vendredi 11 octobre 2019

Nos papiers.

J’aime le foot pour les facilités qu’il offre dans la lecture des mouvements de la société.
Je connais de nombreux amateurs qui se désintéressent d’un championnat déséquilibré depuis que les finances ont aboli la glorieuse incertitude du sport. Mais le plaisir d’un gône avec ses nouvelles chaussures à crampons ne s’abolira pas dans les touffeurs quataries.
Nos conversations à propos de la politique se sont raréfiées, les rangs des lecteurs de journaux se sont clairsemés. L’hystérie des réseaux sociaux, les outrances de certains commentateurs, fatiguent les citoyens les plus attentifs.
Si je fais coïncider la date de mes vacances de jadis avec la suspension de mes abonnements papier, c’est pour retrouver avec plaisir un rituel qui réactive une attention plus approfondie aux évènements du monde, bien que j’ai continué quelque peu à céder aux séductions des magazines.
Ainsi ces réflexions de Kamel Daoud dans Le Point voyant un jeune parmi la foule dansant après la victoire de l’Algérie sur le Nigéria en coupe d’Afrique des nations :
« Ce corps me fascine, il est l’expression d’une contradiction insoutenable : ce même jeune ira prêcher Dieu, ou la « femmophobie », ou la pureté, mais son corps, à la première victoire de football, le trahira, dansera. Je me dis que la religion, c’est quand l’âme enveloppe le corps et que cette âme est déjà morte depuis de siècles et qu’il n’en subsiste que les pierres des temples et des interdictions de jouir. Cette joie là, nue et désordonnée, fait aussi peur, car elle suppose un saccage et un désordre nécessaires. Ces millions de jeunes sans corps et dont la vie est sans issue sont la grande misère de ces géographies, sa force dilapidée. On les verra aller mourir ou se radicaliser. On les verra choisir le paradis et pas la tendresse, le ciel et pas une histoire d’amour, une chaloupe et pas une maison. »
Déplier les pages d’un journal qui ont coûté des arbres, permet de distinguer information et interprétation, caricatures et avis contradictoires. A nous de choisir, d’exercer notre liberté.
Nos machines où se poussent nos pouces, font de la mousse, tout en nous impressionnant  tout autant que des bébés de moins de deux ans.
Ainsi imbibés nous sommes devenus inattentifs et impatients, glissant vers l’imbécillité.
On avait cru révérer quelque déesse de la sagesse et c’est Morphée qui a ouvert un œil  et l’a refermé, fatiguée des métaphores à la chaîne, elle s’avoue vaincue par les tweets des maîtres du réel.
Me défendant de cultiver comme une distinction celle de lecteur persistant, je me garderai aussi de rabâcher « c’était mieux avant ». Où va l’avant ?
J’essayerai seulement de garder comme un talisman le pouvoir de m’émerveiller en captant chez ce petit garçon qui entame son premier match, un peu de sa hardiesse, de son énergie, de son envie de bien faire.
.......
Mais il faut de la patience: en ce moment, les journaux sont livrés avec retard.
Alors je poste après coup, ce dessin pris dans "Le Soleil" qui parait au Québec repris dans Courrier International.

2 commentaires:

  1. Je réagis à la réflexion de Kamel Daoud, tout en partageant ton émerveillement sur le petit garçon qui entame son premier match...
    C'est une preuve de l'ignorance des... élites mondiales (ou de ceux qui se considèrent comme telles) que de penser que la religion est une affaire qui nie le corps.
    L'arrogance et l'ignorance voulues de ces élites est insoutenable, et je ne parviens plus à vouloir maintenir mon sentiment d'appartenance au milieu de mes.. maintenant pas trop semblables pour les accompagner dans cette ignorance et arrogance.
    Et encore une fois, car je me répète beaucoup, je ne vois nullement comment notre civilisation en proie à un marasme mélancolique, un cynisme débridé, peut se sentir... justifiée à faire la morale en faisant la publicité de ses... "valeurs" modernes. Mais pour sûr... elle (et ses élites...) s'accrochent à ces litanies pauvres et stériles pour essayer de se tenir debout.. désespérément.
    Pour la pureté... "nous" sommes imbattables avec l'exigence de transparence pour les labels bio. Notre "pur" se trouve sur les bocaux dans les magasins bio. Pas plus "pur" que notre.. nourriture. Et nos moues de dégoût devant l'omniprésente "saleté" de ce qui est par terre, même quand la terre est riche et fertile, bon, ces moues sont une forme de religion dont nous n'avons pas conscience. Cette religion là... elle ne nourrit pas mieux son homme que d'autres formes plus officielles, ayant pignon sur rue, et même, elle nourrit nettement moins bien, de mon point de vue.
    Oui, la pureté est un très grand problème, mais ce problème est partagé, et il est trop facile de fermer les yeux sur le poutre dans ses propres yeux pour lorgner la brindille dans les yeux de celui qui ne partage pas nos convictions.
    Oui pour le gamin au visage radieux lors de son premier match de football...
    Essayons d'avoir des visages radieux aussi, au lieu de nous dire que le Père Noël est SEULEMENT POUR LES ENFANTS INNOCENTS (et un peu béta, car celui qui divise le monde en deux camps... les dupes, et les non dupes ((dont il fait partie, évidemment)), il méprise secrètement les innocents autant qu'il se méprise lui-même).
    Et oui, surtout, pour le désir de bien faire.. tout en ayant la possibilité de se pardonner quand on manque à son idéal.

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  2. Les cheveux des femmes, le célibat des prêtres, la condition des femmes musulmanes...: on ne peut pas dire que les religions n'ont rien à voir avec le corps. Le texte de Daoud m'a plu avec ses pierres des temples et "en même temps" j'apprécie tes expressions: marasme mélancolique et cynisme débridé.

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