dimanche 28 juin 2020

Le siècle du populisme. Pierre Rosanvallon.

L’historien sociologue http://blog-de-guy.blogspot.com/2019/09/notre-histoire-intellectuelle-et.html  apporte une nouvelle fois des éléments passionnants aux débats qui constituent l’âme même de la démocratie, visant à sortir du « cimetière de critiques et de mise en garde impuissantes à modifier le cours des choses. »
Son sens de la pédagogie nous aide à nous dépêtrer de "notions de caoutchouc", tel Le Peuple (99% versus 1% de riches) : « Le  reconnaître dans la diversité de ses conditions et de ses attentes, l’arracher à son enfermement dans des images pieuses ou des incantations creuses. »
Il ne regarde pas de haut les émotions (sentiment d’être méprisé, complotisme, dégagisme)  
« La masse tient sa cohésion du pouvoir de l’Eros » Freud
Pour le vocabulaire, ne pas s’éloigner de son portable: une « aporie » étant une « difficulté logique insoluble ». Le professeur au collège de France, qui vient souvent à la Librairie du Square, nous aide justement à les dominer quelque peu, ces apories, dont l’une d’elle rappelle les équivoques de la démocratie représentative.
Si j’ai eu des difficultés à suivre quelques développements, j’apprécie sa rigueur méthodologique et sa modestie quand il se dispense de discuter du protectionnisme, car il « ne maîtrise pas assez le domaine économique » : rare.
Par contre sont bien claires:
- l’opposition de la « démocratie d’acclamation » à « la démocratie discutante »
- et la notion de « peuple-principe » qui valorise le travail des cours constitutionnelles.
Napoléon III tient une place importante dans la partie historique du livre:
«  Je considère le peuple comme propriétaire et les gouvernements quels qu’ils soient comme des fermiers. » 
Plutôt que de creuser toujours au même endroit là où la sociologie examine les catégories, il suggère de s’intéresser aux parcours des individus alors que le  « capitalisme d’organisation » est passé au « capitalisme d’innovation ».
L’ancien cédétiste ébranle mon assurance critique vis-à-vis des référendums :
« Dénoncer le risque référendaire n’est dans tous ces cas qu’une façon euphémisée d’afficher son scepticisme démocratique. » 
Il reconnaît la force des populistes à capter les émotions même si le refus systématique éloigne toute capacité à proposer : « la colère lie la violence et le flou, la radicalité et l’impuissance. »
Il ne jette pas l’anathème sur une idéologie qui gagne de considérables parts de marché, pas plus qu’il ne se prosterne devant une bannière, même si les masses protestataires n’ont pas forcément « l’intelligence de leurs indignations ». Il propose des « dispositifs permanents de consultation, d’information, de reddition des comptes », d’avoir l’œil et pas seulement donner de la voix.
Il met en évidence les insuffisances de la démocratie dans laquelle le citoyen serait réduit à l’électeur, nourrissant des idéologies dont il distingue les origines géographiques (Amérique latine, pays de l’Est européen) différenciant gauche et droite mais analysant leurs points communs.   
La démocratie, écrit-il, « est par nature expérimentale. Elle reste à ce titre le meilleur instrument pour permettre aux sociétés d’apprendre à vivre dans le changement perpétuel. »
………
Je vais laisser refroidir le clavier en juillet août.
Bel été à mes lectrices et à mes lecteurs fidèles.

4 commentaires:

  1. Bel été à toi aussi. Tes commentaires vont manquer durant ces eux mois....

    RépondreSupprimer
  2. Oui, c'est la deuxième fois que je lis une de tes critiques de cet intellectuel qui me semble tenir la route. Il faudrait vraiment que je consente enfin à ouvrir un de ses livres, depuis le temps... C'est qu'il y a déjà tellement de choses à lire, et en plus.. il y a "L'Abyssin" de Rufin à lire, et.. il y a déjà tellement de prose du 20/21ième siècle, et avec le français/franglais que nous avons maintenant, il est frustrant de ne pas pouvoir croquer de belles dents dans une belle prose française maintenant. Comme... l'"Emile" de Rousseau, par exemple. Voilà une très belle prose française...(livre pas fini, mea summa culpa)
    Oui, Freud est un maître à penser pour moi, mais de là à dire que la masse tient sa cohésion du pouvoir de l'Eros, j'en doute. Je vais affiner. Penser, c'est affiner. La masse tient son énergie, quand elle en a, du pouvoir de l'Eros, mais sa cohésion... je crois qu'elle la tient de ce que Freud a nommé et analysé comme pulsion de mort.
    C'est un concept qui a eu le malheur d'être appelé "pulsion DE MORT", parce que ce qualificatif a faussé notre compréhension du phénomène. Il s'agit d'une pulsion à.. se laisser aller. A abdiquer sa pensée, sa volonté, en se laissant porter par l'extérieur, par autrui, en l'occurrence ici, par le nombre de la masse qui abolit la conscience individuelle. C'est la force qui est derrière notre capacité de nous laisser aller dans le sommeil, et quand cette force est perturbée, nous sommes très perturbés aussi. Quand notre vie va bien, nous sommes constamment tenus entre les forces qui nous poussent à nous affirmer individuellement, volontairement, à.. PROGRESSER ? et les forces qui nous poussent à (nous) abandonner. Nous sommes faits... de l'intrication de ces forces, de leur ENTENTE en nous. Il vaut mieux.. qu'elles ne soient pas en guerre.. en nous.
    Pour le peuple... n'importe quelle forme de gouvernement PEUT tenir sa légitimité du peuple. N'importe laquelle. Même.. la monarchie peut tenir sa légitimité du.. principe du peuple. Pourquoi pas ? Il est faux de s'imaginer que la démocratie seule légitime le peuple.
    J'ai assez entendu combien la démocratie est une valeur absolue. J'ai déjà dit que je ne crois pas dans des valeurs absolues, pour la simple raison que nous vivons dans un monde où le bien et le mal sont inextricables, et où le monde est soumis aux effets corrupteurs du passage du temps. Ceux qui me lisent ici savent que je dis (avec un Père de l'Eglise que je ne peux pas citer.. Origène ?) que "la corruption du meilleur engendre le pire", et là aussi, je vais expliciter ce qu'on pourrait NE PAS ENTENDRE dans cette formule, AVEC LE TEMPS.
    Je crois que c'est ce credo qui m'amène à dire que je ne suis pas.. une femme fidèle... même si je reconnais que la fidélité est un bel idéal. Tout dépend où et comment on la pratique, n'est-ce pas ? Il y a peut-être mille manières de pratiquer la fidélité, qui elle aussi... n'est pas une valeur absolue.
    (à suivre)

    RépondreSupprimer
  3. Oui, pour regarder les parcours individuels, et s'y intéresser.
    Je trouve qu'Internet encourage fortement l'abus d'une pensée des catégories, des étiquettes, des concepts.
    Internet nous donne une illusion de proximité, et fabrique de l'universel... plus que fictif.
    On doit se demander ce qu'un jeune Français issu de la deuxième ou troisième génération d'immigration maghrébine a.. EN COMMUN avec des personnes vivant dans les pays du Maghreb, nées sur le sol.
    Une parole adressée.. de loin pour rassembler par le biais des... catégories risque de créer des sentiments d'appartenance qui s'appuient sur "desidées" et rien que "desidées" (comme... "la démocratie"...). Certainement pas des vies, ou des espaces partagées. Ceci est vrai pour toutes les appartenances créées depuis des catégories, me semble-t-il.
    Enfin, il me semble qu'il y a un grand danger de vouloir réduire le pouvoir à sa dimension... publique, comme s'il n'y avait de pouvoir QUE public.
    Cela représente un appauvrissement de nos vies.
    Revendiquer et sacraliser le pouvoir public (le.. res publica), qu'on soit.. homme ou femme nous fait oublier qu'il y a du pouvoir... ailleurs. Que le pouvoir ailleurs peut être aussi puissant ? que le pouvoir public, quand bien même il serait... moins visible...
    Et puis, comme je me répète sur ce blog autant qu'ailleurs, s'il y a quelque chose que je trouve profondément triste en France, c'est l'incapacité des citoyens à comprendre que le pouvoir est encore plus une charge qu'un privilège. Le côté bon enfant irresponsable du peuple français l'empêche de voir à quel point le pouvoir est une charge.
    Le peuple français ? Voici l'aporie que nous vivons dans un pays où la plupart des adultes semblent croire qu'être adulte, c'est être.. mort et empaillé avant l'heure, tout en se comportant en politique comme des enfants à la maternelle...
    Sigh...

    RépondreSupprimer
  4. Merci à l'inconnu pour son commentaire de mes commentaires...de la part d'un anonyme. ;-)

    RépondreSupprimer