jeudi 23 novembre 2017

Trompe-l’œil et faux-semblants. Christian Loubet.

D’ Arcimboldo en passant par Dali jusqu’aux contemporains annonçant le transhumanisme, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble a richement illustré les sens multiples donnés aux images où se carambolent intentions de l’auteur et celles du spectateur, conscient et inconscient.
Un triptyque d’un anonyme flamand ouvrait le propos avec un phylactère annonçant:
« Plus nous voudrons te mettre en garde plus tu auras envie de sauter par la fenêtre »
Loin du street art qui refait la tapisserie de nos rues et trompe nos façades, nous sommes invités à ouvrir les rétables, à mirer les métaphores, à aller chercher dans un wikidico ce qu’est une métonymie, à voir des toiles comme surfaces à projeter les rêves, et mesurer les déplacements du sens et ses condensations.
Il importe de chercher où est la grand-mère dans une image d’Epinal.
Où est la sortie chez Cornelis Escher, le graphiste géométrique néerlandais ? L’Alhambra.
L’homme résiste à l’animalité, terrifié par les pièges du malin, tellement humain, dans L’enfer de Memling.
Comme dans celui de Bosch à la créativité troublante avec ce jardin des délices aux monstres hybrides.
Nous avons révisé Holbein, dont le crâne est une signature, Holbein signifie « os creux ».
Avec « A Still Life of Fruit » (nature morte aux fruits) de De Heem, le meilleur est sur la table et les couleurs chatoyantes crèvent quelque mur d’intérieurs calvinistes qui ne s’habillaient pas que de tableaux religieux. Mais tout est vanité, le ver est parfois dans le fruit.
Arcimboldo, directeur des fêtes et pourvoyeur du cabinet de curiosités de Rodolphe II, prince de la maison d’Autriche, exprime une vision ambitieuse où l’homme intègre le monde pour le valoriser dans une « anthropomorphisation de la nature ». Même si Hérode par un anonyme dans la manière de son maître ne porte pas le même optimisme.
La Côte escarpée du bougon Degas a allure humaine, sensuelle.
Derrière les apparences apparaît l’inconscient, Magritte dont la mère s’est noyée, mise sur le double sens au cours de sa quête lyrique quand la mer se confond avec le ciel dans La mémoire.
La femme au miroir de son compatriote belge Paul Delvaux se consolera-t-elle de  ses angoisses en allant voir au-delà des apparences ?
Dali exprime souvent son désir de fusion narcissique et son rejet des angoisses (paranoïa critique), c’est un virtuose de la duplicité des images : 6 sujets peuvent se deviner dans L’énigme sans fin.
Et si Ernst a fait surgir tant de monstres dans ses paysages ruiniformes que reste-il du monde dans son Europe après la pluie ?
Dans la quête de soi-même, les rituels repris des crânes de Bornéo peuvent se rapprocher
des grimaces de FX Messerchmidt, (XVIII°), L’homme de mauvaise humeur,
ou du cerveau d’un obsédé vu par Gilles Barbier : Anatomie trans-schizophrène.
L’ironie fournit une alternative à la gravité.
Roland Dorgelès avait attaché un pinceau à la queue d’un âne avant d’écrire un « manifeste de l’excessivisme » et intitulé le tableau «  Coucher de soleil sur l’Adriatique » signé Boronali (Aliboron).
La figure de l’animal était souvent péjorative, mais en ces temps sceptiques où certains veulent abolir la frontière entre les espèces, l’hybridation est fascinante, la transgression un vertige.
En 1668 Charles le Brun avait remis à l’honneur la physiognomonie avec des visages sensés exprimer le tempérament.
Les louves de Leah Brown surgissent sur les dépouilles de la féminité
Patricia Piccinini remet en question les limites de l’humain et de l’esthétique, nos concepts de normalité.
Liu Xe propose dans une série intitulée « We are The World », des personnages hybrides.
Les Garçons bouchers de Jane Alexander, née à Johannesbourg, sont pleins d’animosité et son Infantry menaçante.
Orlan, pardon, ORLAN, a subi une vingtaine d’opérations de chirurgie esthétique pour marquer sa volonté de ne pas vouloir « être un mais tout ça », elle a payé de sa personne.
Avec ces greffes, ce désir de dépasser notre humaine condition, n’est ce pas l’éternelle tentation originelle : devenir Dieu ?
« Le rêve de l'homme augmenté est celui d'un homme diminué, et content de l'être. Il se projette en cyborg pour se dispenser de devenir humain. Il veut une intelligence artificielle parce qu'il n'a pas commencé à penser. Il est fasciné par le futur parce qu'il ne sait pas s'émerveiller devant le premier venu, devant l'événement d'une naissance. » Fabrice Hadjadj
La Porte de l'Ogre au parc des monstres de Bomarzo.

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