jeudi 16 octobre 2014

Matisse et le parfum des odalisques. G. Croué.

Gilbert Croué a ouvert la saison des conférences aux amis du musée de Grenoble par un récit fiction à la première personne, depuis la chambre de Matisse dont les persiennes ouvraient sur le ciel de Nice.
Arrivé à ses 80 ans en 1949, il se souvient de sa vie, de ses plaisirs, de la peinture et de ses modèles.
Les formes pleines de Lydia au corps renversé, arqué, abandonné. Son dessin capte quelque chose de la beauté, un peu du mouvement, de l’instant, du désir, de la tension, tout en se tenant à distance respectueuse du corps.
« Sa tête penche et se renverse
Haletante, dressant les seins,
Aux bras du rêve qui la berce,
Elle tombe sur ses coussins. »
Théophile Gautier
Le tableau de « L’odalisque à la culotte rouge » est peint à Cimiez. Seuls les tissus, les vêtements viennent du Maroc. A la lumière du matin suivant la réalisation, il revoit sa toile dans sa vérité et remplace des harmonies de bleu  par le rouge, « la couleur de la peinture ».
« Paresseuse odalisque, arrière!
Voici le tableau dans son jour,
Le diamant dans sa lumière ;
Voici la beauté dans l’amour! »
Théophile Gautier
Gustave Moreau, pour lequel une bonne conférence pourrait me faire réviser un jugement  personnel réservé, fut son professeur, respecté par ses élèves surnommés « les Moreauïdes ».
Très respectueux, il les amenait à s’affirmer dans leurs choix, à croire en leur destin : « pas à suivre leur chemin mais à côté du chemin ». « Penser par la ligne, s’exprimer par la couleur ».
Lors d’une sortie en maison close sise « rue de la Trinité », le jeune étudiant ne fut pas seulement fasciné par les décors orientalisants, mais lorsque plus tard il peignait  toutes ses odalisques entre 1920 et 1939, sa femme passant une tête par la porte de l’atelier lui demandait : « alors toujours à la recherche de la Trinité ? »
« L’odalisque à la culotte grise », « L’odalisque au genou levé », « L’odalisque au bras levé », « L’odalisque à la fleur de magnolia », « L’odalisque au coffret rouge », «L’odalisque au tambourin », « L’odalisque à la robe jaune et anémones », «L’odalisque assise », « L’odalisque sur fond rouge »…
Alanguies, solaires, leur corps n’est pas réel ; les contre courbes s’équilibrent avec les courbes dans un espace cadré, le chemisier s’harmonise avec les rayures du sofa. Il faut que ça tienne !
« Sur un tapis de Cachemire,
C’est la sultane du sérail,
Riant au miroir qui l’admire
Avec un rire de corail. »
Théophile Gautier
Lui qui fut adulé par Pollock ou Rodhko, vénérait Ingres et son « Odalisque » au corps d’ivoire, au regard en suspension, parmi des harmonies subtiles de bleus, sous un vide central étonnant.
Arrivant à Paris depuis Saint Quentin, il apprécia Jean-Léon Gérôme qui a peint quelques femmes charnues au bord d’une piscine, mais il n’avait pu entrer dans leur hammam ; l’orientalisme est un conte qui a mis dans le mille.
Il a vu aussi les nabis avec Paul Ranson et ses couleurs en aplat dans « La chambre bleue », le corps féminin est ocre.
Avec ses amis Camoin et Marquet, ils se sont  rendus à Tanger où les ombres profondes découpent des plans nets, et les contrastes de bleu et de blanc font tort aux yeux, des yeux neufs, pour une mémoire vide alors qu’il « prend ses distances avec le fauvisme ». Fathma la petite mulâtre pose pour lui et  aussi Zorah.
« Quant aux odalisques, je les ai vues au Maroc et je fus ainsi en situation de les mettre dans mes toiles sans faux-semblants à mon retour en France. »
Les souvenirs sont des parfums, ceux des corps, de la térébenthine, des gâteaux et des vieux cuirs.

mercredi 15 octobre 2014

Iran 2014 # J3. Après midi à Naqsh-e Rostam et Yazd.

Nous pique-niquons assis sur une énorme natte, sous une allée d’arbres, de pains plats tartinés de thon et fromage et d’une pastèque.
Nous nous arrêtons à Naqsh-e Rostam. Dans la falaise 4 tombeaux en forme de croix, évoquant Pétra pour l’une d’entre nous, abritent des rois achéménides dont Darius. Des bas reliefs postérieurs célèbrent la victoire de Shapour sur les romains ou l’investiture d’un roi.
Face aux tombeaux s’élève la Kaaba-e-Zardusht ou Kaaba de Zoroastre, tour de feu enfoncée dans un carré en dessous du niveau actuel du sol.
D’un coup de mini bus, nous nous dirigeons vers Pasagardes. C’est l’ancienne capitale achéménide de Cyrus. Nous n’en voyons que le tombeau au centre d’une immense plaine. En forme de pyramide à la base, 7 marches plus ou moins hautes conduisent à un édifice de pierres dont il ne reste plus que les lourds vantaux chargés de protéger jadis le corps et le trône en or du roi.
Nous buvons un café au lait bouillant avant de reprendre une longue route. Nous faisons une halte à Abarkuh devant un cyprès de 4500 ans, «  probable témoin des premières vagues aryennes » trônant dans un jardin d’un vert reposant après toute l’aridité des alentours. Très vite trois jeunes garçons  nous repèrent et  débarquent en motos pétaradantes autour du mini bus. Ils testent leur anglais pour entrer en contact avec nous, répètent nos noms. Ils n’ont pas l’âge de conduire, sans casque qui plus est, mais pratiquent le dérapage contrôlé avec maestria devant les étendards noirs mortuaires d’une  maison voisine.
Nous buvons un thé bouillant préparé par notre chauffeur. Dernière étape : il nous reste 200 km avant d’atteindre Yazd.
La route en ligne droite traverse des étendues désertiques d’un paysage sec et rocailleux, sans village pratiquement depuis ce matin. Pour nous distraire Haleh (« croissant de lune »)  passe de la musique, des chansons italiennes, françaises (Juliette Gréco, Michel Berger revisité) un peu d’anglais, lorsque nous ne somnolons pas.
A chaque check point M. Ali enfile son pull à épaulettes. On commence à apercevoir des dômes en terre, construits au ras du sol, qui servent de châteaux d’eau.
Nous arrivons à Yazd dans la nuit, surpris de l’ampleur de la ville, de son côté plus moderne par rapport à Shiraz. Les monuments à caractère musulman sont joliment éclairés. Nos deux Iraniens semblent hésiter sur la direction. Haleh s’arrête pour demander son chemin, téléphone et finit par trouver le jeune homme envoyé à notre rencontre par l’Hôtel Abib Almamalek situé dans la vieille ville. Il s’agit d’une ancienne maison de marchand en torchis avec des murs hauts et une porte d’entrée plus haute encore. Nous pénétrons dans un patio couvert aménagé en restaurant, bordé de larges divans en bois. L’accueil est agréable avec un verre de jus d’orange en bienvenue. Nous investissons les chambres surélevées de 3 marches composées de trois à cinq lits chacune. Nous héritons de la plus grande avec un petit salon central. Nous sommes les seuls clients à cette heure tardive, nous mangeons bien après une petite balade sur le toit proposée par un jeune employé. Douche, lessive, journal et dodo.
D’après les notes de Michèle Chassigneux.

mardi 14 octobre 2014

La vie des festivals. Gaudelette.

Depuis  sa majesté Gaston La Gaffe, la vie des rédactions des journaux de BD est un genre à part entière, car c’est bien de cela dont il s’agit et non de la vie des festivals qui n’est l’objet que d’une histoire sur huit.
Ne fréquentant plus Fluide glacial depuis longtemps, je ne connaissais pas le dessinateur et j’ai aimé son humour désinvolte, sa mauvaise foi, l’éternelle panne d’inspiration qui arrive à remplir la planche, les collègues, son chef, son trait  paresseux mais expressif.
L’auto dérision est un  sujet inépuisable.
« Je sais… JE SAIS !...  que ça fait une page débitée pour ne rien dire… que j’en fais quoi du respect des lecteurs… que si je crois qu’on me paye pour débiner mes collègues… je sais ! Et eux aussi, ils savent…les lecteurs… et surtout les abonnés !! Tu y as pensé aux ABONNES toi ? Abonnés au prévisible, à l’attendu… au même refrain récité par cœur »
Pas de quoi avoir le grand prix d’Angoulême … quoique avec un ruban adhésif un petit bandeau rouge sur la couverture pourrait être vendeur, mais le rafistolage se voit.

lundi 13 octobre 2014

Saint Laurent. Bertrand Bonello.


Ce film étoffé aborde les enjeux économiques de la haute couture, le travail des petites mains, les affres de la création, la lumière et le noir, la beauté, la boue, l’étourdissement, les hommes, La Femme, la peur du petit matin. La richesse, tant de « choses » accumulées, le raffinement et la vanité.
Gaspard Ulliel, léger et habité, qui apparait dans la pub de… Channel quand les murs s’effondrent, interprète le couturier, génie précoce, remarquablement.
"Tu as tout. La beauté, la richesse, la jeunesse. C'est beau d'être comme ça. Mais de cette vie, tu es déjà las. Tu n'en as plus envie".  
La bande son est somptueuse, les personnages ambigus, fragiles, vraiment pas univoques:  Pierre Berger ( Jérémie Régnier) a-t-il sauvé Saint Laurent ou s’en est-il servi ?
Depuis les années 70, fumantes, quelques images à conserver. L’écran est partagé : le smoking pour les femmes, à la fois très classe et novateur, et les gaz au quartier latin, des poussières dans le désert, des volutes de cigarettes. Le révolutionnaire de la mode semble hors du monde.
YSL : Yves si seul.

dimanche 12 octobre 2014

Six personnages en quête d’auteur. Pirandello.

" File la laine, filent les jours
Garde ma peine et mon amour
Livre d'images des rêves lourds
Ouvre la page à l'éternel retour. "
Une petite fille chante, elle est à l’âge où l’on joue dit-on à faire semblant, au cœur de cette pièce où le théâtre se joue dans le théâtre ; des personnages venant supplanter des acteurs en train de répéter.
Miroirs : où est le vrai ? Qui pourra dire la douleur ? Qui suis-je ?
La comédie dramatique de 1920, de genre philosophique, passe très bien grâce à l’humour, au dynamisme des acteurs, à l’évidence de la mise en scène, à sa poésie.
A l’heure où l’exposition de soi nous fait des gros nez en selfie, le metteur en scène Emmanuel Demarcy-Mota élargit le propos :
« Est-ce parce qu’aujourd’hui, il nous semble que la réalité s’est substituée à l’idée, que la figure de ce monde passe et n’est qu’une illusion, que nous croyons que le monde entier est une scène? On a plutôt aujourd’hui le sentiment que l’illusion a gagné les corps et les âmes, et engendré ce malaise de sujets irrémédiablement divisés. » 
Nous sommes bien au-delà d’un questionnement sur le monde du théâtre, nous révisons les mots qui tournent autour de la vérité : le mot « représentation », voire « arrête ton cinéma ! ».
Le théâtre ou le roman ne disent-ils pas les faits plus fidèlement que le visible, le trop évident ? J’adore discuter de l’indiscutable.

samedi 11 octobre 2014

Le quatrième mur. Sorj Chalandon.

J’ai lu ce livre au moment où depuis nos écrans nous savions que Gaza était encore mis à feu et à sang.
Alors l’acharnement du narrateur à vouloir faire jouer Antigone à Beyrouth en 82 au moment des massacres de Sabra et Chatila m’a paru bien dérisoire.
Le « quatrième mur » est dans le vocabulaire du théâtre ce qui sépare les acteurs du public. Dans leur lieu de répétition, il n’y a plus que trois murs.
Ce livre qui a reçu un prix de lycéens m’a paru désespérant en montrant l’impuissance de la culture face aux passions de mort. Il avait embauché dans son entreprise une palestinienne, un druze, un maronite, des chiites, un catholique mais même pour le temps d’une illusion de paix : impossible ! Mettre « ses tripes à l’air » n’étant pas une métaphore sous ces latitudes.
« Avant le cri des hommes, le sang versé, les tombes, avant les larmes infinies qui suintent des villes, les maisons détruites, les hordes apeurées, la guerre était un vacarme à briser les crânes, à écraser les yeux, à serrer les gorges jusqu'à ce que l'air renonce. »
L’ancien correspondant de Libé connait son affaire et ces 323 pages sont l’occasion de faire s’exprimer quelques protagonistes armés, de revenir sur les engagements militants des années 70,  avec une honnêteté et une lucidité qui nous laissent nus.
La violence, l’absurde sont rendus avec force mais l’éclat des mots pâlit sous les années corrosives  et les haines recuites. 
Le trop beau projet de reprendre cette pièce  d’Anouilh jouée en 1944 où une résistante préfère la mort à l’injustice se fracasse sur le réel, le metteur en scène qui a voulu honorer la promesse à un ami y perdra la raison et ses amours.
« Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. Elle pense qu'elle va être Antigone tout à l'heure, qu'elle va surgir soudain de la maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille et se dresser seule en face du monde, seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi. Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. »

vendredi 10 octobre 2014

Le Postillon. Octobre 2014.

Le gauche bimestriel (2 € les 16 pages), traitant de la cuvette grenobloise, titre pour ce numéro 27: «  Pierre Gattaz et le modèle grenoblois : c’est l’amour » avec Destot reconnaissable à son badge CEA et une rose, dans les bras du président du MEDEF.  
C’est du surligné, sans humour. Les dessins sont pour beaucoup toujours aussi maladroits, mais certains articles sont éclairants tel celui concernant le modèle Grenoblois reposant « sur un pillage de l’argent public, une philosophie inepte et des procédés immoraux » : c’est qu’on n’y va pas avec le dos de la clef à molette chez les amis de « Pièces et main d’œuvre ».
 « La recherche développement » peut être une manne pour les financiers quand le devenir des aides n’est pas suivi. C’est clair à travers l’explication de la stratégie de Raise Partner: cette startup permettant d’optimiser les placements boursiers à l’intérieur de laquelle était impliqué le nouveau maire de Grenoble comme le Postillon le révéla http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/06/le-postillon-ete-2014.html . Où l’on peut apprendre aussi que Pierre Gattaz n’a rien à voir avec l’enracinement isérois de son père Yvon qui créa  l’entreprise Raddiall devenue depuis très branchée sécurité.
« Cette année là, au cours d’une compétition officielle ayant lieu tous les six ans, une équipe d’outsiders de gauche menée par un capitaine charismatique fracasse les tenants du titre. Une victoire historique, un match qui marqua son époque. La recette de ce succès inattendu ? Des candidats issus en partie du monde associatif et de la société civile, un futur maire dynamique à l’image «  efficace »un programme faisant la part belle au « local », à la démocratie participative et au renouvellement de l’action publique… sans parler d’un contexte électoral favorable : gauche traditionnelle déboussolée, droite à la ramasse et un taux d’abstention élevé comme toujours. »
Il s’agit de l’année 1965, quand Dubedout fut élu, en habile introduction à un article intitulé « Piolle, jusqu’audubedoutiste ? » argumenté et vigilant quant aux injonctions participatives de la nouvelle municipalité.
La rencontre avec un contrôleur de la SEMITAG, un compte rendu d’audience au tribunal, un petit tour à l’Ile d’amour ou le récit d’un duel à l’épée entre journalistes du Petit dauphinois et celui du réveil du Dauphiné en 1887, sont vraiment à leur place dans ces pages apportant un regard sans concession sur notre biotope. 
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 Dans le "Canard" de cette semaine: