samedi 8 juin 2013

Les gauches françaises. Jacques Julliard.



#2. Le tableau.
Julliard qui fut un des phares de la deuxième gauche (les Rocardiens, la CFDT de Maire) est d’une lucidité décapante, il sait que ce courant décentralisateur « est condamné à se réfugier dans la sphère idéologique et se voit détroussé par sa rivale, en général beaucoup plus pragmatique. » Il apporte une documentation historique qui ne peut se contenter d'images pieuses bradées au pied du génie de la Bastille, il rend hommage à Régis Debray qui a opposé :
« la laïcité républicaine à la religiosité démocrate ; le monde de la politique à celui des affaires ; l’universalisme au localisme ; le civisme au moralisme ; l’école fermée à la communication ; la mémoire à l’amnésie ; l’idéal d’égalité sociale à l’acceptation des inégalités utiles ; le citoyen à l’individu ; le masculin au féminin ; la caserne au bordel ; et de conclure avec équité un parallèle tout imprégné d’esprit républicain, c'est-à-dire jacobin : « une République Française qui ne serait pas d’abord une démocratie serait intolérable. Une République française qui ne serait plus qu’une démocratie comme les autres serait insignifiante. »
Ouvrant sa réflexion sur la notion de nature, l’historien engagé conclut par là :
« la confrontation entre les hommes se complique d’une confrontation entre les hommes et la nature ».
Au commencement advint la démocratie, les derniers mots qui prennent du relief au bout d’une telle somme sonnent l’alarme:
«Une course de vitesse est en effet engagée aujourd’hui dans la plupart des sociétés entre l’indifférence des citoyens et leur besoin de participer. Pour la gauche, ne pas donner suite à cette aspiration, ce serait avouer qu’elle n’aurait été qu’une étape, en voie d’être dépassée, dans l’histoire de la liberté. Désormais, pour être à la hauteur de son passé, elle a besoin d’hommes nouveaux, qui n’aient pas peur du peuple ni des idées qui lui ont permis, pendant deux siècles, de faire l’Histoire. »
Pour ne pas à être condamnés à « vivre du parfum d’un vase vide », comme Renan le disait joliment de la société post chrétienne, il est de plus en plus nécessaire de revenir au cœur de cette épaisseur historique. 
«  L’instruction est ce qui unit et, parfois nivelle. La culture est ce qui distingue. »
Etudions, sachons ce que nous devons à Antigone face à Créon, même si dans notre société sans sommeil, les mémoires se cachent de préférence dans les machines.
Nous pourrons constater la  péremption de certains mots : ainsi « bobo » signifia bolchevique-bonapartiste par opposition aux lili (libéraux libertaires), il n’y a pas si longtemps.
Qui est héritier des jansénistes ou des jésuites ? Sommes-nous du côté de l’initiative divine ou de la liberté humaine, avec les bourgeois parlementaires contre l’arbitraire royal ?
Nous aurons besoin de toute notre raison pour faire carburer nos sentiments.
……………………………….Copinages…………………………………………………
 A la bibliothèque Barnave de St Egrève rencontre avec Marie-Thérèse Jacquet
( dont des nouvelles sont en ligne sur ce blog à la rubrique écrits de lecteurs) où son dernier roman « Le radeau de Victoire » sera présenté mercredi 19 juin 2013 à 18h30.
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Du lundi 10 juin 14h au vendredi 14 juin17h : Mandala de sable à la résidence du Bois d’Artas 1 rue Augereau à Grenoble par le groupe « Grain de sable graine de sagesse ».
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vendredi 7 juin 2013

Quelle mobilité pour désenclaver la jeunesse ?



Dans ce débat au forum de Libé à la MC2,  modéré par une craquante Gracques,  j’ai  osé prendre la parole pour remercier les intervenants  taxés de « parisianisme » par des spectateurs alors qu’ils venaient de porter à notre connaissance leurs actions concrètes pour permettre plus particulièrement à des publics en difficulté d’accéder à un bien aussi indispensable que l’eau et l’électricité : la mobilité.
Le troisième frein à l’emploi après la qualification et l’âge.
Ce n’était pas que du baratin sur « l’économie du partage source et gisement d’emplois non délocalisables, moteur d’innovation » répondant à un pressant besoin, quand 10 millions de personnes sont en empêchement de mobilité chez nous depuis la mamie sans ascenseur à celui qui ne peut s’offrir une automobile revenant à 4000 € par an. En envisageant des complémentarités, des assouplissements qui éviteraient que des bus trimballent des banquettes vides à certaines heures, en rappelant le rôle des « bureaux du temps » qui existent dans certaines villes, Rennes, Poitiers, Paris.
A l’heure de la mondialisation, j’ai été étonné que 50% des jeunes ne souhaitent pas sortir de leur ville ou de leur canton pour accéder à un emploi. Ce n’est pas qu’une question de transport.
Parmi les éléments apportés lors de ce débat qui articulait réflexion globale et actions précises autour des 3 C : comme CO2, cogestion urbaine (le kilométrage moyen a été multiplié par 6 en 40 ans malgré une densification croissante) et coût :
-        le covoiturage correspond  actuellement à 1000 TGV
-        la production automobile en croissance a atteint 80 millions de véhicules
-        1 milliard de voitures occupent notre planète de 7 milliards d’habitants
Voiture & Co  dont la devise est « tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin » a permis avec ses douze plateformes de mobilité à un millier de personnes de devenir autonomes et ainsi d’accéder à l’emploi  par le prêt de véhicules, aide pour le permis de conduire, accompagnement, possibilités de réparations à prix coutant …
Ils travaillent à un partenariat avec Renault  par sa fondation Mobiliz qui s’inscrit dans une démarche durable (voitures électriques), avec des préoccupations autour du recyclage et de la déconstruction, une approche multimodale et connectée. Il ne s’agit pas de mécénat puisque l’ambition est la pérennité d’un modèle économique autoporteur : du social business pour une entreprise sociale qui vise les 30 plateformes en 2015.
Ecolotrans transporte écologiquement  des marchandises avec des véhicules électriques, au gaz, en réfléchissant pour utiliser les transports en commun à cette fin. Cette entreprise Parisienne qui emploie 23 personnes est dans une démarche qui vise à mutualiser du matériel à faire se rencontrer producteurs et consommateurs, en apportant la preuve que les idées neuves génèrent de la créativité et de l’emploi. 
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Dans le Canard de cette semaine:
 

jeudi 6 juin 2013

De l’Allemagne 1800-1939. De Friedrich à Beckmann.



Dans l’exposition qui se tiendra au Louvre jusqu’au 24 juin, nous sommes comme « Le voyageur contemplant une mer de nuages » de Friedrich découvrant le paysage  mouvant de la peinture allemande au moment où cette nation se construisait. Appréciant la lumière, loin des « querelles-si j’ose dire-d’allemands » qui ont alimenté quelques gazettes ces derniers temps. Comme dit Heinz Wismann dans Lire :
« les Allemands ne sont pas totalitaires au départ ; au contraire ils sont atomisées. Quant aux français[…] ils sont déjà tellement dans la conformité parfaite de l’unité et de la règle garanties qu’ils se paient le luxe de la transgression permanente.[…] L’esprit français consiste à jouer avec la règle, à s’en libérer tout en la confirmant. »
Stimulé par l’épisode napoléonien, le sentiment nationaliste de nos voisins germains se réveille et les héritiers du Saint Empire vont rechercher vers Rome et Athènes les sources d’une régénération, autant chez Apollon que chez Dionysos.
La femme de Franz von Stuck qui attend les mains sur les hanches l’issue du combat de deux hommes, n’est pas chétive.
Dans un moyen âge revisité, près des châteaux perchés et des fleuves puissants, les géants et les nains foisonnent.
En terre protestante la cathédrale gothique de Cologne  dont la construction a été interrompue en 1560 reprend en 1815.
La beauté des paysages romantiques doit plus à la mélancolie des artistes qu’à une reproduction réaliste, les arbres sont tourmentés et les visions sont  souvent celles des sommets ou de ruines et de cimetières.
Le terme expressionnisme apparait en 1908, les peintres allemands en seront les représentants les plus fameux. Ils traduisent avec intensité le grotesque et l’effroyable de la guerre : « l’œuvre du diable » dira Otto Dix.
Et Beckman dans son « enfer des oiseaux » en 1938 est d’une puissance semblable à « Guernica ».
Dans un numéro de Beaux arts consacré à l’exposition, Florelle Guillaume m’a fait redécouvrir le tableau de Böchlin, « Villa au bord de la mer » par un commentaire éclairant.
Cette toile pourrait résumer la présentation des 200 pièces qui donnent une idée de la richesse et de la variété des approches des artistes d’outre Rhin : de funèbres cyprès se dressent près d’une antique villa face à une mer agitée, une femme est adossée aux vieilles pierres, mélancolique.

mercredi 5 juin 2013

Le palais Garnier. L’Opéra.



Lorsqu’Eugénie l’épouse de Napoléon III qui n’avait pas digéré que son favori Violet Le Duc ne fut pas retenu pour réaliser le 13° opéra construit à Paris, interpela Charles Garnier :
 « Quel affreux canard, ce n’est pas du style, ce n’est ni grec ni romain ! »
Celui- ci répliqua :
« Non, ces styles-là ont fait leur temps... C’est du Napoléon III, Madame ! »
Commandé sous le second empire en 1860, au croisement de voies haussmanniennes, le bâtiment gigantesque fut inauguré par Mac Mahon en 1875, et Garnier dut payer sa place ce jour là.
Une entrée particulière avait été réservée à Charles Louis Napoléon ainsi qu’une loge où il aurait pu être vu, mais très mal placé pour assister aux spectacles se déroulant sur le plateau incliné dont les coulisses sont si hautes qu’elles pourraient contenir l’arc de triomphe.
Pour la visite, nous commençons par la rotonde des abonnés qui venaient jadis plusieurs fois au même spectacle; les jeux de la représentation sociale se déroulaient à la descente des calèches dans l’escalier monumental composé d’une vingtaine de marbres  aux couleurs différentes.
Les loges donnent sur la salle de spectacle rouge et or qui peut contenir 2000 personnes sous un lustre de 8 tonnes. Si aujourd’hui des écrans renseignent les spectateurs du poulailler, ces places moins chères étaient pour ceux qui se contentaient du son.
L’aérien Chagall qui a été chargé par Malraux de remplacer en 1964 le décor initial du plafond fatigué par l’éclairage au gaz des débuts, convient parfaitement dans sa clarté.
Les galeries des foyers sont grandioses, leur majesté multipliée par les miroirs. Des maquettes de décor de spectacles fameux sont présentées dans une bibliothèque impressionnante.
Sur le parvis une bande de musiciens jouait joyeusement au pied des célèbres statues de la Danse de Carpeaux reproduites ici par Belmondo Paul, l’original est à Orsay : deux occasions de se réjouir.

mardi 4 juin 2013

Les champs d’honneur. Jean Rouaud. Denis Deprez.



Je voulais retrouver en BD le Goncourt de 1990 que j’avais tant aimé, le titre m’en avait surtout imprimé  le souvenir d’un récit autour de la guerre de 14. J’ai retrouvé la force du récit initial et apprécié les portraits d’une famille dans les années 60 en Loire Inférieure comme on avait fini de l’appeler.
Le travail à l’aquarelle s’accorde bien à la pluie et aux larmes et même à la Provence, lors de vacances des grands parents du côté de Toulon.
Cette famille simple fréquente beaucoup les cimetières, et si Joseph a été enterré sous un arbre du champ de bataille, son corps reviendra dans la terre de son village.
Le grand père qui allumait sa cigarette avec le mégot de la précédente n’a pas fait de vieux os, et la tante Marie sombrant dans la folie après une vie de dévotion, « le petit facteur du Bon Dieu », tiendra  un peu accrochée à ses tuyaux, elle qui « n’était plus qu’une petite ride de vie ».
La vie violente et grise se recouvre ici de subtiles eaux mélancoliques.

lundi 3 juin 2013

La grande belezza. Paolo Sorrentino.


A la vue d’un film italien, mon esprit critique part en vacances (romaines), même si je comprends les avis sévères parfois portés sur le dernier film du réalisateur de « This Must Be The Place » avec Sean Penn en semelles compensées et du remarquable « Il divo » contant la vie d’ Andreotti.
Toni Servillo qui joue un mondain à la paupière tombante débite des vacheries avec élégance.
Nous sommes avec lui à regretter le cynisme de la période, à jouer les sucrés, mais à goûter  aussi les bons mots acidulés. Toujours à cheval sur cette frontière fragile entre drame et indifférence, sérieux plombant ou humour destructeur.
Même si le début est déroutant, la beauté des images tournées dans Rome désertée permet de passer agréablement les 2h20. Et le côté foutraque du film est cohérent avec le propos où la vacuité et l’ennui constituent la trame.
Le snob futile se promène au milieu des fêtes, sur des terrasses sublimes, blasé.  Son pouvoir est dérisoire :
 « Je ne voulais pas seulement participer aux soirées, je voulais avoir le pouvoir de les gâcher »
Quelques tableaux savoureux sur une société décadente subsistent : un chirurgien vend à la chaine des mots et du botox, une sainte en voie d’homologation gravit des marches sur les genoux, les tentatives artistiques sont pathétiques.
Dans cet océan d’hypocrisie, lui qui a renoncé à la littérature, délivre quelques conseils réparateurs :
« Tu as 53 ans et une vie dévastée, comme nous tous. Alors, au lieu de nous faire la morale et de nous regarder avec mépris, tu devrais le faire avec affection. Nous sommes tous au bord du gouffre. Notre seul remède est de nous tenir compagnie et de rire un peu de nous. Non ? »
Les musiques sacrées et électro de 2013 éloignent les fantômes démodés de Fellini invoqués dès que des nichons se pointent. Les mélancoliques ritournelles des matins de fête de Rota se sont évanouies et il ne reste que de grinçants accords d’une civilisation au crépuscule où la littérature est un truc parmi d’autres artifices comme la prestidigitation… et le cinéma donc !  

dimanche 2 juin 2013

En piste. Boivin, Larieu, Houbin.


Deux hommes et une femme dansent sur des chansons  françaises des années 70.
« Avec le temps… » : nous l’avons mesuré, le temps, ce soir à la MC2 depuis  les pistes griffées de 33 tours que nous écoutions fiévreusement :
que reste-t-il après « il n’y a plus rien » de Ferré ?
Plus facile de chorégraphier  «Mirza» de Ferrer ou « il patinait merveilleusement » de Verlaine que l’immarcescible « Petit bal perdu » ou d’autres morceaux  monumentaux et si intimes que les gestes proposés par les trois danseurs semblent relever parfois d’un langage à destination des sourds.
Le choix alternant les frères Jacques, Barbara, Gainsbourg, Boby Lapointe, Brel, Reggiani, Christophe
« Bandit un peu maudit, un peu vieilli,
Les musiciens sont ridés »,
est tellement incontestable  que les textes et les musiques pourraient se suffire à eux mêmes.
Dans une succession de tableaux bien dosés et non de clips, avec ou sans fraises autour du cou, les corps des danseurs irréprochables en piste pour la danse signent le temps qui a passé.
Et les Poppyes chantaient :
« C'est l'histoire d'une trêve
Que j'avais demandée
C'est l'histoire d'un soleil
Que j'avais espéré
C'est l'histoire d'un amour
Que je croyais vivant
C'est l'histoire d'un beau jour
Que moi petit enfant
Je voulais très heureux
Pour toute la planète
Je voulais, j'espérais
Que la paix règne en maître
En ce soir de Noël
Mais tout a continué
Mais tout a continué
Mais tout a continué
Non, non, rien n’a changé
Tout, tout a continué
Non, non, rien n’a changé
Tout, tout a continué
Hey ! Hey ! Hey ! Hey !
Et pourtant bien des gens
Ont chanté avec nous
Et pourtant bien des gens
Se sont mis à genoux
Pour prier, oui pour prier
Pour prier, oui pour prier »