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vendredi 16 juin 2023

Ginou.

Au moment où nous allons porter Geneviève Conte en terre ce n’est pas seulement la dureté des mots que nous affrontons mais la réalité de sa disparition.
Et Pierrette, sa maman, n’en saura rien.
Nous sommes éloignés des hautes voûtes des églises où les notions d’infini et d’éternité sont familières.
Les mystères de la foi se sont éventés et les merveilles de la vie s’anéantissent.
Mais l’amour n’a pas de maison et nos pensées fraternelles peuvent aller au-delà de nos familles.
Pour essayer de contourner la sidération de la disparition de la sœur jumelle de Michèle, ma femme, je ferai part de l’élégance de Ginou.
Je n’éviterai pas Victor Hugo qui a écrit que : 
« La forme c’est le fond qui remonte à la surface »  
 ni Coco Chanel : 
« L'élégance est quand l'intérieur est aussi beau que l'extérieur » 
Tu rêvais d’un terroir au bord de l’océan, où des cartes postales aux belles couleurs enjolivent les souvenirs.
Dans « la fosse commune du temps » comme dit Brassens, il arrive que vérité et mensonge se confondent.
Face à nos rides, face à la maladie, à notre finitude, des maquillages ont rendu nos regards plus indulgents et la discrétion respecte mieux les autres personnes que certains éclairages brutaux, le courage consiste alors à préserver des secrets.
A la date du 2 juin, il y avait dans mon livre, un poème qui peut convenir pour évoquer ton goût des rendez-vous en famille :
«  le Goûter » de Maurice Carême: 
« On a dressé la table ronde
Sous la fraîcheur du cerisier.
Le miel fait les tartines blondes,
Un peu de ciel pleut dans le thé
.…
Et le jour passe sous les saules,
Grave et lent comme une fermière
Qui porterait, sur son épaule,
Sa cruche pleine de lumière. » 

vendredi 9 juin 2023

Aujourd'hui nous accompagnons à sa dernière demeure, 
Geneviève Conte, la sœur jumelle de ma femme.

vendredi 17 mars 2023

Hubert.

Nous ne croiserons plus celui qui sillonnait l’agglomération en tous sens, été comme hiver.
Comme nous avions connaissance du point de départ et d’arrivée de l’inlassable cycliste, nous savons que ce n’est pas qu’une silhouette qui s’efface du voisinage.
Un homme est parti, une « belle personne », un homme libre. 
« Cette existence qui est la nôtre est aussi éphémère que les nuages d'automne. » 
Une citation cueillie sur les chemins que tu arpentais,  peut nous rassembler, le temps de marquer tout notre respect pour toi le sage, irréductiblement indépendant.
Quand l’Eternité pointe son nez, j’hésite entre le tutoiement de la vie pressée et les mots à majuscule.
Tu avais estompé ton prénom : Umberto, et tout le monde savait qui était Hubert.
La solennité d’aujourd’hui ne contredira pas une vie souriante du plus populaire des voisins,à la rencontre de chacun de nous dans la diversité de nos caractères et de nos opinions.
Nous avons partagé des moments de rire, d’indignations ou de rêves, de la vie de tous les jours et des mouvements de la planète.
Depuis certains escrocs obstinément dénoncés jusqu’aux bonbonnes de gaz hilarants qui témoignaient à la fois d’une société qui s’étourdit et ne sait pas réparer, ces registres relevaient du colibri extincteur. Le recueil des bouchons d’amour n’était pas anecdotique.
Faire sa part : le citoyen exerçant ses responsabilités rend dérisoires les déplorations systématiques.
La convivialité cultivée chaque jour au-delà d’une soirée d’été n’était pas que produit à consommer, elle nous a rendu plus polis.
Il n’est pas commun qu’à la sortie des garages nous soyons amenés à citer quelques personnes avisées de nos connaissances tels Camus ou Hugo, après que tu n’aies pas renoncé de rappeler à l’ordre gentiment les radios truffées de publicité. 
Du tri de nos poubelles aux cathédrales, aux constructions en piécettes, de celles que les SDF te cédaient.
Tu as rendu fertile le sable en de belles arabesques colorées pour des mandalas de toutes tailles pour petits et vieux, dispersant le plus indestructible des quartz pour accorder l’immensité des temps géologiques au souffle fulgurant d’un instant.
Ta spiritualité ne t’éloignait pas du monde, au contraire, rien d’austère ni de pontifiant, une grande tolérance, des doutes à partager plutôt que des certitudes qui éloignent.
Lorsque les souvenirs des moines de Tiberine rejoignent les mots du Bouddhisme :  
« On peut allumer des dizaines de bougies à partir d'une seule sans en abréger la vie. 
On ne diminue pas le bonheur en le partageant. » 
la Bible peut nous réunir comme la poésie en ces moments où il est question de vie et de mort: « Le sable de la mer, les gouttes de la pluie, les jours de l'éternité, 
qui peut les dénombrer ?  
La hauteur du ciel, l'étendue de la terre, la profondeur de l'abîme, 
qui peut les explorer? »
Hubert, nous cherchons.
Les châteaux des royaumes enfantins appellent des images de fantômes et s’associent à des constructions éphémères, mais quand nous reviendrons au pied du Néron, au château, nous garderons ton souvenir.
Quand la fenêtre ouverte sur la nuit, une petite clochette sonnera, nous penserons à toi.
Promis, ce n’est pas sur Internet que j’ai trouvé mon ultime citation, mais dans un livre pour enfants qui évoque la croyance au Père Noël qui serait comme le son d’un des grelots de l’attelage de son traineau :
« Au début, la plupart de mes amis entendaient la clochette, mais au fur et à mesure que passaient les années, elle se tut pour eux tous.
Bien que je sois devenu vieux, la clochette sonne toujours pour moi, comme pour tous ceux qui y croient encore. »  

vendredi 20 janvier 2023

Madame Martin

Madame Martin est morte.
Madame.
Nous sommes là, désemparés, sans espoir de retrouvailles dans « les siècles des siècles », face au néant.
Pour se montrer à la hauteur de la digne institutrice (magister en latin),
on peut citer Victor Hugo, emblème de notre école républicaine.
Sommes-nous comme ces soldats de Napoléon courbant la tête pendant la Retraite de Russie ?
« Ce n’était plus des cœurs vivants, des gens de guerre ;
C’était un rêve errant dans la brume, un mystère,
Une procession d’ombres sous un ciel noir,
La solitude vaste, épouvantable à voir,
Partout apparaissait muette, vengeresse. » 
Nous sommes là, solitaires.
Nous sommes là, ensemble.
Ensemble, comme nous l’avons été dans nos ambitions pour les élèves qui nous étaient confiés.
Ensemble, dans nos rêves politiques aux nuances diverses qui se disaient et s’acceptaient.
La maîtresse du cours préparatoire était exigeante et distribuait des bonbons.
De Fontaine au Fontanil, de l’école de la Gare à celle de Rochepleine, elle a travaillé à la racine des apprentissages, délivrant aux collègues qui lui succédaient, des mômes outillés pour aller au bout de leurs capacités.
Au service des petites classes, ses savoirs ont été reconnus plus tard à l’Université Inter-âges.
Colette parlait franchement, elle savait que comme disait Camus: 
« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde ».
Et nous sommes malheureux.
Attentive à l’orthographe, il fallait combattre sa modestie pour qu’elle accepte de vous corriger.
A force de compter les morceaux de nous en allés après tant de nos amis disparus, nous oublions les couleurs des images de nos vies dans les tiroirs de nos mémoires.
Des souvenirs pourtant ramènent aux rires, à l’humanité, à l’"Huma" : Boule et Bill de la méthode de lecture déboulent parmi les travaux d’aiguille, de confection de robe ou de blouse aux grandes poches, les recettes de cuisine, des longueurs de piscine et des courses sur la digue,  les fleurs et les dessins, les émotions autour d’un tableau de Courbet,  « Simone , le voyage du siècle » au cinéma, les parents d’élèves, nos parents,
et les anciens élèves qu’est-ce qu’ils deviennent ?
Les enfants toujours et nos petits enfants à qui envoyer le poème du jour :
« Année nouvelle
Donne-moi les oiseaux
Qui possèdent les mots
Doux et tendres
Les mots du cœur
Du grand large
Et de l’évasion. » 
(Luce Guilbaud) 

vendredi 30 septembre 2022

Jeannot Monin.

Quand un avis de décès parait sur le journal, la nouvelle bouleversant une famille appartient aussi aux voisins et aux anciens voisins revenant aux souvenirs d’enfance.
La disparition de Jean Monin qui a travaillé ses terres autour du hameau du Gibet à Le Pin inviterait même des images remontant à des siècles, alors que ce lieu a été débaptisé et que le village de Saint Christophe du Pin ayant perdu depuis longtemps sa particule ecclésiastique a disparu des cartes sous l’appellation toute fraîche : « Villages du lac de Paladru ».
Jeannot était paysan, passé de la conduite de la jument «  Mascotte » aux tracteurs.
Sous le toit immense de la grange patrimoniale, les hommes venus aider à la batteuse avaient le visage noirci par le poussier.
Les bavards d’aujourd’hui peuvent avoir le souvenir d’un « taiseux », j’ai gardé du temps que j’étais môme ce respect que nous avions appris envers les plus âgés et je le considérais comme « un sage ». L’appréciation  aurait pu le faire bougonner.
Coéquipiers dans l’équipe de foot de l’ASP pour laquelle il est celui qui renouvela le plus longtemps sa licence, me revient une fois encore la grâce d’une époque où se mêlaient sous les mêmes couleurs toutes les conditions, tous les caractères, toutes les opinions.
Un des premiers terrains avait été tracé le long de la rivière.
Lors de la cérémonie d’adieu dans l’église comble, «  La prière » de Francis Jammes chantée par Brassens allait de soi.
« Par l'âne et par le bœuf, par l'ombre de la paille,
Par la pauvresse à qui l'on dit qu'elle s'en aille,
Par les nativités qui n'auront sur leurs tombes
Que les bouquets de givre aux ailes de colombe,
Par la vertu qui lutte et celle qui succombe :
Je vous salue, Marie » 
Le fils de Charles et de Pauline chantait « Armstrong tu te fends la poire » de Nougaro et d’autres chansons de Brassens, tellement bien que lorsque je suis passé à Brive où « à propos de bottes d’oignons » des « gaillardes se crêpaient le chignon », j’ai pensé à Jeannot à qui je trouvais l’air tranquille de Georges le sétois et sa solidité. 
« Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Leur compassion semblait venir du cœur. Bravo !
Quand je suis ressorti de ce champ de navets
L'ombre de l'ici-gît pas à pas me suivait
Une petite croix de trois fois rien du tout
Faisant, à elle seul', de l'ombre un peu partout
Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Les revenants s'en mêlaient à leur tour. Bravo ! » 

mercredi 21 septembre 2022

Christiane Colomb

Christiane Colomb vient de mourir. 
Elle était institutrice de maternelle à  l'école Rochepleine à Saint Egrève.
......................
Nos bavardages ont cessé.
Les circonstances imposent des mots plus grands que d’ordinaire ainsi « Amour » ; « l’amour » de ceux qui ont croisé ta route et qui sont venus dire « adieu ».
D’autres termes absolus touchant aux mystères de la vie, de la mort, de la douleur et de la joie peuvent être prononcés, comme ceux en usage sous les voutes des églises qui marquaient le centre de nos villages.
Familière de ces lieux dans lesquels plus grand monde ne connait la chanson, tes recherches spirituelles t’ont portée au dessus des saisons poussiéreuses ou raides de froid.
Elles jalonnent un lent et beau chemin, d’intégrité et d’exigence, pour devenir une femme « bien », et aider les petits à grandir.
Beaucoup d’aspects de notre époque où les machines dominent n’étaient pas les tiens, mais de tous temps la littérature a pu consoler. 
Des amis ont déposé des livres derrière ta porte:
« La couleur verte tremble entre les mains de l’automne
La mort maquille les feuilles pour leurs noces avec le givre
Un silence très ancien se loge dans la lumière qui se tait
et le Temps jette les heures insouciantes dans un feu sans mémoire.»
Kamal Zerdoumi
Tu as trouvé naturellement le syndicalisme qui te convenait à la CFDT et ses écolos de la première heure.
Nous ne savions pas que nous étions heureux depuis les morsures des hivers enfantins jusqu’ aux folies printanières.
Du Nord Isère à la Villeneuve de Grenoble, tu as travaillé avec l’Ecole Moderne, celle de Freinet, sans avoir besoin de t’en vanter, puisque tu as été reconnue par tes élèves et leurs parents, par tes collègues, comme une maîtresse bienfaisante.
Le mot respect allait de soi.
 

mercredi 15 juin 2022

Mamélie Patras

Cette grande dame était mon amie. J'ai lu ce texte à la cérémonie qui nous a réunis vendredi dernier: 
« Quand j’ai transmis la nouvelle du décès de Mamélie à une de ses anciennes élèves devenue professeur, celle-ci m’a répondu qu’elle avait le souvenir d’une « femme forte et d’une super institutrice ». 
J’avais ajouté dans la conversation les termes: travailleuse, fiable, disponible, malgré ou à cause des épreuves surmontées dans sa vie. 
Un camarade m’a suggéré « Consciencieuse, Fiable, Disponible, Tolérante » comme CFDT.
C’est que l’ayant rencontrée dans le Syndicat Général de l’Education Nationale, le SGEN, appartenant à la CFDT, je voulais dire mon admiration et l’honneur de compter parmi ses amis.
- Travailleuse : elle avait gagné le respect de l’administration et de nos concurrents syndicaux, en tant que responsable de la carte scolaire, par sa connaissance exhaustive de toutes les écoles de l’Isère qu’elle avait méticuleusement mises en fiches, bien avant les bases de données informatiques.
- Tolérante, en employant ce terme qui frôle l’obsolescence, j’ai conscience d’être un regretteur d’hier, que jamais Mamélie ne fut.
Depuis les classes uniques auvergnates, elle arrivait à Grenoble au moment où le turbulent secteur expérimental prenait son essor à la Villeneuve. 
Elle retrouvait dans des réunions enfumées, anarchistes estampillés comme tels, trotskistes ne plaçant pas tous leurs œufs de coucou dans le même panier (selon les mots d’Edmond Maire), des cathos de gauche, sociaux-démocrates, démocrates chrétiens, anciens du PSU, ensemenceurs de la deuxième gauche … et chacun un peu de tout ça.
Ces engagements renforcés de choix pédagogiques contrastés auraient pu susciter pourtant quelques bannissements ; ce n’était pas l’esprit du temps.
Les instituteurs Freinet donnaient le ton par une démarche théorique issue d’une pratique quotidienne de la classe où la coopération n’était pas un vain mot.
Son ami Michel Pellissier, nous manque tellement.
-  Les qualités de fiabilité de Mamélie, sa fidélité se remarquaient dans une construction collective suscitant des enthousiasmes souvent éphémères.
Dans notre organisation tenant plus du hors bord que du vaisseau amiral, elle n’a jamais sollicité de poste de permanent, pourtant notre « mère » comme on dirait chez les compagnons du tour de France, fut un pilier des plus tenaces qui permit l’émergence de talents parfois fugaces.
- Disponible : avec toutes les fonctions que je ne saurai énumérer, la militante - bien que ce mot sacrificiel ne dise pas la chaleur de la table ouverte dans la vaste maison rue Thiers - était toujours partante, avec le sourire.
- Généreuse, sincère, authentique, accueillante, droite, de gauche.
Bien au-delà de la convivialité, j’ai trouvé chez les Patras - Mériaux, au moment d’un cataclysme personnel, un lieu pour savoir comme dit Pagnol à la fin du « Château de ma mère » :  
« Telle est la vie des hommes.Quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. » 
L’écrivain qui parlait si bien de la campagne et de l’école ajoutait :  
«  Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants. » 
Je pense que les enfants savent. 
« Le temps passe, et il fait tourner la roue de la vie comme l’eau celle des moulins. » »

vendredi 4 octobre 2019

Ma maman.

Ma maman est morte cet été à 96 ans.
Au cimetière j’ai choisi ce texte de John Donne qui avait été lu pour mon père, il y a 16 ans :
« Nul homme n’est une île, un tout en soi. Si une parcelle de terre est emportée par les flots, c’est une partie égale à celle d’un promontoire.
La mort de tout homme me diminue, parce que je suis membre du genre humain.
N’envoie donc jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. »
A l’église, pour ma part, j'ai dit ces mots:
« Parmi les hommes et les femmes qui demeurent sur la planète, les « gens de la terre », sont les paysans.
 « C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain,
jusqu'à ce que tu retournes dans la terre, d'où tu as été pris;
car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. »
Ce sont les mots de l’église que nous avons choisis quand dans son étymologie, religion signifie : « relier », relier les vivants et les morts.
Maman avait la parole rare dans une famille où l’on aimait les adjectifs. Son mari avait le verbe.
Elle utilisait pourtant avec gourmandise un lexique d’expressions de chez nous : « ça ne va pas en prenant », et il convenait de ne pas « faire de manières », de devenir des femmes et des hommes « comme y faut ».
Elle a mené une vie « comme il faut », dignement, modestement, et si les mots ronflants ne lui auraient pas convenu, nous pouvons simplement trouver remarquable le sens de l’économie familiale - on parle « d’assurance-vie » - qui lui a permis de financer pendant 15 ans son séjour en maison de retraite. Sans que ce soit vécu comme un sacrifice.
De pensionnats jusqu’en Afrique, j’étais loin.
Pour elle, le bonheur n’a jamais pu se mesurer au nombre de pays traversés. 
Dans sa maison de la Seiglière, son jardin de fleurs donnait sur la route, quand les hirondelles retrouvaient chaque année leur nid dans l’étable.
 « C'est que, petit oiseau, tu voles loin de nous ;
L'air qu'on respire au ciel est plus pur et plus doux.
Ce n'est qu'avec regret que ton aile légère,
Lorsque les cieux sont noirs, vient effleurer la terre. »
Du côté des lieux voisins vers Mont Besset, nous avions un champ, on le nommait « celui du cimetière ».
Entre les murs de l’ultime enclos, elle sera la dernière de cette lignée des Chassigneux, nom familier des Terres Froides, elle qui venait d’un coin plus tempéré : Charnècles où sa mémoire la ramenait le plus souvent.
Le temps de son enfance avait été pourtant rude avec une mère Joséphine, veuve vivant chichement, quand un voyage en vélo jusqu’à Grenoble était un plaisir.
Au Pin, elle était nommée « la » Clémence,  comme on disait la « mère Suzanne », « le père Sissi », ainsi chaque habitant se distinguait. Joli prénom d’usage quand Juliette et Irmine figurent aussi sur les registres, alors que Noëlle était réservé à l’administration.
La femme du Roger était devenue « la mémé du Pin » après des années colorées à s’effaroucher pour ses enfants, puis balafrées de deuils irrépressibles.   
Celle qui fut une des doyennes du village au bord du lac a été appréciée à la maison de retraite de Vourey dont nous remercions les personnels pour les soins attentifs qu’ils lui ont apportés.
On use de la poésie à l’école et au moment des enterrements, alors peut revenir un livre pour les éternels enfants.
Saint Exupéry marche à côté du Petit Prince qui a rendez-vous avec le serpent:
« Cette nuit-là, je ne le vis pas se mettre en route. Il s’était évadé sans bruit. Quand je réussis à le rejoindre, il marchait, décidé, d’un pas rapide.
Il me dit seulement :
- Ah ! Tu es là …
Et il me prit par la main. Mais il se tourmenta encore :
- Tu as eu tort. Tu auras de la peine. J’aurai l’air d’être mort, mais ce ne sera pas vrai …
Moi, je me taisais. »
- Tu comprends. C’est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là.
C’est trop lourd.
Moi, je me taisais.
- Mais ce sera comme une vieille écorce abandonnée.
Ce n’est pas triste les vieilles écorces. »

vendredi 15 décembre 2017

Distinction.

Quand Johnny s’en fut, il y en eut pour trouver l’hommage excessif et bien que nous pataugions dans la bienveillance, les tenants de la buzz attitude ont aimé rompre les consensus.
Pour avoir goûté l’esprit de contradiction jusqu’à satiété, j’ai préféré en la circonstance respecter la peine des nostalgiques de l’interprète de « Dadouronron ».
Le théâtral Insoumetteur en chef  drapé dans une rhétorique parfois universaliste peut-il comprendre que des émotions puissent porter au-delà des réunions entre cousins ?
Le président ayant ressenti l’émoi populaire est légitime pour participer à l’hommage comme il le fit pour la disparition de d’Ormesson dans un autre genre.
Je n’ai lu aucun roman de l’ancien éditorialiste du Figaro ni collectionné les vinyles du supporter de Sarko en dehors d’un « Gabrielle » dont les battements me « donnaient la patate ».
Mes coups de vieux rebaptisés échéances historiques sont survenus plutôt quand Rocard ou Maire sont morts, mais je ne dénie pas aux autres leur chagrin. Mon père aurait su pourquoi la disparition de Kopa me faisait quelque chose mais je n’aurai demandé à personne de sortir son mouchoir en papier.
C’est bien le rôle d’un chef de l’état de réconforter, honorer son peuple dans toute sa diversité quand l’occasion se présente: « Je vous ai compris ! »
Que le chef de l’état travaille à réunir le pays ne condamne pas à ingurgiter une tisane tiède mais pourrait amener plus de dialogues respectueux où les désaccords s’exprimeraient et les propositions s’élaboreraient. Que n’auraient dit les familiers de l’abstention s’il s’était abstenu ?
Le titre de cet article joue lui même à la distinction en reprenant un titre de Bourdieu mais aussi un mot de ma mère qui désignait toujours les gens « distingués » comme ceux d’une classe classieuse loin de la nôtre. Savoir les classes sociales et se tenir par les épaules, des fois.
Finkielkrault soulignant la réalité de la non unanimité de l’émotion nationale en inventant un « non souchien » malheureux n’a pas été à la hauteur ; il prétend aimer le temps long et pêche souvent par précipitation.
Par contre pendant ce temps, Régis Debray participait à l’hommage à Julien Gracq. Il est bien plus fécond en pointant l’institutionnalisation du show-biz avec notre Jojo en camélion qui fit tant de bien à tant de jeunes gens :
«  Si les corps doivent désormais être de la partie pour que l’esprit y soit, les conversations d’outre-tombe nous seront bientôt interdites. » Qui empêche de lire les auteurs morts ?
Il est vrai comme il le rappelle dans cet article du Monde au titre bien choisi : « Une journée particulière », parlant de notre ère : « celle qui voit plonger inexorablement les compétences de lecture des écoliers, brûler soixante-dix bibliothèques entre 1996 et 2013, les autres se reconvertir en vidéothèques par prudence. » Les chorales chanteront : «  Toute la musique que j’aime… »
C’est bien parce qu’il est de pacotille, à notre hauteur, que le rocker intelligible, le cow-boy camarguais fut si populaire. Dans les flots de paroles qui l’ont suivi en cortège, nous savions tous de qui nous parlions, ce que nous partagions : notre jeunesse.
« Est-ce la main de Dieu,
Est-ce la main de Diable
Qui a mis cette rose
Au jardin que voilà ?
Pour quel ardent amour,
Pour quelle noble dame
La rose de velours
Au jardin que voilà ?
Et ces prunes éclatées,
Et tous ces lilas blancs,
Et ces groseilles rouges,
Et ces rires d'enfants,
Et Christine si belle
Sous ses jupons blancs,
Avec, au beau milieu,
L'éclat de ses vingt ans ? »
Barbara
…………….
Dessins  de « L’express » de Neuchatel pour «  Courrier International » qui joue à « Charlie » et du « Canard ».

mercredi 2 mars 2016

Michel Pellissier



Nous avons accompagné Pellissier au cimetière d’Allemont ce premier mars 2016.
Il avait écrit  en juin 2003 :
« L’orage ici c’est d’abord un peu de vent soudain que l’on ne sent pas
mais que l’on voit courir à la cime des touffes de frênes qu’il courbe.
Et le ciel qui noircit sur le massif des Rousses.
C’est dans ce noir que roulent les premiers grognements du tonnerre.
C’est loin encore et, pour un peu, ça s’arrêterait là.
Ma tante disait : « c’est là que ça se plaide ».
Jusqu’au moment où un vent plus fort et plus fou, désordonné, bouscule en tous sens, les arbres et les herbes.
Alors le tonnerre s’emballe et craque à grands coups :
le plaidoyer a tourné en faveur de l’orage… »
Je prends un autre extrait de cette lettre à la belle écriture.
« J’écris entre trois bougies sur un papier d’écolier, le seul que j’ai trouvé ici où je n’étais pas venu avec la pensée d’écrire. C’est un papier d’enfance, un papier d’apprentissage, bref un papier comme on n’en fera bientôt plus. Mais lorsqu’il s’agit de parler autour de la mort, on est toujours un peu à l’école. »
Le maître modeste écrivait ainsi depuis sa montagne magnifique,
celui qui fut dans les combats anti autoritaires avait une autorité certaine.
Membre fondateur de « l’école moderne » il portait aussi l’écho du passé.
Il avait vu les terres du nouveau monde et n’oubliait pas ses amis depuis son coin au dessus des nuages.
Découvreur familier des bouquinistes, il précédait les modes,
donnait de la valeur à la simplicité et rehaussait l’essentiel,
simple, comme on dit de certaines plantes médicinales et des cœurs discrets.
Curieux de technologie et d’un incorruptible esprit critique envers les dernières futilités,
conteur magnifique, écrivain trop rare, penseur exigeant, profond et élémentaire,
il était instituteur.
De ses mains, il faisait chanter la terre, animait des brindilles et montait des charpentes, des jouets et des maisons, des jardins …
Il faut bien Primo Levi quand toute la fragilité et le poids du mot  « homme »  sont contenus dans le titre de son œuvre majeure « Si c’est un homme », pour situer la hauteur de notre gratitude d’avoir connu Michel Pellissier qui nous a appris la dignité d’être homme jusqu’au dernier essoufflement.
« Souviens-toi du temps
Avant que se fige la cire :
Chacun  de nous porte l’empreinte
De l’ami rencontré en route.
Dans les bons et les mauvais jours,
Nous les fous et nous les sages,
Chacun marqué par chacun.
Maintenant que le temps presse,
Que les combats sont finis,
 A vous tous le souhait modeste
Que l’automne soit long et doux. »

En lien musical : Felix Leclerc. La mort de l’ours, ci dessous:

mercredi 7 janvier 2015

C’est pas vrai !

Pour être à plusieurs reprises tombé dans le déni de la réalité au cours de ma vie, je sais le repérer chez d’autres dans ces circonstances tragiques qui nous accablent avec la mort de Cabu et Wolinski : nous aimerions être ailleurs, avant, ne pas avoir entendu.
Nous préférons tellement être par intermittence aveugles et sourds ; est-ce une condition pour survivre ?
Comme tant de voix s’élèvent pour louer tous les disparus, je trie dans mon chagrin pour rabâcher quelques mots au cœur de la nuit et les lancer en partage :
« Rêveur d’an 01, fille du proviseur et même « mon beauf » sont déchirés.
Les pépettes de Wolinski http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/02/le-pire-de-lavenir-georges-wolinski.html  disparaissent derrière un voile noir.
Ci-git ma jeunesse »
Hier au soir, une minute de silence a été observée avant la conférence des amis du musée consacrée au Pérugin.

mercredi 13 novembre 2013

Christian Prost.


On ne se voyait plus qu’aux enterrements de nos anciens coéquipiers, mais la brutalité de ta mort ne nous a pas permis de nous réunir cette fois.
Comme tu  fréquentais les chemins numériques, je livre aux mémoires des machines quelques mots pour retenir la sidération de tes amis, notre peine.
J’en suis resté à ton magasin de vidéos, prolongement de nos années ferventes où nous partagions cinéma, BD, et football. Simone me dit le rock.
Tu aurais été content : ce dimanche l’OL a encore gagné le derby et moi je trouve que c’est injuste, et bien sûr dérisoire, comme la nouvelle de ta disparition qui a couru sur nos réseaux.
Si jeune, pour l’éternité.
Décidément novembre s’obscurcit de trop de nuages de crématoriums.
Une rafale une seule
D'horizon à horizon
Et ainsi sur toute la terre
Pour balayer la poussière
Les myriades de feuilles mortes
Pour dépouiller tous les arbres
Pour dévaster les cultures
Pour abattre les oiseaux
Pour éparpiller les vagues
Pour détruire les fumées
Pour rompre l'équilibre
Du soleil le plus chaud 
Eluard
Anne la lyonnaise nous a dit :
«  Il avait échangé le village du Pin contre celui de Saint Jean, et le café de la cathédrale remplaçait celui de la place. Nous y avons bu un verre à sa santé comme pour tout enterrement qui se respecte. »

samedi 21 août 2010

Jean Yves Roguet

L’église de Le Pin était trop petite pour accueillir ceux qui sont venus à l’enterrement de Jean Yves, nommé encore par ceux qui lui ont rendu hommage, avec son surnom des jours de soleil de sa jeunesse. Son courage, celui de sa compagne ont été dits, comme les doutes qui assaillent les croyants lorsque la souffrance et l’injustice les mettent sempiternellement à l’épreuve. J’étais à ce rendez-vous après en avoir manqué bien d’autres depuis nos enthousiasmes adolescents. J’ai retrouvé des désormais lyonnais, aperçu des écoliers d’alors et des gardiens de buts grands-pères.
Jean Yves était resté au village et il était allé courir aux quatre coins du monde : des 100 km à Rio, la « diagonale des fous » à La Réunion et des 42,195 km à New York, Berlin… Nous avons appris. Il n’était pourtant jamais loin de cette cour de la laiterie que ses cousines ont évoquée où se jouaient des musiques et des élans de vie qui se cherchaient. J’ai revu Ritou qui m’a raconté comment le père Oscar Roguet était devenu président du foot, pour que ceux qui allaient à la messe et ceux qui n’y allaient pas, jouent ensemble. Nous avons participé à cette histoire et nous étions ce vendredi d'été dans l’église, il n’y avait pas de prêtre. « Le grand » était conseiller municipal, Jean Paul le maire, venu aussi de cette génération « maison pour tous », l’a bien raconté. L’élastique du temps nous a fait bavarder, et nos photos se peuplent de disparus.

jeudi 29 juillet 2010

Henri Renou Lyat

Henri est mort, il a résisté au cancer pendant des années.
En cette fin juillet à Bourg, nous étions nombreux à accompagner sa famille et ses amis.
Je suis fier de l’avoir connu autour des ronéos à la Bourse du Travail, derrière des piles d’enveloppes à adresser pour faire partager nos convictions. Le syndicalisme CFDT chez les enseignants ne se réduisait pas à la défense d’une corporation, mais se devait d’associer les parents au service des enfants. La vie ne se séparait pas de la classe, le laboratoire d’idées se nourrissait de réalisations concrètes.
Artisan en pédagogie ; à sa retraite, il a milité chez Artisans du Monde.
Avant les bonifications financières, il avait choisi de s’installer à l’école du Grand Chatelet à l’Abbaye, avec Suzanne son épouse, où il s’occupa en particulier des enfants gitans.
Plus tard il travailla dans les lieux d’accueil de nuit des habitants de la rue.
Producteur de BT (bibliothèque du travail); il y a peu, il reliait des livres.
« Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures. »

Baudelaire (Les bohémiens)

vendredi 14 novembre 2008

Yvonne Besset


Elle apparaîtra sous ce nom gravé sur une pierre tombale.
Pour nous, elle reste « Mamiche » parce que sa fille l’a mêlée à son cercle d’amis. Son mari instituteur-secrétaire de mairie était un de ces « hussards noirs de la République ». Elle qui aimait tellement les mots et en jouait avec tant de précision, elle aurait pu me suggérer une féminisation de l’expression, aujourd’hui désuète et pourtant… Je viens de retrouver dans un de ses cahiers à l’écriture si bien formée,les paroles d’une chanson qu’elle fit sûrement chanter à ses garçons de la laïque - les filles étaient promises aux religieuses de l’école privée :
« Noël vient de passer
Que vous a- t-il laissé ?
Un beau pantin agitant ses sonnettes
Et un Pierrot chantant pour sa Pierrette
La la la…
Juste une auto que l’on roulait en rêve
Une auto vraie avec des pneus qui crèvent.
Rro Rro Rro »

Pour dire les années de bonheur où ces instituteurs trouvaient le soleil après des mois de« Burle » dans les faubourgs de Cannes. Tous ceux qui ont profité de leur balcon donnant sur la Côte d’Azur doivent aux parents de Dany et grands-parents de Laurence, une part de lumière et de sourire.

mercredi 30 juillet 2008

François Sins


Au cœur de l’été son cœur s’est arrêté. Le scandale de sa disparition s’excite sur la date de sa mort bien sûr, comme si nous ne devions disparaître qu’en novembre. Parmi l’agitation qui nous prend à la mort d’un proche, il en est une qui tourne autour des paroles : celle des chapelles sonores, des colonnes dans les journaux, sur des papiers bordés de noir. C’est le cas en cette fin juillet : cartes postales et ce faire – part.

Sur ce blog, je fais part à mon tour de ma sidération : François Sins est mort d’un arrêt cardiaque comme me l’a appris son épouse Valérie. J’ai connu François comme parent d’élèves dont j’ai apprécié la rigueur et l’humour, comme militant associatif généreux et de parole. Un militant de l’école. Un monsieur bien vraiment. Devant le vide, ses copains se tiennent par les épaules.