jeudi 1 juin 2017

La peinture avant la peinture. Laurent Salomé.

Le conférencier devant les amis du Musée de Grenoble entendait sous ce titre mystérieux nous entretenir de Fantin Latour arrangeant ses fleurs, en complément de l’exposition qui lui est consacrée jusqu’au 18 juin 2017.
La peinture des fleurs, à laquelle il consacra entre 500 et 600 toiles (800 selon d’autres sources), était un genre mineur le plus souvent laissé aux femmes.
Mais comme« une demoiselle maniaque et passionnée » l’artiste accordait beaucoup d’importance à la composition de ses motifs avant de passer au travail. Disposer avec goût et acharnement des bouquets : c’est tout un art, floral.
Si Chardin fut à la source avec ses « Fleurs dans un vase »,
dans leur Blue Porcelain Vase celles de Anne Vallayer-Coster au XVIII° ont  une délicatesse de couturière
et chez Van Huysum de la munificence.
Ces quelques branches de fruitier simplement traitées par Henri Fantin-Latour, esquissées et pourtant précises marquent une présence, dans le silence.
Elles sont différentes des « Fleurs dans un verre » d’Eugène Boudin qui ont la majesté de la peinture d’histoire.
Edouard Manet, homme d’action, s’attache surtout à la lumière dans ce magnifique « Bouquet de fleurs dans un vase ».
La morphologie globale des bouquets se comprend avec le choix des vases précieux, mais pas trop, pour des allures échevelées, voire tragiques, rondes, humanisées.
Le vase globe s’inscrit dans un travail sériel où les formes jaillissent avec encore plus de force. Une « cup of tea » joue avec l’immobilité pour une clientèle anglaise qui lui assura des revenus réguliers.
L’artiste ne s’accorde pas de liberté, respectant les saisons, à une exception près quand sont apposées les peu compatibles cerises et jonquilles.
Sur un coin de table, comme à la dérobée, fruits et fleurs s’harmonisent. La peinture est onctueuse comme chez les romantiques, et le rendu des brillances s’acharne à s’approcher du réel.
Cette manière est plus proche de Courbet que des impressionnistes.
Les roses blanches, blotties, couchées, sont fragiles. Sur fond gris la planche est botanique, anatomique.
Ses fleurs de cytise splendides et pendouillantes sont-elles le fruit d’un regard ironique ? 
Dans un développement chronologique, les bouquets assument leur délicatesse et dépassent la préciosité.
Là des œillets commencent à faiblir,
ici des pivoines lourdes fatiguent, comme des divas déchues.
Les tonalités deviennent plus chaudes dans les années 1880, dorées, mordorées, baroques, ainsi ces dahlias.

On ne se lasse pas de ses floxs, zinnias, chrysanthèmes, genêts, géraniums, pétunias fussent-ils bicolores, roses trémières, pois de senteurs graphiques, pieds d’alouettes dynamiques et tant de roses.
Il mourut à Buré le 25 août 1904 où il aimait choisir les fleurs de son jardin. Elles se sont conservées jusqu’à nous depuis le tournant des siècles précédents. Le peintre introverti qui avait vu les peintres hollandais, a annoncé aussi dans ses portraits de fleurs, une modernité qui nous étonne et nous enchante encore.
« A bout de tige se déboutonne hors d’une olive souple de feuilles un jabot merveilleux de satin froid avec des creux d’ombre de neige viride* où siège encore un peu de chlorophylle, et dont le parfum provoque à l’intérieur du nez un plaisir au bord de l’éternuement.» L’œillet de  Francis Ponge. 
*Le viride (du latin viridis, vert), ou viridien, ou vert Guignet est une couleur pour artistes d'un vert bleuté et transparent. Wikipédia.

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