vendredi 6 novembre 2015

Old school.

Le débat où Onfray et tant d’autres s’en prennent plein la tronche ne peut être réservé aux intellectuels, car à voir comment certains philosophes dans Libé dénient toute légitimité à ceux avec qui ils sont en désaccord, est un comble d’incohérence voire de bêtise quand ils se proclament doux, doutant et sages.
Le nombre de ceux qui  seraient habilités à parler du peuple se restreindrait vraiment.
Et pendant ce temps le FN monte à mesure que se voilent les faces.
Ces discussions, niveau cour de récréation ou battle rappeuse, autorise le moindre bloggeur à  ne pas nourrir de complexe pour prendre la parole.
Mais depuis janvier 2015, je me sens patraque, les dessinateurs travaillaient sous la protection de la police et on a eu beau faire les malins, le crayon n’a guère bonne mine face aux kalachs.
Ma confiance et mon optimisme ont  pris un coup  de vieux : ce ne sont pas que des souvenirs de jeunesse qui ont roulé sous la table ensanglantée de Charlie mais une façon de voir la vie et mes contemporains, une façon de dire et d’essayer de penser : mon humanisme de petit fonctionnaire, serviteur de l’état et des mômes devient arthritique.
J’hésite, je tergiverse, de plus en plus rétif aux grandes envolées, je n’en suis pas à me chercher « the » penseur, mais laborieux de l’affirmation, je me contente de relire un entretien  donné au « Point » de Régis Debray qui a connu d’autres collimateurs que ceux derrière lesquels des gentils jettent leurs boulettes.
Espérance :
« Avez-vous noté le raccourcissement des cycles d’espérance en Occident ? Le christianisme ? Vingt siècles. Le scientisme ? Deux siècles. Le socialisme ? Moins d’un siècle. L’européisme ? Un demi-siècle. Résultat, une première historique : la peur sans l’espoir. L’homme, ce petit mammifère prématuré à la naissance, plus malin, mais plus faiblard que les autres, a toujours eu peur, non sans raison : des rhinocéros, de l’enfer, de la peste, des Barbares, des intrus, des kalachnikovs. La peur, c’est son destin, mais l’antidestin qu’il a inventé pour tenir le coup - la résurrection des morts, la société sans classes, l’éternité par l’art ou autres tranquillisants -, a disparu. Pour la première fois, [pour l’homme occidental moderne] il n’y a plus d’après. Ni au ciel ni sur terre. »
Présent :
« Le XXe siècle a vécu du futur plus qu’aucun autre, et jusqu’au XVIIIe notre civilisation vivait du passé, sur l’imitation de Jésus-Christ, des saints ou des héros. Le présent à l’état brut, sans rien devant ni derrière, c’est de l’expérimental. Je pressens du bipolaire : hystérie et sursauts de colère d’un côté, morosité et je-m’en-foutisme de l’autre. Le déprimé survolté par dix flashs quotidiens. »
Religion :
« Et plus les outillages progressent, plus les imaginaires régressent. Le passé revient en force, avec les fantasmes d’origine. Voyez le Moyen-Orient : les frontières modernes s’effacent, on remonte de l’État à l’ethnie. Le plus récent est le plus fragile. Quand il y a crise économique ou politique, ce sont les couches les plus anciennes qui affleurent : le clanique, le tribal, l’ethnique, le religieux. L’archaïsme, ce n’est pas le révolu, c’est le refoulé. Et la postmodernité, en ce sens, sera criblée d’archaïsmes. Pourquoi ? Parce que le nivellement crée un déficit d’appartenance, un désarroi existentiel, d’où le besoin d’un réenracinement traditionaliste, d’un affichage de singularité. On croyait jusqu’à hier que l’évolution du niveau de vie nous débarrasserait du religieux- une école qui s’ouvre, c’est un temple qui ferme. Erreur. Les informaticiens sont plus fondamentalistes que les littéraires, en Inde comme en islam. L’utopie libérale espérait que la Carte bleue gomme les cartes d’identité, en réalité, elle les fait sortir au grand jour. »
Moderne :
« Les grands nostalgiques créent du nouveau, en art comme en politique. Sans la République romaine dans les têtes, pas de Révolution française. Sans le Musée du Louvre, pas de Picasso. Ce sont les réacs qui posent aux modernistes. Ils s’adaptent au statu quo sans faire la percée. »
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Dans "Le Canard" de cette semaine:

5 commentaires:

  1. Régis a le sens de la formule. Chapeau! Ceci dit, il a le sens arrière très prononcé, aussi. Beau discours mais c'est bien sûr de l'idéologie. Nous sommes tous, à partie d'un certain âge - le nôtre hélas - enclins à cette absence d'espoir. Nous voyons la mort pour nous-mêmes, alors nous nous consolons en pensant que c'est la mort de la civilisation. Beaucoup de gens pourtant préfèrent vivre aujourd'hui plutôt que d'avoir vécu au XVIème ou au XVIIIème siècle. régis Debray fait partie de ces philosophes qui aiment les beaux mots et les formules, mais qui n'ont guère de connaissances scientifiques, et de ce fait, font l'impasse sur les vrais changements qui nous sont promis. Comment évaluer ces changements? Bons ou mauvais? Il n'y a pas ici de critère universel. Il n'y a que ce que nous avons envie de croire.

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    1. Les acteurs des sciences humaines sont ceux qui revendiquent le plus la dimension scientifique de ce qui en bout de course relève de la croyance. Alors prenant connaissance de ton commentaire entre deux articles du Libé du jour, je te livre cette phrase de René Girard qui aurait pu être dite au bord devant quelque tasse de café : « la vérité est extrêmement rare sur cette Terre. Il y a même raison de penser qu’elle soit tout à fait absente » et cela ne l‘a pas empêché de chercher comme le souligne Maggiori le rédacteur de l’article qui en général ne manque pas de style, ce style qui m’accroche encore au papier.

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    2. mais qu'est-ce qu'il en savait, René Girard? On voit qu'il n'a jamais pris un crayon pour essayer de démontrer un seul théorème de mathématiques, il aurait su qu'au contraire, les vérités abondent... et heureusement! Encore un "mage" brillant, à la parole d'or, mais qui ne convainc que ceux qui veulent être convaincus. A Girard, je préfère Popper et d'autres philosophes anglo-saxons qui, eux, au moins, se posent sérieusement la question de la vérité (et de la science). mais on peut en parler au bord d'une tasse de café si tu veux :-)

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    3. Je n’ai pas lu Girard dont une amie m’avait pourtant recommandé la lecture, encore moins les anglo-saxons. J’emprunte des mots dans des articles des journaux pour vernir quelques considérations tirées de mon expérience de rural instit’ quand les pravdas se discutaient.

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  2. C'est drôle, mais j'ai de moins en moins envie d'être colonisée par l'idéologie américaine qui cadre et donne forme à ce nouveau logos devant lequel on se hâte de s'incliner en France, tout en proclamant, bien entendu, comme nos.. pères et grand pères ont proclamé, que "nous n'avons pas le choix".
    La "techno" logos, pour être.. claire. (Qui s'appuie sur une utilisation décomplexée, desinhibée à outrance des "outils" que la nouvelle cosmogonie scientifique a mis à notre disposition, tout en façonnant.. nos âmes et consciences (ou ABSENCE d'âmes... et bientôt consciences ??)
    Et je veux résister jusqu'à la fin à chaque tentative de nous couper les bras, les têtes, les pieds, pour nous faire rentrer dans une boite en métal, brillant, mathématiquement correcte, censée nous amener vers un nouveau paradis ou "mieux être" pour employer le langage tiède que nous affectionnons par peur du.. risque de mourir, DONC DE VIVRE.
    Tout cela est très réactionnaire, je l'admets, mais cela ne me dérange pas.
    "Ich bin der Welt abhanden gekommen". Cela fait longtemps que je sens cela venir, et ce n'est pas si grave que cela...

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