jeudi 24 novembre 2016

Kandinsky. Les années parisiennes 1933 /1944

Le professeur Brunet quand il guide ses pairs au musée de Grenoble ménage toujours la diversité des approches pédagogiques possibles qui pourront ainsi s’enrichir de ces vives heures de mise en train.
En lien avec le centre Pompidou, l’exposition du musée de la place Lavalette, jusqu’à fin janvier 17, connaît un succès étonnant : plus de 6000 visiteurs le premier dimanche de novembre.
La belle affiche annonçant l’évènement où s’ébattent quelques énigmatiques bactéries, sur fond « Bleu de ciel », peut exciter les imaginations, si l’âme des spectateurs veut bien rencontrer celle du peintre. « L'artiste est la main qui par l'usage convenable de telle ou telle touche met l'âme humaine en vibration »
La décennie parisienne vécue par l’artiste né à Moscou peut se voir comme une synthèse de toute une vie de recherche et permet à travers 70 oeuvres d’envisager d’aller au-delà de l’étiquette attribuée à Vassilly K. : « Père de l’art abstrait ».
Alors qu’il avait des responsabilités culturelles au début de la révolution russe, ses tableaux n’ont rapidement plus convenu à la propagande. Après avoir été formé à Munich, il enseigna au Bauhaus à Weimar, Dessau puis à Berlin, au fil des déménagements, mais à la suite de la fermeture des ateliers où se réinventaient l’architecture et le design, il  doit s’installer en France pour se consacrer à son œuvre.Victime toujours résiliente de la folle histoire de l’Europe, il a perdu ses productions à deux reprises. Il eut l’honneur par ailleurs de figurer plus tard dans l’exposition de « l’art dégénéré » organisée par les nazis où cinq de ses œuvres furent présentées.
Est-ce que le géométrique «  Développement en brun » évoque la couleur des chemises à la mode dans le pays qu’il venait de quitter ? Au centre de la sombre toile, des panneaux semblent s’entrouvrir, ouverture ou fermeture ? Comme avec les murs élastiques quand le blanc fait gagner de l’espace et le rouge rapproche, apparaît sa grammaire: les couleurs exaltées cernées dans des formes géométriques ; le cercle est stable, le triangle non. Les techniques populaires et savantes sont métissées.   
Une barre en bas assoit les formes dans « Ligne » où des taches en train de se former sont dynamisées par des traits comme autant de « coups de fouet ».

Les molles « Formes noires sur blanc » s’animent sous l’œil d’un microscope,  et rendent compte d’une réalité qui existe au-delà du visible.
« Explorant l’infini petit et l’infiniment grand, le microcosme et la macrocosme, l’univers microscopique des cellules et la voie lactée, ses oeuvres conduisent à une plongée dans un monde en soi » A. Kojève
 « Mouvement I » aux couleurs élémentaires nous emmène dans un espace étoilé, infini entrevu depuis sextants et télescopes. Le rapprochement avec la géométrie abstraite de Mondrian semble évident, bien que le peintre  soit rétif à tout classement : « Je suis russe ».
Il a illustré aussi des poèmes des surréalistes Char, Tzara, Eluard mais ne s’enferme pas dans  une école plus qu’une autre.
Matisse déboule devant les formes florales du rideau de «  Brun supplémenté » imprégné aussi de motifs appartenant à des tissus de son pays natal.
Il attire notre attention sur « Deux Points verts » avec des apports de sable dans la filiation de Braque ou Picasso, alors que les formes deviennent molles, biomorphiques. Dali n’est pas loin, en compagnie de Klee, Miro, Arp.
Le cadre prend de l’importance avec la « Figure verte », méduse, algue ou bactérie, forme inscrite dans une autre forme.
« La Ligne blanche » sur fond noir peut se voir comme post impressionniste avec ses touches minutieuses. Sa démarche qui part d’impressions passant par l’improvisation pour aller vers des compositions s’apparente à la musique comme en témoignent ses correspondances avec Schonberg qui cultiva aussi la dissonance. Le tuba joue le rouge insolent, le violoncelle un bleu, le violon le vert immobile.
« Compositions IX (L’un et l’autre) » rassemble tous les tons : pastels ou acidulés noir ou blanc, toutes les formes.
 « Groupement »  « Ne me mange pas, laisse-moi t'apprendre »
Le damier de « Trente » cases peut évoquer un inventaire à placer dans un tableau de classification genre exhaustif « à la Mendeleïev ». Les motifs picturaux s’alignent identiques à des notes sur une portée avec  alternance de noir et blanc. De la même façon ont souvent joué les oppositions, les contradictions dans ses titres.
 « Entassement réglé » assume le côté décoratif parfois attribué au cérébral artiste, qui a offert cette toile  à son épouse à l’occasion de la Pâque orthodoxe.
« Complexité simple », appartient au musée de Grenoble et rassemble les formes de toutes ses recherches en lévitation sur un fond vibrant.
Extrait du remarquable dossier pédagogique sous la responsabilité de Dany Philippe-Devaux visible sur le site du musée à propos d’un «  Sans titre » :
«  Kandinsky se nourrit d’un optimisme sans faille qui lui permet, en dépit du poids des ans et de l’isolement, de jeter à la face d’un monde sombrant dans la nuit une poignée de confettis multicolores, comme une ultime pirouette. »
« Actions variées » né de l’observation des vitrines de Noël ne dément pas le choc initial de son émerveillement  face à des couleurs à l’intérieur d’une isba ou lorsqu’il découvre « la meule de foin » de Monet
« Et je remarquais avec étonnement et trouble que le tableau non seulement vous empoignait, mais encore imprimait à la conscience une marque indélébile, et qu'aux moments les plus inattendus, on le voyait, avec ses moindres détails, flotter devant ses yeux […] Mais ce qui m'était parfaitement clair, c'était la puissance insoupçonnée de la palette qui m'avait jusque-là été cachée et qui allait au-delà de tous mes rêves. »
« Accord réciproque »  à voir de très près, met les formes en tension, en résonance. Il figure dans l’atelier où son corps est présenté sur son lit de mort.
Lui qui avait revendiqué d’être un enfant jusqu’à la fin de sa vie, aurait apprécié sûrement le dispositif mis en place pour les petits qui peuvent accéder avec plaisir et spontanéité, à un univers qui réalise « la synthèse de la tête et du coeur, de la règle et de l’intuition ».

3 commentaires:

  1. Magnifique !! Merci pour les commentaires

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  2. j'ai l'impression de retravailler mon certif d'histoire de l'art moderne!

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  3. J'ai déjà entendu parler de cette exposition, et crois que je n'irai pas la voir, Guy...
    Je trouve assez impressionnant à l'heure actuelle combien l'idée d'être "intellectuel" excite la hargne des masses, (y compris les éduquées et cultivées...) et est opposée de manière caricaturale avec le "coeur", ou maintenant, "lecorps", alors qu'en même temps "on" va nous faire la promotion de l'art qu'ON appelle... "abstrait".
    Je ne ressens pas d'affinité avec l'art de Kandinsky.
    Mieux, (ou pire...) encore, je peux comprendre les résistances que l'art abstrait a déclenché dans notre pas si récent passé. Pour moi, cet art est animé par des idées avec lesquelles je me trouve de plus en plus en désaccord. Si seulement l'art était neutre, hein ? Si seulement on pouvait faire.. abstraction des idées, de l'esthétique qui le sous-tend ?
    Pas dans NOTRE monde, en tout cas. Peut-être dans le suivant, pour les chanceux qui ont encore la possibilité d'y croire ?
    On dira que ce sont mes préjugés. Soit. Je les assume.

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