mardi 31 mars 2015

L’eau et la terre. Sera.

Il y a quarante ans les Khmers rouges prenaient le pouvoir pas seulement sur un état, le Cambodge, devenu le Kampuchéa « démocratique », mais sur  sept millions et demi d'habitants, au plus intime de leur vie ; deux millions en sont morts.
Je suis frappé en 2015, de ne pas avoir lu une allusion à cette période au moment où l’Etat Islamique installe sa dictature absolue. C’est qu’à l’époque les moyens d’information ne nous rendaient pas aussi proches des évènements, mais l’impunité de tant de responsables de ces années de folie meurtrière est quand même énigmatique, comme on disait du sourire Khmer. Le silence nous poursuit.
La bande dessinée de 2005 est d’une grande beauté. Les tons sépia, délavés, s’accordent au beau titre qui va à l’essentiel. Malgré la précision des dessins, leur force, la présence de cartes, des séquences juxtaposées restent parfois mystérieuses, pourtant le récit est documenté.
Rithy Panh, incontournable lorsqu’il est question du Cambodge, http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/02/limage-manquante-rithy-panh.html , dont l’histoire du père, instituteur qui s’est laissé mourir de faim, a inspiré une séquence, a écrit la préface du livre :
« Les visages des morts étaient tous presque sereins. Exprimaient-ils le soulagement d’une âme échappant aux tourments d’une vie devenue cauchemar ? Même leur teint semblait se confondre avec la poussière. Était-ce la reddition devant la terreur impitoyable, ou était-ce l’extrême lassitude d’espérer encore et encore, malgré tout, de la vie ? Nous ne le saurons jamais.»

lundi 30 mars 2015

Les nouveaux sauvages. Damian Szifron.

A la recherche d’un moment de rire dans ce monde de brutes, nous étions dubitatifs devant cet « Affreux sales et méchants » argentin : eh bien ce film barbare nous a méchamment fait rire. Six sketches : la  vengeance vient du ciel, la mort aux rats n’est pas que pour les rongeurs, les hommes aux volants, stationnement interdit abusif, le jardinier paiera, un mariage animé, traitent de la vengeance. Vu avant l’accident  d’Airbus du copilote fou, la séquence initiale aurait eu sûrement une autre connotation.
« Non mais ! On ne va pas se laisser marcher sur les pieds ! » où à partir de situations anodines, l’explosion est au bout des suspens. La critique sociale est féroce et drôle. Le pognon  est omniprésent : la grosse voiture et le bling bling de la comédie des noces nous font rire, l’achat de l’innocence d’un fils à papa beaucoup moins.
Cette férocité décapante nous venge de tant de lénifiantes paroles, de tant de faux semblants qui nous  dévorent, les sauvages.

dimanche 29 mars 2015

Tartuffe ou l’imposteur. Molière. Benoit Lambert.

L’intention du metteur en scène était de porter un regard genre Buñuel, où Tartuffe aurait été un révélateur des mensonges des classes bourgeoises.
« Laurent, serrez ma Haire avec ma Discipline,
Et priez que toujours le Ciel vous illumine..»
Eh bien dans la période, j’ai ressenti d’avantage le poids de l’hypocrisie religieuse dénoncée initialement et réactivée par les laïcards troisième république dont l’un d’eux ne dormait chez moi que d’un œil.
« Hé quoi ? Vous ne ferez nulle distinction
Entre l'hypocrisie et la dévotion ?
Vous les voulez traiter d'un semblable langage,
Et rendre même honneur au masque qu'au visage,
Égaler l'artifice à la sincérité,
Confondre l'apparence avec la vérité,
Estimer le fantôme autant que la personne,
Et la fausse monnaie à l'égal de la bonne ? »
Aujourd’hui nous savons que ces dévots ne sont plus seulement ridicules, ils gagnent, lapident et brûlent.
Nous ne rions plus.
Le spectacle classique est élégant, les alexandrins respectés par des acteurs convaincants, sans perruque d’époque  tout en se dispensant des santiags et des jeans.
Tartuffe, est à l’origine une truffe italienne (tartufoli), truffatore signifiant escroc ; comédiante, tragédiante, dont nous aimions rire quand nous faisions les esprits forts. Les directeurs de conscience étaient si loin de nous.
« Non, vous serez, ma foi ! tartuffiée. »
La conclusion opportuniste de Molière fait intervenir un envoyé qui contrarie la victoire de l’imposteur :
« Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude »
Cet épilogue artificiel est bien rendu par une mise en scène par ailleurs enlevée, respectueuse et adaptée à nos mentalités vingt et unièmes : les cloisons qui battent disent bien les bouleversements générés par cette emprise de la religiosité, sans nuire au déroulement d’un monument de deux heures sans temps morts.
« Ah ! Pour être dévot, je n’en suis pas moins homme ! »
Plaisir des interprétations différentes à partir d’un même texte :
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/03/tartuffe-moliere-lacascade.html  et combien une œuvre de 341 ans d’âge peut encore nous parler !
Le rôle des servantes chez Molière est connu, cette Dorine emporte le morceau :  
« Juste retour, Monsieur, des choses d’ici-bas ;
Vous ne vouliez point croire, et l’on ne vous croit pas. »

samedi 28 mars 2015

Je cherche l’Italie. Yannick Haennel.

J’ai pensé trouver un livre qui accompagnerait bien nos projets de séjour en Italie, et je me suis trompé.
Les premières pages qui décrivaient les beautés de Florence face à la vulgarité de Berlusconi m’avaient mis en appétit.
Bien que ce livre soit écrit à la première personne, il n’est pas habité : trop de grands mots sonnent dans le vide. Convenu, éloignant le lecteur qui ne connait pas intimement ses nombreuses références littéraires, truffé de citations dont celle opportune de Dante, parlant de choses qu’il est beau de taire, avec Virgile : « parlando cose che’l tacere è bello »
Que ne l’a-t-il fait lui,  l’auteur, qui est attiré par le silence, le vide ?
Alors qu’une des seules choses que je sache de Bataille c’est sa réputation en matière érotique, ce maître ne l’a guère inspiré : sa compagne ne fait que passer et un baiser au Japon est aussi minéral que les jardins là bas.
Quant à ses propos politiques, en touillant dans les culpabilités, ils sont encore plus contestables, au moment où les nazis  du XXI° siècle défilent, dans les sables, sous de sanglantes bannières noires.
A propos d’Auschwitz :
« L’infamie allemande est aussi italienne ; elle est occidentale, mondiale-planétaire : c’est celle de la destruction de la tragédie - c’est le monde de la parole comme porcherie »
La libération a-t-elle eu lieu ?
Quelques passages sont poétiques, ils auraient tenu dans une plaquette, car sous des « ciels indifférents », les lumières peuvent être belles:
« C’était un beau jour de novembre, soyeux et fixe »
Je proposerai pourtant ces 200 pages éditées dans une collection dirigée par Solers (d’où les citations) à mes compagnes de Campanie et d’ailleurs, histoire de contredire cet avis bien négatif dont il est difficile de trouver trace de semblables commentaires ailleurs.
Le titre était beau, mais pas de lui, dit il lui-même.
Par contre une interview dans Télérama de l’historien Patrick Boucheron donne envie d’aller plus loin :
« J’ai récemment travaillé sur la crainte que ressentaient les Siennois en 1338 face à la menace qui rôdait autour de leur régime politique – pas seulement les institutions, mais tout ce qui leur permettait de vivre ensemble harmonieusement. Cette peur, ils voulaient la voir en peinture : la fresque d’Ambrogio Lorenzetti l’a rendue visible. Et voilà qu’au moment d’écrire mon livre, et aujourd’hui encore, je suis rattrapé par l’actualité – cette peur de voir notre vivre-ensemble brisé. L’historien ne peut pas congédier le présent qui cogne à sa fenêtre. Il doit s’en saisir pour le maintenir à distance, mais toujours devant lui, sous ses yeux. Oui, la peur est la plus puissante des passions politiques: on ne comprend pas l’histoire européenne, par exemple, si on ne saisit pas combien, depuis le XVe siècle, la peur des Turcs l’anime et l’emporte. »
Il a écrit : « Conjurer la peur, Sienne 1338. Essai sur la force politique des images.

vendredi 27 mars 2015

Eclipse.

Sous l’image envoyée par un ancien pédagogue qui s’est bricolé son observation de l’éclipse de soleil de vendredi dernier, je livre mon humeur de l’heure : sombre.
Des inspecteurs d’académie, et autres sous fifres, avaient interdit aux maitresses des écoles d'observer l’éclipse ; des enfants ont été confinés le temps que la lune passe devant le soleil. Des syndicats ont dû intervenir auprès de la ministre pour qu'elle permette l'observation aux classes qui le souhaitaient.
« Quand le sage montre la lune, le sot regarde le doigt »
Lorsque j’ai reçu un courrier d’un autre de mes collègues encore en activité, concernant  les consternantes palinodies autour de cette éclipse, je pensais que ce serait un témoignage parmi tant d’autres, d’un phénomène qui a révélé, à mes yeux, l’ambiance d’une époque s’enfonçant dans le noir.
« Non mais on est dans quel monde là? C'est pas au programme? Les collègues ne sont pas professionnels et au courant des précautions à prendre? »
Mon pote, parti en classe de découverte ( !) a du convaincre des parents qu’il n’allait pas « laisser leurs enfants se brûler les yeux. Sinon les familles les gardaient (dans le noir ?) »
Je n’ai guère trouvé de commentaires sur cette affaire, alors que les réseaux dit sociaux se sont déchainés autour de Goldman. Pourtant je trouve que cet épisode révèle les ravages du principe de précaution, la perte de confiance en l’école, les préjugés parentaux, la pusillanimité de l’éducation nationale, l’effacement des maîtres, le conformisme de certains médias, leur médiocrité. Alors qu’avec ce phénomène céleste à la portée de tous, il est question rien moins que de notre place dans l’univers, d’éducation, y compris aux dangers, mais pas que.
En  d’autres lieux, l’autorisation écrite des parents était requise, accompagnée d’une circulaire où figurent encore les soulignages mettant en évidence  les mots « graves et irréversibles » et un texte où nul ne pourra ignorer que « les lunettes sont conformes aux dispositions prévues par la directive européenne 89/686/CEE relative aux équipements de protection individuels et porter le marquage CE de conformité. La partie filtrante est constituée soit de films en polyester recouverts d’une fine couche d’aluminium, soit de films en polymère noir teinté dans la masse… » 
La première proposition du moteur de recherche avec le mot « éclipse » concerne… les animaux :
« Les  animaux n'ont pas l'habitude de lever le nez vers le ciel pour regarder le Soleil. Et ils n'ont pas non plus la même fascination que nous pour les phénomènes astronomiques. De fait, "aucune étude clinique n’a révélé une telle altération de la vision suite à une éclipse, note le vétérinaire. Soit parce qu'elle passe inaperçue dans le comportement de l’animal, soit, plus probablement, parce que les chiens et les chats ne sont pas 'intéressés' par l’observation du Soleil et des éclipses. En effet, en temps normal, regarder directement le Soleil, dont l’intensité lumineuse est très forte, est responsable de photophobie. Leurs yeux 'piquent' et nos carnivores domestiques n’ont ainsi pas tendance à le faire. Heureusement pour eux !"
Tous toutous !
L’éducation nationale, à la dernière minute, a encouragé l’observation, aggravant son cas déjà lourd et le mot « projet » usé jusqu’à la corde peut être mis au milieu du feu où se trouve déjà la maîtresse, comme si cette éclipse était fortuite !
Tous les hymnes à la science pourront bien être entonnés, le souvenir de ce moment portera pour certains sur la qualité des lunettes, voire la couleur des rideaux occultants.
 « Un Astrologue un jour se laissa choir
Au fond d'un puits. On lui dit : Pauvre bête,
Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir,
Penses-tu lire au-dessus de ta tête? »
 La Fontaine
Nous sommes dans le trou.
…..
Pour ceux qui ont suivi quelques questionnements antérieurs où j’ai frisé l’abstention : finalement je suis allé voter. Les socialistes étaient les plus concrets.
…………
Sur le site « Slate » cette semaine :



jeudi 26 mars 2015

Le mois du graphisme d’Echirolles 2015.

Legendre que je vois chaque samedi dans Libé, au musée Géo Charles, est en majesté avec son trait ondulé, très gravure sur bois, beau mais tellement graphique qu’il en est refroidi.
Aux Moulins de Villancourt, les intitulés ont beau titrer « arrache toi un œil », les graphistes du « print » ou du « digital » dans le « packaging », m’ont semblé participer à une ronde aux couleurs attendues, s’éteignant les unes les autres.
Au Musée de la Viscose, des affiches sont posées au sein de l’exposition permanente, reprenant les icones de Grapus, mais ne gagnant guère en lisibilité à se superposer sur les portraits des ouvrières et leur machines noires désormais sous verre.
A La Rampe, des travaux d’étudiants présentent des villes mais pour certains le stéréotype submerge la poésie, la virtuosité ou l’efficacité d’un trait. Quand Toulouse est noyée sous le Cassoulet, Nice s’en tire mieux.

mercredi 25 mars 2015

Agneau à l’Iranienne.

Pour prolonger le souvenir d’un voyage en Iran et ajouter un article concernant les plaisirs de la table, après « Les délices en BD » évoqués hier sur ce blog, ci-dessous: une recette qui se doit de comporter des aubergines puisqu’il s’agit d’un plat perse.
Il y a en a bien une qui semble encore plus savoureuse mais je ne l’ai pas testée, bien qu’elle semble accessible avec pistaches, orange et abricots, "menthe à déchirer":
Pour l’élémentaire : une épaule d'agneau  qu’il est toujours spectaculaire de voir désosser, à détailler en morceaux.
Faire dégorger les aubergines dans le sel un bon moment.  
« Pendant ce temps faites dorer les morceaux de viande dans la cocotte avec un peu d'huile très chaude ».
Ajouter oignons, tomates, concentré de tomate, sel, poivre, curcuma, poivre et bouquet garni.
« Mélangez et laissez cuire quelques minutes à feu vif, sans couvrir. »
Faire rissoler à l’huile d’olive, les aubergines égouttées, épongées et ajouter les dans la cocotte.
Si c’est à la cocotte minute : 20 mn à feu doux, le double de temps avec la cocotte à l’ancienne. Ne pas oublier le citron.
C’est du fondant.

mardi 24 mars 2015

Délices. Lucy Knisley.

Autobiographie, gourmande, craquante, d’une jeune américaine autour de bonnes odeurs de cuisine.
Simple et riche : depuis les crèmes brûlées de sa maman, les barbecues américains, les découvertes mexicaines ou japonaises et les insurpassables croissants fourrés à la confiture d’abricots de Venise jusqu’à la cuisine moléculaire.
Une bonne tranche de mœurs passant par New York, sa campagne proche, Chicago et les années étudiantes où les bobos croisent les amateurs de MacDo et des végétariens.
L’auteure qui aime tant la cuisine ne dédaigne pas quelques sucreries, ni autres fétiches de la « junkfood ».
Elle ponctue son récit, où ne sont pas absentes les crises adolescentes, de recettes pédagogiquement  explicitées telles que la carbonara, le thé aux épices,  les sushis, les fromages, les cornichons et les champignons pour lesquels elle livre des tours de main de sa maman.
Pour ce qui est du « Shepard pie », quelques ingrédients  peuvent nous paraitre exotiques mais nous font sortir du poncif qui dit que les américains ne mangent que pour vivre, alors que certains là bas aussi, vivent pour manger.
Un éloge aux couleurs vives des traditions familiales, de la cuisine avec les produits du jardin, de la nourriture de camions ou de marchés, aussi bien que la cuisine raffinée : le rôle social des repas dans la diversité et l’humour léger.
L’auteure mérite le succès, quand les chefs remplissent les écrans alors que de plus en plus souvent les tables de cuisine n’accueillent que furtivement de dispersés picoreurs de réfrigérateurs.

lundi 23 mars 2015

La chambre bleue. Mathieu Amalric.

la chambre bleue cannes mathieu amalric
Le film dont le réalisateur s’est donné le rôle principal donne envie de lire ou relire Simenon dont il modernise quelques aspects, tout en conservant l’atmosphère d’une province immuable et une riche ambigüité des personnages.
Il nous importe plus de retrouver les circonvolutions d’une passion à travers l’enquête des gendarmes que de savoir qui est coupable :
« La vie est différente quand on la vit et quand on l’épluche. »
Bien sûr le fils du journaliste du Monde est plus crédible en prof de fac qu’en marchand de machines agricoles, mais ses choix de réalisateur m’ont bien plu quand son regard se perd  sur une tapisserie, quand un peu de confiture tombe de la cuillère, quand il nous rejoue celui qui a tout pour réussir et qui ne réussit même pas sa fuite. 

dimanche 22 mars 2015

Médéaland. Sara Stridsberg, Jacques Osinski.

Le retour d’Osinski http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/03/orage-strindberg-osinski.html à Grenoble mettant en scène une suédoise, à ne pas confondre avec Strindberg August, n’a guère emballé le public.
Pour ma part, cette pièce, parmi les plus courtes des propositions théâtrales récentes  qui durent en général plus de 3h, m’a paru la plus longue avec ses 2h, bien que la fin rachète un peu de quelques longueurs et lourdeurs précédentes.
Le mythe terrible, rappelé sur le net à propos de la tragédie de Corneille, est modernisé:
«Médée est répudiée par Jason, après lui avoir donné deux enfants. Elle accomplit sa vengeance dans un premier temps en brûlant la nouvelle épouse de Jason, puis en égorgeant ses propres enfants. »
Mais l’approche psychiatrique de l’excentrique ne suscite guère de compassion et peu de réflexion dans la mesure où l’universalité de la légende disparait derrière un destin individuel à l’amour démesuré.
 « L’amour c’est le gaz carbonique du sang. L’amour c’est une punition. Dans le futur, personne n’aimera. L’amour sera supprimé. Une barbarie révolue, incompréhensible et antidémocratique. Tout le monde rira de nous, pauvres fous aimants. »
Les Rita Mitsouko étaient plus divertissants
« Les histoires d'A
Les histoires d'amour
Les histoires d'amour finissent mal
Les histoires d'amour finissent mal en général »
.
La liberté de cette femme ne peut se justifier derrière les  horreurs commises.
« Mais tu dois apprendre à t’incliner devant le monde quand il te regarde. Personne n’y échappe. Aucune femme. Pas même toi, Médée. »
Je venais de lire un portrait d’une mère infanticide dans le Libé du jour et il y avait bien plus de complexité, d’interrogations, que dans cette construction froide.
Bien que la belle Maud Le Grevellec soit une excellente comédienne, face à Jason, oison tombé du lit, l’émotion ne passe pas. Qu’elle n’ait pas de papiers m’a paru sans importance au cours de ce drame absolu n’éveillant aucun écho dans une actualité qui pourtant déborde entre les moindres virgules de textes, de musiques, de danses, pansements à nos pensées meurtries.
Si ! Médée attendait les dieux ; et ils n’ont pas fait signe !

samedi 21 mars 2015

Un candide à sa fenêtre. Régis Debray.

Lui qui a si bien le sens de la formule n’a pas trouvé, à mon avis, le titre adéquat, car le renard argenté n’est guère ingénu. Et s’il cultive une fraicheur revigorante en un regard embrassant la philo, la politique, les arts, la littérature depuis la France jusqu’au monde, c’est d’expérience qu’il parle.
Tout est bon dans le ronchon, avec ses 395 pages délicieuses où  la tentation est forte de se contenter de citations tant le lecteur toujours admiratif http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/09/reverie-de-gauche-regis-debray.html  se sent illégitime pour  juger celui qui tel Cyrano se sert lui -même, avec assez de verve, lui qui aime « assimiler d’innombrables lectures, leur donner une forme ramassée et alerte, les contreforter de souvenirs ou d’aperçus personnels… »
Je le suis dans sa critique de l’art contemporain ou de «la littérature sans écriture», dans les paradoxes soulignés d’un Sartre appelant à bouffer du capitaliste après une guerre passée à occuper essentiellement Saint Germain des Prés, quand il verrait bien Joséphine Baker au Panthéon, et ses fidélités à Santiago Carillo, Semprun, Grach, lui qui avait pressenti la remontée du religieux, « le leurre européen » , la révolution numérique…
Et je me mire dans le miroir d’une « France enfance » qui a sa place à côté de « France élégance », « souffrance » et « romance » :
« Elle a la plume sergent major chère aux gavroches amoureux des cartes et d’estampes, fleuves verts et départements saumon. Elle musarde  à cheval sur la Sologne et Ménilmontant. Le Grand Meaulne et Robert Doisneau. Entre les comptoirs de comptine (« Pondichéry, Chandernagor, Mahé… ») et ceux en zinc de la rue Villain. Elle est rêveuse humaniste, centre gauche, gouailleuse, doucement anarchisante. La France de Laforgue, de Perec, de Brassens et de Truffaut. Elle aime le calembour. Couleur : du gris tourterelle (les toits de Paris) au bleu –noir (l’encre Waterman). Le ton : à la confidence avec un grain de mélancolie. »
« Un pays qui n’a plus assez de musique en lui peut il réussir sa composition ?»
Léger, inattendu, pourtant le passage du temps se fait sentir, quand la mort n’est pas un départ mais un retour vers les familles et que la lutte contre l’oubli devient pathétique :
«  bienvenue la saumure doctrinale qui nous permet, à nous randonneurs sans biscuit, de puiser dans les stocks pour poursuivre notre route ».
Que fait-on quand les anorexiques sont pourvus de GPS ?
Pourtant le bon sens est bien dit : « Quand le jour se lève sur le tapis vert, le chimérique double la mise et joue banco » pour parler des surenchères de ceux qui s’aperçoivent de l’échec de leurs rêves, ils n’en ont pas fait assez !
 Allez, pour la route, quelques gourmandises :
« Il n’y a plus lieu de croire qu’on va fermer les mosquées en favorisant les mathématiques, ni faire fuir les ayatollahs à coup de Coca-Cola, ni ramener les hommes à une bonne gouvernance avec des ordinateurs. »
Parlant en bien des tweets qui comme « l’art vit de contrainte et meurt de liberté » :
« peut être manque-t-il à nos haïkus numériques et drolatiques cette goutte d’amertume qui aide à bien vieillir ».
Nous ne manquerons pas d’amaretti et vieillirons bien ensemble, tant qu’il y aura de si belles pages.

vendredi 20 mars 2015

L’erreur de calcul. Régis Debray.

Ce Debray, n’est certes pas long (54 pages) mais si emballant que j’en ai acheté trois autres à 5 € pièce à distribuer comme du Hessel, en moins gnangnan.
Il s’agit de sa réponse au « j’aime l’entreprise » de Vals, sans insulte, avec sa verve habituelle :
« Un enfant du siècle transi par sa grande illusion, l'erreur de calcul qui nous bouche la vue et s'en prend à nos vies ».
 Loin des caricatures :
« Les entreprises sont évidemment nécessaires à la société. Elles en sont les jambes, mais sûrement pas le cœur, et encore moins l’âme. »
Il replace avec une gravité qui tranche avec les ricanements habituels, des paroles tellement dans l’air du temps, dans une suite historique où l’économie, « une catéchèse quotidienne et cathodique », est  devenue reine après le temps de l’église et de la nation.
Le réquisitoire a du souffle et son style agile toujours m’époustoufle. Il nous rappelle le poids des mots dans la langue de nos maîtres :
« Chacun s’exprime à l’économie : il gère ses enfants, investit un lieu, s’approprie une idée, affronte un challenge, souffre d’un déficit d’image mais jouit d’un capital de relations, qu’il booste pour rester bankable et garder la cote avec les personnalités en hausse. »
Il revient sur ses critiques de la modernité :
« Le mot de passe qui donne aux business schools des allures rimbaldiennes, justifie tous les abandons et paralyse la réflexion. »
Et sur l’injonction  de s’adapter
« Ni la république, ni la résistance n'ont été des faits d'adaptation, et le socialisme encore moins. S'adapter en 1940, c'était collaborer »
J’arrête là, je ne vais pas tout citer, son échange avec Renaud Girard: « Que reste-t-il de l’occident ? » est sur ce blog  http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/01/que-reste-t-il-de-loccident-regis.html et demain je cause d’« Un candide à sa fenêtre ».
………….
Cette semaine dans « Le Canard » un clin d’œil à notre pourvoyeur de "Brèves de comptoir" chaque lundi.

jeudi 19 mars 2015

La Tour Perret. Cédric Avenier.

A l’approche des 90 ans de la construction de la Tour emblématique de la ville de Grenoble, la conférence du docteur en histoire de l’art et architecture devant les amis du musée dépassait le simple exposé, en appelant la nécessité de restaurer le bâtiment fermé au public depuis les années 60.
Le montant de la facture évalué à 7 à 8 millions risque de s’élever encore, suivant la vitesse exponentielle des dégradations. Elle qui ne coûta à l’époque que l’équivalent de 130 000 € ; ce fut  d’ailleurs un des arguments pour qu’Auguste Perret emporte le concours d’architectes par ailleurs bien aménagé en sa faveur.
Marie Dormoy critique littéraire l’introduisit  dans les milieux de l’art, et  leur liaison amoureuse n’est pas anecdotique:
« Tu ne peux pas savoir très cher à quel point je suis touchée d’avoir la Tour comme filleule.
Je l’accepte avec joie et qu’elle soit l’image de notre amour. »
L’influence du maire Paul Mistral conjuguée à celle du conservateur du musée Pierre-André Farcy fut déterminante. Franc maçon, l’architecte travaillait aussi avec son frère qui dirigeait une entreprise de construction.
« La tour pour regarder les montagnes » de section octogonale, mesure 95 m de haut avec la flèche au dessus de fondations allant à 15 m de profondeur. Ses huit piliers réunis par des anneaux forment une colonne de style ionique dont l’érection ne suscita pas de polémique, seulement des jalousies d’autres architectes.
Lors de l’inauguration, par Paul Painlevé président du conseil, deux députés sont restés coincés dans l’ascenseur et enfermés dans la tour. Herriot était un de ceux là, ce fut peut être la seule fois où il sauta un repas.
Fils d’un tailleur de pierres, le « seul architecte du vingtième siècle, aimait-il à dire, avec Le Corbusier », il est l’héritier d’une démarche rationaliste et classique.
Il mit en valeur le béton, fleuron à l’époque du « style français », et va innover avec cette structure légère et continue qui  a nécessité un chantier complexe mené en seulement sept mois. Les coffrages sont modulaires et les moules  pour pré-fabriquer des éléments de remplissage sont réemployés à partir d’une église qu’il avait construite au Raincy.
Le ciment ne provient pas des dizaines d’entreprises qui rivalisent alors sur Grenoble, mais de Marseille.
Redonner une seconde jeunesse à la première tour en béton armé du monde, peut être un projet excitant pour les labos de recherche sur le ciment de L’Isle d’Abeau, l’école d’architecture, les artisans, les chercheurs en sismologie de  l’Université Joseph Fourier, les artistes et les techniciens. Retrouver la vocation première de la tour, seul vestige de l’Exposition internationale de la Houille Blanche et du tourisme est un beau défi. Au pays de la recherche et des sciences, quelque lumière devrait apparaître ; tous les partis politiques s’étant prononcé pour cette restauration. Les hautes technologies au service du patrimoine : quoi de plus consensuel ?
Le défi technique complexe est passionnant car il s’agit de traiter fer et béton, de trouver des formules de matériaux de réparation qui accrochent par-dessus des ciments « Le Flambeau » qui ne se font plus. La porosité des substances nouvelles doit être identique et ne pas se décolorer différemment des supports qui doivent rester primordiaux par rapport aux restaurations.  
L’architecture loin d’être immuable connait les contraintes du temps qui passe, des aménagements, des ajouts, des transformations, dans ce cas la tour qui connut une belle table d’orientation à 60 m du sol , est « dans son jus » initial contrairement aux bâtiments qu’Auguste Perret construisit à Amiens, ou au Havre « un exemple exceptionnel de l'architecture et de l'urbanisme de l'après-guerre ».
« L’architecture, c’est ce qui fait les belles ruines » disait-il.
Une association "Ensemble pour la Tour Perret de Grenoble" s'est montée, 

mercredi 18 mars 2015

Images d'Iran 2014, suppléments.

Depuis septembre http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/09/quest-ce-que-vous-allez-faire-en-iran.html  chaque mercredi  nous avons raconté notre voyage en Iran . Accessible grâce au moteur de recherche du blog en tapant "Iran" dans la fenêtre.
Pour prolonger le récit, parmi 3000 photographies  en voici quelques unes  par un compagnon de route.
Vous pouvez cliquer sur les images pour les agrandir.









mardi 17 mars 2015

Petite terrienne. Aisha Franz.

Une mère et ses deux filles : une adolescente et une enfant, le papa n’est pas là.
Leurs rêves à toutes les trois ne sont guère fantastiques sous ce titre ambitieux et dérisoire qui  nous élève bien peu au dessus d’un terre à terre assez déprimant.
La mère a des regrets qui s’expriment par l’intermédiaire d’un poste de télévision qui lui rappelle les occasions manquées du passé. 
L’adolescente essaie de retrouver une amitié d’enfance et ce n’est pas l’amour espéré qui l’attend. Les garçons en voiture sont volages et les verres éclatés sur le carrelage nous accablent. 
La « petite » que les autres appellent ainsi, convoque un extra terrestre convenu entre deux petits déjeuners, où personne ne s’éveille aux autres, dans un pavillon triste de banlieue morne de notre zone européenne neurasthénique.
Les dessins maladroits au crayon accentuent la tristesse de ces vies solitaires. Ce n’est  vraiment pas joyeux, mais bien vu : le gris peut aller à la poésie, même si les ballons rouges ne portent pas toujours des messages sympathiques.

lundi 16 mars 2015

Pas son genre. Lucas Belvaux.

Il s’agit en réalité de "pas sa classe"… au sens marxiste.
Quand le prof de philosophie nommé à Arras dédicace un livre  pour « ma coiffeuse kantienne » à Jennifer la coiffeuse, son amoureuse, c’est mal parti pour réduire la fracture culturelle entre le parisien - et la fausse blonde.
Mais en dépit de quelques traits un peu appuyés pour contraster des conditions sociales différentes, leur histoire d’amour est émouvante pulsée par l’actrice Emilie Dequenne épatante de joie de vivre et de sensibilité.
C’est toujours bien quand un réalisateur arrive à faire du neuf avec une situation déjà traitée.
« Caressez moin » au karaoké avec les copines pêchues joue contre le sombre « Idiot » de Dostoïevski, avec en bouquet final « I will survive »  qui emballe toujours.
Le prof ne méprise pas la jeune mère moins empêtrée que lui, mais au moment où les masques de Carnaval sont de sortie, leur liaison vient dans la lumière, et arrive alors l’épreuve de vérité.
En écrivant quelques mots à propos d’un film, on se met à distance, mais les poèmes, les chansons, et les histoires d’amants qui se croisent peuvent arriver à accélérer le rythme de nos petits cœurs.

dimanche 15 mars 2015

Cyrano de Bergerac. Edmond Rostand Georges Lavaudan

Est-ce que mon enthousiasme d’il y a deux ans http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/04/cyrano-de-bergerac-edmond-rostand.html pouvait se renouveler ? Oui !
Avivé par la conviction que ce sont les mots qui sauveront notre humanité, après les déflagrations de janvier, j’ai apprécié ces deux heures et demie où l’humour, le panache, emportent l’émotion.
Au plus profond des palpitations de la vie, le théâtre amène les siècles révolus et leur romantisme dans les mœurs les plus contemporaines : tchatcheurs en battle.
La mise en scène met en évidence le texte initial.
Les sentiments sont absolus, les fêlures se regardent en face, l’héroïsme ce n’est pas vaincre cent épées mais mourir debout.
La délicatesse :
« Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce?
Un serment fait d'un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer;
C'est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d'un peu se respirer le coeur,
Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme! »
Dans une autre version j’avais aimé la tirade des "non merci"
« Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,
Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ?
Non, merci ! »
Cette fois j’ai apprécié un des sept moyens de monter dans la lune :
«Sur une sauterelle aux détentes d'acier, 
Me faire, par des feux successifs de salpêtre,
Lancer dans les prés bleus où les astres vont paître ! »
Il s’agit d’une scène secondaire où Cyrano doit faire attendre De Guiche, je l’ai choisie pour retenir le plaisir de chaque instant, la saveur de chaque vers, la verve de chaque mot, les couleurs de chaque personnage avec une Roxane peu précieuse dont tous sont amoureux.
Sur cette lune où il va retourner au moment de mourir, sans engin mécanique, ni espoir de cent vierges ; il a aimé pour cent amoureux sur la terre et s’est élevé cent fois au dessus des contingences.
« - Les feuilles !
Elles sont d'un blond vénitien.
Regardez-les tomber.
-Comme elles tombent bien !
Dans ce trajet si court de la branche à la terre,
comme elles savent mettre une beauté dernière,
et malgré leur terreur de pourrir sur le sol,
veulent que cette chute ait la grâce d'un vol !
- Mélancolique, vous ?
- Mais, pas du tout, Roxane !
- Allons, laissez tomber les feuilles de platane...
et racontez un peu ce qu'il y a de neuf.
Ma gazette ? »
Cette Roxane peut être un absolu, une « inaccessible étoile », une  figure comme Marianne de la République à qui on voue de grands mots et qui échappe, les prétendants étant trop sots. Mais point besoin d’extrapoler : les rouages de la pièce s’enclenchent parfaitement. Les excès les plus fous sont au service d’une quête toujours lucide. Les détails savoureux se révèlent, comme se goûtent  les retrouvailles avec les morceaux de bravoure pas escamotés : des brioches sont emballées dans des cornets en papier où sont écrit des poèmes, la nonne qui ne cherche pas à convertir le vieux Cyrano  peut prier pour lui, elle n’avait pas attendu son autorisation.

samedi 14 mars 2015

Fête du livre de Bron 2015. Qu’est-ce qu’on a en commun ?

Depuis trente ans que cette fête existe, je ne l’ai découverte que l’an dernier et ce fut un régal : http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/03/fete-du-livre-bron-2014.html
Cette fois j’ai manqué Marie-Hélène Lafon et Emmanuelle Pagano que je tenais à entendre sur le thème « de l'influence du paysage » en littérature, et ma vexation de m’être trompé d’heure a été avivée par une amie croisée dans la salle des parieurs de l’hippodrome de Parilly, qui en sortait, enchantée par les deux romancières.
Alors nous nous sommes consolés ma comparse et moi avec deux auteurs qui m’étaient totalement inconnus, bien qu’ « auteurs majeurs de la littérature contemporaine internationale » : John Burnside et José Carlos Somoza réunis pour leur tendance à mélanger les genres : polars, fables, réalité et imaginaire, ombre et lumière.
L’écossais jovial est un poète qui ne manque pas d’humour. Son roman « L’été des noyés » se pare de mystères : dans une île près du cercle polaire, les légendes rapportent qu’une femme à la beauté fascinante entraine les jeunes gens vers la mort … 
Dans « Le Tétraméron », l’espagnol né à la Havane, livre un roman gothique où les fables cruelles contées à une jeune fille au sortir de l’enfance s’emboitent comme poupées gigognes.
Cocteau fut évoqué opportunément : « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité », puisque cette dualité est au cœur de la création littéraire.
Pour illustrer la part subjective qu’apporte celui qui a un livre devant ses yeux, l’ancien psychiatre auteur de « La caverne des idées » a évoqué un lecteur qui avait trouvé la description de la Havane ancienne particulièrement fidèle, alors que l’écrivain n’y avait vécu que les premiers mois de sa vie.
L’imagination nous fait grandir et quand « la folle du logis », l’imagination, se déchaine dans des pages, une fois le livre refermé, nous entrons dans d’autres formes de folie.
Ce sont, en ce moment, des marteaux bien réels qui s’attaquent aux statues.
En attendant la rencontre avec la star rock Djian et la punk Despente, je consentais à assister à la prestation d’une actrice qui écrit : Anne Wiazemsky.
Et nous fûmes emballés par la sincérité, la force, de l’ancienne femme de Godard, digne de son grand père François Mauriac.
Ce n’est pas le côté : j’ai connu  Deleuze, Bertolucci, Bresson… qui m’a séduit, mais la vérité de l’écrivaine se démarquant de l’autofiction, tout en s‘autorisant quelques reconstructions de la mémoire. L’écriture lui vient quand les personnages (re)vivent. Par modestie, elle n’a pas mis en exergue Colette:
«Imagine-t-on à me lire que je fais mon portrait ? Patience, c'est seulement mon modèle. »
Pourtant, je pressens que c’est tout à fait ainsi qu’elle a écrit. Sa façon de nous parler de l’histoire de sa mère donne vraiment envie de lire son livre : « Un enfant de Berlin » antérieur à sa trilogie : « Jeune Fille », «  Une année studieuse »,  « Un an après ».
A la sortie de la découverte de cette belle personne, au regard passionné, quelle ne fut pas notre déception avec l’auteure de « Baise-moi » et celui de « 37° 2 le matin » dans l’entre-soi avec Sylvain Bourmeau qui ignorait même le titre de l’entretien ( par la barbichette) qu’il était sensé diriger : « les illusions perdues » !
Si Despentes garde encore quelque fraicheur, le parolier de Stephan Escher fut pathétique et sa suffisance n’entraine pas à lui voter des circonstances atténuantes. Leur connivence se dispensant de respecter le public, nous ignorerons sans doute leur dernière production : « Vernon Subutex » disquaire nostalgique de l’une et « Chéri-chéri », un écrivain le jour, travesti la nuit, venu de l’autre. Nous avons appris que celui qui prétend écrire pour l’agriculteur de Corrèze sur son tracteur, et pas seulement pour les habitants du VI°, vient de déménager, dans le VI°. Mon Massey Ferguson est tout ému de la confidence.
La rock attitude d’un membre éminent de l’élite de la littérature française tient dans un look, d’avantage que dans un serment Clearasil qui consiste à « ne  pas trahir ses rêves de jeunesse ».
« Waouh ! » n’a- t-il cessé de s'exclamer à propos de la langue de sa jeune collègue.
« C’est un peu court, jeune homme ! » aurait dit Cyrano.

vendredi 13 mars 2015

Antiquités grecques.

Je vais éviter de relire mes leçons d’instruction civique concernant  l’abstention, car avant les élections départementales, je suis plus près de la promenade printanière, sans passer par l’isoloir, que d’apporter ma voix à ceux qui ont tant esquinté la gauche :
surtout pas à la filiale Cahuzac, ni aux braillards Poutiniens.
Les ambulances ont versé dans le fossé.
Bref, je n’irai pas plus loin sur ces chemins craignant de n’y croiser que des trains de sénateurs. Pas plus que je ne disserterai de Macron, ne sachant rien en économie, ni de Syriza, découvrant chaque jour des aspects ignorés de la politique en France ; alors la Grèce : je ne sais pas.
Par contre j’évite de m’enfouir la tête dans le sable, quand les moyens les plus modernes retrouvent le fondamentalisme le plus moyenâgeux.
Et je sais Cabu, Wolinski effacés, les petites filles explosées et les statues démolies.
Quand un enfant devient un bourreau, c’est l’enfance qui est tuée.
L’école, je connais… je connaissais, car à la faculté, désormais, il faut des rattrapages en dictées pour des étudiants en lettres modernes ! J’avais appris pour les ingénieurs, mais je crains qu’il ne soit trop tard, avec des profs en exercice, confondant « la tension » et « l’attention »sur des bulletins, nuance au cœur pensais-je de leur métier, et qui n’en ont rien à foutre de se corriger ! Comment peut-on les respecter ?
Je croyais que la gauche (la gauche ?) avait à voir avec la culture. Mais point du tout ! Elle minimise les motivations religieuses, ethniques qui expliqueraient une part des crises du monde. Les lunettes économiques en œillère ne signent pas qu’un défaut passager, mais un vice constitutif chez les princes qui nous gouvernent. Ceux-ci nourris à la com’ n’envisagent plus la complexité et préfèrent s’en prendre à Onfray, le philosophe, et asséner quelques mots outranciers pour « faire sens », croient-ils. Alors face à « apartheid » les mesures semblent dérisoires même si  par contre le terme « islamo fascisme » dit avec justesse ce qui nous sidère présentement.
Dans la réforme du collège, ils tirent l’enseignement vers l’animation et enfoncent les élèves dans une léthargie imposée par un système qui ne croit plus en lui-même.
Ah, les réseaux « sociaux » se sont déchainés, car Goldman a dit aux jeunes : «  remuez-vous ! » Comment ne pas pointer la décadence de notre société qui se perd dans des querelles qui n’en sont pas !
Alors que les élèves : «ils ont sommeil de 8 à 9, ont faim de 11 à 12 et sont excités de  16 à 17» d’après la formule ramassée d’une collègue que j’ai connue bienveillante et qui persiste à l’être. 
D’accord pas d’amalgame : il y en a aussi qui digèrent de 14h à 15h et d’autres qui sont fatigués de 8h à 17h.
La prof, elle, est debout, j’en connais aussi.
Et tant s’appliquent encore à élever les petits, se mettant à leur portée, sans s’abaisser, les écoutant sans les approuver à tous coups.
En insistant sur le mot qui se perd, « élever » : Maggiori dans Libé parlant du philosophe Jean-François Mattéi :
« Depuis l’aube grecque, toutes les connaissances linguistiques, religieuses, philosophiques, esthétiques, scientifiques, sociales, éthiques, juridiques, économiques, historiques se sont bâties de façon architectonique, sur le modèle d’une cathédrale, dont l’architecture - «non de pierre, mais de pensée» - est gouvernée par la «raison universelle» : l’humanité de l’homme, comme conscience, sujet de droit, être social, vient de ce qu’il habite au centre de ce système et en est nourri, «édifié». «Que l’on édifie le monde à partir d’un modèle scientifique, l’homme à partir d’un modèle éthique ou le citoyen à partir d’un modèle juridique, le geste d’édification a pour but d’élever la réalité de l’homme à la hauteur d’une idée, l’idée de vérité, l’idée de justice ou l’idée de bien.»
...... 
Le dessin de la semaine, je l'ai apprécié dans "Libération" .

jeudi 12 mars 2015

Niki de Saint Phalle. La revanche des nanas.

Catherine Marie Agnès Fal de Saint Phalle (1930 / 2002)  dite Niki (la victoire) vient de connaître les honneurs du Grand Palais à Paris.
Qui n’a pas croisé une de ses nanas colorée et plantureuse, dans des fontaines ou en produits dérivés ? Elles ne disent cependant pas tout de son œuvre.
Christian Loubet devant les amis du musée a évoqué son parcours :
« Ce qui la faisait vivre, l’a aussi tuée ».
Vers la fin de sa vie, les poumons rongés par les vapeurs des résines plastiques utilisées pour ses colossales sculptures, elle a publié « Mon secret » où elle raconte les agressions sexuelles que lui a fait subir son père, un banquier catholique, lors de « l’été des serpents », quand elle avait 11 ans. Deux des quatre enfants de cette famille se sont suicidés.
La belle avait fait la une de « Time », de « Elle », de « Vogue ».
Elle a quitté mari et enfants en 1956 et a commencé à peindre et sculpter à Nice où elle était traitée pour une dépression. Elle y a rencontré le groupe des nouveaux réalistes (Klein, Arman, César…) et Tinguely avec qui elle se remariera.
L’art est une thérapie : « L’agressivité qui était en moi commençait à sortir. »
Un de ses premiers tableaux : « My lover » représente Saint Sébastien au corps percé de vrais clous dont une cible a remplacé la tête.
Son « autoportrait »  en mosaïque a des airs d’une Frida Khalo sur la défensive, enserré dans des feuillages, constellé de drippings à la Pollock, traversé par une zone blanche qui ressemble à une coupure.
 « Feu à volonté » : elle tire sur des poches remplies de peinture rouge avec une carabine et invite les spectateurs à en faire autant : c’est de l’ « action painting », la performance sera renouvelée plusieurs fois
 « J’ai tiré sur : papa, tous les hommes, les petits, les grands, les importants, les gros, les hommes, mon frère, la société, l’Église, le couvent, l’école, ma famille, ma mère, tous les hommes, (…). J’ai tué la peinture.»
Elle règle aussi des comptes à la religion avec sa « Vieille bigote »,  détourne des exvotos, souille des autels mais ne renie pas une certaine spiritualité.
Ses « mariées » macabres ont le visage tellement las qu’il s’efface sous la fatigue.
Cependant la fréquentation d’une amie connaissant une grossesse heureuse, va modifier son expression d’un féminisme vigoureux. Les accouchées intimidantes vont laisser la place à des géantes aux formes rondes vantant pour certaines l’antiracisme.
Dans une exposition à Stockholm, le public pénètre « Hon (elle) », une structure de près de 30 m de long comportant un milk bar, une salle de cinéma, par «  la porte de la vie » : « La plus grande putain du monde » dit-elle.
La ville de Hanovre lui avait fait confiance, l’artiste lui lèguera 400 de ses œuvres.
Un des bâtiments du  Herrenhäuser gärten sera transformé selon ses indications après son décès : une grotte telle un kaléidoscope tapissé de miroirs et de pierres précieuses résume son travail foisonnant.
A Bâle, au musée Tinguely est installée « Gwendolyn », à Beaubourg «  La fontaine Stravinsky » et une fontaine à Château Chinon, le « Golem » à Jérusalem offre des toboggans, « Miles Davis » joue sur la promenade des Anglais ; sa notoriété est mondiale.
En Toscane à Capalbio, un chantier qui a duré 15 ans, NDSP réalise d’imposants monuments inspirés de Gaudi, du facteur Cheval, représentant 22 figures du tarot où se lit l’influence de Jodorowski :
« L’impératrice », « L’empereur », « La grande papesse », « Le diable », « L’ermite », « Le pendu » et devant « La tour brisée par un éclair » comment ne pas penser au 11septembre ?  Auparavant elle avait apprécié aussi les Watts Tower à Los Angeles qui n’étaient pas considérées par les artistes, alors qu’elle aussi se sentait une outsider parmi les autres artistes.
« Je n’ai jamais suivi d’école d’art et je suis autodidacte » : la définition d’une artiste « art brut ».

mercredi 11 mars 2015

Iran 2014 # J 20. Kandovan/ Tabriz

Aujourd’hui vendredi, c’est férié, le dimanche des musulmans, et déjà des voitures de touristes créent un embouteillage dans les deux sens. Du coup après la descente ardue du village, nous devons effectuer un morceau de trajet sur la route pavée en tirant nos valises entre les voitures. Hossein a bien fait finalement de ne pas s’engager. Il nous ramène à Tabriz, étape sur la route de la soie, dont Marco Polo disait « une grande ville entourée de beaux et agréables jardins. Elle est excellemment située et on y trouve des marchandises venues de toutes les régions.» 
Nous commençons la journée par la visite à la mosquée bleue. Cette mosquée désaffectée, écroulée lors d’un tremblement de terre en 1780 a été reconstruite selon les vœux d’intellectuels de la ville, mais il ne reste que peu de mosaïques azurées qui firent sa splendeur. Pour se représenter l’intérieur, elles ont été complétées et remplacées par de la peinture plus pâle, les coupoles rebâties n’arborant qu’un agencement des briques régulières. Peu de tapis recouvrent le sol, isolé par une moquette verte.
Comme la visite du bazar moderne s’avère compromise en ce jour religieux, Halleh, notre guide, propose de visiter la maison de la constitution ou Mashroutch, hors programme donc  payante, mais pourquoi pas ? Cela nous permet d’apprendre un peu l’histoire de la région, qui fut, au XIII° siècle, le centre administratif d’un empire s’étendant « de l’Anatolie à l’Amou Daria et du Caucase à l’océan Indien ». Ce fut le siège des indépendantistes azerbaïdjanais menés par deux soldats « immortels » qui créèrent une constitution que les shahs kadjar adoptèrent quand ils soumirent les séparatistes. Mais la langue farsi et les coutumes ne s’imposèrent jamais complètement, même encore aujourd’hui.
La maison construite au XIX° par un russe abrite un petit musée qui expose des photos de moustachus enroulés dans des cartouchières, des journaux, quelques bustes ou portraits, des coffres forts fabriqués à Marseille.
La maison conserve des vitraux colorés qui participent à son charme. Même si beaucoup d’éléments politiques et historiques nous échappent, c’est intéressant de constater que le vainqueur s’empare des trouvailles du vaincu.
Halleh n’a pas renoncé à réaliser nos souhaits d’acheter des faïences à motifs de poissons, mais la démarche chez un potier reste infructueuse. Nous allons nous poser dans un restau assez chic et moderne où elle nous commande un nouveau plat régional : le koufteh. Il se présente comme une grosse boulette de différents ingrédients mixés que Dany compare à du pâté de foie trempant dans une sauce rouge. Indépendamment, il y a aussi des feuilles de vigne garnies de riz. Le chauffeur qui a mangé avec nous va disposer de son après midi et nous conduit à l’hôtel, qu’il confond d’abord avec un cinq étoiles  près d’un parc squatté par des tentes de repos de  citadins du vendredi. Nous déclinons l’invitation de nous balader et préférons nous reposer un moment au Caspain Hôtel en attendant que la chaleur tombe un peu. Vers 17h, Halleh nous accompagne dans les rues calmes aux boutiques pas mal closes. Elle se dirige vers une librairie et avec sa gentillesse et son charme habituels, s’arrange pour que l’employé qui la reconnait nous transfère sa clé USB musicale sur un CD. Nous sommes reçus avec des bonbons et repartons avec  chacun un sac vert pomme. En descendant l’avenue, nous débouchons sur une place moderne encore en travaux : le centre en contre bas nous attire car le pavement imite les motifs d’un tapis.
A deux pas, à l’ombre d’un pont une petite animation / exposition, comme pour une fête de quartier, donne un peu de vie : nous y voyons des stands de maquillages pour enfants, des spécialités culinaires de régions (gâteaux)  ou artisanales et le clou, un magasin de services pour le mariage. Nous sommes chaleureusement reçus, photographiés, fêtés, honorés par l’organisation qui nous offre des bonbons et une femme nous fait cadeau d’une feuille en poterie bleu turquoise, comme ça, pour le souvenir !
Il semble que les étrangers ne s’attardent pas  ou ne passent pas à Tabriz, tant pis pour eux.
 Pour notre dernier repas,  Halleh a choisi un restau branché à deux pas de l’hôtel. Un escalier descend dans une cave bien décorée avec de objets de brocante et des photos sous le verre des tables de personnages dissidents,  et des extraits de journaux.  Elle commande des aubergines cuisinées de deux manières différentes, délicieux ! Puis elle nous remercie, s’excuse de son français et nous offre à chacun un pin’s de Mahura Mazda rangé dans une petite boite charmante, en souvenir, achetée à Ispahan. Nous ne nous éternisions pas, Chantal est chargée de réveiller les troupes à 2h 20 cette nuit : départ pour l’aéroport 2h 45.

D'après les notes de voyage de Michèle Chassigneux