lundi 26 mai 2014

Cannes cinéphiles 2014.

A  Cannes le cinéphile vit surtout dans les files.
Tout ne se passe pas sur la Croisette: certaines salles où sont projetés des films des différentes compétitions sont indignes : d’une année sur l’autre, le Studio 13  à La Bocca n’a pu changer que quelques fauteuils, certains tenant avec de l’adhésif.
Toutefois, tout le monde est censé savoir que Chopard, le joaillier, a  réalisé la palme en un or « éco-responsable ».
Je développerai  plus tard  sur ce blog, chaque lundi, la critique de certains films au moment de leur diffusion à Grenoble.
Pour cette année dans le genre de ce que je fis l’an dernier, http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/05/cannes-cinephile-2013.html , en essayant de repérer des thèmes communs, il m’a semblé plus simple de remarquer d’abord les films, ne traitant pas de la violence, tant celle-ci  les traverse tous.
Ainsi le documentaire « Les gens du Monde » consacré au quotidien de référence ne recèle guère de bestialité, même si la rédaction s’affole à l’annonce d’un AVC de Michel Rocard, sa nécrologie n’étant pas mise à jour depuis 95. Il est arrivé dans ce type d’anticipation que des journalistes décèdent avant la personnalité dont ils avaient été chargés de retracer la carrière.
Pas de violence non plus dans  « The red house », une douce histoire d’amour entre un baba néo zélandais et une chinoise qui transcende les différences culturelles, mais dans « Le miroir ne ment jamais » malgré ses allures de carte postale, la mort, celle d’un père, est très présente. Le beau film de Pascale Ferran, « Bird people » est poétique, ses personnages qui s’échappent du stress contemporain, causent  pourtant quelques dégâts en particulier autour de l’un d’entre eux.  
Tous les autres abordent la barbarie, la férocité, la cruauté, depuis  des enfants suédois expulsant leurs parents de la chambre d’un bel hôtel en station de sport d’hiver dans « Force majeure (Turist)» jusqu’à « Fallout »  qui rappelle la menace nucléaire sur le monde  avec un documentaire consacré à l’écrivain Nevil Shute dont le roman « On the Beach » fut porté à l’écran avec Ava Gardner et Gregory Peck dans « Le Dernier Rivage ».
Nous avions commencé notre festival avec un film idéal pour ouvrir l’appétit : « FLA, Faire l'amour » rempli d’énergie, servi par des dialogues qui cognent : un kaléidoscope imaginatif parfois trop gourmand, mais stimulant. Il ouvrait aussi une thématique où les tests de grossesse se multiplient avec des présences importantes de bébés, voire leur absence. C’est le cas dans le dépressif « Bunny » ou dans le riche « Self made » alors que la vie d’une Israélienne croise celle d’une Palestinienne : du pessimisme peut naître du burlesque. Dans « Le procès de  Viviane Amsalem » une femme n’arrive pas à divorcer en passant par le tribunal religieux à calottes, seul habilité à asservir.
La prison est évoquée dans une dizaine de films, dont « Qui Vive » avec Reda Kateb vu par Libé comme le Michel Simon d’aujourd’hui ou dans  l’anodin «  Swerve (Sortie de route) ».
Le coupable dans « Fatal Honeymoon » essaye d’y échapper.
Le rap présent dans la bande son de bien des propositions est le sujet principal de  « Brooklyn »,  et Skipe constitue le lien de beaucoup de protagonistes avec les portables qui signent l’époque pendant que des rapports sado maso s’affichent dans plus d’une relation.
Les lignes de coke et autres drogues sont banalisées en particulier dans le brumeux  « Catch me daddy » et dans « Foxcatcher » où un milliardaire s’achète des médaillés en lutte gréco-romaine mais dans « Gente de bién » le garçon pauvre et son papa ne voudront  pas subir les bienfaits d’une riche bourgeoise des plus charitables.
Les effets appuyés  de « These final hours » qui recense tout ce que l’on peut imaginer quand on sait qu’il  ne reste à la planète que six heures à vivre m’ont bien moins ému que « Le challat de Tunis », un « documenteur » sur un homme devenu une légende urbaine qui lacérait les fesses des femmes de sa lame ( challat).
Parmi les films où l’amitié entre filles est célébrée, qui ont bénéficié du plus de pages qu’ « Eka et Natia », deux filles géorgiennes surmonteront sans doute les contraintes les plus régressives : « Bande de filles » où la recette de « Hors les murs » et sa brochette de pépettes, semble se répépéter avec des blackettes reprenant les codes machistes les plus caricaturaux, m’a paru surévalué comme « Timbouctou » malgré le sujet tragique de l’arrivée des islamistes dans ces contrées trop proprement filmées.
Ma préférence à moi, ira cette année vers « Les combattants »  aux préoccupations  et au ton  très contemporains qui renouvellent l’éternelle histoire d’amour entre deux êtres aux caractères contraires sur fond social, sans lourdeur démonstrative.
Devant la diversité des lieux  abordés, des manières différentes de filmer, j’aurai bien repris la formule magique de Marry Poppins que je viens de découvrir : « Supercalifragilisticexpialidocious », mais sa sophistication ne conviendrait pas aux rythmes endiablés d’aujourd’hui, bien que les durées des films s’allongent encore.
Sauf Godard : une heure dix. Lui ne se démode pas, semble-t-il.

mardi 6 mai 2014

Rubrique à brac. Tome 5. Gotlib.

Relire 40 ans après les pages cultes que nous attendions alors avec impatience semaine après semaine, dans un album emprunté à la bibliothèque aurait tendance à nous faire choir dans une faille spatio temporelle pour emprunter le langage qui sévissait chez certains de ses voisins de l’époque.
Il les célèbre d’ailleurs : Cabu, Fred,  Greg,  Morris,  Lob, Goscinny…
et livre quelques planches avec d’autres : Giraud, Druillet, Bretécher, Mandryka avec lequel il propose180 cases pour  décrire une tranche de vie où chaque geste est détaillé en gros plan si bien : « qu‘avec tout ça il s’est mis en retard ».
Newton est là, le savant-professeur Burp et ses animaux pas tristes (chat crocodile et escargot), Bougret et Charolles les policiers, Super Dupont, et la coccinelle dans le coin.
Les traditions sont joyeusement malmenées : dernier premier avril et dernier Noël.
Un piano recèle des trésors et l’art du camouflage des surprises impassibles.
Les parodies abondent : western spaghetti avec Lucky Lucke, et confusion chez la Belle au bois ronflant avec Blanche neige où apparait aussi Le Prince Ringuet. Malheur à la fée libellule qu’un brochet goba.
Où l’on apprend que l’aigle noir de Barbara n’est qu’une interprétation de l’apparition d’un « éléphant rose dans un bruissement d’ailes prit son vol pour regagner le ciel » :
«  Si c’est pas malheureux de voir ça ! Quand je pense au délicieux bambin que c’était ! On devrait pas vieillir tiens ! » dit le gracieux pachyderme à celui  qui a forcé sur le whisky.
Les cours de pédagogie y sont efficaces, Shakespeare est mis à la portée de tous et le retour vers les origines de certaines expressions ne manquent pas de nous surprendre. Les textes sont soignés comme les dessins pour un décalage supplémentaire dans un délire jovial :
« Depuis que j’ai vu Sylvandre
Me regarder d’un air tendre
Mon cœur dit à chaque instant
Peut-on vivre sans amant
L’autre jour dans un bosquet
De fleurs il fit un bouquet
Il en para ma houlette
Me disant : « Belle brunette
Flore est moins belle que toi
L’amour moins tendre que moi »
..............
Reprise des postages le lundi 26 mai.

lundi 5 mai 2014

Les Chèvres de ma mère. Sophie Audier.

La réalisatrice filme sa mère qui arrive à l’âge de la retraite et doit céder son troupeau de chèvres à une jeune fille plutôt formée à l’élevage du mouton.
La  chevrière soixante-huitarde, avant de profiter d’une maigre retraite, a toujours du mal à  anticiper par rapport à une société dont elle n’approuve pas les tendances à l’uniformisation. Elle avoue ni trop vouloir ni trop savoir comment transmettre ses compétences qui ne se prodiguent pas le temps d’un stage, comme par exemple laisser son troupeau libre tout en le rassemblant à la voix. Il faut le faire avec des chèvres, mais elle-même est un peu chèvre et parmi ses préceptes  le plus senti, ressort l’idée que ce sont les bêtes elles mêmes qui enseigneront à celle qui lui succèdera, pleine de bonne volonté, attirant plus la compassion que la confiance. Cette jeune femme n’a pas les facilités langagières de sa formatrice qui avait choisi cette rude existence ; elle se grise de sigles, de plans de financements, arrive encadrée par des conseillers pertinents, mais elle n’aura pas la liberté de la Magui  dont j’ai connu quelques exemplaires infernales et libres, de bonnes actrices aussi.
Ce documentaire familial « salut les caprins » n’atteint pas la force des « Profils paysans » de Depardon, ni l’émotion  de la fiction canadienne « Le démantèlement »  http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/02/le-demantelement-sebastien-pilote.html
"Cabris, c'est fini!" ou le "bique end" .

dimanche 4 mai 2014

Coltrane. Antoine Hervé, Stéphane Guillaume

 
Pour John William Coltrane, un des saxophonistes les plus révéré, la musique a été une consolation dans une vie parsemée de deuils et un véhicule à sa quête d’absolu.
Elevé dans un milieu  religieux méthodiste, il trouve sa voie à Philadelphie qui connaissait alors le bouillonnement créatif qui était celui de La Nouvelle Orléans 40 ans plus tôt.
Commençant sa leçon de jazz par un bref rappel biographique, notre conférencier pianiste habituel http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/01/stephane-grappelli-antoine-herve.html
rend hommage à « Trane » pas seulement en paroles, mais en ouvrant magnifiquement le concert par « Naïma » en hommage à sa femme. Je me permets de penser à ce moment là, que la musique vaut le plus beau des poèmes.
Présenté comme un homme timide, méticuleux et rêveur, il participe à l’ensemble de Milles Davis qu’il quitta puis y revint, après avoir été accroché par la drogue. Il passe chez le grand architecte Monk.
Au milieu du XX° siècle, le natif de Caroline du Nord a traversé une période classique, modale puis free, cherchant sans cesse de nouveaux sons, de nouvelles harmonies, de nouvelles capacités instrumentales. Avant la mondialisation marchande il ouvrit nos oreilles aux musiques du Monde se considérant comme une interface d’une force supérieure.
Le complice d’Hervé, Stéphane Guillaume nous détaille au saxo ce qui faisait la spécificité de Coltrane : ses notes vrillées, ses sons multiphoniques, mais surtout il interprète « Giant Steps » « Body and Soul » « A Love Supreme » « My favorite things »…  avec subtilité, en cavalant dans des morceaux qui m’ont paru complexes, les deux musiciens alternant ou synchro nous ravissent. Pris par le plaisir de jouer partagé par le public qui les rappela à deux reprises, ils ne développèrent pas la période free, pas plus que ne fut mentionnée la date de sa disparition (1967), péché véniel.
Les touches blanches du clavier plutôt occidentales ont joué avec les touches noires du reste du monde


samedi 3 mai 2014

Home. Toni Morisson.

Dans le sud des Etats Unis dans les années 50 nous suivons les errances un homme revenant de la guerre de Corée. Pauvreté et violence pourtant omniprésentes apparaissent souvent comme par inadvertance dans le récit en 150 pages du prix Nobel 1993 de littérature, pas toujours frontalement comme ici : 
…elle dit quelque chose en Coréen. Ça ressemble à « Miam-miam ».
Elle sourit, tend la main vers l’entre-jambes du soldat et le touche. Ça le surprend. Miam- miam ? Dès que le regard passe de sa main à son visage, que je vois les deux dents qui manquent, le rideau de cheveux noirs au-dessus d’yeux affamés, il la flingue. Il ne reste que sa main parmi les ordures, cramponnée à son trésor, une orange tavelée en train de pourrir. »
Il s‘agit de la version du personnage principal, un noir dans un milieu où l’esclavage n’est pas si éloigné, qui alterne avec la voix plus poétique de la narratrice.
Les individus semblent des fantômes vaincus par le destin à la rencontre des cadavres mal enterrés de leur enfance. Le récit parfois en apesanteur peut aussi avoir la franchise des auteurs américains mais dérouter; il m’a fallu les commentaires de lecteurs enthousiastes pour comprendre que le style est parfaitement accordé au propos qui m’avait laissé assez insensible bien que les sujets abordés soient terribles.

vendredi 2 mai 2014

Deux mai.

" Pourquoi dire: Il fait beau temps?
Ce beau temps là sent la pluie.
Un air de mélancolie s'est emparé du printemps. "
Le 1°Mai à Istanbul, à Taipei, à Jakarta, à Dacca : ça a de la gueule.
Ici, cette année je ne suis pas allé au défilé, j’avais pourtant tellement aimé ces rendez-vous parfumés au muguet, du temps où le printemps n’était pas qu’une affaire de météorologie, longtemps longtemps avant que les hérauts de la gauche ont disparu.
Rabhi ravit les téléspectateurs, mais Dany est parti, Rocky vieillit et Finki s’aigrit.
Les rouges bannières sont abattues comme il convient de le faire des voiles quand plus aucun vent ne les pousse, victimes de chansons aux couleurs de cerise comme tant  d’autres qui ont attendu le prince ou la princesse charmante toute leur vie et finissent seul(e)s.
Quand il ne reste que des squelettes de chansons, au moment où les rythmes solaires appellent les défilés à battre son plein sur les boulevards, « dictes moy où n’en quel pays » se trouvent des réponses aux inégalités qui se creusent, aux libertés qui se réduisent, aux fraternités qui se fracassent ?
Les féministes pouvaient se trouver dans le même cortège que ceux qui fêtaient les solidarités internationales ;
aujourd’hui des gamines ne sortent de chez elles que pour mettre la kalach sous leurs tentures, les brigades internationales font le Jihad.
Les rocardiens retrouvaient  des anars pour secouer les hiérarchies ;
aujourd’hui passent pour des gauchistes ceux qui veulent préserver les petites retraites !
Mise à toutes les sauces jusqu’aux plus rances, la liberté s’immole dans les incendies de portail écotaxe ou de radars qui visent à réduire la vitesse, elle s’éteint sous la régression des savoirs et la haine des cultures.
" … là-haut les quatre vents,
Pris d'une brusque furie,
Bousculent la bergerie,
Des petits nuages blancs...
pourquoi dire: Il fait beau temps? "
Rosemonde Gérard
……………
Dans le « Canard » de cette semaine :

jeudi 1 mai 2014

Affiches en France. #2. Savignac et les autres.

Benoit Buquet avait intitulé cette deuxième conférence aux amis du musée :
« Après guerre, années pop et contestation 39/75 ». 
Cassandre (voir http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/04/affiches-en-france-1-toulouse-lautrec.html#1 ) inventeur « du beau, du bon, Dubonnet » n’est plus aussi flamboyant après guerre qu’avant. Vichy a interdit toute publicité concernant l’alcool.
Willemot qui inventa la spirale en écorce d’orange d’Orangina, mit en scène « travail » « famille » et « patrie », puis à la libération rend hommage à la France combattante. Sa collaboration dans les années 60 avec les chaussures Bally est empreinte d’élégance ; le trait qui entoure les corps enduits de Bergasol assure une lecture franche du dessin et surligne la protection promise par le produit.
Des artistes comme Matisse se trouvent réactivés par les affichistes qui verront leur inventivité attaquée par le marketing.
Savignac, « né à l'âge de quarante et un ans, des pis de la vache Monsavon. » cherche à divertir. Il crée des mythologies au moyen de gags visuels efficaces : la vache du pot au feu Maggi se met en deux pour humer la bonne odeur de son autre moitié en train de mijoter. Un zèbre a mis ses souliers pour vanter Cinzano et « vite un Aspro !» car le trafic automobile traverse nos tympans. Il reçoit des commandes de toute l’Europe : fromages italiens, journaux hollandais, cigarettes allemandes…
Hervé Morvan, dans la même veine, met un homme à l’abri dans une bouteille de Gévéor et ses slips se confondent avec les coques de « Petit bateau ».
Georges Mathieu, s’exprime dans le registre de l’abstraction lyrique, dans une campagne pour Air France où son « tourisme de l’œil » fait escale.
La signalétique des jeux Olympiques de Grenoble est l’œuvre de Raymond Excoffon un graphiste, typographe, influencé par l’op art, qui laissa aussi la fourrure chaleureuse d’un écureuil épargnant humaniser les surfaces lisses offertes par les trente glorieuses.
Bien que La France ait été rétive à l’austérité du Bauhaus, le suisse Jean Widmer mettant la lettre au centre de ses travaux, va marquer nos paysages avec la signalétique des autoroutes, ou  celle de Beaubourg. Il venait de la direction artistique du « Jardin des modes », où il fit primer des compositions rigoureuses.
Roman Cieslewicz émigra vers la France, depuis la Pologne, son pays d’origine,  qui influença nos artistes par ses affiches de théâtre ou de cirque. Le portrait pop art d’un Guevara christique est à l’origine de toute une iconographie. Les lettres encadrées de guillemets « Che si » prenant la place des yeux, s’affirment avec force.
De l’atelier au sous sol des Beaux-arts en mai 68, sortiront :
« La chienlit, c’est lui », « Quand les parents votent les enfants trinquent », « La beauté est dans la rue », elle lançait des pavés si légers, « Sois jeune et tais toi », « La police vous parle tous les soirs à 20h », un CRS derrière son bouclier  siglé« SS » lève sa matraque, la jeunesse à la tête bandée s’inquiète pour son avenir...
En 72, le Front des Artistes Plasticiens manifeste contre une « expo fric », une « expo flic » à Beaubourg en reprenant le style sérigraphique qui fit florès quelques mois avant ; il conteste l’absence de certains ou la présence d’autres « vendus au capital » : une affaire d’artistes.