mardi 10 janvier 2012

Journal d’un journal. Mathieu Sapin.

Mathieu Sapin pas Michel (l’ancien ministre) est le dessinateur de ce reportage de 120 pages dans les coulisses du journal Libération où il joue à l’espiègle. La ligne est enfantine, si bien que l’ambiance de la rédaction me rappelle celle que je devinais avec mes yeux d’enfant en lisant Spirou.
Je suis étonné que l’engagement des journalistes surprenne des observateurs. Ils considèrent peut être que ce travail, lui aussi, est seulement une source de revenu.
L’actualité fait carburer la rédaction entre le départ de Joffrin et l’installation de Demorand :
Fukushima, Ben Laden, DSK.
Nous suivons le malicieux chroniqueur dans les services où affleurent la nostalgie de certains anciens, l’énergie de reporters, l’exigence de Pierre Marcelle qui apparaît en conférence de rédaction, tel qu’il est dans ces prises de positions éditoriales.
La BD convient bien à ce type de reportage, foisonnant, genre croquis pris lors d’un procès, petite séquence où un rendez-vous manqué peut être signifiant, belles rencontres, bons mots.
Le vieux lecteur de Libé que je suis s’est régalé et le novice peut y trouver du plaisir tant nous sommes loin des clins d’œil entre initiés qui furent une marque de fabrique du quotidien de la rue de Lorraine maintenant installé dans un ancien garage rue Béranger. La légèreté qui rend le livre attrayant joue au détriment de la profondeur ou d’une interrogation sur l’avenir de ce média.

lundi 9 janvier 2012

Les crimes de Snowtown. Justin Kurzel.

Le cinéma des antipodes arrive rarement jusqu’à nous et à cette occasion nous apprenons avec effarement que cette histoire horrible est construite à partir d’une réalité inenvisageable (11 assassinats). Le réalisateur n’a pas lésiné sur les effets spectaculaires qui nous conduisent d’une sidération à l’autre. La barbarie n’est pas que dans les actes: de surcroit le tueur en série pervertit de pauvres bougres pour ses entreprises de la plus haute cruauté. La violence suinte à chaque pas dans ce milieu social complètement défait de la banlieue d’Adelaïde. Avec l’intransigeance de sa morale mortifère, l’ange exterminateur passe aux actes les plus déments sans état d’âme.
Un kangourou débité à la hache est déversé sur notre canapé.
...
Si j'ai suspendu sans préavis la publication quotidienne de mes articles, c'est que mon ordinateur a connu une grosse fatigue. Que mes visiteurs fidèles veuillent bien m'en excuser.

jeudi 5 janvier 2012

Au Métropolitan muséum.

Lors de la visite d’un musée, je fais souvent l’impasse sur la période renaissance.
Alors, quand à la conférence des amis du musée, Damien Capellazzi nous emmène au plus près des toiles italiennes et espagnoles de cette époque, j’essaye de surmonter mes lacunes et je suis au plus près les détails que le conférencier nous montre.
Grâce aux zooms du numérique nous rentrons dans la matière d’une quarantaine de toiles parfois toutes petites mais extraordinairement précises.
L’inquiétude de la vierge de Berlinghieri est palpable, quand elle montre la voie en présentant l’enfant. Elle a donné la vie, et la mort viendra. Ailleurs, Jésus petit, joue avec le voile maternel qui peut pressentir le suaire. En avançant dans la chronologie il prendra de plus en plus un visage de bébé.
La mouche de Crivelli posée à côté de la mère et de l’enfant n’est pas anodine.
Les tableaux les plus anciens ne sont pas figés : à suivre les regards dans l’épiphanie de Giotto, le mouvement est bien présent dans un espace que rois et bergers partagent. Les rois mages sont trois comme les continents alors connus et comme les trois âges de la vie.
L’éponge imbibée de vinaigre que l’on retrouve dans le tableau de Fra Angelico, au-delà de la soif qu’elle n’étanche pas, constitue une insulte absolue puisqu’elle était destinée à la toilette intime des soldats.
Des larmes jaillissent des yeux parmi les cris étouffés de Jean et de Marie, mais la vierge de tendresse de Mantegna s‘approche de nous.
Les madones de l’école vénitienne seront brunes, tziganes, sombres et mélancoliques. Les portraits qui viennent par la suite accompagneront la réussite des marchands. Cupidon fait pipi sur Vénus dans un tableau de Lotto, et Vénus s’accroche théâtralement à son amant chez Titien.
Le Caravage a le casting plébéien et Valentin de Boulogne enregistre le réel avec subtilité. Dans un tableau, des anges montrent les stigmates ingénument pendant qu’ailleurs le christ apparaît au loin dans un paysage d’automne authentique. Murillo, Vélasquez doivent beaucoup à Venise. Zurbaran va péricliter en même temps que Séville. Les personnages malmenés du Gréco sont fragiles, incertains, Cézanne lui ressemble quand il hésite entre concave et convexe.

mercredi 4 janvier 2012

Nîmes.

Comme le dit le slogan du syndicat d’initiative, Nîmes, « la ville avec un accent », est effectivement un lieu où l’art a droit de cité. Son histoire vient de si loin : le crocodile, emblème bien connu des nostalgiques de l’équipe des années soixante de Kader Firoud, enchaîné à un palmier, date des monnaies frappées par Auguste vainqueur en Egypte.
Le pont du Gard (1° siècle) à proximité, aqueduc sur le Gardon, garde la majesté des années impériales. L’opportunité de le voir depuis la garrigue noire de nuit dans un habillage spectaculaire de lumières inédites m’a enchanté.
En face de la maison carrée temple romain rectangulaire de deux mille ans d’âge, Le Carré d’art, accueille des expositions d’art contemporain et comporte une collection permanente fort pédagogique. Depuis ce lieu lumineux, la vue est magnifique sur la ville et l’antique siège des consuls. Arroyo, de l’école de la figuration narrative, est dans la place avec un Robinson Crusoë, Villegié et ses affiches décollées, une compression de César, Sophie Calle expose sa série des dormeurs. Niki de Saint Phale et d’autres me sont devenus accessibles et je reviens volontiers en ces lieux, je révise, découvre, réévalue.
Chaque année se tient Artnim une foire d’art contemporain qui rassemble 400 artistes par l’intermédiaire d’une quarantaine de galeries, et comme mon institution préférée le MIAM (musée international des arts modestes) était invitée je me trouvais vraiment en terrain familier.
Les plus fameux, Combas, Rebeyrolle, Chaissac, étaient là. Et j’ai mis un nom sur des œuvres entrevues :
le photographe Witkin : dérangeant,
Guy Brunet : du beau travail,
Amanda Brown : dynamique,
et David Gerstein : rafraîchissant.
L’ami qui nous avait invité à cette visite nous a fait découvrir les travaux de Mohamed Lekleti. Ses corps tourmentés se figent, leur chute est suspendue, leurs lignes inattendues pourront-elles inventer d’autres issues à la fatalité ?

mardi 3 janvier 2012

Enfances. Sempé.

Le seul excès que je me suis permis lors de ces fêtes, fut d’avoir épuisé un de mes cadeaux rituel en une seule fois, après m’être promis pourtant d’en garder pour le lendemain. Et j’y reviendrai.
Où il ressort que Sempé n’a pas eu d’enfance, alors il dit :  
«Il m'est arrivé de devenir, par moments, raisonnable mais jamais adulte»,
et cite : « un animal inconsolable et gai ».
Sans rancune à l’égard de ses parents pourtant violents, il est le meilleur interprète de la douceur, de l’innocence des années d’enfance.
Nous nous en emparons avec une nostalgie sans vergogne.
Il atteint l’universel hors d’âge, parce qu’il a si bien inventé, sublimé, depuis ses expériences tragiques du genre : « Approche un peu que je te donne une gifle et le mur t’en donnera une autre. » La résilience.
Son premier dessin : un chien dort dans la casserole qu’on lui a attachée à la queue.
Dans son dialogue avec Marc Lecarpentier, il fait l’éloge de la radio, du mensonge et conte quelques histoires émouvantes. De toutes façons, il dessine un oiseau qui marche sur un fil comme un funambule et je suis ravi, c’est tellement fin.
C’est l’époque, qui était déjà démodée quand est apparu le Petit Nicolas - donc indémodable- des enfants en culottes courtes qui vont chercher les confitures en haut de l’armoire, où les garçons glissent sur les rampes d’escalier et tirent les sonnettes.
Les adultes sont si fragiles face à la nature, aux grands immeubles, à leurs rêves, alors les petits face à l’Océan gardant leur châteaux de sable, comme ils sont courageux!
Il est sévère à l’égard d’un de ses dessins, qu’il trouve trop facile, quand le petit garçon annonce, à ses parents tournés vers la télévision : « je marche ».
J’ai découvert une aquarelle que ne n’avais jamais vue et qui m’a touché : des adultes discutent autour de la table, l’enfant depuis sa chambre est le seul à voir les prémisses de l’orage d’une fin d’été qui renverse les chaises longues et fait s’envoler les feuilles d’un journal.
Pourtant bien des scènes parlent de l’insouciance, de jeux, avec des mots en voie de disparition qui viennent : espiègle, candide, heureux.
J’aime toujours ses images légères de bords de mer, de salles de danse, où les têtes dépassent à peine des herbes, éternelles, familières avec des variantes, alors je suis content.

lundi 2 janvier 2012

Shame. Steve McQueen.

Nous sommes dans un autre siècle, un autre continent que « L’homme qui aimait les femmes » de François Truffaut. Ultra moderne solitude. « Sex addict » à ce qu’on dit et « chair triste ».
Dans sa course au sexe, Michael Fassbender reste insatisfait, pourtant il ne laisse pas les femmes indifférentes, et bien qu’il se mette tout nu, il se cache. Froid pour un sujet qui pouvait être hot, filmé proprement, accompagné de musiques envoutantes, le riche jeune homme reste une énigme y compris pour lui-même. Il aura beau faire le ménage de ses images dans ses tiroirs, son ordi aura beau être nettoyé, sa sœur aura beau apporter quelques éléments à son histoire avec virulence, il ne fait qu’illustrer la vieille blague qui promettait la surdité à celui qui abusait de la masturbation.
Il se retrouve démuni jusqu’à l’impuissance lorsqu’il doit mener une relation qui passe par les sentiments, dans la scène du restaurant, où les acteurs s’en donnent « à cœur joie ».
La distance mise par le cinéaste permet les interrogations, une autre séquence de course dans les rues de New York en pleine nuit m’a parue remarquable, nous entrainant par l’énergie de sa beauté contemporaine avec Bach en fond.

dimanche 1 janvier 2012

Année nouvelle

J’extrais d’un poème d’Emile Verhaeren pris dans l’inépuisable recueil d’Albine Novarino "366 jours de poésie"
pour l’année qui s’en va :
« Dites, l’entendez- vous venir au son des glas, 
Venir du fond des infinis là-bas,
La vieille et morne destinée ? 
Celle qui jette immensément au tas 
Des siècles vieux, des siècles las, 
Comme un sac de bois mort, l’année. » 
Et de Luce Guilbaud pour l’année qui vient :
« Année nouvelle
donne-moi les fruits d’or 
dont chaque graine 
égrène les notes
qui chantent la douceur
d’aimer en arpège
jusqu’aux montagnes bleues
derrière l’horizon. »