». C’est qu’il ne soupçonnait pas la force du rapport qui s’établit dans une classe. Le mot « maître » a beau être proscrit, la réalité de ce prestige rend plus grave encore l’abus envers les enfants. Ce monsieur est peut être de ceux qui apprécient le charisme, valeur cardinale en politique, mais ne sait voir le pouvoir, quand il devrait être destiné à faire grandir les élèves. 
Ah ! Les cellules d’aides psychologiques vont s’installer le temps qu’une catastrophe chasse l’autre, le recrutement des psychologues s’étant amenuisé.  Et ce sera utile pour ces mamans qui pleurent devant les caméras. Des conseillers en com’ mettront en place quelque numéro vert  à délocaliser, une application pour Smartphones, un training  avec coach pour noyer le poison.
Les mots du capitalisme et du sport ont gagné, des mômes sont fracassés.
En faisant appel au judiciaire, on pense panser les plaies : dans cette société libérale, on ne fera qu’ajouter des carcans, des illusions de rigueur. Le bon sens ne saurait suffire, le courage, la simple relation humaine auraient pu prévenir les problèmes, empêcher que de telles affaires soient tues depuis tant de temps. Aucun indice n’avait alerté ? Parents, collègues, personnels, hiérarchie… Nous croyons tout dire, et nous sommes muets, tant de bruit, tant de buzz, et nous n’entendons rien.
Ce silence est à vrai dire celui de tout un système, pourtant bavard, comme en témoigne dans Slate cette jeune  prof  s’exprimant sur le fonctionnement ordinaire: 
« J’ai eu, en tant que professeur de français dans le secondaire, l’impression que tout est fait pour cacher, dissimuler le témoignage de professeurs qui s’éreintent à expliquer qu’on ne peut instruire les élèves sans leur imposer des limites, des règles et le goût de l’effort continu – en vain, puisque tout (le système, les circulaires courtelinesques successives) et tous (la majorité des parents, les autorités qui imposent une mission cachée aux chefs d’établissement, l’absence de bonne volonté face à un système gagné par la gangrène) jouent contre leur mission. »
L’influence des enseignants ne sort pas renforcée, et depuis un moment  beaucoup n’osent plus émettre, quand tel élève en déprise, continue à contaminer une classe sous une violence nourrie de lâchetés.
Au-delà d’un cas exceptionnel, c’est toute l’éducation qui se démet. Justement parce qu’on ne cesse de dire « surtout pas d’amalgame », même hors circuit, cette affaire nous affecte en tant qu’instit’. Chaque enseignante et surtout chaque mâle subsistant dans l’institution, se sent déshonoré après cette affaire qui profane toutes les innocences.
Jaurès avait écrit, en 1888, une lettre aux instituteurs, même si on ne parle plus comme ça, pour la littérature:
« Les enfants qui vous sont confiés n'auront pas seulement à écrire, à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d'une rue, à faire une addition et une multiplication. Ils sont Français et ils doivent connaître la France, sa géographie et son histoire : son corps et son âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu'est une démocratie libre, quels droits leur confèrent, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin ils seront hommes, et il faut qu'ils aient une idée de l'homme, il faut qu'ils sachent quelle est la racine de nos misères : l'égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fermeté unie à la tendresse. Il faut qu'ils puissent se représenter à grands traits l'espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l'instinct, et qu'ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s'appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la    pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l'âme en éveillant en eux le sentiment de l'infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c'est par lui que nous triompherons du mal, de l'obscurité et de la mort. »
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 Le dessin de la semaine sur le site de "Slate"

jeudi 2 avril 2015

Erró au MAC Lyon

Jusqu'à fin février 2015 le Musée d'Art Contemporain présentait les travaux d’Erró, né il y a 82 ans  Guðmundur Guðmundsson en Islande et travaillant en France depuis 1958.
Sous l’appellation « figuration narrative », ses collages, sculptures, et toiles monumentales occupent trois étages.
Il a connu Breton, Miró et Duchamp et passé par les expériences expressionnistes, surréalistes, pop, mais sa spécificité est de brasser les genres.
Ses images sucrées aux couleurs flashies très années 70 annoncent dans leur profusion le déluge présent des clips et clichés sur nos écrans hégémoniques. Là où clignotent  les pubs filant à la vitesse de la lumière vers l’oubli, où photoshop fait fondre toute  les graisses de la réalité.  Dans ce Royaume hygiénique aux grimaces exacerbées, on n’entend pas les cris. Les filtres ont retenu tous les parfums, les sentiments restent dehors.
Sous des contours en ligne claire, celui dont le premier nom d’artiste était Ferro ( « la tranquillité qui part »), rend hommage aux maîtres : Görtz, Van Gogh, Picasso… représente  aussi bien les dieux grecs que des personnages  de Walt Disney, Hitler, Saddam Hussein, Mao Tsé-toung. 
J’étais avec ma petite fille de bientôt quatre ans et cette génération était la plus présente ce matin là.
Je me suis appliqué à lui répéter : « ce ne sont que des images » quand je craignais  qu’elle ne s’effraie surtout devant des œuvres de jeunesse  aux carcasses cauchemardesques en sarabandes.
Mais je crois que cette précaution était inutile, car ce ne sont justement que des images refroidies. La profusion y noie le poison, la conviction militante se perd dans la graphie.
Ce que j’ai gagné en bonne conscience de grand père qui n’a pas perturbé de rêves de princesse, je l’ai perdu en émotions de coureur de musées. 
Nous avons goûté des références, reconnu Tintin et Astérix et quelques loups rigolos, des pirates gentiment affreux, dans une fusion des formes et des couleurs vives qui font le succès des livres jeux « Où est Charlie ? » et son petit garçon au bonnet rouge à retrouver dans les foules.
« En Islande, quand j'étais gosse, des bateaux faisaient naufrage à chaque tempête. On sauvait les marins et ensuite on s'occupait de la cargaison à récupérer. Il y avait des tonnes de marchandises éparpillées sur des kilomètres de plage de sable noir volcanique. J'avais douze ans. Avant l'arrivée des autorités, on enterrait les marchandises dans le sable. Plus tard, on ressortait tout, on tirait au sort pour se partager les "trésors" - de la nourriture et de l'alcool surtout - et on faisait du troc. »
C’est bien cela qui est mis en scène : il remet au jour les images pour chacun, de quatre à quatre-vingts ans, les rehaussant de couleurs, les agrandissant, les multipliant : le monde en icônes semble déconner moins. 
 

mercredi 1 avril 2015

Touriste. Julien Blanc-Gras, mademoiselle Caroline.

Délicat, mignon, subtil, sans prétention. Agréable comme une citronnade en terrasse.
Un humour léger appréciable en ces temps où le monde explose dans tous les coins.
Alors que j’ai pu entretenir l’illusion de jouer à l’explorateur en chambre, quand je vais à l’étranger, l’écrivain lui assume naturellement sa position de touriste. Une fraicheur bien contemporaine  où sont dépassés les longs sanglots de l’homme blanc : le jeune homme est partout chez lui à la surface du globe dont on perçoit plus souvent le bruit des fermetures alors qu’il est de plus en plus facile d’aller de ci de là.
De l’épisode colombien où il « se demande s’il faut avoir peur », en passant par un club de vacances en Tunisie, il se montre disponible,  en restant lui-même, dans un environnement peint aux couleurs les plus agréables.
Il dîne chez la mère du Bouddha au Népal, passe du désert marocain aux visites organisées dans les favelas de Rio, avec candeur, alors à Madagascar quand il relève l’hypocrisie d’une mission scientifique parmi les pêcheurs en détresse, sa dénonciation est  tranchante. Le retour à Paris n’est vécu que comme un interlude, et quand il repart dans la jungle au Mozambique, couché sur le sol, en regardant les étoiles, il retrouve ses rêves d’enfants.