mercredi 1 juin 2016

Les rêveurs lunaires. Cédric Villani Baudoin.

Je ne pensais pas que la rencontre entre le trait charbonneux  d’un maître du dessin et la verve du titulaire de la médaille Fields soit aussi fructueuse : eh bien c’est une réussite, sur des sujets ardus pas tous résolus à l’issue des 190 pages, mais révélant des personnalités inconnues passionnantes.
Nous pouvons essayer de suivre, pendant la seconde guerre mondiale, les recherches de Werner Heisenberg autour de l’atome et nous comprenons ses doutes avec le principe d'incertitude au cœur des relations entre scientifiques et pouvoirs politiques.
 « Un scientifique, ça fonctionne un peu comme une artiste, ou un poète. L’imagination, c’est l’outil indispensable pour créer l’impossible. »
D’autres trajectoires sont décrites : celle d’un des pères de l’informatique qui  a décrypté le code Allemand Enigma, Alan Turing.
Leo Szilard, qui a eu l’intuition de la réaction en chaîne et installa le principe de précaution, pouvait rire de la prophétie d’un autre savant  parlant de l’énergie nucléaire: «C’est une énergie minuscule.Quiconque croit pouvoir l’exploiter est un rêveur lunaire »d’où le titre.
Ces génies étaient modestes, fantaisistes, cherchant au-delà de leur discipline, souvent en conflit avec l’administration, avec des capacités impressionnantes pour anticiper.
Hugh Dowding, le militaire qui contribua à la victoire de la bataille d’Angleterre était tout aussi autonome :
« La rigueur est mère de liberté. »
D’où découlaient quelques principes féconds :
« - Voir les choses sans fard
- Ne pas sous-estimer l’adversaire
- Rien de bon ne se construit sur la peur
- Prendre vite des décisions difficiles
- Ne pas croire aux idées reçues
- Faire confiance et le montrer »
Une documentation riche, partagée agréablement met en lumière le rôle déterminant des chercheurs, révèle des aspects méconnus et réactive des questions fondamentales à l’heure où la notion de progrès n’est plus évidente, quand des politiques à courte vue risquent de favoriser l’émergence de forces obscurantistes qui avaient alors été repoussées.
Avec à l’intérieur une histoire juive :
Ce sont deux enfants juifs, Leo et Ede. Ils se disputent, c’est violent. Ils demandent à voir le rabbin pour régler leur différend. Le rabbin est en train de dîner avec sa femme, mais il accepte de les recevoir.
- Je veux bien entendre ce qui vous oppose. Commençons par toi, Leo.
- Rabbin, nous avons construit cette bombe atomique dans notre jardin. Elle sera bien utile pour intimider nos ennemis. Mais elle peut aussi faire de gros dégâts, et nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord sur son utilisation. Rabbin, c’est nous qui avons construit cette bombe, nous en avons donc la responsabilité, et en outre, nous connaissons son fonctionnement mieux que personne. Il est donc logique que nous puissions nous-mêmes décider de son usage.
Le rabbin :- Tu as raison, bien sûr. Que voulais-tu dire, Ede ?
- Rabbin, si nous avons construit cette bombe, c’est avant tout pour l’amour de la curiosité et non pour être utile. Nous ne sommes pas plus doués que les autres membres de la famille pour les affaires sociales, peut-être moins ; son pouvoir affecte tout le monde, et c’est donc au chef de famille de décider ce que l’on en fera ; nous n’avons pas voix au chapitre.
Le rabbin : – C’est clair, tu as raison.
La femme du rabbin :
 - Mais ils défendent des points de vue contraires, tu ne peux pas dire au premier qu’il a raison et au second qu’il a raison !
Le rabbin marque une pause... Il réfléchit, tout le monde attend son verdict... Et il répond à sa femme.
– Toi aussi, tu as raison.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire