samedi 10 juin 2017

Corniche Kennedy. Maylis de Kerangal.

Des adolescents jouent leur vie, leur ennui, en sautant dans la mer depuis les rochers d’une ville qui pourrait être Marseille. Un commissaire de police les observe à la jumelle.
L’écriture de Maylis de Kerangal est toujours à la hauteur,
comme depuis le plus haut des promontoires vers les calanques surnommés :
 « Face to face » ou « Just do it » :
 « …on y va de son pas, on s’y présente sans ciller et on y saute direct, sans lever les yeux au ciel ou sonder l’horizon, sans même se pencher au dessus du vide afin d’éprouver l’attraction terrestre par le haut de la tête qui soudain tire et pèse, sans vérifier que tout et en place en bas, et que les reflets du soleil écaillent le sable au fond de la mer, résille fluorescente de la sirène, filet d’or du pêcheur entre les algues noires »
L’auteure sublime les sensations de ses personnages avec une empathie remarquable, ponctuant de cris, comme ceux qui sont hurlés avant le splash final, des descriptions qui pourraient brûler les yeux à trop vouloir regarder le soleil en face.
Ce style nous amène à prendre une inspiration avant de pousser un cri si bref pour affirmer la vie. Wahoo !
Par ailleurs, quand on s’essaye à l’écriture, on peut se régaler à la lire mais pour se comparer, autant se jeter par le premier Windows venu, à défaut de falaise trop balaise.
La vie est déraisonnable et rehaussée d’une tension aux allures policières, la littérature rafraîchit, enivre, sous des ciels vacants.
Mais l’été finit :
« Le vingt et un août, le temps change. La corniche se tait. Les orages approchent. Un mistral hostile souffle dans un ciel décoloré, les nuages se jointent au safran, les vignes se tordent au flanc de la montagne, la mer vire limaille de fer, hérissée au large de pointes crochues, la rade se vide, les parasols s’envolent… » 

1 commentaire:

  1. En lisant ce que Maylis de Kerangal écrit du comportement de ces adolescents, il me vient à l'esprit une citation de "Macbeth" :
    "Temps, tu anticipes mes exploits terribles.
    Le but évanescent ne se laisse jamais attrapé à moins que l'acte l'accompagne. A partir de cet instant, les premiers nés de mon coeur seront les premiers nés de ma main. Et dorénavant, pour couronner mes pensées et actes, que cela soit pensé et agi : le château de Macduff je surprendrai, je saisirai Fife, ses terres, je donnerai à l'épée sa femme, ses petits, et toutes les âmes infortunées qui le suivent dans sa lignée. Pas de sotte vantardise ; cet acte je ferai avant que ma résolution ne refroidisse. Mais, que cesse ces visions." IV, i, 144-fin.
    Certes, Macbeth, grand adolescent devant l'Eternel (qui n'est pas un monstre, bien que ses actes soient monstrueux...) nous semble moins attachant que ces adolescents. Il est possédé par le besoin de traduire (ses désirs) en acte afin de faire céder l'emprise totalitaire de son univers mental, et mettre fin à une tension insupportable (pour lui). Et la fin de la pièce réserve une comparaison encore plus probante avec ces jeunes ados : le jeune Siward, fils d'un militaire aguerri, meurt au combat avec Macbeth au moment où il se constitue homme... sur le champ de bataille.
    Vaudrait-il mieux être le jeune Siward, engagé dans le combat singulier avec Macbeth, ou un adolescent moderne qui saute de la corniche ?...
    L'acte... volontairement téméraire du jeune ado sur la corniche ne lui permet pas de trouver pleinement son sens au sein du corps social, en héritant de ses ainés, de mon point de vue. Ou très peu, en tout cas. L'acte est plutôt transgression, et isole l'individu (un pléonasme, l'expression "isole l'individu").
    Peut-on le défendre à partir du désir de maintenir, encore et toujours la grâce pour notre civilisation ? Je ne sais pas. Si c'est la grâce, c'est une grâce (à relier à gratuité...) corrompue à mes yeux, qui perdure grâce à une jeunesse.. sacrifiée ?
    Ne croyez pas que je suis insensible à la démarche de ces ados, loin de là. A ma manière, et comme beaucoup d'entre nous, je suis agie et agitée... par ce hameçon qui les ferre.
    Mais je me permets de regretter qu'ils ? nous ? ne trouvons pas au sein de la société ce qui pourrait encadrer et donner sens à ces désirs finalement... héroïques, et d'une certaine manière, nobles...

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